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Chine : Croissance et déséquilibres

Publié le 02/06/2007
Auteur(s) - Autrice(s) : Johanna Melka
Universalia 2007,Encyclopædia Universalis
Quatrième puissance mondiale en termes de P.I.B. en 2005, la Chine est devenue un acteur prédominant du jeu économique mondial. Néanmoins, l'économie chinoise présente de nombreuses faiblesses : une croissance déséquilibrée, un système bancaire et financier en inadéquation avec cette dernière, une forte dépendance étrangère, etc. Des réformes sont en cours pour pallier ces faiblesses et les autorités chinoises s'efforcent de ne pas reproduire les erreurs passées de leurs voisins.

Article extrait d'Universalia 2007, publié avec l'aimable autorisation de l'éditeur, Encyclopædia Universalis.

Auteure :  Johanna Melka, économiste IXIS-CIB.

Quatrième puissance mondiale en termes de P.I.B. en 2005, troisième exportateur, deuxième destinataire d'investissements directs étrangers, premier consommateur de matières premières, premier détenteur de réserves de change (plus de 1000 milliards de dollars au troisième trimestre 2006), la Chine est devenue un acteur prédominant du jeu économique mondial. Néanmoins, l'économie chinoise présente de nombreuses faiblesses: une croissance déséquilibrée, un système bancaire et financier en inadéquation avec cette dernière, une forte dépendance étrangère, etc. Des réformes sont en cours pour pallier ces faiblesses et les autorités chinoises s'efforcent de ne pas reproduire les erreurs passées de leurs voisins. 

La montée en puissance de l'économie chinoise

En dix ans, la Chine est devenue un acteur majeur de l'économie mondiale, contribuant à plus du tiers (34 p.100 en parité de pouvoir d'achat) de la croissance de cette dernière, soit deux fois plus que les États-Unis.

Son poids dans le commerce mondial a été multiplié par 2,5. Aujourd'hui, 7,5 p.100 des exportations mondiales proviennent de Chine continentale. La montée en puissance du pays coïncide avec son adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (O.M.C.) en 2001. La Chine est parvenue à conquérir des parts de marché aussi bien en Europe qu'aux États-Unis. 15 p.100 des importations américaines en 2005 proviennent de Chine continentale (soit 6 points de plus qu'en 2001). Ses gains de parts de marché sont aussi importants en Europe: 13 p.100 des importations de l'Union européenne sont issues de Chine.

Les produits "made in China" occupent des créneaux de plus en plus variés: articles textile, jouets, produits de haute technologie. La Chine ne se contente plus d'exporter des produits à forte intensité en main-d'œuvre bon marché. Elle sait aussi s'imposer dans des secteurs d'activité à forte valeur ajoutée, comme l'électronique.

L'ascension de la Chine dans le commerce mondial se fait cependant au détriment d'autres pays, comme les États-Unis, le Japon, et certains pays émergents. Tous les pays dont la structure commerciale est analogue à celle de la Chine subissent fortement sa concurrence car aujourd'hui la Chine a des avantages comparatifs difficiles à concurrencer. Elle dispose d'un important réservoir de main-d'œuvre - issu des campagnes - à très bon marché et la sous-évaluation du yuan lui permet de rester particulièrement compétitive.

La forte croissance de la Chine dans le commerce international doit toutefois être relativisée. En effet, aujourd'hui, 60 p.100 des exportations en provenance de Chine continentale proviennent d'entreprises étrangères, et notamment d'entreprises asiatiques (japonaises, coréennes, hong-kongaises). Elles y délocalisent leur production afin de profiter des avantages comparatifs de la Chine (en particulier du bas coût de la main-d'œuvre), d'une part, et d'un marché intérieur en pleine croissance, d'autre part.

Avec plus de 21 p.100 des réserves de change mondiales, la Chine est devenue le premier créancier des États-Unis. C'est elle qui assure aujourd'hui le financement du déficit courant américain. En outre, elle est avec le Moyen-Orient l'un des principaux contributeurs à la croissance de la liquidité mondiale, en accumulant plus de 200 milliards de réserves de change chaque année (par l'effet du maintien à des niveaux artificiellement bas de son taux de change en dépit d'un excédent de sa balance courante de plus de 7 p.100 du P.I.B. en 2005). En outre, la détention de ses réserves de change en bons du trésor américain permet de maintenir les taux d'intérêt longs à des niveaux exceptionnellement bas.

Le poids de la Chine sur la scène internationale ne se limite pas à des aspects économiques. Membre permanent de l'O.N.U. (depuis 1971) et de l'O.M.C (depuis 2001), le pays affirme son rôle politique. La Chine constitue aujourd'hui un contrepoids géopolitique important aux États-Unis.

Les fragilités de l'économie chinoise

L'économie chinoise est cependant fragile. Elle est fortement dépendante de l'extérieur, pour ses approvisionnements énergétiques et alimentaires comme pour ses exportations. Le principal moteur de la croissance est la demande étrangère car la classe moyenne est encore trop peu importante pour apporter son soutien à la demande intérieure.

Ce profil de croissance déséquilibré empêche la Chine de mener une politique monétaire autonome. Elle doit, en effet, limiter les fluctuations du cours de sa monnaie pour rester compétitive. Par ailleurs, son secteur bancaire et son système financier dans son ensemble sont défaillants. Ils n'assurent pas le financement de l'économie domestique, ce qui se traduit, notamment, par un excès d'épargne.

Une croissance déséquilibrée

En dépit d'un rythme de croissance régulier - de 10 p.100 par an en moyenne depuis le début des années 1980 - la croissance chinoise est déséquilibrée. Le moteur de la croissance économique est la demande étrangère. En effet, même si la contribution des exportations nettes à la croissance reste limitée - bien qu'en forte augmentation depuis 2005, où elle est devenue positive - les exportations chinoises dynamisent les investissements des entreprises qui constituent ainsi le principal soutien à la croissance. Aujourd'hui, la contribution de la consommation des ménages à la croissance chinoise est inférieure à 30 p.100. Cette situation illustre l'une des plus grosses faiblesses actuelles de cette économie: la classe moyenne est encore insuffisamment développée pour soutenir la croissance. Elle ne représente que 23 millions de personnes (soit moins de 2 p.100 de la population totale). Ainsi, en dépit d'une progression soutenue des salaires (12 p.100 par an en moyenne), la consommation des ménages en Chine ne peut constituer un relais aux exportations comme moteur de la croissance. La faiblesse de la consommation est le reflet des déséquilibres croissants qui caractérisent cette économie.

Les disparités de richesse et de développement entre les provinces n'ont en outre jamais été aussi importantes. Les inégalités de revenus - aussi fortes aujourd'hui qu'en 1949 - sont liées à la nature même de la croissance. L'activité à l'exportation est concentrée dans les provinces de l'Est (Guangdong, Fujian, Zhejiang, Jiangsu, Shandong), proches des infrastructures portuaires. Les provinces du Centre et de l'Ouest ne bénéficient pas des investissements directs étrangers (concentrés dans l'Est). La décentralisation des dépenses budgétaires du gouvernement central prises en charge par les gouvernements locaux a par ailleurs accentué ces disparités de richesses. Dans les provinces les plus riches, les dépenses d'éducation, et dans une moindre mesure celles de santé, sont à la charge des collectivités. Ce qui permet aux ménages de dégager un pouvoir d'achat plus important. À l'inverse, dans les provinces de l'Ouest et du Centre, les revenus sont non seulement très largement inférieurs à ceux de l'Est, mais en plus les dépenses à la charge des ménages sont beaucoup plus importantes.

Ces déséquilibres expliquent en grande partie la faible contribution de la consommation des ménages à la croissance. Or, pour créer 10 à 12 millions d'emplois chaque année, l'économie doit croître au rythme officiel, de près de 10 p.100 par an. Pour cela, les exportations et les investissements qui en découlent doivent rester dynamiques, et le pays doit donc préserver sa compétitivité.

Une consommation énergétique forte

La Chine est aujourd'hui dans le monde la plus grosse consommatrice d'acier, de zinc, de cuivre, de charbon; la deuxième consommatrice de pétrole (derrière les États-Unis et devant le Japon), d'aluminium et de plomb, et la troisième consommatrice d'étain et de caoutchouc. La Chine consomme aujourd'hui 7,7 fois plus d'énergie par unité produite que le Japon, 5,4 fois plus que la zone euro et 3,5 fois plus que les États-Unis. Près de 14 p.100 du bilan énergétique mondial est le fait de la Chine. La structure de l'économie chinoise (poids de l'industrie lourde, développement du marché automobile) est telle que la consommation énergétique par unité de P.I.B. s'est fortement accélérée depuis le début des années 2000 et ce mouvement ne devrait pas s'inverser à court terme. La consommation énergétique de la Chine restera à des niveaux très élevés.

Or la Chine n'est pas autosuffisante en matière énergétique. En 2005, les importations chinoises de matières premières (charbon, gaz, pétrole) et de biens manufacturés (acier, minerai de fer, métaux non ferreux, cuivre, etc.) étaient respectivement de 64 milliards de dollars et 11,7 milliards de dollars (9,7 p.100 et 12,3 p.100 des importations totales).

Une monnaie sous-évaluée qui fragilise l'économie

L'ampleur de la sous-évaluation du yuan est délicate à évaluer. Mais il est indéniable que les autorités chinoises interviennent quotidiennement pour limiter l'appréciation de leur monnaie. Un an après sa réévaluation de 2,1 p.100, en juillet 2005, le yuan ne s'est apprécié que de 1,5 p.100 et les réserves de change ont augmenté de 230 milliards de dollars. Contenir l'appréciation du yuan a toutefois des répercussions néfastes, de plus en plus lourdes sur l'économie chinoise et la fragilise.

Être créancier net en devises constitue, en premier lieu, un risque pour les banques. Toute appréciation de leur monnaie, en particulier face au dollar (monnaie de leur principal débiteur), occasionne en effet des pertes financières importantes.

L'accumulation de réserves de change entraîne, en second lieu, un coût induit par leur stérilisation. Pour limiter le gonflement de la masse monétaire induit par cette accumulation de réserves, les autorités monétaires doivent en effet stériliser leurs interventions, autrement dit réduire la liquidité détenue par les banques commerciales en émettant des titres sur le marché interbancaire. Or ces opérations sont non seulement coûteuses (écart de taux d'intérêt entre les rémunérations des actifs étrangers détenus et les rémunérations versées par les autorités centrales chinoises), mais aussi, dans le cas de la Chine, très peu efficaces, car seuls sont émis des titres courts (1 an et 3 mois) et non des titres longs.

Le gonflement de la masse monétaire, induit par l'accumulation de réserves de change, fragilise ainsi l'économie chinoise. Il occasionne une accélération du crédit bancaire, provoque l'émergence de nouvelles créances douteuses, entraîne une surchauffe de l'économie et des surcapacités importantes. La structure de l'économie chinoise, notamment celle de son secteur bancaire, est telle, qu'elle a des difficultés à gérer cette abondance de liquidités. En effet, les banques ne distribuent pas de manière optimale le crédit bancaire. Seules les entreprises publiques et les collectivités locales ont accès au crédit bancaire. La distribution du crédit n'est pas déterminée par une analyse du risque induit, mais par la nature de l'emprunteur (État ou entreprise privée).

Un système financier défaillant

Les marchés bancaire et financier chinois constituent aujourd'hui le talon d'Achille de l'économie nationale. Ils ne répondent pas suffisamment aux besoins de cette économie en forte croissance, et ce pour deux raisons: ils sont jeunes et la présence de l'État y est encore forte. Le manque de dynamisme des marchés bancaire et financier se traduit non seulement par la difficulté pour les entreprises de s'y financer et pour le gouvernement d'y lever des fonds, mais aussi par le manque d'opportunités de placements pour les entreprises et les ménages. De fait, les entreprises préfèrent réinvestir leurs profits plutôt que de les placer sous la forme de dépôts peu rémunérés ou encore de réaliser des placements relativement risqués en raison de la nature des marchés boursiers. Réinvestir ses profits en réalisant des investissements productifs n'est pas préjudiciable s'il existe de réels besoins. Mais, aujourd'hui, de nombreux investissements sont réalisés dans des secteurs en surcapacité (acier, aluminium, immobilier, etc.), ce qui fragilise l'économie.

Le système bancaire chinois est caractérisé par des créances douteuses encore importantes d'un montant de plus de 160 milliards de dollars au troisième trimestre 2006, selon la Commission de réglementation bancaire chinoise (organisme en charge de réguler l'activité bancaire). Ce montant - en constante diminution - ne reflète cependant pas exactement la réalité. En effet, depuis 1999, 258 milliards de dollars de créances ont été transférées auprès d'organismes de "défaisance" dont le rôle est précisément de parvenir à liquider ces créances. Toutefois, même si les créances douteuses fragilisent le système bancaire chinois, une crise est très peu probable. En effet, les autorités chinoises ont les moyens d'intervenir - même si légalement elles n'y sont pas (encore) tenues - afin d'empêcher la faillite d'un organisme bancaire. Leurs réserves de change sont, aujourd'hui, largement suffisantes pour couvrir les créances détenues au sein du système bancaire.

La difficulté pour les banques est de parvenir à gérer le risque de crédit dans un environnement peu favorable. Elles sont soumises à des pressions importantes de la part des collectivités locales qui sont à la recherche de prêts, souvent peu rentables, et doivent gérer d'abondantes liquidités alors qu'elles ont peu de placements financiers à proposer.

Les banques chinoises répondent aujourd'hui davantage aux besoins de financements des entreprises publiques et des collectivités locales plutôt qu'à ceux des entreprises privées, même si ce sont pourtant ces dernières qui sont à l'origine du dynamisme de la croissance. Les entreprises privées sont dès lors contraintes d'assurer elles-mêmes leur financement, ce qui engendre un excès d'épargne.

Le marché obligataire chinois (public et privé) est très peu développé, comparé aux autres marchés obligataires asiatiques. Par ailleurs, les obligations émises par les entreprises restent extrêmement réduites (moins de 3 p.100 de l'ensemble). Le marché obligataire ne permet pas d'assurer le financement de l'économie, ni même de drainer l'épargne domestique, extrêmement abondante. Son manque de développement rend par ailleurs difficile les opérations de stérilisation de la Banque centrale.

La capitalisation boursière de Chine continentale (32 p.100 du P.I.B. en 2005) reste la plus faible de la zone Asie, même si elle a fortement augmenté depuis que les autorités ont entrepris des réformes visant à accroître le volume des titres échangés (juin 2005). Jusqu'en 2006, les performances des marchés boursiers actions (Shanghai et Shenzhen) de la Chine ne reflétaient pas ses performances économiques. Plusieurs facteurs l'expliquaient: la nature des entreprises cotées, la structure du marché boursier (manque de liquidité, de transparence, de contrôle et de réglementation qui entraînent une forte asymétrie d'information), le manque d'investisseurs institutionnels et la prédominance du poids du gouvernement à l'origine d'une gouvernance d'entreprise inefficiente et d'un très fort aléa moral. Mais, depuis le début de l'année 2006, la bourse chinoise enregistre de meilleurs résultats que ses homologues d'Asie (+ 50 p.100 pour les indices composites de Shanghai et Shenzhen). Les mesures prises par les autorités chinoises pour remédier à ces problèmes et augmenter la liquidité des marchés, dans un contexte d'abondance de liquidité, sont à l'origine de ces bonnes performances. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que la Bourse reste fragile car les réformes entreprises, au niveau tant du marché boursier que de la gouvernance des entreprises cotées, sont encore loin d'être achevées.

L'économie chinoise est confrontée à des problèmes importants, liés à la nature même de sa croissance. Toutefois, les autorités chinoises en ont conscience. Les objectifs annoncés dans le XIe plan quinquennal illustrent leur volonté de rééquilibrer leur croissance en dynamisant leur demande intérieure, de réduire leur dépendance extérieure, de réaliser des économies d'énergie, de développer leur système financier, en continuant notamment leur réforme des entreprises publiques et en augmentant le contrôle et la supervision des marchés, de lutter contre la corruption. Même si la Chine présente des fragilités structurelles, cette économie aux besoins colossaux, en pleine phase de rattrapage économique, devrait donc continuer de croître à un rythme soutenu.


Bibliographie

P. ARTUS & J. MELKA, "Une solution efficace pour réduire les déséquilibres mondiaux: une baisse du taux d'épargne privé en Chine", in Flash Ixis, 177, mai 2005

"Le Devenir financier de la Chine", in Revue d'économie financière, no 77, 2004 L'Économie de la Chine, coll. Repères, La Découverte, 4e édition, 2006 F. LEMOINE, "Chine: le bol de riz en fer est cassé", in La Lettre du CEPII, no 202, juin 2001.

 

Universalia 2007 ©2007 Encyclopædia Universalis, éditeur

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