La sociologie des classes moyennes autour des travaux de Serge Bosc
Stéphanie Fraisse-D'Olimpio
Serge Bosc a été professeur en classes préparatoires puis enseignant de sociologie à l'université Paris-VIII-Saint-Denis jusqu'en 2005.
Il est l'auteur de Stratification et classes sociales (Armand Colin, 2008, 6e édition) dans lequel il présente les principales approches classiques et contemporaines de la stratification et analyse l'influence des transformations du paysages social sur les différents groupes composant la société française. Il a également réalisé un dossier sur "Les classes moyennes" pour Problèmes politiques et sociaux (La Documentation française, 2007) dans lequel il explore les contours des classes moyennes, ses comportements et styles de vie, en confrontant les approches de divers sociologues spécialistes de cette constellation moyenne. La réflexion s'appuie sur une série d'extraits de textes qui viennent éclairer les principaux enjeux du débat sur l'éventuelle dépendance des classes moyennes, sur la réalité de leur « crise » ou encore du phénomène de moyennisation. Son dernier ouvrage sur la Sociologie des classes moyennes (Repères, La Découverte, 2008), approfondit ces principaux axes de réflexion et s'inscrit ouvertement dans une perspective socio-historique.
Nous nous appuierons dans ce dossier sur l'ensemble de ces contributions qui permettront d'alimenter en particulier le contenu des chapitres de première et terminale ES sur la stratification sociale.
L'entretien avec Serge Bosc
Nous remercions S. Bosc d'avoir accepté de répondre à quelques questions sur son ouvrage, La sociologie des classes moyennes (2008), dont vous pouvez par ailleurs lire la présentation détaillée sur notre site.
La première raison tient au vocable lui-même : à la différence d'autres appellations comme bourgeoisie, paysannerie, classe ouvrière, il ne peut être associé d'emblée à aucun groupe social précis. Un statut « moyen » peut renvoyer à des réalités diverses (revenu, patrimoine, niveau d'éducation, hiérarchie professionnelle, etc.) qui ne se correspondent pas forcément). Par contre , le vocable connote de façon générale une position intermédiaire entre les groupes « supérieurs » et « inférieurs ». C'est ce qui explique, qu'au cours des configurations sociales successives, il ait pu désigner des groupes différends. Si au début du XIXe siècle, la classe moyenne est associée à la bourgeoisie, c'est que, malgré la Révolution française et l'abolition des ordres, l'aristocratie tient encore le haut du pavé dans plusieurs « secteurs » (la propriété foncière, l'armée, la haute administration, le personnel politique). Au fur et à mesure que la bourgeoisie d'affaires s'affirme et que l'aristocratie voit ses positions décliner, la (ou les) positions intermédiaires sont celles occupées par les petits et moyens indépendants, artisans, commerçants, professions libérales n'appartenant pas à l'élite, i.e. la « petite bourgeoisie » entrepreneuriale et « à talents ». Au tournant des XIXe et XXe, elle en vient aussi à désigner des catégories salariées en expansion. Cette diversification explique la substitution progressive du terme au pluriel (« les classes moyennes ») au vocable au singulier.
L'élément déterminant réside dans le processus de « salarisation » des sociétés développées, entamé dés le début du XXe et qui se déploie de façon spectaculaire au cours des trente glorieuses. Ce processus est repéré très tôt par les sociologues allemands (Schmoller, Weber), puis américains (Wright Mills), plus tard en France. La montée des appareils (privés et publics) résulte des phénomènes de concentration, du développement des services et des techniques, de la montée des administrations publiques ; il génère l'essor d'un salariat non manuel différencié (cadres supérieurs et « moyens », employés de bureau et de commerce) dans le même moment où les indépendants perdent du terrain. D'où l'opposition entre les fractions « anciennes » (i.e. les indépendants présents sur la scène sociale depuis longtemps) et « nouvelles » (les « cols blancs »). Mais un autre clivage, important lui aussi, oppose « gens du privé » (ceux de la sphère marchande, salariés et non salariés) et « gens du public » rattachés au monde étatique et para-étatique non-marchand.
Une double raison semble-t-il : dès les années 1920, se créent en France des regroupements d'ingénieurs, puis le terme de cadre commence à apparaître, signes de l'émergence d'une identité singulière des salariés d'encadrement. Par ailleurs, nombre d'employés du commerce et de la banque se résolvent à l'action collective lors du Front Populaire et soit constituent leurs propre représentation, soit rejoignent les confédérations des salariés manuels. On a là une différence significative avec l'Allemagne (où le terme de cadre est absent) et le monde anglo-saxon où une représentation commune, les « cols blancs », est plus prégnante.
En termes de CSP /PCS, on peut ranger dans la constellation moyenne, la majorité des actifs des catégories « commerçants », « artisans » auxquels on peut adjoindre une fraction des « agriculteurs exploitants », des « chefs d'entreprise » (la tranche employant de 10 à 49 salariés) et les « intermédiaires » indépendants (prestataires de services commerciaux, culturels ou de santé). En principe, ces agents échappent à la sujétion salariale, possèdent un patrimoine professionnel moyen ou modeste, et touchent des revenus d'activité les situant dans le « ventre » de la distribution des revenus. Ces critères sont malgré tout fragiles. Une part non négligeable des commerçants n'ont pas de véritable indépendance (cf. la franchise). Nombre de patrons de PME sont plutôt assimilables aux classes supérieures par l'importance de leur patrimoine (professionnel et autre) et leurs revenus d'activité.
Outre une perte de distinction due à la massification relative de cette catégorie (de 5% des actifs en 1962 à 14% en 2005), la « moyennisation » des cadres tient aux transformations internes du groupe : de plus en plus d'entre eux sont des experts spécialisés ou des gestionnaires routiniers éloignés du pouvoir de l'entreprise, i.e. des cadres dirigeants. Bref, beaucoup de cadres n'encadrent pas et sont soumis tendanciellement aux impératifs de gestion comme les autres salariés. A partir de ces évolutions, plusieurs sociologues (dont P.Bouffartigue) rangent la grande majorité des cadres dans le salariat intermédiaire. Ce diagnostic est malgré tout à amender sérieusement : tant par leurs diplômes que par leurs revenus et leurs patrimoine, les cadres, du moins une bonne part d'entre eux, peuvent être classés dans les catégories supérieures de la structure sociale.
Je reprends ici des analyses convergentes de la part de plusieurs observateurs (A.Chenu, M.Maruani entre autres). Il faut d'abord observer que le groupe « employés » de la nouvelle nomenclature en PCS inclut les « Personnels des services directs aux particuliers » (PSDP), ce qui d'emblée contribue à son hétérogénéité. Cela étant, cette polarisation est alimentée par les processus à l'oeuvre en son sein : en termes de profils professionnels : nombre d'employés administratifs bénéficient d'une certaine requalification des tâches avec la diffusion de la micro-informatique. A l'inverse on observe un développement du travail non-qualifié au sein des catégories employés de commerce et PSDP (et les agents de service de la fonction publique). Même chose pour les statuts d'emploi : les contrats précaires, le temps partiel contraint, le chômage sont plus fréquents parmi ces dernières. Les origines sociales et le jeu des « alliances » (le statut social des conjoints masculins d'un groupe essentiellement féminin) va dans le même sens. Autrement dit le groupe employés est de plus en plus segmenté entre des catégories pouvant émarger aux (petites) classes moyennes et celles enracinées dans les milieux populaires.
Ces analyses sont datées : elles remontent aux années 70 alors que le conflit social principal oppose une classe ouvrière encore organisée et le tandem Etat/Patronat. C'est par rapport à cette donnée que Baudelot et Establet leur dénient toute autonomie stratégique. Ces mêmes auteurs avancent que ces catégories bénéficient d'une « rétrocession de la plus-value » produite par le prolétariat. L'analyse de Bourdieu est davantage culturelle (au sens large : styles de vie et pratiques culturelles) : il soutient que les fractions petite-bourgeoises sont, à des degrés divers, dans un rapport de dépendance vis à vis de la classe dominante qui allie légitimité culturelle et prééminence innovatrice. L'aspiration à l'ascension sociale est un frein à la contestation de l'ordre établi.
Tout en lui reconnaissant sont apport (la prise en compte des sphères culturelles et morales), plusieurs sociologues, au cours des années 80, reprochent à Bourdieu de rabattre le « libéralisme culturel » * des nouvelles couches salariées sur la seule logique de la société de consommation (le « devoir de plaisir » comme nouveau marché). Dans les années 70 et 80, des « noyaux innovateurs » (Mendras) jouent un rôle pionnier dans la transformation des modes de vie. Au surplus, ils sont à l'initiative de « nouveaux mouvements sociaux » (féminisme, écologisme) qui vont durablement marquer le paysage sociétal.
* (expression forgée par Schweisguth et Grinberg désignant l'accent mis sur l'autonomie de l'individu, les valeurs hédonistes)
Le diagnostic de moyennisation avancé dans les années 80-90 renvoyait à trois acceptions : l'atténuation des disparités socio-économiques, l'homogénéisation progressive des styles de vie, la formation tendancielle d'une vaste classe moyenne ne laissant sur ses bords que les milieux privilégiés et les couches sociales marginalisées. Aujourd'hui la plupart des d'observateurs rejettent l'idée d'une moyennisation « socio-économique ». On insiste au contraire sur la ou les nouvelle(s) pauvreté(s), les processus de précarisation qui affectent les milieux populaires mais aussi certaines franges des catégories « moyennes ». Quant à la moyennisation culturelle, l'analyse s'avère plus complexe. Avec l'allongement des études, l'effritement de la culture ouvrière traditionnelle et la diffusion de nouvelles normes comportementales, il y a bel et bien une réduction des distances sociales entre les couches moyennes « centrales » (professions intermédiaires, employés administratifs) et les milieux populaires non marginalisés. Mais d'un autre coté, « on n'observe aucune réduction significative des disparités entre milieux sociaux » (O. Donnat) dans le domaine de la culture dite consacrée. Au surplus, les cadres d'existence et les modalités d'adoption des nouvelles normes restent différenciées entre les classes.
On observe incontestablement des processus de déstabilisations affectant tels ou tels segments des classes moyennes : stagnation des revenus des professions intermédiaires, fragilisation des statuts d'emplois des cadres mais surtout des intermédiaires administratifs et commerciaux, déclassements professionnels, (i.e. décalage croissant entre les diplômes acquis et les emplois décrochés), « sentiment de dévalorisation » partagé par maints enseignants, etc. Ces différents processus alimentent l'idée d'une « crise des classes moyennes », montée en épingle par les médias mais également diagnostiquée par certains analystes comme L. Chauvel. dans son essai, Les classes moyennes à la dérive (2006). Ainsi selon ce dernier, le « déclassement générationnel » toucherait en priorité les jeunes issus des catégories moyennes et, avec la raréfaction des emplois intermédiaires du public, ceux-ci « ont de moins en moins de place dans leur classe d'origine ». Cette analyse, nous semble-t-il, est contestable à un double titre. En premier lieu, elle minore - involontairement ?- l'ampleur des déstabilisations qui affectent en priorité les milieux populaires (les jeunes mais aussi les autres générations), ensuite, elle focalise abusivement une « panne de l'ascenseur social » dans les classes moyennes. Tout n'est pas bouché pour leurs rejetons ; par ex. un tiers des jeunes issus du groupe « professions intermédiaires » accèdent à des emplois « cadres » et assimilés.
Comme on l'a vu à propos de ses glissements sémantiques, l'appellation classe(s) moyenne(s) peut s'appliquer, au fil des conjectures, à des groupes sociaux différents. Ce que l'historien J. Ruhlmann nomme « noyau d'identification » est le groupe qui parvient à s'imposer pour représenter l'ensemble des classes moyennes sur la scène publique. Pendant longtemps, ce sont les indépendants qui sont parvenus à s'approprier le label. Au cours des années 60-70, l'appellation est plutôt associée aux « nouvelles couches salariées » en raison de leur prépondérance démographique mais surtout à cause du rôle moteur qu'elles jouent dans les dynamiques culturelles et politiques (cf. Question 8). Aujourd'hui, en raison de l'essoufflement de ces dynamiques et des nouvelles segmentations internes aux catégories salariées, il y a une compétition plus ou moins ouverte pour les représenter. Outre les petits indépendants qui veulent faire entendre leurs doléances mais qui ne sont plus en mesure de parler pour l'ensemble, on peut repérer trois composantes salariées revendiquant le label : des catégories moyennes-supérieures (« higher middle class ») qui protestent contre leur matraquage fiscal, les « classes moyennes d'Etat » rassemblées dans la défense des services publics, les classes moyennes du privé, sans doute moins organisées mais qui tentent de se faire entendre ne serait-ce qu'indirectement.
Quelle réalité pour les classes sociales aujourd'hui et pour les classes moyennes en particulier ?
Au cours des années 60-70, la notion de classe sociale est au coeur des discours politiques et des nombreuses enquêtes en sciences sociales sont consacrées aux luttes sociales ou à l'évolution de la condition ouvrière. De même, des revues spécialisées telles que la Revue Française de sociologie ou encore Sociologie du travail, étudient la place des classes moyennes dans la structure sociale. Enfin, des travaux importants portent sur la classe supérieure autour par exemple de Pierre Birnbaum ou de Pierre Bourdieu [1] et attestent de la vitalité de la notion de classe dans les sciences sociales.
Pourtant, à partir du milieu des années 80, les quelques textes abordant la notion de classes sociales débattent de leur effritement [2] et insistent sur les phénomènes de moyennisation, d'individuation des trajectoires ou encore d'exclusion.
La sociologie du travail se concentre non plus sur les groupes ouvriers ou employés mais sur une sociologie des professions. De même, plutôt que d'étudier les clivages de classes, ce sont les différences de genre, d'âge, d'origine qui font l'objet de l'attention des sociologues. Claude Dubar, dans un article intitulé « Sociétés sans classes ou sans discours de classe ? » [3] s'efforce de comprendre l'éviction brutale des classes sociales dans les discours, au cours des années 1980 et 1990. Il l'attribue à trois facteurs essentiels : l'affaiblissement des liens entre les intellectuels et le parti communiste français ; l'effondrement du noyau central de la classe ouvrière industrielle ; l'invasion de nouveaux discours et pratiques managériales.
Pour autant, on pourrait voir derrière ce rejet d'un discours de classe le reflet d'un mouvement plus vaste affectant les sciences sociales. Ainsi, Roland Pfefferkorn [4] souligne que « la focalisation des spécialistes sur la petite échelle a conduit à perdre de vue les variables structurelles ». On assiste à une fragmentation du social en tant qu'objet d'analyse et la notion d'identités (multiples, instables, fragiles) à remplacé les structures au cœur de la discipline (voir sur ce point le dossier de SES-ENS Le concept d'identité autour des travaux de Claude Dubar).
Le recul du discours de classe dans les sciences sociales française est d'autant plus visible que la sociologie française a eu un caractère particulièrement « classiste » du début du XXe siècle jusqu'à la fin des années 70 et ce en dépit d'une sensible réduction des inégalités sociales sur la période. Il allait de soi d'utiliser la catégorie "classe sociale" comme en témoignent les écrits des sociologues français les plus éminents de cette période. Les approches stratificationistes en provenance des Etats-Unis peinent à s'imposer dans ce champ disciplinaire. Même chez des auteurs comme Gurvitch ou encore Aron [5] qui ne développe pas sa pensée en référence à Marx, les classes demeurent des groupements consistants fondamentaux. Ces auteurs refusent ainsi d'envisager la société comme un ensemble de strates dans lesquelles sont rangés des individus atomisés. Ainsi, jusqu'à la fin des années 70, en dépit de divergences entre auteurs et courants, de Bourdieu à Touraine, les remises en causes des approches « classistes » restent rares.
Le discours de classe devient donc moins audible dans le champ médiatique et dans les sciences sociales au début des années 80 alors même que l'on observe un nouvel accroissement des inégalités dans un contexte de réhabilitation de politiques économiques d'inspiration libérale. Au discours de classe vont alors se substituer des analyses en termes d'individualisation, de moyennisation ou encre d'exclusion qui ont en commun la négation des classes voire du conflit. Sur le plan conceptuel, la notion de lien social se substitue à celle de rapport social. Le Dictionnaire critique de la sociologie de Raymond Boudon et François Bourricaud, publié en 1982, souligne ce recul des approches en termes de classes sociales. Il défend l'approche de l'individualisme méthodologique et prend acte des changements en préférant l'entrée « stratification sociale » à l'entrée « classe sociale ».
R. Pfefferkorn constate pourtant que sur la même période, l'essentiel de la production statistique continuait de privilégier une approche en termes de classes sociales. « En somme ce ne sont pas tant les résultats des enquêtes statistiques ou ethnographiques qui conduisent à l'abandon d'un discours de classe en sociologie, c'est plutôt la rhétorique métasociologique qui change sous l'effet à la fois des transformations objectives des structures sociales, mais aussi des conditions sociopolitiques d'ensemble, et des changements qui interviennent aussi sur le plan subjectif. » (Op.Cit. p.105)
L'ouvrage d'Henri Mendras, La seconde révolution française : 1965-1984 illustre ce reflux des analyses et représentations en termes de classes sociales. L'auteur est en effet convaincu de la disparition de la classe ouvrière et l'attribue à son accès à la « société de consommation ». Il observe de façon plus générale l'effacement des classes sociales : « On voit clairement que les grandes structures sociales du XIXe siècle s'écroulent : quatre classes massives et antagonistes s'émiettent en une multitude de groupes qui gravitent autour d'une constellation centrale. » (La Seconde Révolution française 1965-1984, op.cit., p.24)
Selon Serge Bosc [6], si la fin d'une certaine classe ouvrière, figure des luttes sociopolitiques, est l'objet d'un consensus pour la plupart des observateurs, de nombreuses questions restent encore en suspens comme le devenir du monde ouvrier ou encore la question de déclin des conflits sociaux. S.Bosc souligne les limites d'un raisonnement qui associe l'individualisation croissante à la dissolution des classes. En effet, si l'on ne peut nier l'autonomie croissante des individus, on ne peut affirmer qu'elle implique une atténuation des logiques de classes sur les destinées individuelles. Elle induit plus un affaiblissement des classes comme acteurs collectifs dès lors qu'elle réduit la capacité des individus à s'inscrire dans des perspectives collectives au sein des grandes instances de socialisation (entreprise, syndicats, partis, églises...).
Ce n'est donc finalement que récemment qu'un certain nombre de travaux reviennent sur les classes sociales [7] Ce retour d'un discours de classe et d'analyses portant sur les classes illustre l'existence de « cycles conceptuels », phénomène que l'observation des occurrences « classes sociales » et « classe ouvrière » dans les principales revues spécialisées vient confirmer. En une dizaine d'année la « conjoncture idéologique » a changé et les mouvements sociaux de l'automne 1995 vont souligner l'opposition entre les sociologues qui désavouent l'importance du mouvement de grèves et de manifestations et ceux qui y voient l'illustration d'un regain du conflit de classe. La réception de la Misère du monde de Pierre Bourdieu, puis la campagne présidentielle de Jacques Chirac autour de la « fracture sociale » avaient auparavant constitué des signes avant-coureurs d'un changement de perspective. Le choc de l'élection d'avril 2002 accélère même la réhabilitation du concept de classe.
L'accroissement des inégalités sociales et le regain de la conflictualité sociale démontreraient alors le caractère segmenté et hiérarchisé de la société française. Les approches en termes de classe permettent de donner sens à ces polarisations. Le retour d'un discours de classe en sociologie s'explique aussi par le fait que la recherche sur les classes sociales ne s'est pas véritablement interrompue notamment au cours des années 80 mais a reçu peu d'échos. Il n'en demeure pas moins que la dynamique des classes sociales contemporaines reste complexe et contrastée, comme nous le verrons dans la suite de ce dossier.
Les contours de la classe moyenne
La notion de « classe moyenne » est équivoque dans la mesure où elle n'est pas associée à un ou des groupes sociaux délimités. Elle demeure comme le souligne Serge Bosc dans son avant-propos de la revue Problèmes politiques et sociaux sur les classes moyennes [8] « un entre-deux à géométrie variable entre les classes supérieures et les classes populaires, entre la « France d'en haut » (les possédants, les élites) et « la France d'en bas » (les milieux défavorisés) ». Cet entre-deux reste difficile à définir et a largement évolué au cours du temps au gré des transformations majeures que connaissent les sociétés développées.
1. Plusieurs glissements sémantiques au cours du temps
En effet, lorsque la notion de classe moyenne apparaît au XIXe siècle, elle est associée à la bourgeoisie. L'aristocratie détient encore une large partie du pouvoir et la bourgeoisie occupe une position intermédiaire entre cette aristocratie et un prolétariat naissant. Le Second Empire marque l'essor de la bourgeoisie industrielle et financière qui dispose dès lors du pouvoir économique et politique. Cette période marque un premier glissement sémantique de la notion de classe moyenne qui désigne désormais une population vivant de son travail et en cela distincte des rentiers et des capitalistes mais échappant à l'assujettissement de la relation de travail que subissent ouvriers et employés. Ainsi, la classe moyenne est désormais associée aux indépendants et ce groupe demeurera référant tout au long de la première moitié du XXe siècle.
Mais la division croissante du travail, la bureaucratisation des entreprises et l'extension du champ d'intervention de l'Etat vont contribuer à l'émergence de métiers de la gestion, du commerce, de l'administration. Les « nouvelles classes moyennes » se développent au détriment des classes moyennes indépendantes désormais qualifiées « d'anciennes » ou « traditionnelle ». C.Wright Mills dans Les cols blancs. Essai sur les classes moyennes américaines [9] insiste dès les années 1950 sur la forte tendance des catégories salariées à prendre le dessus sur les catégories indépendantes dans la hiérarchie sociale intermédiaire. En France, le mouvement de salarisation devient surtout visible au cours des années 1960. Les « cols blancs » sont ainsi rapidement associés à la classe moyenne qui se pluralise. On utilise ainsi le pluriel de "classes moyennes" pour les qualifier.
Si les différences entre indépendants et salariés sont nombreuses, M.Aglietta et A.Brender constatent que « les différenciations principales se trouvent à l'intérieur du salariat » [10] F.de Singly et C.Thélot observent alors que les clivages internes au sein des classes moyennes salariées sont de trois ordres : une différenciation verticale (hiérarchisation interne que W.Mills nomme la « pyramide des cols blancs »), une différenciation fonctionnelle ( les gestionnaires et les « techniciens »), une différenciation statutaire (les salariés du public et du privé). [11]
En dépit de la diversité qui caractérise aujourd'hui les classes moyenne, il convient d'essayer d'en définir les contours. Plusieurs découpages, selon différents critères qui ont chacun leur pertinence, peuvent être retenus : le revenu, la profession et le sentiment d'appartenance. [12]
2. Comment appréhender les classes moyennes ?
L'approche par les revenus
Dans cette perspective, ne font partie des classes moyennes que ceux dont les revenus sont compris entre certaines tranches. Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités [1], souligne que l'on sait peu de choses sur les niveaux de vie. Il propose toutefois de considérer que la classe moyenne regroupe tous ceux qui sont au-dessus des 40% les plus démunis (les catégories populaires) et au-dessous des 20% les plus riches (les catégories aisées).
Le sociologue Louis Chauvel [2] propose un découpage plus large comprenant 60% des salariés au sein duquel il distingue classe moyenne inférieure, intermédiaire et supérieure.
On peut aussi se fonder sur le critère de l'origine du revenu : seraient alors exclus des classes moyennes ceux dont les revenus proviennent à 40% des prestations sociales (les 10% de Français les plus pauvres) et ceux dont les revenus proviennent essentiellement du patrimoine (les 10% les plus riches).
Louis Maurin indique que ces mesures comprennent des populations très disparates en termes de niveau de vie. Les ressources des classes moyennes dépendent en outre de la composition des ménages, mais surtout du patrimoine : la différence est importante entre le ménage moyen endetté qui rembourse chaque mois des sommes importantes et celui qui a hérité d'un patrimoine immobilier familial. Ces éléments restent difficiles à évaluer.
[1] Louis Maurin, « Photo de classe entre image et réalité », Informations sociales, no 106, 2003.
[2] Louis Chauvel, Les classes moyennes à la dérive, Seuil, 2006.
L'approche par le sentiment d'appartenance
Il est possible de s'appuyer sur les perceptions des individus quant à leur propre position sociale pour déterminer qui appartient à la classe moyenne.
En somme, ceux qui pensent qu'ils en font partie relèveraient de ce groupe. Les classes moyennes ont alors une taille variable selon les périodes. En France, les résultats de sondages d'opinion montrent que, depuis les années 1960, la part des personnes s'identifiant à la classe moyenne a doublé. Une enquête de 2002 [1] indique que parmi les personnes ayant le sentiment d'appartenir à une classe sociale (55% des personnes interrogées), les professions intermédiaires sont celles qui, assez logiquement, se rattachent le plus à la classe moyenne (59%), notamment les instituteurs (62%) et de façon plus surprenante les agents de maîtrise et les contremaîtres (63%). Ensuite, 42% des employés (surtout des administrations et des entreprises) ont le sentiment d'appartenir à la classe moyenne. Enfin, les cadres et professions libérales sont plus partagés puisque 39% se rattachent aux classes moyennes et 36% à la catégorie bourgeoisie /cadres/classes dirigeantes. C'est en somme au sein de ce groupe que la discussion sur l'appartenance à la classe moyenne est la plus ouverte.
Au total donc, entre la moitié et les trois quarts des Français se classent spontanément parmi les classes moyennes. Cette tendance s'observe aussi dans d'autres pays occidentaux puisque d'après le Word Values Survey, 1999-2000, environ 56 % des Suédois, 58 % des Japonais et 66 % des Américains se déclarent appartenir à la classe moyenne.
Notons que ce critère de mesure de la composition des classes moyennes est à prendre avec recul dans la mesure où les personnes appartenant aux catégories les moins favorisées préfèrent l'image valorisante des classes moyennes à celle plus ternie attachée aux classes populaires. Les déclarations des groupes les plus favorisés sont victimes d'un biais symétrique. Inconscients de leur aisance, ceux-ci se considèrent en grande majorité comme faisant partie des classes moyennes.
[1] Claude Dargent, « Les classes moyennes ont-elle une conscience ? », Informations sociales, no 106, 2003.
L'approche par la profession
L'approche par la profession reste un critère important de classement et se fonde sur la nomenclature française des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS). Selon ce principe de classification, les classes moyennes regrouperaient les « professions intermédiaires » : instituteurs et infirmières, secrétaires de direction, techniciens, agents de maîtrise... Par ailleurs, une partie des « cadres supérieurs » et également des « employés » viendrait compléter cet ensemble.
Pour affiner cette approche, d'autres éléments doivent également être pris en compte, comme ceux qui caractérisent la situation de travail d'un individu (secteur d'activité, type de contrat de travail, niveau de qualification). Le critère de la profession renvoie à deux autres critères, étroitement liés, mais de nature distincte : le niveau de revenu (critère économique) et le mode de vie (critère sociologique).
Concernant les modes de vie et les valeurs, certaines tendances observées depuis une vingtaine d'années peuvent être schématiquement présentées. Dotées de capitaux économiques, mais aussi scolaires et culturels importants, les couches intermédiaires aspireraient à une mobilité sociale ascendante et à une certaine qualité de vie. Elles développeraient un rapport particulier à l'éducation, l'école étant perçue comme un moyen d'ascension sociale efficace. Des pratiques de consommation spécifiques peuvent être également identifiées - notamment l'importance accordée aux biens culturels. Ces couches intermédiaires auraient par ailleurs un rapport à l'espace public et urbain particulier : des stratégies résidentielles conduiraient, par exemple, à des processus de gentrification - soit à l'occupation par les classes moyennes d'espaces urbains jusque-là populaires.
Serge Bosc, dans Sociologie des classes moyennes, s'efforce de délimiter les frontières des différentes catégories sociales susceptibles de composer cette classe moyenne. Il étudie en premier lieu la catégorie des indépendants.
Plusieurs catégories socioprofessionnelles s'y rattachent. C'est le cas des agriculteurs, dont le nombre a fortement décru mais dont les conditions de vie et les aspirations se sont rapprochées du reste de la population. Les commerçants ont eux aussi subi des mutations considérables ces cinquante dernières années. Les petits détaillants traditionnels conservent, malgré l'essor des grandes surfaces, une place de choix dans les centres-villes. Ils y côtoient les "nouveaux commerçants" (boutiques haut de gamme, notamment dans l'habillement et la décoration), ainsi que les prestataires de services (professions libérales paramédicales, agents immobiliers, courtiers en assurance...) dont le nombre a fortement crû ces dernières années. Il faut encore y ajouter les artisans, qui, bien que plus que fortement imprégnés de culture ouvrière, présentent de nombreux traits de la classe moyenne, notamment en termes de revenus et de conditions de vie. Les chefs d'entreprise, enfin, sont nombreux, notamment dans les PME, à revendiquer une appartenance aux classes moyennes.
Les indépendants constituent donc encore une catégorie à part entière, dont une large part semble pouvoir prétendre à un rattachement aux classes moyennes.
La situation est tout aussi contrastée concernant le salariat. Classer les salariés manuels dans les classes populaires, les employés dans les classes moyennes et les cadres dans les classes supérieures serait simplificateur. Parmi les salariés manuels se trouvent en effet les ouvriers non qualifiés, dont les revenus sont faibles et les perspectives de progression limitées. Mais les ouvriers qualifiés et les techniciens voient, en revanche, leur salaire approcher le revenu médian et connaissent des évolutions de carrière plus significatives. La tertiarisation de l'économie a conduit, par ailleurs, à une forte croissance de la catégorie "employés", qui ne désigne plus ces "cols blancs" plus favorisés que leurs congénères des usines, comme c'était le cas jusque dans les années 60. La dichotomie qualifié / non qualifié qui prévaut dans le monde ouvrier s'applique désormais aussi aux employés. Rassemblant plusieurs attributs du salariat intermédiaire (diplômes, qualification, insertion sociale), les employés administratifs d'entreprise penchent plutôt vers les classes moyennes. Les personnels de service du public comme du privé (service à la personne) rejoignent par bien des aspects les classes populaires.
Le clivage traverse également la catégorie "cadres". Cette catégorie s'est très largement étendue (et féminisée), dans le secteur public que dans le secteur privé. Elle est, en premier lieu, marquée par le clivage capital économique / capital culturel. L'abondance du premier place un individu assurément dans la classe supérieure, quel que soit son capital culturel. Mais le déficit du premier couplé à une abondance du second est plus problématique. C'est le cas des enseignants, dont le niveau culturel est nettement supérieur au niveau économique, ainsi que des professions de l'information, des arts et du spectacle.
Les grands débats contemporains autour de la classe moyenne
Si la composition des classes moyennes, nous l'avons vu, n'est pas aisée à appréhender, d'autres questions ont fait l'objet d'un débat au cours des quarante dernières années. La première question porte sur l'autonomie ou la dépendance de ce groupe par rapport à la classe dominante. La seconde question aborde la réalité du phénomène de moyennisation. Enfin, la dernière question, reprend une thématique d'actualité : assiste-t-on à une crise des classes moyennes ?
Autonomie ou dépendance ?
Dans les années 1970, les analyses de Baudelot (avec Establet et Malemort) [1] et de Poulantzas [2] s'inscrivent contre la posture néomarxiste qui voit dans les classes moyennes une « troisième force ». Ils utilisent l'expression de « petits bourgeois » pour qualifier un groupe social certes fractionné mais dont les membres « ont en commun de ponctionner une part de la plus-value produite par le prolétariat et extorqué par la bourgeoisie » [Baudelot et al., p255]. Ces auteurs dénient par ailleurs toute autonomie stratégique à la (ou les) petite(s) bourgeoisie(s). Ce dernier postulat se retrouve chez Pierre Bourdieu [3] qui introduit toutefois une rupture en accordant une importance aux ressources culturelles des agents. Il présente une configuration multipolarisée des classes sociales et en particulier des classes moyennes et retient que la structure des ressources et des trajectoires est déterminant dans la différenciation des classes moyennes. Elle est d'abord à l'origine de la polarisation entre une classe moyenne traditionnelle (« petite bourgeoisie en déclin ») et les couches moyennes salariées, plus dotées en capital culturel qu'en capital économique. Elle permet aussi de distinguer une « petite bourgeoisie d'exécution » (au sens d'agents qualifiés mais dociles) et une «petite bourgeoisie nouvelle » centrées sur des professions liées à la sphère culturelle, au système éducatif, aux médias...requérant des compétences culturelles plus fortes. Si Bourdieu oppose les goûts et les attitudes de ces différentes fractions de la bourgeoisie, il dégage des traits communs tels qu'un rapport de dépendance à l'égard de la classe dominante, une aspiration à l'ascension sociale et une forte reconnaissance de l'ordre établi. Evoquant les le fait que « les petits et les moyens commerçants, artisans et propriétaires terriens » s'orientent plutôt vers l'épargne tandis que les fractions les plus riches en capital culturel telles que les cadres moyens et les employés recourent surtout à l'école pour réaliser leur désir d'ascension, il soutient que ces catégories « ont en commun d'investir dans leurs stratégies économiques et scolaires des dispositions ascétiques qui en font la clientèle idéale de la banque et de l'école : bonne volonté culturelle et esprit d'économie, sérieux et acharnement au travail - autant de garanties que le petit bourgeois offre à ces institutions tout en se livrant entièrement à leur merci (par opposition au détenteur d'un vrai capital, économique ou culturel » (P.Bourdieu, La distinction, Op.cit. p.404).
Ces jugements moralisants que Bourdieu porte sur la classe moyenne sont critiqués par certains auteurs (qui peuvent par ailleurs partager un certain nombre de ses constats). E.Schweisguth [4] présente une lecture alternative des couches moyennes salariées. Il prend en compte comme P.Bourdieu les sphères culturelles et « morales », mais critique ses positions sur plusieurs points.
Tout d'abord, les comportements culturels, idéologiques et politiques des classes moyennes ne peuvent être rapportés au seul penchant à l'ascension sociale puisque celui-ci n'est pas seulement propre à la « petite bourgeoise ». En outre, P.Bourdieu néglige les effets de génération au profit des effets d'âge, en insistant sur l'individualisme, le conformisme et le conservatisme croissants des « petits-bourgeois » vieillissant.
Grunberg et Schweisguth [5] observent au contraire un progrès des idées libérales en matière de mœurs des « salariés moyens ». Ce « libéralisme culturel » n'est pas un simple effet de la « bonne volonté culturelle » et de l'allégeance à la « nouvelle bourgeoisie » comme le soulignait Bourdieu mais plutôt d'un rapport critique à l'autorité, d'un désir d'autonomie individuelle ou d'une acceptation de la diversité culturelle plus affirmé que dans d'autres catégories sociales, qui va jouer un rôle fondamental dans le changement culturel. E.Schweisguth souligne que « le petit-bourgeois du modèle bourdieusien intériorise donc, et respecte, les principes traditionnels de hiérarchie, d'autorité et de mérite. Le salarié moyen de notre modèle, au contraire, conteste le pouvoir de ses supérieurs au nom de son propre savoir, et se montre par suite sensible au thème de l'autogestion. L'expérience des conflits du travail le prédispose à reconnaître les vertus de l'action collective et du syndicalisme. » [6] Au cours des années 1970, dans le prolongement du mouvement de mai 1968, on observe ainsi une adhésion des couches moyennes salariées, tous âge confondus, au libéralisme culturel définit par S.Bosc comme « l'ensemble de valeurs anti-autoritaires centrées sur les notions de liberté et d'épanouissement individuels sans être pour autant contradictoires avec les valeurs de défense ou de promotion collective des salariés. » [7] E.Schweisguth et G.Grunberg émettent l'hypothèse que ces couches moyennes, tandis que leur poids et leur rôle s'accroit dans la population française, réalisent progressivement une synthèse entre les valeurs de la gauche traditionnelle et celles du libéralisme culturel, composant ainsi une synthèse originale au fondement de leur « identité idéologique ». Celle-ci favorise la construction d'une identité spécifique donnant à cette catégorie une capacité d'action autonome sur la scène politique.
Paul Bouffartigue [8] souligne par ailleurs que les couches moyennes salariées jouent un rôle pionnier dans les transformations profondes des modes de vie familiaux, avec la généralisation de la famille à fécondité réduite et à double carrière. Elles auraient aussi été les moteurs, au cours des années 1970, de nouveaux mouvements sociaux, autour d'enjeux urbains et locaux, d'écologie, de questions de genre et d'orientation sexuelle. Elles ne se contentent donc pas d'imiter la bourgeoisie et occupent aujourd'hui un poids prépondérant au sein des mouvements contestataires, en particulier le mouvement altermondialiste.
Ces approches rejoignent finalement celles qu'H.Mendras [9] fait des « noyaux innovateurs » qui qualifient les innovations en matière de modes et d'espace de vie, de positionnements politiques ou de participation aux « nouveaux mouvements sociaux », qu'impulsent ces couches moyennes.
[1] C.Baudelot, R.Establet, J.Malemort, La Petite Bourgeoisie en France, François Maspero, Paris, 1974.
[2] N.Poulantzas, Les Classes sociales dans le capitalisme aujourd'hui, Seuil, Paris, 1974.
[3] P.Bourdieu, La Distinction, critique sociale du jugement, Minuit, Paris, 1979.
[4] E.Schweisguth, « Les salariés moyens sont-ils de petits bourgeois ? » Revue française de sociologie, no 4, 1983.
[5] G.Grunberg et E.Schweisguth, « Le virage à gauche des couches moyennes salariées », in G.Lavau et al.(dir.), L'Univers politique des classes moyennes, PFNSP, Paris, 1983.
[6] E. Schweisguth, « De nouveaux acteurs porteurs de libéralisme culturel », Revue Française de sociologie, 3/1983, p.686.
[7] S.Bosc, Stratification et classes sociales, Cursus, A.Colin, 2008. p.147.
[8] P.Bouffartigue, « Le brouillage des classes », in J-P.Durand et F-X.Merrien (dir.), Sortie de siècle. La France en mutation, Paris, 2001.
[9] H.Mendras, La seconde Révolution française, Paris, Le Seuil, 1994.
Moyennisation ou polarisations ?
La notion de moyennisation renvoie à l'idée d'un déclin des clivages traditionnels de classe puisquelle s'appuie sur plusieurs constats : la réduction des disparités socio-économiques (revenus, modes de consommation, conditions de vie et de loisir...), l'homogénéisation progressive des comportements, des pratiques et des styles de vie (il y aurait, en la faveur d'une montée de l'individualisme, un desserrement des liens entre les conduites et les appartenances sociales), Enfin, la constitution d'une vaste classe moyenne (rassemblant la majorité des cadres, les professions intellectuelles supérieures, les professions intermédiaires, les employés et une partie des ouvriers) et enfin, la baisse de la conflictualité qui reflèterait un recul de la conscience d'appartenir à une classe.
L'ouvrage d'Henri Mendras [1], La seconde révolution française : 1965-1984 reste emblématique du reflux des analyses en termes de classes, comme nous l'avons évoqué plus haut. L'auteur souligne ainsi la disparition de la société paysanne traditionnelle et « l'embourgeoisement de la classe ouvrière », illustrant la progression de la « consommation de masse » et de la tendance à l'uniformisation des modes de vie. La « constellation centrale » est appelée à inclure l'essentiel de la société, ne laissant aux marges que des franges réduites d'exclus et de privilégiés. On ne peut plus selon lui représenter la société sous forme d'une pyramide mais plutôt sous celle d'une toupie. A l'exception d'une petite élite représentant 3% de la population et d'une frange d'exclus (7%), la société française se regrouperait au sein d'une vaste « constellation populaire » rassemblant 50% de la population et d'une « constellation centrale » (25% de la population), en forte expansion, notamment les cadres. Caractérisée par une forte mobilité sociale, cette constellation serait un lieu d'innovations sociales qui se diffuseraient à l'ensemble d'une société dont les frontières entre les groupes sont moins rigides. Notons que cette thèse de la moyennisation remonte à Guizot, repris par Alexis de Tocqueville pour qui la société moderne est individualiste et uniformisante.
L'argument de la moyennisation s'appuie de façon générale sur l'observation d'une réduction des disparités socioéconomiques, en particulier des écarts de revenus à partir de la fin des années 60. Pour Serge Bosc, cette tendance a sans conteste permis aux catégories populaires les moins défavorisées de se rapprocher du niveau de vie des classes moyennes. Mais, ce constat est remis en cause dès le milieu des années 80 par une stabilisation voire un regain des inégalités. Par ailleurs, les écarts de patrimoine restent très élevés et ne laissent pas apparaître un quelconque phénomène de moyennisation notamment en matière de comportement d'investissement.
Louis Chauvel [2] a montré, en s'appuyant sur l'Enquête Budget des ménages de 1995, que les différences de coefficients budgétaires entre ménages cadres et ménages ouvriers demeurent importantes et ne confortent pas l'idée d'une homogénéisation des modes de vie. Son modèle du « temps de rattrapage théorique » du niveau des salaires des cadres par les ouvriers lui permet de soutenir qu'en 1960 les ouvriers pris globalement pouvaient espérer rattraper les salaires des cadres au bout de 50 ans. Ce temps de rattrapage théorique passe à 40 ans dès 1965, à 35 ans en 1975 mais remonte à 65 ans dès le début des années 80, dépasser 300 ans dans les années 90 et revenir à 150 ans en l'an 2000. [3]
François Dubet et Danilo Martuccelli [4] notent un « certain désenclavement des expériences de vie » avec l'allongement de la durée des études, la multiplication des lieux de loisirs communs ou encore la diffusion de nouvelles normes en matière de mœurs...L'assouplissement des normes sociales de classe laisse davantage d'autonomie aux expériences individuelles. Pour autant, les différences demeurent fortes en matière d'univers de travail et de parcours professionnels, en matière d'habitat et de modes de sociabilité, ou encore bien sûr, de ressources et pratiques culturelles.
En somme pour Serge Bosc, on ne peut aujourd'hui parler d'effacement des classes dès lors qu'il demeure des clivages essentiels qui divisent le corps social en dépit des recompositions importantes de la structure sociale.
Notons que, par certains aspects, Ulrich Beck en Allemagne et Pierre Rosanvallon en France prolongent la thèse de la moyennisation tout en prenant acte de la remontée des inégalités mais en dissociant ce phénomène des classes sociales dont ils postulent la disparition. Selon U.Beck, « de larges pans de la population ont fait l'expérience de transformations et d'améliorations de leurs modes de vie, plus décisives au regard de leur propre expérience que les écarts persistants entre leur situation et celle des autres groupes. » [5]
Il évoque un processus de « détraditionnalisation » reflétant le développement de styles de consommation différenciés déconnectés des classes sociales. Du fait de la mobilité sociale structurelle, de la tertiairisation et de l'augmentation du niveau de formation, tous les groupes auraient été translatés vers le haut, ce qui aurait permis à leurs membres de prendre de la distance avec leurs appartenances. Ce processus d'individualisation estompe les cadres de la classe d'origine et se reflète dans la modification de certaines pratiques et représentations, notamment celles de la répartition des rôles sexués.
Le clivage qui semble désormais décisif pour U.Beck, serait celui qui oppose une minorité croissante de chômeurs, de précaires ou d'exclus du marché du travail et une majorité d'actifs à plein temps...il rejoint ici la thématique de l'exclusion. Beck soutient en outre que les inégalités sociales n'opposent plus des groupes sociaux, mais des moments déterminés de l'existence. De même, de nouvelles inégalités selon l'origine ethnique, le sexe, l'âge se substitueraient aux anciennes inégalités de classes. Enfin, la distribution inégale des risques (sanitaires, alimentaires, sécuritaires, économiques, sociaux) aurait pris le pas sur celle des richesses.
Pierre Rosanvallon et Jean-Paul Fitoussi, dans leur ouvrage sur Le nouvel âge des inégalités [6] rejoignent sous certains aspects la thèse d'U.Beck. Ils insistent sur l'existence d'une vaste classe moyenne et sur l'émergence d'un univers où domineraient des « différenciations floues », plus instables. Ils distinguent alors des inégalités structurelles et des inégalités dynamiques. Les premières incluraient notamment les inégalités de revenus, de patrimoine ou d'accès à l'éducation entre groupes sociaux. Ces inégalités, longtemps restées stables, se développent. Mais ce sont surtout les inégalités dynamiques qui prennent de l'importance dans les années 90. Elles reflètent des inégalités géographiques, générationnelles, sexuées qui sont plus intra-catégorielles. Elles sont donc difficiles à saisir puisque l'appareil statistique et notamment la classification des Professions et Catégories Socioprofessionnelles permet surtout d'appréhender les écarts entre catégories plutôt qu'au sein des catégories et surtout au cours des trajectoires individuelles.
Olivier Galland et Yannick Lemel observent aussi que la moyennisation n'est pas incompatible avec une certaine « dualisation » ou polarisation de la société française. La coupure qui peut s'observer notamment entre ceux qui bénéficient des avantages de la globalisation et du développement d'une société tournée vers la connaissance (« insiders ») et ceux qui en sont exclus (« outsiders »), n'empêche pas de constater une « moyennisation », « entendue cette fois comme disparition de toute frontière et découpage marqués imposant alors une analyse de trajectoires et de comportements individuels et non de destins collectifs ». [7]
[1] H.Mendras, La seconde Révolution française 1965-1984, Gallimard, Paris, 1988.
[2] L.Chauvel, Le retour des classes sociales, op.cit.
[3] L.Chauvel, « Le renouveau d'une société de classe » in P.Bouffartigue (dir.), Le retour des classes sociales. Inégalités, dominations, conflits. La Dispute, Paris, 2004.
[4] F.Dubet, D.Martuccelli, Dans quelle société vivons-nous ?, Paris, Seuil, 1998.
[5] U.Beck, La société du risque, Aubier, Paris, 2001, p.167, cité par R.Pfefferkorn, Inégalités et rapports sociaux,Op.Cit.
[6] J-P.Fitoussi, P.Rosanvallon, Le Nouvel âge des inégalités, Seuil, Paris, 1996.
[7] O.Galland, Y.Lemel, La société française. Pesanteurs et mutations : le bilan, Armand Colin, 2006. p.40.
Crise ou recompositions des classes moyennes ?
Le malaise des classes moyennes devient un thème récurrent dans les médias qui soulignent volontiers la stagnation des revenus, la panne de l'ascenseur social ou la précarisation salariale dont seraient victimes les membres de la « constellation moyenne ».
Les analyses de Louis Chauvel
Louis Chauvel souligne à cet égard un déplacement de la question sociale qui ne se concentrerait plus aujourd'hui sur les questions de l'exclusion, de la marginalisation ou encore de la relégation (les banlieues), mais se situerait désormais « au cœur même de la société française, en son noyau central » [1].
Si les classes moyennes sont longtemps apparues selon lui comme le maillon solide de la société française, on observe depuis peu un « retournement dynamique ». Certes, la progression des inégalités ne fait pas apparaître aussi clairement qu'aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni un phénomène de rétrécissement des classes moyennes (« shrinking middle class »). La classe moyenne française semble homogène tandis que les inégalités (mesurées en particulier par le rapport interdécile) stagnent depuis 25 ans. Toutefois, les inégalités se renforcent entre générations. Les générations nées entre 1925 et 1950 ont connu l'expansion massive du salariat intermédiaire, des possibilités de mobilité ascendante et des augmentations salariales en particulier parmi les échelons les plus modestes, comme le souligne Thomas Piketty [2]. Les générations nées ultérieurement voient leurs salaires cesser de progresser et les inégalités se creuser en leur sein. Selon L.Chauvel, « le déclin de la société salariale se mesure aux coûts de la vie spécifiques selon l'âge : dans Paris intra-muros, un salaire annuel net gagné entre 30 et 35 ans permettait d'acheter 9 m2 en 1986, et seulement 4 aujourd'hui. A la location, le temps de travail qui permettait de jouir de 1 mètre carré n'offre maintenant qu'une bande de 50 centimètres sur 1 mètre. (...) les jeunes aux revenus stagnants mettront au mieux deux fois plus de temps à acquérir le même bien » que la génération ayant bénéficié de l'inflation en s'endettant pour accéder à la propriété. (L.Chauvel, Op.Cit. p.105).
Les générations aujourd'hui âgées de 30 à 34 ans ont vu leur niveau de diplôme croitre. Mais à la différence des générations ayant aujourd'hui plus de 55 ans, qui ont bénéficié de créations rapides d'emploi dans le secteur public, d'une faible concurrence et d'une forte valorisation des diplômes, elles voient la moitié des postes au sein des catégories intermédiaires de statut public disparaître tandis que les emplois privés connaissaient une croissance trop lente pour absorber ces candidats potentiels à la classe moyenne. L.Chauvel précise ainsi que la taille de la classe moyenne dans le secteur public s'est réduite de moitié en vingt ans, soit un rythme d'involution proche de celui du secteur agricole dans les années 1960.
En somme, selon Antoine Reverchon et Catherine Rollot, ce n'est pas tant la situation objective des classes moyennes, mesurée notamment par l'évolution de leur pouvoir d'achat, qui se dégrade. Leur position reste en effet globalement favorable par rapport aux employés et ouvriers, voire aux cadres supérieurs du privé. Ce serait « la représentation des risques qui courent sur la situation de la génération suivante qui fait de « la France du milieu » une « classe anxieuse », pour reprendre les termes de Robert Reich (...) sur la middle class américaine confrontée à la révolution conservatrice des années Reagan » [3]. Cette anxiété porte donc sur le risque d'immobilité sociale ou de mobilité sociale descendante, puisque l'accès à l'emploi public et privé est restreint mais aussi parce que l'école assurerait moins bien son rôle de levier de la promotion sociale. En effet, la hiérarchisation des filières et des établissements scolaires dans un contexte de hausse du prix de l'immobilier qui exclut les familles de classe moyenne des centres-villes où sont les établissements prestigieux, fait craindre l'échec scolaire à ces familles.
C'est ainsi que Louis Chauvel insiste sur l'idée que même avec deux ou trois années d'études supplémentaires, la génération des enfants de soixante-huitards, est exposée à un sort moins enviable que celui de ses parents. A la suite d'un mauvais choix de filière ou d'établissement scolaire, les cas de déclassement social d'enfants de classe moyenne sont plus fréquents. Louis Chauvel [4] l'explique d'abord par le fait que la mobilité structurelle diminue puisque les catégories moyennes ne connaissent plus une croissance aussi soutenue et offrent moins de places à des candidats plus nombreux. Ensuite, il note que la fluidité sociale est plus forte sur le long terme, ce qui se traduit par plus d'échanges entre les catégories composant la hiérarchie sociale. En définitive, pour que les enfants de classe populaire accèdent à la classe moyenne, dans un contexte ou l'on recense plus de candidats que de places, il importe que des enfants de classes moyennes cèdent la leur. Les effectifs en déclassement auraient ainsi doublé chez les trentenaires de 2003 par rapport à ceux des années 1980.
Dans ce contexte, l'auteur observe aussi une « repatrimonialisation de l'accès aux classes moyennes » puisque de nombreuses familles, notamment celles occupant les meilleures positions sociales, apportent un soutien économique souvent conséquent à leurs enfants. Il semble donc de plus en plus important d'avoir des parents ayant accumulé un capital économique pour se maintenir dans les cercles centraux...
La critique de la thèse de Louis Chauvel
Les éléments de déstabilisation (fragilisation des statuts d'emploi, déclassement professionnel et générationnel, tensions professionnelles, évolution défavorable des revenus, ségrégation spatiale...), nous l'avons vu, sont nombreux. Mais, Serge Bosc, plutôt que de parler d'une crise générale des classes moyennes, préfère souligner un certain nombre de processus à l'œuvre qui affectent de façon différenciée les composantes de la classe moyenne. Des recompositions font incontestablement apparaître de nouvelles polarisations. Elles sont visibles en particulier aux limites de la classe moyenne, chez les cadres et professions intellectuelles supérieures (figures du « bobo » de David Brooks ou des « manipulateurs de symboles » dont parle Robert Reich), mais aussi au sein des « employés » (entre des employés administratifs qualifiés proche des professions intermédiaires et un « prolétariat de service ») ou encore de la fonction publique d'Etat. De manière générale, on observe avant tout une « translation des inégalités » qui maintient les écarts entre catégories supérieures, moyennes et populaires.
L'auteur met donc en question les diagnostics faits dans les essais politico-sociologiques tels que celui de Louis Chauvel ou encore celui de Jean Lojkine [5] en particulier les constats d'une stagnation des effectifs des classes moyennes et d'un déclassement générationnel particulièrement visible au sein de ce groupe. [6] Serge Bosc revient en particulier sur l'argument de la baisse des recrutements au sein des professions intermédiaires de la fonction publique qui ne seraient pas compensées par des créations d'emploi équivalentes dans le secteur privé.
L'enquête emploi de 2003 semble pourtant au contraire montrer que la population active classée dans la PCS « profession intermédiaires » est passée de 18,6% à 23,1% des emplois entre 1982 et 2003, soit un gain de 5 points (+1,5 pour le public et + 3,5 points pour le privé). Même s'il est indéniable que le recrutement d'actifs dans le secteur public est ralenti, on ne peut globalement parler d'un moindre poids démographique des classes moyennes salariées.
L'argument d'un déclassement générationnel touchant en priorité les classes moyennes peut également être nuancé. Ainsi, dans un article consacré aux classes moyennes face à l'Ecole, Marie Duru-Bellat [7], observe que la position relative des enfants des classes moyenne s'est peu modifiée au cours de temps. Elle souligne plutôt une « translation des inégalités » qui illustrerait le maintien des inégalités entre catégories supérieures, moyennes et populaires. Elle estime à partir de la dernière enquête FQP de l'INSEE de 2003, que « les enfants de ces catégories (moyennes) gardent des chances importantes de mobilité sociale ascendante (plus du tiers accèdent à des emplois de cadres) » même si cela n'exclut pas l'existence de cas de mobilité descendante (un quart de ces enfants rejoignent les catégories cadres et employé). Mais les trois quart de ces jeunes se maintiennent dans la PCS profession intermédiaire ou connaissent une mobilité sociale ascendante, ce qui relativiserait le constat alarmiste de L.Chauvel d'une difficulté croissante des enfants de la nouvelle classe moyenne salariée des années 1970 de trouver une place dans leur classe d'origine.
Denis Clerc porte à son tour un regard critique sur la thèse de L.Chauvel [8] en soulignant que l'opposition entre génération n'est pas aussi tranchée dans la réalité puisque toutes les classes d'âge sont exposées à des trajectoires professionnelles plus chaotiques. Ainsi, les baby-boomers alimentent les contingents de travailleurs âgés exclus du marché du travail. En outre, les comparaisons statistiques méritent d'être affinées : lorsque L.Chauvel affirme que l'écart de salaire entre les salariés de 30 ans et ceux de 50 ans est passé de 15% en moyenne en 1975 à 40% en 2002, il omet de préciser que l'âge médian d'entrée sur le marché du travail des salariés ayant 30 ans en 1975 était de 17 ans, si bien qu'à 30 ans, ils avaient déjà largement grimpé dans la hiérarchie salariale. En revanche, en 2002, à 30 ans, la carrière salariale est encore à faire pour les jeunes ayant fait des études. 70% d'une classe d'âge a désormais passé le bac, l'âge médian d'arrivée sur le marché du travail est de 21 ans. Il semble donc difficile de comparer la situation de ces générations de trentenaires.
Par ailleurs, la précarisation touche les fractions les plus fragiles du salariat, quelque soit leur âge. D.Clerc souligne enfin que « le tort de Louis Chauvel n'est pas seulement de prendre pour une évolution générale ce qui n'est vécu que par une fraction des jeunes, généralement issus des classes populaires bien plus que des classes moyennes ; il est aussi de transformer une analyse transversale - à un instant donnée - en analyse longitudinale. (...) On peut faire partie d'une cohorte qui est moins bien traitée pendant une première période que la cohorte de ses parents au même âge, mais avoir in fine une évolution de carrière plus favorable qu'eux. » (op.cit.p.87)
On conviendra toutefois avec L.Chauvel qu'évoluer dans une société où les gains annuels de pouvoir d'achat oscillent entre 0,5 et 1%, n'est pas la même chose que de travailler dans une société (celle des Trente Glorieuses) où le pouvoir d'achat progressait de 4% par an. Le sentiment d'être moins chanceux que la génération précédente trouve certainement son origine dans cette comparaison, sans que la responsabilité doive pour autant en incomber à la génération des baby-boomers.
[1] L.Chauvel, « Les classes moyennes sous tension », in J-P. Fitoussi et E.Laurent (dir.), France 2012. E.Book de campagne à l'usage du citoyen. OFCE, p.104.
[2] T.Piketty, Les hauts revenus en France au XXe siècle. Inégalités et redistributions, 1901-1998. Grasset 2001.
[3] A.Reverchon, C.Rollot, « Cette France du milieu qui a besoin de futur », Le Monde, 21 juin 2005.
[4] L.Chauvel, Les classes moyennes à la dérive, Seuil, coll. »La République des idées », 2006.
[5] J.Lojkine, L'adieu à la classe moyenne, La Dispute, 2005.
[6] S.Bosc, « Les équivoques d'un discours globalisant » in « Les classes moyennes », Problèmes politiques et sociaux, nos938-939, Juillet-août 2007.
[7] M.Duru-Bellat, « Les classes moyennes et l'école : une insaisissable spécificité », Informations sociales, no106, 2003.
[8] D.Clerc, « Les généralisations abusives de Louis Chauvel. » L'économie politique, no33, janvier-février-mars 2007.
Quelques présentations d'ouvrages récents sur ce thème
Sur les classes moyennes
Louis Chauvel, Les classes moyennes à la dérive, Seuil, coll. "République des Idées", 2006. Une présentation de Liens Socio.
Marco Oberti, L'école dans la ville. Ségrégation-mixité-carte scolaire, Les Presses de Sciences-Po, 2007. Retour sur les ségrégations urbaines et scolaires et le séparatisme des classes moyennes. Une présentation de la vie des Idées.
Roland Pfefferkorn, Inégalités et rapports sociaux. Rapports de classes, rapports de sexes, La Dispute, coll. "Le genre du monde", 2007. Une présentation de Liens Socio.
Centre d'Analyse Stratégique, Les classes moyennes en quête de définition. Avril 2007. Note de Veille n°54
Une enquête du Crédoc. Hauts revenus, bas revenus et « classes moyennes » Une approche de l'évolution des conditions de vie en France depuis 25 ans. 2007.
Sur la notion de classes sociales
Michael C. Behrent. « Le retour des classes sociales Inégalités économiques et polarisation politique ». Un article de La Vie des Idées présentant une réflexion sur la notion de classes sociales aux Etats-Unis.
Anne-Catherine Wagner, Les classes sociales dans la mondialisation, La Découverte, coll. Repères. 2007. Présentation sur Liens Socio. Présentation sur La vie des idées.
GODECHOT Olivier, Working rich. Salaires, bonus et appropriation du profit dans l'industrie financière, La Découverte, 2007. Présentation sur La vie des idées.
Stéphanie Fraisse-D'Olimpio pour SES-ENS.
Notes
[1] Pierre Birnbaum et al., La classe dirigeante française, Paris, PUF, 1974. Pierre Bourdieu, La Noblesse d'Etat, Paris, Ed.de Minuit, 1989.
[2] Quelques références : J.Lautman, « Où sont les classes d'antan ? » in H.Mendras (dir.), La sagesse et le désordre, Paris, Gallimard, 1980 ; H.Mendras, « L'émiettement des classes », in La Seconde Révolution française, Paris, Gallimard, 1988 ; J-P.Terrail, Destins ouvriers, La fin d'une classe ? Paris, PUF, 1990 ; E.Neveu, « Socio-styles. Une fin de siècle sans classes ? », Sociologie du travail, 2/1990 et F.-X.Merrien, Sortie de siècle, La France en mutation, Paris, Vigot, 1991 ; « Y a-t-il encore des classes sociales ? », Politis La Revue, 1993.
[3] C.Dubar, « Sociétés sans classes ou sans discours de classe ? », Lien social et Politiques, no49, 2003.
[4] R.Pfefferkorn, Inégalités et rapports sociaux, La Dispute. 2007.
[5] R.Aron, « La classe comme représentation et comme volonté », Cahiers Internationaux de sociologie, vol.XXXVIII, 1965, cité dans R.Pfefferkorn, Op.Cit. p.60, « En gros, tous les sociologues cherchent à mettre l'accent sur ce qui crée la cohérence, l'unité globale ou totale, la communauté d'être ou de conscience d'un ensemble donné. Les caractéristiques retenues s'ordonnent donc elles-mêmes de la manière suivante : 1) Similitude des manières de travailler, de vivre et de penser, autrement dit communauté objectivement saisissable (nature du travail, niveau des revenus) ou communauté plus difficile à percevoir mais plus importante des manières de penser, des systèmes de valeur. 2) Consistance à travers la durée de ces êtres collectifs, autrement dit ouverture ou fermeture de fait et non de droit. Dans cette perspective le groupe existerait d'autant plus fortement que la mobilité entre les générations serait plus faible. 3) Prise de conscience de ces êtres collectifs par eux-mêmes et volonté propre à chacun d'accomplir une tâche ».
[6] S.Bosc, « Groupes sociaux et classes sociales » in La société française et ses fractures, Cahiers Français, no314, p.40-46.
[7] S.Beaud et M.Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, Paris, Fayard, 1999 ; M.Pinçon et M.Pinçon-Charlot, Sociologie de la bourgeoisie, Paris, La Découverte, 2000 ; L.Chauvel, « Le retour des classes sociales ? », Revue de l'OFCE, no79, octobre 2001. P.Bouffartigue (dir.). Le retour des classes sociales : dominations, inégalités, conflits. La Dispute, Paris, 2004. J-N Chopart, Claude Martin (sous la direction de), Que reste-t-il des classes sociales ? Editions ENSP, Rennes, 2004
[8] Serge Bosc (dir.), « Les classes moyennes », Problèmes politiques et sociaux, nos 938-939, La Documentation Française, Juillet-août 2007.
[9] C.Wright Mills, White Collar. The American Middle Class, Oxford University Press, 1951.
[10] M.Aglietta, A.Brender, Les métamorphoses de la société salariale. La France en projet. Calmann-Levy, 1984.
[11] F.de Singly et C.Thélot, Gens du privé, gens du public. La grande différence, Dunod, 1989.
[12] Voir la note de veille N°54 du 16/04/07 du Centre d'Analyse Stratégique.