La socialisation aujourd'hui, dans et hors des programmes de SES
Muriel Darmon est sociologue, directrice de recherche CNRS rattachée au Centre européen de sociologie et de science politique (EHESS/Paris 1). Depuis 2017, elle occupe la fonction de présidente de l'Association Française de Sociologie (AFS). Elle a participé au groupe de travail d'élaboration des programmes de sciences économiques et sociales du nouveau lycée.
Les travaux de Muriel Darmon portent sur les processus de socialisation. Elle analyse la formation et la transformation des dispositions et des habitus sur des terrains variés, avec un intérêt particulier pour les sociologies des jeunesses, du corps et de la santé. Elle a publié La Socialisation (Armand Colin, 2006, 2010, 2016), Devenir anorexique. Une approche sociologique (La Découverte, 2003, 2008) et Classes préparatoires. La fabrique d'une jeunesse dominante (La Découverte, 2013, 2015).
Introduction
Dans les nouveaux programmes de Sciences économiques et sociales (SES), la définition de la notion de socialisation a été modifiée par rapport aux anciennes formulations en termes de « valeurs » et de « normes ». Celles-ci faisaient de la socialisation le processus par lequel les individus deviennent sociaux en centrant le regard sur la façon dont ils « intériorisent les normes et les valeurs » ou encore « intègrent progressivement les normes et les valeurs dominantes de la société et les adaptent à leur personnalité ». Cette transformation est en lien avec un processus équivalent dans la recherche et l'enseignement universitaire de la sociologie en France, la diffusion et le dynamisme d'une autre définition de la notion, en termes de dispositions et d'incorporation, qui est aujourd'hui largement travaillée en sociologie. Ce n'est d'ailleurs pas la moindre des spécificités, ni la moindre des qualités des SES au lycée, que d'être ainsi davantage en prise avec le monde de la recherche que ne le sont sans doute d'autres disciplines enseignées au lycée.
Qu'entendent les sociologues de la socialisation par « dispositions » ?
Dans la définition bourdieusienne, les dispositions sont les façons d'être, de faire et de voir le monde, les inclinations à agir de telle ou telle manière ou à ressentir telle ou telle chose qui composent l'habitus, comme « système de dispositions durables et transposables ». Elles sont intériorisées à partir d'un domaine pratique donné ou auprès d'une instance précise de socialisation, mais ont également des effets dans d'autres domaines pratiques ou d'autres situations sociales. L'inflexion apportée par Bernard Lahire à l'approche sociologique de la notion consiste à appeler à l'analyse empirique des dispositions, et de leur sociogenèse, sans d'emblée les voir comme partie d'un ensemble ou système cohérent comme l'habitus, ou encore à ne pas postuler leur transférabilité (du domaine pratique où elles ont été incorporées à un autre, par exemple de l'école au sport) ou leur durabilité (certaines dispositions s'étiolent ou disparaissent, et elles peuvent être inhibées ou au contraire activées par des contextes qui ressemblent plus ou moins aux univers sociaux où elles sont été incorporées). Pour les sociologues de la socialisation, une des difficultés est alors de saisir empiriquement et de démontrer l'existence de « l'inobservable » qu'est une disposition (Darmon, 2019).
En complément d'autres textes disponibles pour les collègues enseignants de SES, voire écrits pour eux (SES-ENS, 2007 ; Darmon, 2016, 2018 ; Bargel et Darmon, 2017) [1], j'ai cherché dans ce billet à éclaircir les définitions et usages actuels de la notion, et notamment à expliciter les différences avec des usages plus anciens dont les programmes de SES portaient encore la marque jusqu'à récemment [2]. Les anciennes définitions ne sont pas évacuées par les nouvelles formulations, mais elles sont en fait replacées dans un ensemble plus large, qui déplace le regard et les questions posées.
Pour ce faire nous partirons d'un exemple classique, qu'on pourrait même dire canonique, de l'enseignement des SES depuis au moins les années 1980 : les enfants sauvages [3], pour ensuite examiner en détail les caractéristiques des approches dispositionnalistes de la socialisation.
1. Un déplacement du regard sur la socialisation : l'exemple des enfants sauvages
Si on aborde la question avec une définition exclusive de la socialisation en termes de normes ou de valeurs, ainsi que l'envisageaient les anciens programmes, on va regarder comment des éducateurs sortent les enfants sauvages de l'animalité et les « socialisent » aux « normes et aux valeurs » de la vie en société, qu'ils vont en conséquence « intérioriser ». En caricaturant, au sens propre, cette approche, on ne se trouve pas loin de la version que donne Gotlib du film de Truffaut sur Victor de l'Aveyron dans cette planche, d'un humour bien évidemment « glacé et sophistiqué » :
Gotlib © DARGAUD, 2020
Cases extraites de Rubrique-à-brac, tome 3.
On peut dire que le processus qui est alors censé transformer Victor est tout à la fois idéaliste, finaliste et normatif. Les « normes » et les « valeurs » sont des conceptions, des représentations, des codes que l'enfant sauvage est censé adopter. La transformation socialisatrice est donc une entreprise de conviction et de production de l'adhésion à ces normes et valeurs. La transformation est ensuite finaliste : l'aboutissement du processus (faire de Victor un membre de la société humaine) est présent d'emblée, de façon explicite, et guide tout le processus de socialisation : avant sa rencontre avec le Dr Itard, Victor n'est pas « social », car non « socialisé ». Le processus est enfin univoque, normatif et fonctionnaliste (voir 2. sur ce dernier terme) : il s'agit de civiliser Victor, de le faire sortir de l'animalité, de lui apprendre la « bonne » société – c'est-à-dire la seule société qui existe, celle de la France de la fin du XVIIIe siècle ou de la France des années 1970 de Truffaut ou de Gotlib, peu importe ici.
L'approche actuelle de la socialisation que je vais présenter ici conduit à considérer la trajectoire des enfants sauvages de façon très différente. Et en particulier, à considérer la socialisation (1) d'une façon matérialiste et corporelle, (2) comme un processus « en train de se faire » qui exige de prendre en compte la nature effective et plurielle des socialisateurs et les interactions effectives entre socialisateurs et socialisés, et (3) comme un processus pluriel, qui n'est pas abordé à partir d'une fin prédéfinie, ni d'une fin souhaitée du processus (dans le cadre d'une approche qui n'est donc ni finaliste, ni normative).
Tout d'abord, le regard porté englobe potentiellement la totalité de la vie des enfants sauvages, et non pas seulement à partir du moment où ils sont « pris en charge » par des éducateurs humains. Dans cette perspective, le processus de socialisation opéré par la société humaine qui accueille des enfants ayant été « élevés » au sein d'une espèce animale n'est pas la création d'un individu humain à partir de rien, mais bien, dans un premier temps, la destruction des produits de la « socialisation » animale qui les a formés. Ainsi en est-il des fillettes-louves Amala et Kamala : « L'une et l'autre ont d'épaisses callosités à la paume des mains, aux coudes, aux genoux, à la plante des pieds. Elles laissent pendre leur langue à travers des lèvres vermillon, épaisses et ourlées, imitent le halètement et ouvrent, parfois, démesurément, les mâchoires. Toutes deux manifestent une photophobie et une nyctalopie accusées, passant tout le jour à se tapir dans l'ombre (…) Elles dorment très peu : quatre heures sur vingt-quatre [et se déplacent à quatre pattes] (…) Les liquides sont lapés et la nourriture est prise, le visage penché, en position accroupie » (Malson, 1964, p. 85-86). Le processus de socialisation qui suit leur « capture » va donc consister inséparablement en une contre-socialisation destructrice de ce qui a été appris au contact des loups et une socialisation au monde social de l'orphelinat où elles ont été placées. Le processus de socialisation d'Amala et Kamala par l'orphelinat constitue donc dans cette perspective une socialisation institutionnelle secondaire, et non pas l'unique processus de socialisation de leur trajectoire.
Le processus antérieur de socialisation par la société lupine a de plus produit des corps spécifiques, comme on le voit dans l'extrait ci-dessus : des tendances, des habitudes, des goûts, des besoins physiologiques, que la pratique et les conditions matérielles d'existence « avec les loups » ont inscrits dans les corps des deux fillettes. Lors de cette phase de la trajectoire des fillettes, et là où les définitions anciennes de la socialisation ne voient rien à part une sorte d'animalité brute, les approches actuelles identifient des dispositions spécifiques, qu'on pourrait dire lupines, incorporées. Ces dispositions sont ensuite combattues à l'orphelinat par un travail de contre-socialisation qui va ou non résulter en la destruction ou l'inhibition des dispositions lupines et l'incorporation éventuelle de nouvelles dispositions. Si on le pouvait, il faudrait ainsi étudier au jour le jour la socialisation secondaire des fillettes à l'orphelinat : quels sont précisément les instances et les individus qui l'opèrent, quelles sont les dispositions qui sont effectivement détruites, quelles sont celles qui sont constituées, et administrer la preuve de ces inhibitions ou incorporations (leurs façons de « faire leur nuit », de manger, de se mouvoir se rapprochent-elles progressivement de celles des autres enfants ou des adultes qui les prennent en charge ? Etc.)
Les questions de normes et de valeurs sont alors comme réfractées par cette approche. Elles ne disparaissent pas des interrogations, mais sont au même plan – et non pas premières – que les autres dispositions à agir ou à croire, chez les socialisateurs comme chez les socialisées. Dans la « petite société » de l'orphelinat, le nombre d'heures de sommeil considérées comme « normales » va s'imposer aux socialisateurs comme aux fillettes, de même que la tenue corporelle jugée adéquate pour des petites filles, etc. On va leur dire qu'elles doivent se considérer comme des petites filles, et non des louves – ce qui n'aurait de toute façon d'effets en termes de rôle ou d'identité qu'à partir du moment où elles comprendraient ce qu'on leur dit, auraient intégré les concepts de petites filles et de loup, ainsi que le type de réflexivité et de conception de soi qui sont celles des enfants de cet âge dans l'orphelinat.
On a donc bien là, avec ces deux manières d'aborder la socialisation des enfants sauvages, deux objets différents, qui ne vont pas construire les mêmes questions ou les mêmes données à examiner, et de ce fait pas les mêmes réponses [4].
On notera, pour finir sur cet exemple, qu'une des conséquences de ce changement de point de vue par rapport à la notion de socialisation touche les conceptions des rapports entre le biologique et le social. Dans la première conception, le social s'oppose au biologique, ou en tout cas il s'en écarte progressivement au fur et à mesure des processus de socialisation – comme lorsque l'on dit que le genre est la différence sociale entre les sexes, distincte d'une différence biologique. Les approches dispositionnalistes de la socialisation tendent aujourd'hui à brouiller cette distinction en montrant comment le social « devient » biologique, c'est-à-dire comment les corps sont construits, dans leur conformation, leur état de santé, leur matérialité même, par les processus sociaux de socialisation et de « somatisation du monde social » – c'est-à-dire par exemple comment la socialisation de genre construit du biologique, sans opposer le « sexe » biologique au « genre » social (Béréni et al., 2012, p. 23-40). Le social et le biologique ne sont plus opposés : on cherche au contraire à montrer l'effet biologique du social.
Quittons maintenant ce premier exemple des enfants sauvages pour revenir aux approches dispositionnalistes de la socialisation.
2. La socialisation comme processus : retour sur un débat ancien
Non définies prioritairement en termes de normes ou de valeurs, les approches dispositionnalistes de la socialisation s'enracinent dans diverses sociologies de la production sociale de la personne, notamment dans la sociologie durkheimienne de l'éducation et la sociologie bourdieusienne de la sociogenèse de l'habitus, celle-ci relue par la sociologie dispositionnaliste de Bernard Lahire, mais aussi, bien que secondairement, dans les sociologies interactionnistes des apprentissages et de l'activité, ou encore la sociologie de la construction sociale de la réalité et des personnes de Berger et Luckmann (Darmon, 2016).
Les approches actuelles cherchent à ouvrir la boîte noire que la socialisation constitue trop souvent et tentent d'en décomposer les instances, modalités et effets situés. Loin de s'en tenir à l'invocation des résultats d'une socialisation conçue comme une mécanique magique ou présupposée, la tâche de la sociologie est d'étudier en détail et au plus près le processus de socialisation.
Elles renouvellent alors un débat ancien, ayant opposé fonctionnalistes et interactionnistes quant à la socialisation professionnelle des médecins.
La socialisation comme processus : analyses interactionnistes et fonctionnalistes de la socialisation professionnelle
Dans l'Amérique des années 1950, le fonctionnaliste Robert Merton avance que le résultat final du processus de socialisation médicale tient dans une capacité à fondre ensemble les normes potentiellement contradictoires de la culture médicale en un tout cohérent. La culture médicale est en effet définie par Merton comme un ensemble de normes qui sont partagées et transmises et selon lesquelles les médecins sont censés orienter leur action. Elle définit donc, sur un plan tout à la fois technique et moral, un univers des possibles, celui des comportements prescrits, préférés, permis, ou interdits, et elle codifie les valeurs de la profession. Ce système de valeurs est cependant organisé de telle sorte qu'à toute norme répond une autre norme qui en est suffisamment éloignée pour que leur respect simultané soit acrobatique. Merton liste ainsi les vingt-et-une doubles injonctions qui définissent le rôle médical : par exemple, un médecin doit se tenir au courant des dernières avancées de la médecine mais il doit aussi passer le plus de temps possible au chevet des patients ; il ne doit pas trop s'impliquer émotionnellement face à ses patients mais doit pouvoir faire preuve d'empathie ; ou encore, il doit collaborer avec son équipe sans la dominer mais a toujours le dernier mot en termes de responsabilité médicale. La socialisation médicale a dès lors pour « fonction » d'apprendre aux étudiants à faire d'un système normatif composé d'éléments potentiellement incompatibles un guide de conduite professionnelle efficace, cohérent et stable.
Or, cet aspect de l'approche fonctionnaliste a été critiqué par les sociologues interactionnistes pour son caractère à la fois a priori et ex post. En effet, d'une part, la table des valeurs médicales est quasiment décrétée par Robert Merton. D'autre part, le processus de socialisation est analysé du point de vue de sa fin, c'est-à-dire à la fois de son terme (on pose le résultat du devenir-médecin, puis on en déduit les étapes nécessaires pour y parvenir, que l'on cherche à illustrer empiriquement) et de sa finalité (le processus est envisagé de manière normative en partie : il s'agit de savoir comment sont produits de « bons » médecins ou des médecins « confirmés »).
D'un point de vue épistémologique tout d'abord, les interactionnistes reprochent aux fonctionnalistes le caractère « spéculatif » de leur analyse, notamment le fait de « postuler » des éléments centraux sur lesquels ils ne savent pourtant rien, comme le « rôle médical » censé être intériorisé au cours de la socialisation médicale mais qu'aucune enquête ne permet de déterminer. On ne sait pas, en effet, ce que sont les guides d'action dont le médecin aurait besoin pour agir, et seule une enquête de la pratique quotidienne des médecins peut fournir cette information et permettre de déterminer ce qui est intériorisé, on pourrait même ajouter incorporé, au cours du processus de socialisation professionnelle. En examinant ce qui se passe lors des années de formation, universitaire et clinique, des étudiants en médecine, dans l'ouvrage Boys in White, les sociologues interactionnistes permettent de montrer que le processus de socialisation professionnelle ne saurait se réduire à « l'intériorisation du rôle médical » : les étudiants ne deviennent pas simplement ce que la faculté de médecine veut qu'ils deviennent, ils ne deviennent pas ce qui est inscrit dans les plaquettes de l'université, et il faut s'abstenir de confondre les produits effectifs de la socialisation avec les buts officiels de l'instance socialisatrice [5].
Par rapport aux approches fonctionnalistes de la socialisation, la socialisation professionnelle est donc étudiée par les interactionnistes de façon descriptive, analytique et non normative, et surtout en train de se faire, au moyen d'un regard synchrone, et non rétrospectif ou ex post (à l'aune de résultats préétablis ou présupposés et du point de vue de sa fin).
Les sociologies dispositionnalistes de la socialisation examinent comment les individus incorporent des façons d'être, de faire et de voir le monde, des inclinations à agir de telle ou telle manière ou à ressentir telle ou telle chose. Examinons maintenant plus en détail certaines de leurs caractéristiques.
3. La socialisation est une incorporation de dispositions, et non pas seulement l'intériorisation de normes ou de valeurs
Les processus de socialisation comportent effectivement l'intériorisation de normes et de valeurs, mais ne s'y réduisent pas. La socialisation, ce n'est pas seulement la connaissance, qu'on pourrait dire intellectuelle ou mentale, de ce qui se fait ou non dans un milieu donné, des idéaux ou des « codes sociaux » – comme on dit parfois aujourd'hui. C'est l'incorporation, souvent inconsciente et pratique, de dispositions qui peuvent être des dispositions à penser ou à croire (des valeurs, des représentations, des ethos) mais qui sont aussi des dispositions à agir.
Prenons par exemple, pour illustrer cette différence, les deux définitions suivantes des « valeurs » :
« Les valeurs sont des idéaux ou des préférences partagées par les membres d'un groupe, qui guident les actions individuelles » [6].
Versus :
« Les valeurs sont des gestes, des manières de se tenir debout, de marcher, de parler. La force de l'ethos, c'est que c'est une morale devenue hexis, geste, posture » (Bourdieu, 1980 (1), p. 133-134).
Dans cette deuxième définition, où les valeurs sont des gestes, « tous les principes de choix [des individus] sont incorporés, devenus postures, dispositions du corps », et la socialisation est donc le processus au cours duquel la pratique inscrit ces dispositions dans les corps. Les analyses en termes de socialisation s'intéressent certes aux représentations, aux idées, aux visions du monde, aux « valeurs » de la première définition. Mais elles ne pensent pas que ce sont ces valeurs-là, où celles-ci exclusivement, qui « guident » les actions individuelles, et elles vont aller chercher dans les dispositions du corps des guides inconscients des conduites.
Cette différence d'orientation théorique peut être illustrée avec un exemple déjà ancien, mais qui n'a rien perdu de son actualité et, il me semble, de son caractère pédagogique : l'inégalité dans les tâches ménagères entre hommes et femmes telle qu'analysée par Jean-Claude Kaufmann dans les années 1990 (Kaufmann, 1992) et la façon dont elle peut être éclairée par une approche en termes de socialisation.
Les valeurs d'égale répartition des tâches ménagères sont répandues, notamment dans certains groupes sociaux plutôt que dans d'autres, et dans les entretiens avec les hommes de ces couples on peut recueillir un grand nombre de discours très égalitaires à propos du partage des tâches. Les valeurs égalitaires sont donc ici des « idéaux partagés par les membres d'un groupe ». Mais guident-elles pour autant les actions individuelles ?
Dans la pratique, on se rend compte que range celui, ou plutôt celle, que le désordre dérange, et que ce qui guide les comportements ce ne sont pas les valeurs égalitaires, mais ce sont les dispositions à « voir » le sale ou le dérangé, et à y remédier, dispositions qui ont été incorporées au long cours des socialisations primaires de genre et qui se manifestent lors de la vie quotidienne partagée. Ce sont donc des dispositions incorporées (des façons de voir, des façons de faire, largement inconscientes et irrésistibles, des réflexes) qui déterminent les pratiques effectives, et non des valeurs (l'égalitarisme ménager) qui les guident.
Une deuxième manière d'illustrer cette dimension de la notion de socialisation consiste à insister sur le fait que la socialisation construit non pas seulement des valeurs, des dispositions et des actions, mais bien aussi, et d'abord, des corps. La « timidité » d'un garçon de cinq ans, analysée à ce prisme par Martine Court (2019, p. 402-405), n'est ainsi pas un « trait de caractère » ou l'effet des valeurs familiales de « politesse », mais bien « un ensemble de manières d'agir et d'utiliser son corps dans les interactions avec autrui », c'est-à-dire une disposition, incorporée et héritée au cours du processus de socialisation familiale, à la sociabilité et à l'interaction avec des personnes inconnues (et provenant d'autres milieux sociaux que le sien et celui de sa mère). Pour lui comme pour d'autres, « celui que submerge la timidité se sent trahi par son corps, qui reconnaît des interdits ou des rappels à l'ordre paralysants, là où un autre, produit de conditions différentes, apercevrait des incitations ou des injonctions stimulantes » (Bourdieu, 1997). Plus généralement, on peut montrer toute l'amplitude, ainsi que le caractère implacable de la construction du corps de classe à partir du cas de deux jeunes filles de onze ans, et mettre en lumière la façon dont leur socialisation primaire respective a façonné des apparences corporelles – vêtement, coiffure, forme du corps, attitude corporelle… – qui sont différentes : la socialisation imprime sa marque sur, et même dans les corps, et construit des corps différents (Court et al., 2014, p. 43-52). La socialisation est en effet une « incorporation » ou une « somatisation » des structures du monde social au cours de laquelle le corps est traité « comme un pense-bête », c'est-à-dire comme une sorte d'aide-mémoire dans lequel s'inscrivent les situations d'existence sous forme de conduites à tenir. Dans la maison kabyle par exemple, les enfants apprennent à « lire le monde » dans l'espace des objets qui les entoure, mais c'est un livre qui « se lit avec tout le corps », par le mouvement et le déplacement (Bourdieu, 1980 (2), p. 129). Les conditions matérielles d'existence de chaque famille, les rapports au monde représentés – car eux-mêmes incorporés – par les parents ainsi que les premières expériences s'inscrivent donc en quelque sorte directement sur et dans le corps de l'enfant, sans passer par la case « conscience » pourrait-on dire : « les injonctions sociales les plus sérieuses s'adressent non à l'intellect mais au corps », et « nous apprenons par corps » (Bourdieu, 1997, p. 168-169).
De même, on sait que la socialisation construit des manières de se tenir différentes entre les femmes et les hommes, parfois vécues de façon totalement inconscientes et difficiles à contrôler – il pourrait ainsi être intéressant (bien que peut-être dangereux pour l'enquêtrice ou l'enquêteur potentiellement accusé de voyeurisme !) de scruter et de noter systématiquement les positions des membres inférieurs des personnes dans le wagon d'un moyen de transport en commun, bus, tram ou métro : jambes serrées ou jambes écartées, jambes croisées ou serrées l'une contre l'autre, jambes immobiles, jambes en mouvement « contrôlé » ou jambes tressautantes, etc., et de tenter de faire apparaître des récurrences et variations en termes de genre, de classe et d'âge par exemple.
4. Les dispositions sont des tendances à agir, et non seulement des choses que l'on décide de faire
Une caractéristique importante des dispositions résulte de cette dimension incorporée (Lahire, 2002, notamment p. 24) : les dispositions sont en effet des tendances, des inclinations et pas seulement des préférences ou des potentialités, pas seulement des choses que l'on souhaite faire ou qu'on décide de faire. Parce qu'elles sont incorporées, ce ne sont pas des normes auxquelles on décide de se conformer pour être accepté par les pairs, des idéaux ou des valeurs auxquelles on choisit de se soumettre pour échapper à la sanction sociale entraînée par leur non-respect. Ce sont des tendances, des pentes, des « plus fort que soi » contre lesquelles on peut lutter mais dont on sent la force d'entraînement, par exemple quand on essaye d'y échapper. Certains « gestes barrières » contre le coronavirus sont ainsi difficiles à appliquer précisément parce qu'ils exigent d'aller contre ces dispositions incorporées : ne pas faire la bise à un ami que l'on croise, gérer une distance à autrui plus importante que d'habitude alors qu'on a l'habitude de se tenir plus près des autres quand on fait la queue dans les magasins ou qu'on leur parle, etc.
De façon moins dramatique, on peut penser à la contrainte que demande le fait de s'adapter au « bon côté » de la route quand on se trouve momentanément dans un pays où la conduite est à gauche, où, en tant que piéton par exemple, il faut à la fois se forcer à ne pas regarder du « mauvais » côté et se forcer à regarder « du bon » – à Londres, par exemple, on peut voir de nombreux marquages au sol au niveau des passages piétons (« Look this way ») qui constituent un guide de conduite écrit qui, pour paraphraser Bernard Lahire, se substitue aux dispositions incorporées inadéquates des touristes. Cette situation de décalage fait apparaître la routine de l'action dispositionnelle habituelle. Quand on traverse une rue, on ne fait pas une pause sur le passage piéton, on ne se demande pas « Dois-je regarder à gauche ou à droite ? Quelles seront les sanctions (réprobation, accident…) si je ne regarde pas avant de traverser ? Quelles normes est-ce que j'enfreins si je ne regarde pas du bon côté ? », etc. On regarde « machinalement » – Bourdieu parle de ne pas « mettre un génie dans la machine », c'est-à-dire de ne pas hypertrophier l'aspect délibératif, réflexif, scholastique de l'action –, c'est le corps qui regarde et qui traverse, parce que des milliers d'occurrences antérieures de la même pratique, inscrites éventuellement dans une éducation explicite lors de la socialisation primaire, nous ont appris à le faire et nous conduisent à le faire sans y réfléchir.
Si l'idée que regarder quand on traverse la rue est un « réflexe » incorporé peut paraître assez évidente, l'apport explicatif des analyses en termes de socialisation en ce qui concerne la socialisation politique est peut-être plus surprenant et d'autant plus objectivant. En plus de faire apparaître l'aspect « collectif » du vote (ce qui renvoie à une autre question du programme de SES de Première !), les approches en termes de socialisation politique font apparaître les éléments pré-réflexifs et même incorporés des positions et des orientations politiques : comment certains – définis en termes de classe et de genre notamment – vont « spontanément » plus s'intéresser à la politique que d'autres, s'y sentir ou non « compétents », comment un homme ou une femme politique vous « parlent » ou d'autres vous hérissent, comment « vous ne pouvez pas » voter pour telle ou tel, comment le vote enfin est parfois tout autant une affaire de réflexe incorporé que de délibération et de décision (éclairée, systématique, sur les enjeux, etc.) politique.
5. L'étude de la socialisation implique l'examen le plus précis et empirique possible des « instances socialisatrices »
Un troisième point important à prendre en compte, dans les approches actuelles de la socialisation, réside dans l'incitation à examiner précisément les processus et notamment les instances de socialisation. Quand la socialisation est une forme de « devenir social » de l'individu, on peut parler d'une socialisation par « la société », une classe sociale ou un groupe social donné « en général ». Or, les sociologues vont davantage chercher aujourd'hui à définir et à investiguer très précisément quelles sont les instances socialisatrices.
En ce qui concerne par exemple la socialisation familiale, cela implique de considérer la famille comme une « configuration », c'est-à-dire non comme un agent de socialisation abstrait, mais comme un ensemble de personnes concrètes en relation et en interaction les unes avec les autres. Cette approche en termes de configuration familiale est d'autant plus nécessaire que la famille n'est pas un « tout homogène », et le couple parental n'est lui-même pas un tout unifié du point de vue de la socialisation. La première des différences entre parents de sexe différent, c'est bien évidemment celle du genre : quand bien même les expériences qui les ont construits et leurs positions sociales seraient proches, les parents vont forcément transmettre, pour parler comme Peter Berger et Thomas Luckmann, une « version » féminine ou bien masculine de la réalité, et il est impossible d'en calculer une sorte de résultante qui constituerait une transmission « parentale ». De plus, les parents peuvent par exemple provenir de milieux sociaux différents et de ce fait n'être porteurs ni des mêmes normes ni des mêmes dispositions. Enfin, la famille ne se réduit pas au couple parental : la fratrie ou le reste de la parenté peuvent parfaitement être considérés comme des instances de socialisation.
L'étude à la fois princeps et classique sur ce point est celle de Bernard Lahire (2012) dans Tableaux de Familles. À partir de l'examen des « configurations familiales » dans lesquelles sont élevés des enfants scolarisés en CE2, Bernard Lahire cherche à saisir les différences « secondaires » de socialisation entre des familles populaires dont le niveau de revenus et le niveau scolaire sont relativement faibles et assez proches, et notamment leurs effets en termes de réussite ou d'échec scolaire. Ces familles sont donc toutes équivalentes d'un point de vue « statistique », c'est-à-dire si on approche le niveau social de la famille par la profession et le diplôme (ou son absence) du « chef de famille ». Pourtant, l'analyse permet de mettre au jour les différences de socialisation internes aux milieux populaires qui sont susceptibles de rendre raison des variations, parfois considérables, dans la scolarité des enfants. L'analyse microsociologique fait disparaître l'équivalence de façade des propriétés générales des familles et lui substitue une analyse des relations effectives ayant des effets socialisateurs pour l'enfant. Par exemple, à situation équivalente des parents, la présence dans la famille d'une sœur étudiante et chargée de surveiller les devoirs de son frère modifie certainement les conditions de socialisation en ce qui concerne le rapport à l'école ou à la culture. De même, un grand-père détenant un capital scolaire qui voit régulièrement ses petits-enfants et leur transmet quelque chose de son rapport au monde n'est pas équivalent à un grand-père détenant le même capital scolaire mais mort ou qui ne voit jamais ses petits-enfants. À l'examen, les configurations familiales dans lesquelles s'inscrit la socialisation pour ces familles statistiquement « équivalentes » apparaissent donc à la fois très différentes les unes des autres et très peu homogènes en elles-mêmes : l'enfant est entouré de personnes qui représentent des principes de socialisation divers voire opposés (par exemple, un père analphabète et une sœur à l'université, ou des frères et des sœurs en réussite scolaire et d'autres en échec). Bernard Lahire souligne ainsi qu'une partie de la réussite scolaire de certains de ces enfants est liée à cette présence d'éléments contradictoires, qui leur permet d'avoir au moins un membre de la famille sur lequel ils peuvent s'appuyer dans leur expérience scolaire.
Il s'agit donc, à partir des examens des configurations familiales, de considérer les modalités concrètes des processus étudiés, et notamment « le temps et les occasions de socialisation » [7]. Des questions en apparence banales se révèlent en fait essentielles : « Quelle personne détient le capital culturel ? Est-elle souvent présente auprès de l'enfant ? S'occupe-t-elle de sa scolarité ? ». Le capital culturel peut en effet peiner à trouver les conditions de sa transmission : par exemple, s'il est quasi-exclusivement porté par un père qui, du fait de la division des rôles sexuels ou de ses contraintes professionnelles, n'intervient que très modérément dans l'éducation de ses enfants ; ou bien si un patrimoine culturel est présent dans l'environnement de l'enfant mais qu'il est « mort, non approprié et inapproprié », tels ces encyclopédies et dictionnaires dont le sociologue note la présence dans la bibliothèque d'une famille mais qui présentent significativement, à celui qui les regarde, leur tranche et non leur dos. Le « milieu » ne joue pas de manière abstraite, et il ne suffit pas à l'enfant d'être entouré ou environné d'objets culturels ou de personnes aux dispositions particulières pour intérioriser un certain rapport à la culture : présence ne signifie donc pas forcément effet socialisateur (Lahire, 2012, p. 217-225, 274-275).
Aborder la socialisation familiale en termes de configurations familiales plutôt qu'en termes de famille, cela peut donc consister à prendre en compte :
- les personnes concrètes qui composent une famille ;
- l'hétérogénéité intra-familiale et le fait que les instances de socialisations familiales sont des individus porteurs de patrimoines dispositionnels différents (en premier lieu, dans les couples de parents hétérosexuels, les dispositions genrées du père et de la mère) ;
- les relations effectives (qui passe du temps avec qui, qui accompagne telle pratique, sportive ou culturelle, etc.) et les liens affectifs (phénomènes d'identification et de désignation symboliques, d'attributions de ressemblances ou d'étrangeté, etc.) qui existent entre les individus ;
- les conditions matérielles d'existence familiale : l'inscription de la vie familiale dans un espace et des temporalités données qui structurent profondément les processus de socialisation qui s'y déroulent.
Sur ces différents points, on peut mobiliser l'enquête de Mathias Millet et Daniel Thin (2005) sur les jeunes des fractions dominées des classes populaires en « ruptures scolaires ». On y voit par exemple comment la position sociale et les configurations familiales spécifiques rendent possibles l'attraction et l'effet socialisateur du groupe de pairs du quartier par rapport au contrôle familial direct : les conditions matérielles d'existence et la cohabitation de différentes générations dans un espace réduit vont en quelque sorte « pousser » les enfants dehors, vers le groupe de pairs. Plus généralement, le premier chapitre de leur livre, qui porte sur « Des familles minées par la question sociale », permet de montrer que ce n'est jamais une forme familiale « en elle-même » qui a un effet socialisateur – comme si l'on pouvait dire que les « familles monoparentales » sont en elles-mêmes une instance de socialisation ayant des effets propres et particuliers – mais bien plutôt comment les formes familiales s'inscrivent en fait toujours dans des conditions matérielles d'existence particulières qui ont, elles, des effets socialisateurs. Il ne s'agit donc pas de chercher la « responsabilité » des problèmes scolaires des enquêtés dans les fonctionnements familiaux ou une forme familiale donnée, pour des raisons diverses. Les formes familiales ne sont de toute façon pas toujours stables, constantes et homogènes, elles n'offrent pas toujours les mêmes conditions de socialisations au cours du temps. De plus, les caractéristiques des configurations familiales des collégiens étudiés ne se distinguent pas de celles de nombreuses familles populaires, mais elles jouent en se renforçant mutuellement avec d'autres dimensions de la vie sociale des collégiens. Par exemple, l'affaiblissement des formes de régulation familiales se conjuguent avec l'attrait du groupe de pairs, qui s'articule lui-même avec les difficultés scolaires. Il ne faut donc pas isoler les fonctionnements familiaux des conditions matérielles d'existence, d'autres dispositions comme les dispositions cognitives ou encore du fonctionnement scolaire. Les accidents biographiques (comme la séparation familiale ou le décès d'un parent) résonnent d'autant plus fortement dans ces familles populaires précaires, au nombre d'enfants élevé du fait des taux de fécondité et de l'effet des recompositions familiales, socialement et économiquement vulnérables et faiblement dotées scolairement et culturellement, où le travail du parent en charge des enfants le met en retrait de la vie familiale ou sape sa légitimité par rapport à l'investissement scolaire. C'est par exemple une séparation qui éloigne des enfants le seul détenteur d'un petit capital scolaire de la famille, ou une situation de chômage ou de longue maladie qui en vient, prise dans ces conditions matérielles, à affecter les rythmes et les horaires familiaux. Ce n'est ainsi « jamais un événement particulier de l'histoire familiale, un changement ou une rupture dans les conditions de socialisation, qui constituent, en eux-mêmes et à eux seuls, l'explication des situations scolaires des collégiens étudiés, mais un événement particulier dans son articulation avec une série de propriétés spécifiques (socio-économiques, culturelles…) » (Millet, Thin, 2005, p. 51).
Conclusion
Toutes ces distinctions (dispositions versus normes et valeurs, processus versus produit final, incorporation versus intériorisation, configurations familiales versus famille, etc.) paraissent peut-être théoriques et complexes, et elles le sont certainement pour nous, qui enseignons la sociologie et les sciences sociales, comme pour celles et ceux à qui nous essayons de les transmettre. Mais leur intérêt est précisément de permettre de faire de la socialisation une question concrète et empirique, comme en témoignent les multiples recherches et enquêtes, dont seulement une toute petite partie est évoquée dans cet article, qui s'y abreuvent et les enrichissent.
Références bibliographiques
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SES-ENS (2007), Dossier « Muriel Darmon et le concept de socialisation », réalisé par Stéphanie Fraisse-D'Olimpio, octobre.
[1] Je me suis permise de reprendre ici quelques points de La Socialisation, Armand Colin, coll. 128, 3ème édition augmentée, 2016.
[2] Je m'empresse de préciser que, bien que j'aie été membre du groupe sur les programmes, il ne s'agit pas ici d'une interprétation officielle du nouveau programme, mais bien de ma vision de sociologue « dispositionnaliste » de la socialisation sur les différences introduites par cette approche par rapport à l'approche précédente des programmes. Je remercie vivement Anne Châteauneuf-Malclès, Martine Court, Marc Pelletier, Solène Pichardie et Gilles Robert pour leur aide dans l'élaboration et la clarification de ce texte.
[3] J'utilise cet exemple, comme des générations d'enseignants de SES avant moi, pour sa richesse pédagogique, et comme un cas idéal-typique de trajectoire de socialisation animale puis humaine – sans entrer dans les débats historiographiques sur les cas eux-mêmes qui ne sont pas ici mon propos.
[4] J'ai choisi d'introduire ce texte par l'exemple, classique en SES, des enfants sauvages, mais pour faire travailler les élèves de lycée sur la force des processus de socialisation primaire, on peut aller observer leurs effets puissants sur des enfants élevés, plus classiquement, par des parents humains : Lignier (2019) ; Lignier et Pagis (2017).
[5] Pour de plus amples développements sur ce débat historique à propos de la socialisation professionnelle des jeunes médecins, voir Darmon (2016), chapitre 3.
[6] Cette définition est une synthèse de différentes définitions de sites ou de manuels de SES.
[7] Pour travailler ces questions à partir du cas des enfants en difficultés scolaires provenant de familles dans lesquelles les parents sont fortement diplômés, voir G. Henri-Panabière (2010).
Crédits BD « L'enfant sauvage » : Gotlib © DARGAUD, 2020 - Toute reproduction interdite sans l'autorisation des Éditions Dargaud.