Les enfants d'immigrés à l'école : entretien avec Mathieu Ichou
Barbara Mettetal
Mathieu Ichou est chargé de recherche à l'Institut national d'études démographiques (Ined) ainsi que chercheur associé à l'Observatoire Sociologique du Changement (OSC) de Sciences Po. Ses recherches portent notamment sur la sociologie de l'immigration, de l'éducation et de la stratification sociale. Son dernier ouvrage, Les enfants d'immigrés à l'école. Inégalités scolaires, du primaire à l'enseignement supérieur, publié en 2018, s'intéresse aux trajectoires scolaires d'élèves issus de l'immigration. En mêlant l'analyse statistique de grandes enquêtes quantitatives à l'analyse interprétative d'entretiens biographiques, Mathieu Ichou explique les inégalités scolaires entre enfants d'immigrés et enfants de natifs en insistant sur la position sociale des parents, tant en France que dans le pays d'origine.
L'idée dominante, à la fois dans le discours public et dans un certain nombre de recherches scientifiques, est celle de l'échec scolaire des enfants d'immigrés. Cette idée est persistante car elle est partiellement vraie : en moyenne, les enfants d'immigrés ont des résultats scolaires, des orientations, et ensuite des diplômes moins favorables que les enfants dits « de natifs », c'est-à-dire les enfants de parents non immigrés. J'ai essayé d'aller au-delà de ce constat un peu simple, bien que partiellement vrai, en le relativisant sur deux points.
Premièrement, de nombreuses recherches ont montré depuis les années 1960 que la cause principale de l'échec scolaire des enfants d'immigrés est leur origine sociale et non pas leur qualité d'enfant d'immigré. Cela relativise beaucoup l'idée d'un échec scolaire généralisé dû au fait qu'ils seraient étrangers à la nation ou qu'ils viennent d'ailleurs. La cause de l'échec est plus fondamentalement dans les propriétés sociales des parents, pour les enfants d'immigrés comme pour les enfants de natifs.
Deuxièmement, il faut dépasser l'étude de la réussite moyenne des enfants d'immigrés pour prendre en compte la grande diversité de situations. On constate d'abord une diversité entre groupes d'origine. Par exemple, les enfants d'immigrés de Turquie ou du Sahel (c'est-à-dire grosso modo du Sénégal et du Mali) ont des résultats scolaires et des trajectoires nettement moins favorables que les enfants de natifs, même à milieu social comparable en France. Au contraire, les enfants d'immigrés d'Asie du Sud-Est (notamment du Vietnam, du Laos et du Cambodge) ont des trajectoires scolaires beaucoup plus favorables, y compris lorsqu'on les compare aux enfants de natifs de milieux sociaux semblables. Il y a ensuite une variation à l'intérieur de chaque groupe. Il faut donc prendre garde à ne pas essentialiser les groupes, c'est-à-dire à ne pas les considérer comme des entités homogènes avec des propriétés fixes et immuables. Même parmi les enfants d'immigrés du Sud-Est asiatique ou parmi ceux de Turquie, certains réussissent et d'autres échouent.
Malheureusement il est vrai qu'en général, parmi les enfants d'immigrés, les échecs sont plus grands que les réussites, notamment parce qu'ils ne disposent pas en moyenne des mêmes propriétés sociales que les enfants de natifs. Par exemple, les enfants d'immigrés sont très fortement sous-représentés dans les trajectoires d'élites, notamment dans les classes préparatoires aux grandes écoles et les grandes écoles.
Le livre Les enfants d'immigrés à l'écoles, sorti en 2018, est issu de mon travail de thèse réalisé de 2009 à 2014. C'est une version synthétisée et actualisée des résultats de la thèse. Les données que j'utilise sont de deux natures.
J'ai tout d'abord effectué des entretiens biographiques. J'ai interrogé en France et en Angleterre une petite centaine d'immigrés et d'enfants d'immigrés, en essayant d'interroger des parents et enfants d'une même famille, bien que cela n'ait pas toujours été possible. Ils étaient issus de deux groupes : les personnes d'origine turque et les personnes du Sud-Est asiatique et de Chine. Ces catégories sont relativement larges puisque les frontières entre les groupes sont partiellement floues (par exemple, certains Chypriotes ou Kurdes se perçoivent comme turcs ; certaines personnes nées au Vietnam, au Cambodge, au Laos ou en Thaïlande se déclarent ethniquement chinoises). Deux raisons ont guidé ce choix d'origines. D'abord, ce sont des groupes relativement petits démographiquement, dont on savait peu de choses. En France, les groupes les plus étudiés d'un point de vue quantitatif et qualitatif sont les Portugais et les Algériens, parce que ce sont les groupes les plus nombreux ; en Angleterre, les groupes les plus étudiés sont originaires d'Inde ou des Caraïbes. En étudiant des groupes plus petits, je contribuais à un champ de recherche encore peu développé. Ensuite, et surtout, ces deux groupes étaient dans des positions opposées dans la hiérarchie scolaire. En France comme en Angleterre, avec des nuances importantes, les enfants d'immigrés turcs étaient parmi ceux qui réussissaient le moins bien, alors que les enfants d'immigrés d'Asie du Sud-Est ou de Chine étaient ceux qui réussissaient le mieux. Il y avait donc là quelque chose à expliquer, d'où ma focalisation sur ces groupes.
À côté de ce matériau qualitatif, j'ai utilisé des données statistiques et notamment des enquêtes nationales représentatives. Pour la partie française (sur laquelle l'ouvrage se concentre), j'ai utilisé des panels d'élèves de la DEPP (Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance) du ministère de l'Éducation nationale, qui suivent des élèves tout au long de leur trajectoire scolaire, soit à partir de leur entrée au CP, soit à partir de leur entrée en 6e au collège. Nous disposons d'informations sur leur trajectoire scolaire, leurs propriétés sociales, celles de leurs parents, leurs vœux d'orientation, etc. jusqu'à leur entrée dans l'enseignement supérieur. J'ai également utilisé l'enquête Trajectoire et Origine (TeO), qui a été produite par l'Ined et l'Insee en 2008-2009, et dont la deuxième édition est d'ailleurs en cours. L'enquête TeO est assez inédite dans la mesure où elle se focalise sur les immigrés et les enfants d'immigrés en France. Elle contient de nombreuses informations sur leur trajectoire scolaire et sociale, sur leurs origines, et aussi, ce qui m'a particulièrement intéressé, un certain nombre d'informations sur les caractéristiques pré-migratoires des parents.
L'appariement exact est effectivement l'une des méthodes statistiques que j'ai utilisées pour traiter ces sources de données statistiques. Je l'ai employée pour étudier les performances scolaires des enfants d'immigrés et les comparer à celles des enfants de natifs. Or on sait que, d'une part, les milieux sociaux sont différenciés selon l'origine (les enfants d'immigrés vivant dans un environnement social beaucoup moins favorisé en moyenne), et que, d'autre part, le milieu social a un fort impact sur les performances scolaires. Il apparaît donc important, au moins dans une étape de l'analyse, de pouvoir faire des comparaisons à milieu social équivalent. Pour ce faire, la plupart des recherches jusqu'à présent utilisaient une méthode elle aussi puissante : la régression multiple. C'est une forme de modélisation qui permet d'isoler, parmi l'ensemble des variables explicatives, l'effet propre de celle qui nous intéresse (ici, être enfant d'immigré ou de natif) sur la variable à expliquer (les performances scolaires). J'ai utilisé l'appariement exact dans le même but. Son avantage est d'être plus simple et plus transparent que les régressions multiples, qui reposent sur des équations, des algorithmes d'estimation, etc.
Avec l'appariement exact, l'idée est de déterminer un certain nombre de variables qui mesurent le milieu social (profession, niveau d'éducation du père et de la mère, caractéristiques familiales comme la taille de la fratrie), puis d'apparier chaque enfant d'immigré avec un enfant de natif qui possède exactement la même combinaison de propriétés sociales. Par exemple, si on veut étudier un enfant d'immigré italien dont le père est ouvrier, la mère est employée, et dont le père et la mère ont suivi une scolarité jusqu'au collège, on va l'apparier avec un sous-échantillon d'enfants de natifs dont le père est ouvrier, la mère est employée, et qui sont tous les deux allés à l'école jusqu'au collège. On pourra ainsi comparer les performances scolaires des enfants d'immigrés italiens aux enfants de natifs qui possèdent exactement les mêmes propriétés sociales. Le véritable intérêt de cette méthode est qu'elle fait très peu d'hypothèses sur la distribution des variables et sur les relations entre les variables. Surtout, elle ne fait pas l'hypothèse de l'indépendance des effets entre variables explicatives, comme le fait classiquement la régression. Par exemple, en régression classique, si on pense que la taille de la fratrie a un effet sur les performances scolaires et que le pays de naissance des parents a aussi un effet sur les performances scolaires, ces effets vont être supposés indépendants. La taille de la fratrie aura le même effet quel que soit le pays de naissance des parents, et le pays de naissance des parents aura le même effet quelle que soit la taille de la fratrie. Dans la méthode de l'appariement exact, ces hypothèses n'ont pas besoin d'être faites. Cela permet d'être beaucoup plus réaliste et proche de ce qui se passe réellement dans les familles, tout en utilisant une méthode statistique. Les « effets d'interaction » entre les variables sont ainsi pris en compte.
Les explications culturalistes, qui utilisent la culture et les pratiques culturelles comme variables explicatives, existent sous plusieurs versions, certaines étant plus sophistiquées que d'autres. Dans ses versions les plus simplistes, il me semble que l'interprétation culturaliste est incapable d'expliquer trois constats empiriques dont une analyse sociologique devrait pouvoir rendre compte.
D'abord, les explications culturalistes simplistes ne peuvent pas expliquer les variations historiques d'un phénomène. La culture dite « d'origine » est censée être immuable, atemporelle, anhistorique. L'exemple de la très bonne réussite des enfants d'immigrés asiatiques, notamment aux États-Unis où ils sont considérés comme une minorité modèle (model minority), est assez frappant. Certaines analyses, plutôt dans le discours public que véritablement dans le monde académique, attribuent cette réussite à des traits culturels particuliers, notamment liés à la culture confucéenne pour les personnes originaires de l'Est asiatique. Ces traits culturels porteraient les individus à l'obéissance, à un certain rapport positif au savoir, à la hiérarchie, etc. Ce type d'explication pose problème car la présence d'immigrés de l'Est asiatique aux États-Unis a maintenant quelques décennies, presque un siècle. Au début de cette présence, notamment dans l'entre-deux-guerres, ainsi que juste après la Seconde guerre mondiale, les performances scolaires et professionnelles des immigrés du Sud et de l'Est asiatique et de leurs enfants n'étaient pas du tout exceptionnelles, pas du tout aussi favorables qu'elles le sont maintenant. Cela met en doute l'hypothèse explicative culturaliste. Soit on fait l'hypothèse que la culture confucéenne millénaire a changé brutalement, en cinquante ans, soit on se rend compte que ce type d'explication n'est pas très performant pour interpréter ces variations historiques de court terme, qui sont pourtant fondamentales à expliquer pour des sociologues.
Le second problème est que les interprétations culturalistes n'expliquent pas non plus les variations intergénérationnelles. On sait qu'il existe de grandes différences entre les premières, deuxièmes, troisièmes générations d'une même famille ou d'une même origine culturelle. Or, la modification et les transmissions culturelles sont pensées par les théories culturalistes les plus simplistes uniquement comme la reproduction à l'identique d'une culture d'origine essentialisée.
Le troisième problème est la capacité des explications culturalistes à prendre en compte et à expliquer les variations internes à chaque groupe : au sein d'un même groupe, certaines personnes ont plus de pouvoir, réussissent plus que d'autres, alors qu'elles sont toutes censées partager la même culture.
Voilà pourquoi il me semble que les explications culturalistes, dans leur version simpliste, ne sont pas très pertinentes sociologiquement. De mon côté, j'ai pu observer que le facteur explicatif principal de la réussite scolaire est l'origine sociale. Ce résultat sur les trajectoires scolaires des enfants d'immigrés est établi depuis des décennies dans le champ académique. L'apport de mes recherches est de montrer, à la fois d'un point de vue statistique et qualitatif, que l'origine sociale des enfants d'immigrés se définit non seulement par leurs conditions de vie et leurs caractéristiques en France, ou de manière générale dans le pays d'immigration, mais aussi par les propriétés sociales pré-migratoires des parents. À quels groupes sociaux appartenaient-ils dans leur pays d'origine ? Quel était leur niveau d'éducation relatif à la population d'origine ? Quelles ont été leurs expériences professionnelles, scolaires, etc. ? C'est sans doute l'originalité principale de l'ouvrage, d'insister sur les effets des caractéristiques sociales pré-migratoires des parents dans la réussite ou l'échec scolaire de leurs enfants en France.
J'ai essayé de le montrer de deux façons, à la fois d'un point de vue statistique et d'un point de vue qualitatif. D'un point de vue statistique, il est difficile d'avoir des mesures des propriétés pré-migratoires des parents dans les sources de données qui existent. Les expériences et les caractéristiques des individus avant qu'ils entrent sur le territoire national sont très peu mesurées, du fait d'un biais théorique et cognitif. Ce qui intéresse les chercheurs et l'opinion publique, c'est plutôt ce qu'il se passe en France. Tout ce qui s'est passé avant est oublié, ignoré. J'ai donc été obligé d'apparier des données sur les pays d'origine avec des données sur les immigrés en France. En appariant des données sur les distributions des niveaux d'éducation dans les pays d'origine et des données individuelles sur les niveaux d'éducation des immigrés en France, j'ai pu construire une nouvelle mesure de la position éducative relative des immigrés par rapport à leur société d'origine. On peut savoir par exemple si une immigrée née au Sénégal en 1970, titulaire d'un baccalauréat, fait plutôt partie des personnes les plus éduquées ou les moins éduquées au Sénégal dans sa génération. Le niveau d'éducation des parents est replacé dans le contexte dans lequel il a été acquis et on dispose ainsi d'un indicateur assez bon, bien qu'imparfait, de leur position sociale dans le pays d'origine. En intégrant cet indicateur à des modèles statistiques, j'ai montré qu'il avait un effet positif sur le niveau d'éducation atteint par les enfants en France, même une fois neutralisés les effets des caractéristiques socio-économiques de la famille en France. Les propriétés sociales avant l'émigration ont donc une influence sur les trajectoires scolaires des enfants.
J'ai essayé de comprendre au moyen des entretiens comment cet effet pouvait s'exprimer, par quels processus sociaux cette association statistique prenait sens, comment elle s'incarnait. Trois mécanismes en particulier m'ont paru importants.
D'abord, la place de l'éducation et de la scolarité dans le projet migratoire initial des parents influence la réussite scolaire des enfants. Les parents, quand ils décident de partir de leur pays d'origine, peuvent ou non mentionner l'éducation (la leur ou celle des enfants) comme l'une des raisons qui les poussent à quitter leur pays. Il est en fait relativement rare que les parents mentionnent l'éducation, mais quand ils le font, et notamment s'ils le font de manière très précise, c'est un facteur positif pour la scolarité de leurs enfants ensuite. C'est notamment le cas pour les parents qui émigrent afin de poursuivre leurs propres études : ils sont souvent eux-mêmes particulièrement éduqués dans leur pays d'origine et ils accordent à l'éducation suffisamment d'importance pour vouloir la poursuivre dans un pays étranger. Lorsque l'éducation est le principal motif du départ, cela augure d'un rapport très positif au savoir et ensuite d'un suivi de la scolarité très précis, très efficace. Au contraire, dans les cas où l'éducation est beaucoup moins mentionnée ou a une place beaucoup plus floue, les effets sont beaucoup plus incertains sur les trajectoires scolaires des enfants, sachant que les ambitions très fortes des parents peuvent aussi être une responsabilité très lourde à porter par les enfants. Les aspirations des parents n'ont pas d'effet mécanique sur la réussite des enfants.
Ensuite, l'expérience scolaire des parents dans le pays d'origine, avant même qu'il soit question de toute migration, a aussi une influence sur la trajectoire scolaire des enfants. Quelle a été l'expérience scolaire des parents ? Quel est plus généralement leur rapport au savoir ? Est-ce un rapport plutôt positif ou plutôt distant, négatif, peu intéressé ? On peut distinguer ici deux modèles d'influence positive sur la réussite scolaire des enfants d'immigrés. Le premier modèle, celui des « regrets parentaux », concerne des personnes, notamment des mères, dont les propres attentes en matière d'éducation n'ont pas pu être réalisées dans leur pays d'origine pour diverses raisons (contraintes économiques, normes de genre défavorables, etc.). Ces regrets sont constitués en discours qui sont ensuite transmis à leurs enfants et notamment à leurs filles, et qui peuvent avoir des effets positifs dans la trajectoire scolaire des enfants. L'autre modèle repose sur la « réussite improbable » : lorsque, dans une famille d'origine populaire, rurale, un membre de la famille connaît une forte réussite scolaire (par exemple en étant le premier ou la première à aller jusqu'à l'université), il peut devenir un modèle familial. Si ces cas font l'objet de discours, s'ils sont discutés de manière récurrente au sein de la famille comme une source de fierté, un exemple à suivre, leur modèle peut être une ressource sur laquelle s'appuient les enfants d'immigrés une fois en France pour réussir à l'école.
Un dernier mécanisme qui m'a semblé particulièrement important est celui du statut social subjectif. Il renvoie à la manière dont les propriétés sociales de la famille dans le pays d'origine s'incarnent dans un statut social subjectif après l'émigration. Des personnes qui faisaient partie des classes moyennes, ou qui occupaient par exemple un poste de fonctionnaire relativement prestigieux, dont le père était maire du village, etc., peuvent se penser à juste titre comme plutôt privilégiées dans leur pays d'origine, et donc avoir une idée de leur propre position sociale comme favorisée. Ce statut social subjectif s'accompagne de dispositions, d'attitudes, de croyances, de rapports au monde qui sont plutôt favorables à la réussite scolaire, notamment parce les individus ont des aspirations assez élevées : quand on est dans une position sociale plutôt favorisée, on s'attend à ce que ses enfants réussissent à l'école, etc. Le statut social subjectif peut perdurer même dans le pays de destination, donc en France ou en Angleterre en l'occurrence, même s'il ne reflète pas les nouvelles conditions objectives de vie. Malgré une forme de déclin social, qui peut être temporaire ou durable, le sentiment de statut social subjectif plus élevé peut avoir des effets positifs sur les aspirations scolaires des parents et ensuite sur les trajectoires scolaires des enfants.
C'est une question complexe : il faudrait, pour y répondre, pouvoir par exemple comparer les inégalités à l'entrée et à la sortie du système, ce qui est assez difficile à faire. D'une manière générale, mes sources de données empiriques sont plus extérieures à l'école qu'internes. Mes entretiens, notamment, se déroulent davantage dans les familles. Ce que je dis là est donc un peu à la lisière de mon matériau empirique. Ce dont on peut être sûr, c'est d'abord que le système scolaire ne corrige pas les inégalités initiales. De plus, on peut affirmer qu'un des effets les plus néfastes et les plus inégalitaires du système scolaire se situe dans la ségrégation des élèves entre les établissements, mais aussi au sein des établissements, entre les classes. Cette ségrégation scolaire s'inscrit elle-même dans une ségrégation urbaine, entre les quartiers de résidence. L'école n'est que partiellement responsable de ces processus qui sont une coproduction des bailleurs sociaux, des politiques locales, des politiques nationales, des choix des parents, mais aussi de l'école. La ségrégation a tendance à conduire à la concentration d'élèves d'origine populaire, et en particulier d'origine immigrée, dans des contextes scolaires plutôt défavorables aux apprentissages. En cela, elle augmente les écarts initiaux entre les enfants d'immigrés et les enfants de natifs.
Propos recueillis par Barbara Mettetal, étudiante en sociologie à l'ENS de Lyon.
Pour aller plus loin
Publications de Mathieu Ichou et recensions
Camara T. (2018), « Mathieu Ichou, Les enfants d'immigrés à l'école. Inégalités scolaires, du primaire à l'enseignement supérieur ». Lectures [en ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 15 novembre 2018
Fouquet-Chauprade B. (2019), « Échec scolaire et immigration. À propos de : Mathieu Ichou, Les enfants d'immigrés à l'école. Inégalités scolaires, du primaire à l'enseignement supérieur. Puf, 2018. ».La Vie des idées [en ligne], 11 mars 2019.
Ichou, M. (2014), « Who They Were There : Immigrants' Educational Selectivity and Their Children's Educational Attainment ». European sociological review, vol. 30, n° 6, p. 750-765.
Ichou M. (2016), « Le destin scolaire des enfants d'immigrés : culture d'origine ou origine sociale ? ». Métropolitiques [en ligne], 21 octobre 2016.
Ichou M., Goujon A., l'équipe de l'enquête DiPAS (2017), « Le niveau d'instruction des immigrés : varié et souvent plus élevé que dans les pays d'origine ». Population & Sociétés, n° 541, p. 1-3.
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Ichou M., Oberti M. (2014), « Le rapport à l'école des familles déclarant une origine immigrée : enquête dans quatre lycées de la banlieue populaire ». Population, vol. 69, n° 4, p. 617-657.
Ichou, M. (2015), « Origine migratoire et inégalités scolaires : étude longitudinale des résultats scolaires des descendants d’immigrés en France et en Angleterre ». Revue française de pédagogie, n° 191, p. 29-46.
Sur les immigrés, leur niveau d'éducation et leur trajectoire scolaire en France
« La différence entre un immigré et un étranger, Mathieu Ichou », de la série de vidéos « Si la population m'était comptée » produite par l'Ined.
Brutel C. (2014), Les immigrés récemment arrivés en France : « De nouveaux arrivants de plus en plus diplômés ». Insee Première, n° 1524, novembre.
Athari E., Lê J., Brinbaum Y. (2019), Le rôle des origines dans la persistance des inégalités d'emploi et de salaire : « Le niveau d'éducation des descendants d'immigrés est plus élevé que celui des immigrés, notamment celui des femmes ». Emploi, chômage, revenus du travail -Édition 2019, Insee Références.
OCDE (2015), « L'école peut-elle aider à l'intégration des immigrés ? ». PISA à la loupe, n° 57, Éditions OCDE, novembre.
Caille J.-P., Rosenwald F. (2006), « Les inégalités de réussite à l'école élémentaire : construction et évolution ». Insee, France, portrait social, édition 2006, notamment p. 134-135 : « À situation sociale et familiale comparable, les enfants d'immigrés progressent davantage au cours de la scolarité élémentaire ».
Brinbaum Y., Kieffer A. (2005), « D'une génération à l'autre, les aspirations éducatives des familles immigrées : ambition et persévérance ». Éducation et Formations, n° 72, p. 53-75.
Sur l'enquête « Trajectoires et Origines », voir la vidéo de l'Ined : « Qu'est-ce que l'enquête TeO2 ? » et cette présentation de TeO.
Sur les parcours sociaux (notamment scolaires) d'enfants immigrés, voir notamment : Beaud S. (2018), La France des Belhoumi. Portraits de famille (1977-2017), La Découverte, et la conférence de Stéphane Beaud autour de cet ouvrage sur SES-ENS : La France des Belhoumi : les parcours singuliers d'enfants d'immigrés à travers l'histoire d'une famille, janvier 2020.
Sur la ségrégation scolaire
Felouzis G., Liot F., Perroton J. (2005), L'apartheid scolaire. Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges. Paris : Seuil.
Merle P. (2012), La ségrégation scolaire. Paris : La Découverte, coll. Repères.
van Zanten A. (2001), L'école de la périphérie. Scolarité et ségrégation en banlieue. Paris : Presses Universitaires de France.