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Main basse sur l'assurance-chômage

Publié le 02/12/2022
Auteur(s) - Autrice(s) : Bruno Coquet
Cet article, issu du Repères « L’économie française 2022 », revient sur les différentes étapes de la réforme de l’assurance-chômage entre mars 2017 et novembre 2022. Il l’analyse comme le cumul d'une profonde transformation structurelle, touchant à la nature essentiellement assurantielle du dispositif, et d'une refonte des règles d'indemnisation, permettant au total d'économiser 2,3 milliards d'euros par an en année de croisière.

Au cœur du projet présidentiel visant à créer de « nouvelles protections », la réforme de l’assurance chômage s’annonçait simple et marginale : ouverture aux démissionnaires et indépendants, responsabilisation des employeurs, en contrepartie d’exigences nouvelles (encadré 1). En réalité l’assurance chômage a subi une profonde transformation structurelle, qui s’est déroulée en deux phases, la première, institutionnelle, conduite avec méthode, sans réel débat ni réaction, la seconde, celle des règles d’indemnisation, encore en cours car elle se heurte à de fortes oppositions.

Encadré 1. Les ambitions initiales : programme du président de la République

Défi et défiance

Au printemps 2017, les partenaires sociaux trouvent un accord à l’arraché sur l’assurance chômage. Sans avancée sur les contrats courts, sujet sur lequel avait déjà achoppé la négociation de 2016, les règles évoluent à la marge, mais les économies sont néanmoins très importantes : 900 millions d’euros par an, notamment grâce à la baisse des allocations supérieures à 1 200 euros, de la réduction des droits des seniors, et d’une légère hausse des cotisations employeurs (+ 0,05 %) [Unedic, 2017b]. L’accord est paraphé le 28 mars, la Convention le met en musique le 14 avril, les textes sont agréés par l’État le 4 mai, trois jours seulement avant l’élection du nouveau président de la République.

Les nouvelles règles à peine entrées en vigueur le 1er octobre 2017, chacun marque son territoire. Le 12 décembre, les partenaires sociaux proposent (à l’unanimité, fait rarissime) un Socle de réflexion auquel le gouvernement réplique deux jours plus tard avec un Programme de travail [Unedic, 2017a ; Gouvernement, 2017 ; 2018] (tableau 1). Les documents s’accordent sur les thématiques de réforme, tant sur la mise en œuvre du programme présidentiel (démissionnaires, indépendants) que sur l’accompagnement des chômeurs et les contrats courts. Classiquement, à ce stade d’une négociation, les divergences sont importantes dans le narratif et les détails, mais il existe une base de discussion.

Un nouveau thème apparaît néanmoins : les partenaires sociaux veulent « clarifier l’ensemble des dépenses d’intérêt général mises à la charge de l’assurance chômage » et « définir des responsabilités claires pour un pilotage efficace », demande que le gouvernement place d’emblée sur le terrain de la « gouvernance » dont « il apparaît logique [qu’elle] évolue », afin de « traduire le rôle plus important de l’État dans le financement d’une assurance chômage qui gagne en universalité ».

Petit gain, grosse réforme

Tout commence en douceur. Fin 2017, la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) organise la hausse promise du pouvoir d’achat des salariés [Macron, 2017] . Ce résultat pouvait être obtenu de différentes façons, mais le choix est le suivant [1] : « exonération » de la contribution d’assurance chômage des salariés du secteur privé (2,4 %) [2] et « suppression » de la cotisation d’assurance maladie (0,75 %). Le tout est financé par une hausse de 1,7 % de la CSG sur les revenus d’activité, de remplacement [3] et du capital. Ce mécanisme diminue les cotisations salariales de 1,4 %, ce qui tient pratiquement la promesse de hausse du salaire net (1,8 % vs 1,9 % promis) tout en créant un point d’ancrage essentiel pour la suite.

En parallèle, les partenaires sociaux acceptent le programme de travail du gouvernement et trouvent rapidement un accord sur l’ensemble des thèmes (22 février 2018). L’indemnisation des salariés démissionnaires et celle des indépendants y sont traitées en détail, la question des contrats précaires est précisément balisée mais renvoyée à une offre de service pour une négociation approfondie. Le sujet de la gouvernance est quant à lui délimité en référence au rôle et aux objectifs d’une assurance chômage contributive, qui, comme d’autres thématiques (employeurs publics, etc.), nécessite d’être traité dans un cadre approprié, une « conférence pour l’emploi » qui réunirait les partenaires sociaux et l’État.

Quatre mois plus tard, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (LCAP, art. 54) réécrit l’article L 5422-9 du code du travail qui édicte que l’allocation chômage est financée par des contributions des salariés. Celles-ci sont donc supprimées, si bien que l’affirmation selon laquelle cette « exonération » serait « sans aucun impact sur les droits sociaux » (annexe 4) s’efface au profit d’une autre lecture. Le président de la République précise en effet que cette réforme « transforme la philosophie même de notre solidarité nationale [qui] est de moins en moins une assurance individuelle, assortie d’un droit de tirage, financée par l’ensemble des contribuables, […] l’assurance chômage aujourd’hui n’est plus du tout financée par les cotisations des salariés » mais « par les cotisations des employeurs et par la CSG. Cette transformation, il faut en tirer toutes les conséquences ; il n’y a plus un droit au chômage, au sens où on l’entendait classiquement, il y a l’accès à un droit qu’offre la société mais sur lequel on ne s’est pas garanti à titre individuel, puisque tous les contribuables l’ont payé [4] ».

Alea jacta est : l’assurance chômage est plongée dans le grand bain de la politique sociale [5]. Les salariés qui se « garantissaient à titre individuel » depuis soixante ans dans le système mutualisé, étaient des assurés accumulant l’équivalent d’une épargne de précaution. Ils sont désormais des contribuables, qui, en cas de chômage, relèveront du guichet des politiques sociales, où certains pourront être assistés au titre de la solidarité, avec une forte incertitude sur le montant de leurs droits. En effet, la contributivité et la règle d’airain de l’assurance chômage selon laquelle l’allocation doit permettre au chômeur de maintenir sa consommation jusqu’à ce qu’il retrouve un nouvel emploi conforme à ses compétences n’ont plus cours dans le domaine de la « solidarité » où les conditions de ressources prennent le dessus, ainsi que l’obligation d’accepter des emplois moins dépendants du parcours professionnel antérieur.

La rigueur au tournant

La première phase du plan exécutée, la deuxième s’ouvre : la redéfinition des règles. La loi LCAP, votée le 5 septembre 2018, acte l’éligibilité des salariés démissionnaires et des travailleurs indépendants à l’assurance chômage [6]. Le reste fait l’objet d’un document de cadrage, que le gouvernement transmet sans attendre aux partenaires sociaux et qui « prévoit des objectifs d’évolution des règles de l’assurance chômage permettant de lutter contre la précarité et d’inciter les demandeurs d’emploi au retour à l’emploi » et « propose de revoir l’articulation entre assurance et solidarité, le cas échéant par la création d’une allocation chômage de longue durée attribuée sous condition de ressources » (art. 57).

Le cadrage de la négociation est d’abord financier : 3 à 3,9 milliards d’euros d’économies à réaliser sur trois ans, total qui n’inclut pas les mesures à venir sur le contrôle de la recherche d’emploi et la Directive européenne sur le travail détaché [7].

La feuille de route est en apparence très ouverte : « Les partenaires sociaux sont invités à examiner et revoir l’ensemble des règles qu’ils estimeront devoir modifier pour lutter contre la précarité et inciter à la reprise d’emploi durable. » Toutes les parties prenantes reconnaissent cependant les règles visées et le sens dans lequel les rectifier : éligibilité, calcul de l’allocation, cumul allocation/salaire, rechargement des droits, baisse des allocations les plus élevées, tarification des contrats courts. Les causes structurelles bien identifiés du déficit, qui ne sont pas le fait des règles de droit commun mais qui toutes affectent une charge publique à l’Unedic, sont passées sous silence : subventions à Pôle emploi, aux industries culturelles, indemnisation des frontaliers, auxquelles il faudrait ajouter la liberté des employeurs publics de s’affilier à l’assurance chômage seulement lorsqu’ils y ont intérêt [Coquet, 2016b ; 2016c ; 2016d].

Le document de cadrage développe une définition extensive et peu orthodoxe de l’assurance chômage, censée financer le chômage de longue durée, s’articuler avec les aides sociales, etc. Une partie des allocations chômage serait alors sous conditions de ressources, si l’allocation de solidarité spécifique (ASS) est remplacée par une nouvelle allocation de longue durée, ou si des économies sur les allocations financent la prime d’activité. L’objectif budgétaire est net : reporter des dépenses de redistribution vers le régime d’assurance chômage.

Sans attendre le résultat de la négociation des partenaires sociaux, le gouvernement revoit les droits, les obligations et le suivi des chômeurs [8]. Le salaire antérieurement perçu n’est plus un critère d’appréciation d’une offre raisonnable d’emploi, et les obligations sont renforcés pour les créateurs et repreneurs d’entreprise. En cas de manquement, Pôle emploi a compétence pour décider des sanctions, rendues plus dures (radiation, suppression des allocations).

À l’issue des quatre mois impartis, les partenaires sociaux constatent l’impossibilité de trouver un accord sur l’assurance chômage. L’État reprend donc la main, pour écrire les nouvelles règles d’indemnisation et équilibrer le budget nécessaire à les financer.

Plus de droit, moins de droits

Nouvelles protections

Les salariés démissionnaires et les travailleurs indépendants peuvent donc accéder à l’assurance chômage : à partir du 1er novembre 2019, respectivement 23 500 salariés et 23 900 entrepreneurs étaient susceptibles d’être admis au titre de ces nouvelles protections, pour un coût annuel de 440 millions d’euros [9]. Ces  droits ont cependant été conçus de manière très restrictive : seulement 911 indépendants avaient bénéficié de la mesure au cours des seize mois suivants (sur 40 000 attendus) [10] ; mais on ignore si la mesure « démissionnaires » a trouvé son public, probablement handicapée par le fait que son « esprit est dévoyé par une procédure trop complexe [11] ».

Nouvelles ponctions

Avant toute chose, le décret de 2019 [12] va au-delà du document de cadrage en augmentant de 10% la contribution de l’Unedic à Pôle emploi, qui passe de 10 % à 11 % des ressources de l’assurance chômage à partir de 2020. Celle-ci approche 4 milliards d’euros par an, soit une hausse proche de 400 millions d’euros par an, ajoutant encore aux dépenses non assurantielles de l’Unedic. Les économies demandées dans le document de cadrage impliquaient bien que les nouvelles protections de droit commun seraient moindres que les anciennes.

– L’éligibilité est réduite : à la fois par le seuil minimal d’entrée (six mois au lieu de quatre), le raccourcissement de la période de référence sur laquelle sont recherchées les périodes d’emploi (vingt-quatre mois au lieu de vingt-huit) et la quantité minimale de droits portés au compte lors d’un rechargement (six mois au lieu d’un). Les entrées de travailleurs précaires, saisonniers, étudiants, etc. sont rendues plus difficiles, et les chômeurs ayant de longues durées d’emploi avec de courts fractionnements verront leurs droits réduits : parmi les chômeurs indemnisés ayant une « durée d’acquisition du droit » supérieure à vingt-quatre mois, environ 10 % obtenaient un droit inférieur à six mois, mais plus de 40 % une durée supérieure à dix-huit mois [13]. Au total, selon l’Unedic, 470 000 personnes seraient impactées par l’un de ces effets, pour une économie de 800 million euros par an. 
– La définition du salaire de référence servant au calcul de l’allocation était obsolète, inadaptée au marché du travail contemporain où les trajectoires en emploi sont fractionnées [Coquet, 2020a]. La solution retenue empêche que, pour un mois de chômage complet, le chômeur ne gagne plus que la moyenne de ses salaires sur la période qui lui sert à ouvrir les droits. Mais cette formule, jugée trop extrême par le Conseil d’État qui l’a annulée, a été revue [14]. La mesure revisitée impacterait environ 1,15 million de chômeurs, dont l’allocation baisserait de 17,3 % et la durée moyenne du droit serait allongée de 27,3 % en moyenne, ce qui dégagerait une économie totale de 1 milliard d’euros par an.
– La dégressivité des allocations après six mois d’indemnisation réduit de 30 % les allocations supérieures à 2 600 euros par mois : 70 000 allocataires de moins de 57 ans seraient concernés chaque année, pour une économie de 460 millions d’euros par an [Coquet, 2020b].

Nouvelles cotisations

La cotisation employeur de droit commun est maintenue à 4,05 % et deux dispositions visent à favoriser la création d’emplois stables :

– une taxe forfaitaire de 10 euros sur les CDD d’usage (40 millions d’euros par an), qui sera supprimée six mois après sa création [15], au motif qu’elle concernait des secteurs fortement impactés par la crise sanitaire ;

– un dispositif de bonus-malus dans les secteurs d’activité fortement utilisateurs de contrats courts, au terme duquel le taux de cotisation d’une entreprise peut varier entre 3 % et 5,05 % selon que son taux de séparation est plus ou moins inférieur ou supérieur au taux de séparation médian de son secteur. Ce dispositif est par construction prévu pour être neutre sur les recettes de l’Unedic. Son objectif est cependant de réduire les dépenses liées à la récurrence en contrats courts.

Tableau 1. Chronogramme des réformes de l'assurance-chômage
  Partenaires sociaux/Unedic Etat/Gouvernement Règles
28-03-2017 Accord partenaires sociaux    
14-04-2017 Convention 2017    
04-05-2017   Agrément Convention 2017 par l'Etat  
01-10-2017     Nouvelles règles (réduction droits seniors, cotisation employeurs, calcul de la durée travaillée, etc.)
12-12-2017 Socle de réflexion paritaire pour une concertation utile    
14-12-2017   Programme de travail du gouvernement  
01-01-2018   LFSS 2018 Exonération partielle cotisation salariale
11-01-2018 Négociation    
22-02-2018 Accord partenaires sociaux (dont démissionnaires et indépendants)     
24-04-2018   Présentation loi avenir professionnel  
10-07-2018   Discours PR  
05-09-2018   Vote loi avenir professionnel  Suppression de la cotisation salariale droits démissionnaires, indépendants, financement de Pôle emploi, document de cadrage, etc.
25-09-2018   Document de cadrage de la négociation  
01-10-2018   Décret droits et obligations des chômeurs (30 décembre 2018) Pôle emploi décide des sanctions, qui sont durcies. Offre raisonnable d’emploi ne dépend plus du SJR
01-01-2019     Cotisation employeur éligible à l’allègement général
01-01-2019      
20-02-2019 Échec de la négociation    
31-07-2019   Décret assurance chômage (y compris règlement général et annexes)  
01-11-2019     Nouvelles règles (éligibilité, rechargement, dégressivité, démissionnaires, indépendants)
01-01-2019   Projet de loi de finances 2020 Financement de Pôle emploi 11% 
27-03-2020   Loi et règlements relatifs à l’urgence sanitaire (plusieurs séquences de textes jusqu’en 2021) Mesures temporaires : suspension « Covid-19 » de règles 2019 en vigueur, reports (SJR, bonus-malus), règles provisoires (éligibilité). 
31-07-2020   Troisième loi de finances rectificative 07/2020 Suppression taxe 10 euros CDDU
25-11-2020   Annulation partielle du décret 2019 par le Conseil d’État  
01-01-2021     Règles 2019 bonus-malus (reporté Covid-19)
30-03-2021   Décret modificatif (SJR, bonus-malus, points divers)  
12-05-2021   Nouveau décret modificatif (SJR)  
21-05-2021 Recours partenaires sociaux en CE    
01-07-2021     Réintroduction règles 2019 (droits, SJR)
01-07-2022   Date limite pour un document de cadrage de la négociation 2022  
01-09-2022     Réintroduction règles 2019 (bonus-malus)
01-11-2022   Échéance du décret 2019 Règles 2019 à reconduire ou modifier 

Changement de paradigme : au bénéfice de quoi ?

Plus de règles, plus d’économies, moins d’incitations

Au plan juridique, la réglementation n’a jamais été si volumineuse, complexe et compliquée. Même les dispositions emblématiques (salaire de référence, dégressivité, bonus-malus) manquent à ce point de clarté que le législateur a dû s’y reprendre à plusieurs fois pour les écrire. Et, malgré tout, d’innombrables cas types apparus dans le débat illustrent que les règles n’atteignent pas leur but, voire agissent en sens opposé, tout en créant des inégalités.

Au plan budgétaire, ces mesures économiseraient 2,3 milliards d’euros en année de croisière ; une partie financerait Pôle emploi (400 millions d’euros) et les nouveaux droits (440 millions d’euros, avec une forte incertitude sur la réalité de cette dépense). Cela porte à 4 milliards d’euros par an les économies issues des réformes conduites depuis 2014, qui pour l’essentiel pèsent sur les droits communs (réduits de plus de 12 %). Il faut aussi souligner que, si l’État définit les règles, il ne dote pas l’assurance des moyens financiers nécessaires à leur mise en œuvre, puisqu’un déficit subsiste.

Au plan des incitations, les nouvelles règles procèdent toutes par contrainte financière accrue sur le chômeur, mais les vecteurs d’efficience d’une assurance chômage optimale sont tous amoindris : effet d’éligibilité, salaire de réserve (pression financière et des obligations), gain à la reprise d’emploi, etc. De plus, les nouvelles protections sont imprévisibles, car le taux de remplacement et la durée des droits sont indéterminés, l’un comme l’autre devenant presque aussi nombreux que les trajectoires fractionnées des salariés devenus chômeurs. Les incitations à l’emploi sont aussi hétérogènes que les allocations ainsi calculées, confuses tout en témoignant de l’abandon de la logique assurantielle. De même, l’immense majorité des entreprises, qui utilisent très peu de contrat courts, paiera plus cher que celles qui bénéficieront du bonus dans les secteurs fortement utilisateurs [Coquet et Heyer, 2018].

L’assurance chômage diluée dans la politique sociale

L’objectif annoncé de cette réforme était de créer de nouvelles protections et de rétablir la vertu dans les comportements des individus et des employeurs. Cela ne nécessitait pas la prise de contrôle par l’État des ressources du régime d’assurance, ni les gains budgétaires qui ont précédé le changement des règles d’indemnisation. Ces réformes institutionnelles et budgétaires ont pourtant été priorisées : elles avaient donc certainement un objectif qu’il faut essayer d’imaginer puisqu’il n’était pas annoncé et n’a pas été explicité.

L’assurance chômage excédentaire était attractive pour les finances sociales toujours en quête de ressources. Le levier des déficits artificiellement imputés aux règles d’indemnisation, qui permet depuis vingt ans d’exiger des économies aussitôt absorbées par de nouvelles dépenses imputées par l’État à l’Unedic, était menacé par les critiques de plus en plus insistantes des partenaires sociaux [Coquet, 2016b]. Si la nouvelle architecture institutionnelle sécurise pour l’avenir des marges de manœuvre budgétaires pour l’État, l’expérience montre que jamais un système de protection sociale n’a été redressé de cette manière et que l’efficacité ultime de cette gouvernance est douteuse.

La transformation de l’assurance chômage en assistance chômage est un profond changement de nature que les anciens assurés, désormais contribuables et assistés s’ils perdent leur emploi, ne sentiront que progressivement. La contributivité, clé de voute de l’assurance chômage, s’estompe, et avec elle l’objectif central de maintien de la consommation du chômeur, laissant place à la redistribution fiscale, sous conditions de ressources de son ménage, critère plus éloigné de son comportement d’activité.

Aucune théorie ne suggère qu’abonder la politique de redistribution aux dépens de l’assurance chômage peut bénéficier au fonctionnement du marché du travail. La redistribution fiscalo-sociale n’est pas le vecteur exclusif de la solidarité, la mutualisation par l’assurance étant bien plus efficace et légitime pour certains objets. De manière générale, les deux instruments ne sont pas en concurrence mais complémentaires. En effet, seulement une petite minorité de bénéficiaires est éligible aux deux instruments, précisément parce qu’une assurance chômage efficace réduit le besoin de redistribution.

La réforme qui a été conduite est d’abord structurelle, et elle imprimera donc à l’avenir sa logique d’ensemble, bien plus déterminante que telle ou telle règle particulière.

[1] En deux temps, 1er janvier puis 1er octobre 2018. 

[2] Pour les agents publics (contractuels et fonctionnaires), un dispositif de compensation des effets de la hausse de la CSG sera mis en œuvre à compter du 1er janvier 2018, incluant notamment la suppression de la contribution 1 % solidarité. Pour les indépendants : quasi-suppression des cotisations allocations familiales, et hausse de l’exonération maladie et maternité. 

[3] Excepté allocations chômage et indemnités journalières. Sur les retraites, la hausse de la CSG sera annulée en 2019, sous conditions de ressources du ménage.

[4] Discours du président de la République devant le Parlement réuni en congrès à Versailles (10 juillet 2018). Le président anticipe un peu « la loi que vous avez votée », même si celle-ci est encore discutée au Sénat en première lecture.

[5] Évolution surprenante, car le mois précédent le président pointait l’inefficacité de la politique sociale dans laquelle l’État « met un pognon de dingue » sans obtenir les résultats attendus.

[6] Sur ces deux promesses présidentielles, la loi reprend pour l’essentiel l’accord des partenaires sociaux (22 février). 

[7] Il est précisé que les économies attendues de ces deux réformes seront chiffrées ultérieurement.

[8] Décret n° 2018-1335 du 28 décembre 2018. 

[9] Pour simplifier, les chiffrages reproduits dans ce chapitre sont ceux de l’Unedic, dont les hypothèses de construction sont détaillées dans Unedic [2019].

[10] Assemblée nationale : audition de Pôle emploi et de l’Unedic par la Commission des affaires sociales.

[11] Rapport 2021 du médiateur de Pôle emploi.

[12] Décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d’assurance chômage [Coquet, 2017].

[13] Données Pôle emploi « Tableaux indemnisation » pour l’année 2018. Ces statistiques suggèrent aussi que le nombre de chômeurs impactés pourrait être proche de 1 million, bien supérieur au chiffrage de l’Unedic ci-après.

[14] Décret n° 2021-346 du 30 mars 2021 portant diverses mesures relatives au régime d’assurance chômage. Décret encore soumis à critique et qui fait l’objet d’un nouveau projet de décret modificatif (12 mai 2021), avant d’être attaqué en Conseil d’État par cinq organisations syndicales (21 mai 2021).

[15] Création de la loi de finances 2020 pour mise en œuvre au 1er janvier 2020, suppression LFR 30 juillet 2020 (rétroactive au 1er juillet 2020).

Repères bibliographiques

Coquet B., « Dégressivité des allocations chômage : une réforme ni nécessaire ni efficace », Policy Brief de l’OFCE, n° 4, 2016a.

Coquet B., « Dette de l’assurance chômage : quel est le problème ? », Note de l’OFCE, n° 60, 2016b.

Coquet B., « Secteur public : l’assurance chômage qui n’existe pas », Note de l’OFCE, n° 59, 2016c.

Coquet B., « L’assurance chômage doit-elle financer le service public de l’emploi ? », Note de l’OFCE, n° 58, 2016d.

Coquet B., « Obliger les chômeurs indemnisés à reprendre un emploi ? La bonne mesure », Policy Brief de l’OFCE, n° 21, juillet 2017.

Coquet B., « Où va l’assurance chômage ? », in OFCE, L’Économie française 2019, La Découverte, « Repères », Paris, 2018.

Coquet B., « Quelle gouvernance pour l’assurance chômage ? », Policy Brief de l’OFCE, n° 57, juin 2019.

Coquet B., « Comment déterminer le salaire de référence des chômeurs indemnisés ? », Sciences Po OFCE Working Paper, n° 30, 2020a.

Coquet B., « Dégressivité des allocations chômage : que peut-on en attendre ? », Sciences Po OFCE Working Paper, n° 27, 2020b.

Coquet B. et Heyer E., Pour une régulation économique des contrats courts sans contraindre les entreprises, en préservant l’assurance chômage, rapport au Sénat, 2018. 

Coquet B. et Heyer E., « Contrats courts : trop de règles, pas assez d’incitations économiques », in OFCE, L’Économie française 2020, La Découverte, « Repères », Paris, 2019.

Gouvernement, Programme de travail portant orientation de la réforme de l’assurance chômage, décembre 2017.

Gouvernement, Document de cadrage en vue de la négociation de la convention d’assurance chômage, septembre 2018.

Macron E., Programme. En marche !

Médiateur de Pôle emploi, Rapport 2020, 2021.

Unedic, Assurance chômage. Socle de réflexion pour une concertation utile, décembre 2017a.

Unedic, Assurance chômage. L’essentiel pour comprendre ce qui change en 2017, Références, mai 2017b.

Unedic, L’Assurance chômage. Dossier de référence de la négociation 2018, novembre 2018.

Unedic, Impact de la réforme de l’assurance chômage 2019, septembre 2019.

Unedic, Évolution des règles d’assurance chômage. Impact des évolutions au 1er avril 2021, 2020.