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Discriminations et politiques antidiscriminatoires

Publié le 25/11/2008
Auteur(s) - Autrice(s) : Eric Cédiey
Stéphanie Fraisse-D'Olimpio
Ce dossier organisé avec l'aide d'Éric Cédiey porte sur les discriminations et les politiques antidiscriminatoires. Après un éclairage sur le concept de discrimination et sur les différentes catégories mobilisées pour parler des discriminations de type racial, il s'intéresse au droit communautaire européen antidiscrimination et à ses implications pour le droit français. La question des discriminations dans l'emploi, à l'école et dans l'accès au logement est également analysée. Pour finir, quelques outils et démarches spécifiques des politiques antidiscriminatoires sont présentés : testing, positive action, statistiques...

Eric Cédiey est ingénieur statisticien-économiste de l'Ecole de l'INSEE et spécialiste des politiques anti-discriminatoires sur le marché de l'emploi. Il fait partie des membres permanents de l'association ISM-Corum qui s'est spécialisée depuis plus de 30 ans dans la communication interculturelle et la prévention des discriminations. Si l'activité traditionnelle d'ISM-Corum est la traduction et l'interprétariat au service des migrants et des institutions publiques, depuis 1992, l'association développe à travers le Centre d'Observation et de Recherche sur l'Urbain et ses mutations (Corum), un département d'études, de conseils, d'interventions et de formation. C'est dans ce cadre que s'est déroulé le colloque sur "La mesure des discriminations liées à l'origine" le 22 octobre 2007 à l'ENS de Lyon. Des questions importantes et d'actualité y sont abordées dont vous trouverez des éléments dans la présentation suivante et sur le site de l'association qui rend compte des principales interventions du colloque.

Nous remercions Eric Cédiey pour toute la documentation qu'il nous a fournie pour organiser ce dossier, qui actualise et complète notre précédente publication "Discrimination et lutte contre les discriminations".

1. Des cadres conceptuels jamais neutres

L'approche et le vocabulaire de la discrimination, en particulier pour les discriminations dites raciales, n'ont été développés en France que depuis peu. Les problèmes qu'ils désignent sont bien sûr beaucoup plus anciens, mais ils étaient soit déniés, soit abordés d'une autre manière et avec d'autres mots. Il convient donc de bien comprendre les significations et les nouvelles perspectives qu'apporte l'approche en terme de discrimination, et de bien comprendre ce qui la relie, mais aussi ce qui la distingue, d'approches plus anciennes comme celles de l'intégration ou des inégalités.

1.1. Définition de la discrimination : une atteinte à nos principes les plus fondamentaux

À un niveau très général, on peut proposer la définition suivante : est une discrimination toute violation du principe d'égalité en lien avec des critères prohibés. Le principe d'égalité fait partie, au tout premier rang, de la définition de la démocratie française depuis que celle-ci existe. Il est énoncé en effet dans le célèbre Article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, mais aussi dans le préambule de la Constitution de 1946 et dans l'article premier de la constitution de 1958 [1].

Ce principe d'égalité est aussi reconnu aujourd'hui, dans le monde entier, par toutes les démocraties qui adhèrent à la Déclaration universelle des droits de l'homme. C'est donc cela, en fin de compte, que met en péril la discrimination : le principe d'égalité, qui est sans doute le principe le plus fondamental de l'idée moderne de démocratie et de justice.

Plus concrètement, dans toute situation de choix, les décisions et les pratiques seront justes lorsqu'elles se fonderont uniquement sur des critères objectifs et qui paraîtront légitimes dans la situation en question : les ressources pour choisir un locataire, les qualifications pour choisir un employé... Et elles seront discriminatoires dès qu'elles se fonderont sur des critères arbitraires, sans aucune légitimité, et souvent déclarés illégaux, dont les principaux sont la race et l'origine ethnique, le sexe et l'orientation sexuelle, le handicap et la maladie.

1.2. Le principe d'égalité : la grande question des théories contemporaines de la justice

Depuis plus d'une dizaine d'années en France et quatre décennies dans le monde, les analyses sur le principe d'égalité se sont énormément complexifiées. Aujourd'hui, on admet qu'il existe en pratique au moins deux conceptions différentes de l'égalité, qui peuvent parfois s'opposer l'une à l'autre : celle de l'égalité formelle ou abstraite et celle de l'égalité réelle ou concrète.

La première conception est celle sur laquelle s'est historiquement appuyée la France : la loi formelle, qui s'applique de façon uniforme à tous et en toute situation, permet en elle-même de réaliser le principe d'égalité. Mais la pluralité et la complexité du monde contemporain ont amené, en France et plus encore au niveau communautaire européen, à tenir compte de la multiplicité des situations concrètes et à adapter, au besoin, l'application de la loi aux réalités. C'est l'idée d' égalité réelle ou concrète.

Le droit européen, en effet, a rapidement développé une conception de l'égalité plus concrète que celle qui prévalait en France. Dans sa jurisprudence, dès les années 1960, la Cour de justice européenne (CJCE) considère que l'application d'une règle uniforme à des situations différentes peut violer le principe d'égalité et être discriminatoire. Et elle a sanctionné des réglementations qui, par leur uniformité, ne tenaient pas suffisamment compte des différences de situations auxquelles elles s'appliquaient, et en devenaient injustes. Cette conception, au demeurant, n'est pas propre au seul niveau communautaire européen. En droit allemand, par exemple, le j uge peut très bien contraindre l'administration, au nom du principe d'égalité lui-même, à traiter différemment des situations différentes, dans le but de rétablir une égalité réelle. Une telle obligation n'a pas d'équivalent en France aujourd'hui.

Ce qui ne signifie pas que le principe formel, en France aussi, n'ait pas dû s'adapter aux réalités. En vérité, le droit français accepte, quand existent des différences de situations appréciables ou encore objectives, que la règle générale les prenne en compte et soit donc appliquée, en fonction des situations en question, de façon différente. L'exemple de référence en la matière est le jugement du Conseil d'État qui, en 1974, a permis qu'un tarif préférentiel soit appliqué aux habitants de l'île de Ré, et à eux seuls, lorsqu'ils emprunteraient le pont à péage de l'île de Ré... Néanmoins, cette adaptation du principe ne va pas en général, en droit français, jusqu'à exiger que des situations différentes soient traitées de façons différentes. Il est possible de le faire, mais il n'y a pas d'obligation à le faire, comme ce serait en revanche le cas en Allemagne ou à la CJCE. Quoi qu'il en soit, en France y compris, c'est en particulier sur cette théorie des différences de situations qu'il semble possible de justifier ce que les textes européens appellent des actions positives.

1.3. Les différents concepts de discrimination : entre le droit et les sciences sociales

Plusieurs concepts de discrimination ont été définis. Certains servent à qualifier les faits en droit, d'autres ne sont développés que dans les sciences sociales. Le droit européen reconnaît aujourd'hui quatre types de discriminations : la discrimination directe, la discrimination indirecte, le harcèlement et l'instruction de discriminer.

Une discrimination directe se produit lorsque, pour des raisons de race, de sexe, de handicap, etc., une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait dans une situation comparable.

Une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une race, d'un sexe, d'un handicap... donné, par rapport à d'autres personnes.

Le harcèlement est considéré comme une forme de discrimination lorsque se manifeste un comportement indésirable lié à la race, au sexe, au handicap, etc., qui a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

Tout comportement consistant à enjoindre à quiconque de pratiquer une discrimination pour des raisons de race, de sexe, de handicap, etc..., est considéré comme une discrimination.

La loi française, suite aux directives européennes de 2000, a enregistré fin 2001 les qualifications de discrimination directe et indirecte. Mais elle ne définit toujours pas le harcèlement lié à un mobile prohibé, ni l'instruction de discriminer pour un mobile prohibé, comme étant deux types particuliers de discrimination.

En Europe comme en France, le concept de discrimination systémique n'apparaît pour l'essentiel, aujourd'hui, que dans des analyses sociologiques. Il est en revanche utilisé, par exemple, dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada. En essayant de préciser la notion, on pourrait dire que la discrimination systémique est un processus discriminatoire qui fait système au sens où il ne relève pas d'une simple action individuelle à un moment donné, mais plutôt d'une chaîne d'actions, souvent non-intentionnelles, impliquant plusieurs individus mais aussi des règles de fonctionnement et des outils pratiques. Ainsi, l'intermédiaire de l'emploi qui prend l'initiative de ne pas envoyer de candidats de couleur, y compris pour leur bien, auprès d'un employeur qu'il sait être raciste, et sur lequel pèse une contrainte de gestion qui l'incite à continuer de travailler avec cet employeur, pour pouvoir toujours y placer, au moins, des candidats blancs, participe de fait à une discrimination systémique.

Le concept de discrimination institutionnelle dérive de celui de racisme institutionnel avancé par des auteurs américains dès la fin des années 1960. Ce concept a pris plus de poids depuis qu'un rapport officiel et public, en Angleterre, l'a repris à son compte. Le rapport fut remis, à sa demande, au ministre de l'Intérieur en 1999, pour enquêter sur le meurtre raciste d'un jeune britannique d'origine jamaïcaine en 1993, et plus encore pour enquêter sur l'incapacité des institutions policières et judiciaires anglaises, depuis, à traiter ce crime de façon satisfaisante. Dans le rapport il est écrit [Macpherson, 1999]. "Par racisme institutionnel, nous désignons l'échec collectif d'une organisation à fournir un service professionnel et approprié à certaines personnes, du fait de leur couleur, de leur culture ou de leur origine ethnique. Il se manifeste dans des processus, des attitudes et des comportements qui relèvent de la discrimination (...). En l'absence de prise de conscience et d'actions pour l'éliminer, il peut devenir partie intégrante de la culture de l'organisation."

1.4. Discrimination et intégration : comme les deux faces opposées de la même pièce

Récemment en France, on a pu se demander si le nouveau discours sur la discrimination n'allait pas remplacer le vieux discours sur l'intégration. En fait ce sont là les deux faces d'une même pièce.

Il s'agit de la même pièce, parce que de façon paradoxale, il n'y a pas de discrimination s'il n'y a pas eu un minimum d'intégration. Tant qu'il s'agit d' immigrés gardant un statut juridique d'étrangers, confinés sur des emplois délaissés par les nationaux, vivant dans des espaces complètement séparés de la société d'accueil, et tout le monde, eux compris, ayant en point de mire leur retour chez eux, on peut parler de ségrégation, de relégation et d'exploitation radicales, mais il n'y a même pas de sens à parler de discrimination. Pour qu'une personne apparaisse discriminée par rapport aux autres dans l'accès à l'emploi, il faut d'abord qu'elle se présente aux mêmes emplois que les autres et qu'elle fasse valoir sa légitimité à le faire (par une qualification comparable, une expérience, etc.). La même chose vaut pour l'accès au logement, pour l'accès aux droits, et pour tout autre domaine. Il faut vouloir faire comme les autres, avoir tous les moyens de faire comme les autres, et se faire arbitrairement rejeter. En quelque sorte, la discrimination ne frappe que des gens qui sont intégrés mais à qui on refuse de le reconnaître.

En même temps, en termes de perspective d'analyse, intégration et discrimination sont sur deux faces opposées. Le passage du discours de l'intégration à celui de la discrimination représente un vrai renversement. Avec le premier discours, sous sa forme classique, le défaut, la défaillance, le manque, apparaît du côté de la personne à intégrer. Avec le second discours, le défaut, la défaillance, le manque, bascule du côté de la personne, ou du système, qui devrait intégrer, mais qui discrimine. Il y a là comme une inversion de la charge de la faute ; la perspective a radicalement changé. Ce point, crucial mais pas toujours perçu ni assimilé, a été souligné dès le premier rapport public spécifiquement commandé en France pour étudier le sujet de la lutte contre les discriminations, qui fut remis à la ministre de l'Emploi début 1999. Il y est écrit : "on ne gagne rien à raisonner en terme de lutte contre les discriminations si cela ne signifie pas qu'on déplace l'accent d'une réflexion sur les carences des candidats à l'intégration vers une réflexion sur les raideurs de la société d'accueil" [Belorgey, 1999].

1.5. Discriminations et inégalités : elles s'alimentent mais il y a un risque à les confondre

Les discriminations produisent des inégalités, et les inégalités, sans doute, suscitent des discriminations. Les deux concepts ne se situent pourtant pas dans les mêmes espaces de signification, ni en droit, ni en économie, ni en philosophie politique. Et s'il faut se garder de les confondre, c'est surtout qu'on aurait tort de croire qu'une politique contre les discriminations peut remplacer une politique contre les inégalités. Il est une expression commune aux Etats-Unis, et fréquemment reprise ailleurs, pour désigner ce que visent les politiques d'antidiscrimination et d' affirmative action (ou actions positives) : to level the playing field, aplanir le terrain de jeu. Rien n'est dit de ce jeu qu'il reste donc à jouer, ni de ses règles. Mais on comprend que le terrain et le jeu désignés sont ceux des marchés libres, du travail, du logement, etc. Le discours contre les discriminations est, en théorie, entièrement compatible avec la pensée libérale, non seulement au sens du régime politique, mais aussi au sens du fonctionnement économique. Certains points de vue appréhendent même les discriminations essentiellement en termes de distorsions aux règles du marché. Par exemple, ce fut au départ l'unique cadre de pensée, avant qu'on ne se ravise un peu, pour justifier la clause de l'égalité de rémunération sans discrimination fondée sur le sexe incluse dans le Traité fondateur de la Communauté européenne (fiche 1). Les pensées politiques classiques sur les inégalités développent leurs positions différemment vis-à-vis de la figure du marché. Elles déplorent que ce dernier ne sache pas prendre en compte les inégalités structurelles et initiales qui relèvent des mécanismes de la reproduction sociale ou bien des accidents de la vie, et en même temps qu'il ne sache pas se soucier des inégalités qu'il produit, reproduit ou renforce à travers son propre fonctionnement. Dans ce cadre de pensée, les politiques sociales viendront compléter le marché par des mécanismes de couverture minimale, de protection et de redistribution face aux inégalités. Avant d'être d'ordre social, une politique contre les discriminations est d'ordre public. Et les actions positives sont des mécanismes de compensation pour corriger le tort des discriminations, avant d'être des mécanismes de redistribution pour corriger le sort des inégalités. En termes juridiques, avant de mobiliser les droits économiques et sociaux, dits de deuxième génération, l'antidiscrimination mobilise les droits civiques et politiques, dits de première génération. Dans la République démocratique et sociale que se déclare être la France dans sa Constitution, les uns sont tout aussi fondamentaux que les autres. Et s'ils sont complémentaires, ils ne sont pas substituables. On peut donc bien faire une politique contre les discriminations ou une politique contre les inégalités, mais on ne peut prétendre que l'une vaut pour l'autre. Le plus conséquent est de faire les deux.

1.6. Exemples de l'étranger : L'Angleterre, communautariste ou diverse ?

Par Elinor Kelly, Université de Glasgow.

Afin de comprendre l'approche britannique concernant la pro- motion de la diversité ethnique, nous devons nous rappeler que la Grande-Bretagne n'a pas de constitution écrite dans laquelle des principes fondamentaux de gouvernement sont garantis et où la notion de citoyen est clairement définie. Contrairement à la France, le concept britannique de citoyenneté reste très fragile. Après 1945, la Grande-Bretagne a développé le modèle paternaliste du Commonwealth, dans lequel les peuples des anciennes colonies étaient considérés comme des citoyens du Royaume-Uni et autorisés à entrer librement en Grande-Bretagne. Mais dès 1962, les différents gouvernements britanniques donnèrent de plus en plus des statuts privilégiés aux patrials (les colons blancs du vieux Commonwealth, l'Australie, le Canada, l'Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande) et se retournèrent contre les citoyens du nouveau Commonwealth (anciennes colonies africaines, asiatiques et caribbéennes). En 1981, la loi sur la nationalité annula les derniers vestiges des droits des migrants venus des anciennes colonies. Durant les courtes années où les Travaillistes furent au pouvoir, ils passèrent des décrets obligeant à éliminer les formes les plus visibles de discriminations, comme ce genre d'annonces dans les offres de logements : On ne veut ni Noirs ni Irlandais. Durant les périodes où les Conservateurs étaient au pouvoir, les Travaillistes étaient sous une pression sans cesse croissante des mouvements antidiscriminatoires, afin de proposer des réponses concrètes aux peurs et frustrations des victimes. Les syndicats, les organisations de femmes et les minorités ethniques forgèrent une alliance afin de faire pression pour en finir avec l'hégémonie de l'homme blanc. Dans le même temps, des organisations quasi-gouvernementales, comme la Commission pour l'égalité raciale, commencèrent à exercer un pouvoir pour lutter contre les discriminations dans les secteurs privés et publics de la société, et à réaliser un meilleur suivi des minorités discriminées. La nouvelle Loi sur les relations entre les races (2000) est une législation assez radicale qui oblige les autorités publiques à prendre en compte les demandes des minorités ethniques pour lutter contre le racisme et les discriminations. L'approche britannique n'est pas communautariste, mais basée sur la gestion non-discriminatoire, et même valorisante, de la diversité. La valorisation de la diversité culturelle a été un combat hésitant, tendu et difficile entre le gouvernement national et les mouvements anti-racistes, qui ont gagné de puissants alliés chez les syndicats et les organisations religieuses ainsi que dans les municipalités. Les gouvernements travaillistes ont adopté la Loi sur les relations entre les races, mais ils ont aussi appliqué des mesures draconiennes pour tout ce qui touche à l'immigration et au droit d'asile. De plus, une classe blanche très pauvre est apparue, qui se sent exclue du processus de valorisation de la diversité culturelle. Et pour la première fois depuis les années 70, le vote pour l'extrême-droite commence à augmenter.

2. Les mots sont importants

Partant du sujet des discriminations de type racial, il est question ici des principales catégories qui servent à désigner les personnes et qui peuvent être mobilisées dans ce type de discrimination. Mais ce qui est évoqué ci-dessous en termes de stéréotypes arbitraires, de rapports entre les représentations, les sciences et le droit, de pensées du mépris ou de pensées obsessionnelles, pourra souvent être appliqué, corrections faites, à d'autres critères prohibés de discrimination : sexe, handicap, orientation sexuelle, etc.

2.1. Les races

L'idée des races humaines est attaquable aujourd'hui au moins à deux niveaux : celui des sciences de la vie et celui des normes de droit. Ce ne sont sans doute pas les sciences qui ont les choses les plus déterminantes à dire sur la question, pourtant en général on en attend le dernier mot. Peut-être parce que, pendant deux siècles au moins, les sciences occidentales se sont elles-mêmes efforcées de trouver des critères rigoureux pour distinguer les races humaines, avant de démontrer que c'était une erreur.

Le dernier mot est aujourd'hui donné à la génétique. Parmi les tous premiers résultats obtenus lors du séquençage systématique du génome humain, on eut la confirmation que les races n'existent pas [Le Monde du 13 février 2001]. Au sens où chaque individu sur terre partage 99,99% du même code génétique avec le reste des humains, et que sur le 0,01% restant, les variations se marquent essentiellement au niveau individuel : deux individus choisis dans deux prétendus groupes raciaux différents présentent fréquemment une conformité génétique plus totale entre eux que deux individus choisis dans le même groupe. C'est là une confirmation systématique de résultats établis depuis une trentaine d'années sur un nombre croissant de gènes : statistiquement, les variations génétiques entre les prétendus groupes humains, races ou nations d'ailleurs, sont très faibles si on les compare aux différences entre les individus au sein même de ces groupes ; et tous les groupes raciaux se chevauchent quand on étudie la répartition de chaque gène, y compris pour les gènes les plus variables parmi les 0,01% qui ne sont pas identiques pour tous, comme celui du facteur rhésus.

C'est donc de façon tout à fait arbitraire que la pensée de la race retient des différences apparentes et individuelles de couleur de peau ou de traits du visage pour y plaquer des différences de natures et de propriétés collectives qui sont de purs fantasmes, dont les préjugés racistes pourront se prévaloir pour dominer ou pour exclure. Mais précisément parce que cette série d'arbitraires ne se fondent pas sur des arguments empiriques objectifs, mais plutôt, dans l'histoire et encore aujourd'hui, en France y compris [Karaganis, 2003], sur des stéréotypes communs de représentation, sur des schémas de gouvernement et d'administration, sur des intérêts politiques et économiques individuels ou globaux [Marks,1997], on peut se demander jusqu'à quel point la génétique peut maintenant servir à les déboulonner.

Il y a de toute façon un problème évident dans tout raisonnement qui tendrait à dire que l'absence de différences, génétiques ou autres, serait la preuve que nous devons nous respecter. Seuls nos clones seraient donc nos égaux ? Le droit à l'égalité et au respect ne serait donc acquis qu'à ceux qui nous sont identiques ? C'est ici qu'interviennent les normes de droit. L'égalité des droits et le droit au respect, différences ou pas, ça ne se prouve pas, ça se décrète. Et ceci, dans les États de droit démocratiques, parce que les citoyens et citoyennes considèrent, éventuellement par expérience historique, que c'est une règle indispensable pour gouverner les rapports humains. Lorsqu'un régime politique proclame qu'il n'y a pas de race qui tienne pour traiter arbitrairement les personnes, ça n'est pas un constat, c'est une norme [Calvès, 2002].

2.2. Les immigrés

La catégorie immigré n'a reçu que tardivement en France, en 1991, dans le premier rapport du Haut-Conseil à l'intégration, une définition précise et officiellement recommandée, qui associe le lieu et la nationalité de naissance : un immigré en France est une personne née étrangère dans un pays étranger, et qui bien sûr vit en France, qu'elle ait ou non acquis la nationalité française. On peut donc être immigré et français : plus du tiers des immigrés en France sont français. En revanche, ni les Français par acquisition nés en France ni les étrangers nés en France ne sont des immigrés en France. Parce qu'ils sont nés ici.

La proportion d'immigrés est stable depuis 25 ans. Dans la population immigrée, la parité est maintenant parfaite : 50% des immigrés sont des femmes. En termes de provenance par zones géographiques, les immigrés venant d'Europe constituent toujours le premier effectif, bien qu'il soit passé sous la barre des 2 millions lors du recensement de 1999. Sur la décennie précédente, se sont les immigrés des Amériques qui, de très loin, ont connu en proportion la plus forte augmentation (+35%) suivis des immigrés d'Asie (+15%). Depuis la "fermeture des frontières" de 1974, ce n'est qu'au recensement de 1999, que les immigrés d'Algérie se sont hissés au premier rang des effectifs par pays de provenance, pour se contenter d'ailleurs de partager ce rang avec les immigrés du Portugal, qui le détenaient seuls jusque-là. Mais les uns comme les autres sont de toute façon moins nombreux qu'il y a vingt ans.

La perception ordinaire en France sur les immigrés ne se soucie guère de ce type de données. Dans l'imaginaire social français des dernières décennies, les immigrés sont surtout tous ceux, qu'ils soient nés ici ou ailleurs, que l'on peut associer aux anciens colonisés ou au Tiers-Monde en général, plus récemment aux musulmans et aux clandestins. On les situe au bas de l'échelle sociale et pour la plupart on les reconnaît à ce qu'ils ont une race. En effet ce sont essentiellement, les "Arabes" et les "Africains", éventuellement les "Chinois", plus récemment et "ceux de l'Est". En France, pays d'immigration depuis 150 ans et dont tout indique qu'il le restera, l'immigré, ces vingt dernières années notamment, a été l'objet par excellence du mépris social [Bancel et Blanchard, 1998 ; Faber, 2000].

Ce mépris stigmatise la race et la classe sociale à la fois. Si on prend les mots dans leur sens objectif, Mr Owen-Jones, ancien Pdg de L'Oréal, né britannique au Pays de Galles, était un travailleur immigré de la fin des années 1960 en France. Mais il ne venait à l'idée de personne de le considérer comme tel. On s'accordait seulement à penser à l'époque où il quittait ses fonction, qu'il était devenu la plus grosse fortune salariale de France. Il est blanc. Il ne correspond pas au stigmate de l'immigré.

2.3. Les "issus de l'immigration"

Ce qui semble distinguer d'abord les "issus de l'immigration" des immigrés, c'est que les premiers sont les enfants des seconds. En tout cas, les représentations sociales peuplent le premier groupe de jeunes au chômage, alors que le second comporte désormais de vieux travailleurs. Mais est-on "issu de l'immigration" quand on a un parent immigré et un autre qui ne l'est pas ? quand on est soi-même arrivé en bas âge en France avec ses parents immigrés ? quand ses parents sont déjà eux mêmes "issus de l'immigration" ? quand on est l'enfant d'un couple franco-allemand qui a divorcé et dont le parent qui en était venu est retourné en Allemagne ? Les choses se compliquent. Elles ne restent simples, en fait, que quand on se contente des stéréotypes et des figures sociales généralisées en fantasmes.

Dans l'imaginaire social en fait, les "issus de l'immigration" sont le plus souvent assimilés au groupe général et stéréotypé des immigrés, auquel sont associés les préjugés développés plus haut [Viprey, 2002]. Voire pire, car étant jeunes et au chômage ils sont turbulents et inutiles, quand ils ne deviennent pas tous et a priori un danger, délinquants ou intégristes. L'élément de la "race" intervient encore dans l'identification commune des issus de l'immigration: ce seront en particulier ceux qui peuvent être perçus comme des "Arabes" ou des "Noirs". Et on va au mieux considérer en bloc ces derniers, qu'ils soient immigrés ou bien "issus de l'immigration", comme constituant par excellence le problème de l'intégration, sans se soucier des situations objectives. Le fait par exemple que les issus de l'immigration soient nés en France, aient été éduqués et socialisés en France et soient français, semble n'y rien changer ; ça peut même plaider contre eux. Ils sont fantasmés comme corps étrangers.

Quand bien même serait-on plus rigoureux dans l'usage des termes "issus de l'immigration", on peut se demander si cette formule n'a pas aussi pour effet, symboliquement, d'expatrier les gens qu'elle désigne. En les renvoyant sans cesse, à travers la formule qui les qualifie socialement, au voyage qu'ont fait un jour leurs parents, de l'étranger, avant même qu'ils ne naissent.

2.4. Les origines

La définition de cette notion n'est pas claire, y compris scientifiquement, et ses usages communs sont extrêmement biaisés. La définition sur laquelle on pourrait s'accorder soulignerait que l'origine ne dépend pas, à strictement parler, d'un critère lié à la personne que l'on va ainsi qualifier, mais d'un critère lié à ses parents ou ascendants, et qui est en général le lieu de naissance de ces derniers. D'évidence, on relève surtout les origines qui viennent d'ailleurs, l'origine étrangère ou l'origine immigrée, et en particulier quand elles restent visibles, c'est-à-dire quand elles comportent un élément racial, ou plutôt racisé. Et on poursuit cela on ne sait trop jusqu'où : deuxième, troisième génération, voire quatrième aujourd'hui. Ce faisant, on se préoccupe surtout de la dilution de l'origine de ceux dont on souligne par ailleurs qu'ils en ont une qui est particulière. En théorie, si on voulait systématiser ces notions, on constaterait : n'importe qui est la deuxième génération de ses parents et tout le monde a une origine. En pratique, en ne remontant qu'aux grands-parents, on estime au début des anéées 2000 à plus de 18 millions les Français qui ont, à des degrés divers, des origines à l'étranger. À ce niveau, l'imputation des origines immigrées va virer à l'obsession. D'autant que la notion peut très rapidement n'avoir plus de sens, y compris du point de vue de la démographie. Soit, par hypothèse, le couple hétérosexuel suivant : lui est né à Lyon de parents venus d'Algérie, et elle, encore enfant, a immigré ici du Portugal. Quelle origine immigrée, réelle ou supposée, se verra donner leur fille née à Lyon ? Est-elle d'abord d'origine portugaise, ou bien algérienne, ou les deux à la fois ? Européenne ou noneuropéenne, méditerranéenne ou atlantique, ou les deux à la fois ? Ou bien dira-t-on qu'elle est, pour faire scientifique, d' origine "luso-maghrébine" ? Enfin peut-on soutenir, sérieusement, qu'elle est de la deuxième génération de l'immigration par sa mère et de la troisième par son père en même temps ? Une seule chose est claire : elle est française de naissance.

2.5. Exemples de l'étranger : de nouvelles catégories dans les derniers recensements britanniques

En Grande-Bretagne, de premières catégorisations publiques des migrants furent utilisées pour distinguer les "patrials", blancs, venant du vieux Comonwealth, des ressortissants du nouveau Commonwealth (Inde, Afrique de l'Est, Caraïbes). Puis l'habitude se développa d'utiliser un mélange de critères basés sur la nationalité, la géographie et le phénotype racial : Blanc, Noir, Asiatique, Caribéen, Pakistanais, Chinois, etc... Ces catégories servirent de base pour le recensement de 1991. La question des statistiques dites ethniques et de la catégorisation des identités n'en agite pas moins les scientifiques britanniques, tout comme les français. La statistique publique peut-elle et doit-elle utiliser des catégories ethniques et raciales ? Ce que la question ethnique dans le recensement britannique de 1991 a tenté de faire, c'est essentiellement de déterminer l'image à laquelle les membres de la société britannique s'assimilent eux-mêmes. Le concept d' ethnicité qui en a résulté a bien sûr un caractère essentiellement subjectif, il a donné naissance à un répertoire de catégories que l'on aurait du mal à définir, où se côtoient des éléments "raciaux" (Blancs, Noirs), des origines nationales (Indiens, Chinois) et des combinaisons racio-géographiques (Noirs-africains, Noirs-caribéens). Les termes et les contextes des débats français et britannique diffèrent quelque peu. Ainsi en Grande Bretagne, les critiques adressées aux nouvelles catégories dans le recensement viennent surtout de ceux qui promeuvent des classifications ethniques plus rigoureuses. Tandis que les Français, qu'ils défendent ou critiquent les dénominations ethniques, ne peuvent développer ce débat qu'à propos d'enquêtes spécifiques et ponctuelles, concernant l'intégration des immigrés et de leurs enfants, la transmission des langues régionales ou étrangères, etc... En France, le débat est contenu très en deçà de l'introduction d'une question ethnique dans le recensement général de la population. En Angleterre, la Loi sur les relations entre les races de 1976 avait introduit une notion de minorité "ethnique" qui ne permettait pas de couvrir, par exemple, les Musulmans, ce qui avait pour conséquence que ces derniers n'avaient pas la même protection que d'autres minorités face aux discriminations. L'affaire Salman Rushdie en 1989 provoqua de nombreuses polémiques, y compris sur le fait que l'Angleterre accorde une protection contre le blasphème à diverses sensibilités chrétiennes, mais pas à d'autres religions. Au terme de nombreux débats, il fut décidé que le recensement suivant, celui de 2001, inclurait une question relative à la religion en plus de la question relative à l' ethnie. Les gens furent libres de répondre ou non à la question "Quelle est votre religion ?", les réponses proposées étant : aucune - chrétienne - bouddhiste - hindoue - musulmane - sikh - autre. En même temps en 2001, la question ethnique du recensement a été modifiée par rapport à celle de 1991, pour être organisée en deux temps. À la question "Quel est votre groupe ethnique ?", les gens devaient d'abord choisir une option qui était essentiellement raciale, parmi : Blanc - Métis (Mixed) - Asiatique - Noir - Chinois ou autre. Puis ils devaient préciser leur héritage culturel : Britannique, Irlandais ou autre pour les Blancs - Blanc et Noir caribéen, Blanc et Noir africain, Blanc et Asiatique ou autre pour les Métis - Indien, Pakistanais, Bengali ou autre pour les Asiatiques - Caribéen, Africain ou autre pour les Noirs - Chinois ou autre pour le dernier groupe.

3. Le refus de la discrimination au coeur des politiques de l'Union Européenne et l'influence des directives européennes sur le droit français

Du fait de la nature même du projet de Communauté européenne, le refus de la discrimination, au moins sur le critère de nationalité, s'est logiquement trouvé au centre du droit communautaire européen. Dès le début, entre les membres de la Communauté européenne créée par le traité de Rome, en 1957, la nationalité des personnes physiques ou morales est par définition un critère interdit de discrimination. Et cela pour des raisons essentiellement économiques.

A la suite du Traité d'Amsterdam, et particulièrement de l'article 13, ajouté au Traité de la Communauté Européenne, le Conseil de l'Union européenne adopte deux directives et un programme d'action communautaire de lutte contre les discriminations. L'ensemble a constitué ce que l'on a appelé le paquet antidiscrimination.

Progressivement, sous la pression du droit européen, le code pénal français est complété par la loi contre les discriminations et renforcé par la loi de modernisation sociale. L'efficacité de cette architecture juridique interroge maintenant les pratiques des acteurs du droit comme ceux de la société civile.

3.1. Le développement de l'antidiscrimination relative au sexe

L'article 119 du Traité de Rome est resté longtemps ignoré

Le traité de Rome créant la Communauté européenne avait incidemment posé, dans son article 119, une autre règle antidiscriminatoire que celle relative au seul critère de nationalité : Chaque État membre assure [...] l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail. Cet article fut d'abord adopté pour une raison purement économique, sur l'insistance des milieux patronaux français... En effet, à l'époque, suite à l'action politique de féministes françaises dans les années 1940, la France était le seul pays, parmi les six membres fondateurs de la Communauté européenne, à s'être doté d'une législation en bonne et due forme sur l'égalité des salaires des femmes par rapport aux hommes, à travail égal. Les employeurs français faisaient valoir que leurs coûts salariaux étaient dès lors devenus supérieurs à ceux d'autres employeurs européens (comme les Hollandais) et qu'il y avait donc là une barrière inacceptable à une juste compétition économique au sein du marché commun... À telle enseigne que cet article 119 devait d'abord s'inscrire dans la partie du traité sur les règles de concurrence, avant que l'on s'avise de le présenter plutôt comme un outil de l'harmonisation, au sein de la Communauté européenne, des dispositions sociales (d'ailleurs perçues d'abord comme des coûts sociaux).

Tout au long des années 1960, les États membres ont tout simplement ignoré l'article 119, et absolument rien ne fut entrepris par les gouvernements nationaux pour le faire appliquer. Ce qui se passa ensuite est d'autant plus fascinant, et démontre que, parfois, l'initiative d'individus déterminés peut avoir des effets jusqu'au sommet des systèmes politiques.

Les arrêts Defrenne modifient la donne

À la fin des années 1960, Éliane Vogel-Polsky est une avocate belge spécialisée en droit du travail. Elle est aussi féministe, et persuadée qu'il y a quelque chose à faire de l'article 119. Elle rencontre le cas de Gabrielle Defrenne, belge aussi, ancienne hôtesse de l'air de la Sabena, contrainte à la retraite à 40 ans. Car en effet, telle est alors la règle pour les hôtesses de l'air. Mais pas pour les stewards. Ceux-ci peuvent prolonger leur carrière 15 ans de plus, ce qui leur permet évidemment d'atteindre des salaires et des niveaux de retraite bien supérieurs. Pourtant, les femmes hôtesses de l'air et les hommes stewards font le même travail. Sauf que les femmes, en plus, se doivent bien entendu de rester jeunes et jolies... Gabrielle Defrenne considéra qu'une discrimination lui était faite pour la seule raison qu'elle était une femme, et en appela à la justice. Arguant de l'article 119 du traité européen, Éliane Vogel-Polsky fit remonter l'affaire au-delà des tribunaux belges, jusqu'à la Cour de justice européenne, et ceci par trois fois, en 1970, 1975 et 1977. Et les arrêts Defrenne de la Cour européenne sont tout simplement devenus historiques. En effet, les procureurs généraux et les juges européens ont alors établi : que l'article 119 avait créé un droit individuel, qui pouvait être, directement, invoqué devant les tribunaux de n'importe quel pays de la Communauté européenne (nouveaux adhérents compris), indépendamment de l'état de la question dans la législation nationale concernée. L'article 119 procédait du principe général de l'égalité ou de la non-discrimination, dont le respect, touchant aux droits fondamentaux de la personne humaine, devait être une pierre angulaire de l'ordre juridique communautaire européen.

Les arrêts Defrenne ont amorcé un vaste mouvement qui se poursuit encore aujourd'hui.

Dans leur sillage immédiat (et aussi sur la base des travaux d'une troisième femme, Évelyne Sullerot, sociologue française), les instances européennes ont élaboré et adopté, coup sur coup, trois législations : en 1975, la directive sur l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins ; en 1976, la directive sur la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle, et les conditions de travail ; en 1978, la directive sur la mise en œuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale.

Rappelons qu'une directive européenne impose que les règles qu'elle énonce soient intégrées, à terme, dans le fonctionnement juridique ou administratif des États membres. Bien plus contraignantes qu'une simple déclaration d'intention politique, comme l'était l'article 119 à ses débuts, ces trois directives étendent le domaine de l'égalité femmes-hommes : rémunérations, emploi effectif, régimes sociaux du chômage, de l'invalidité ou de la retraite. Elles incluent des critères qui sont indirectement , mais de fait, liés au sexe, tels l'état matrimonial ou l'éducation des enfants. Dans les années 1980, c'est de nouveau la jurisprudence de la Cour de justice européenne (CJCE) qui fera parler d'elle. D'abord par une série de condamnations de certains États membres, pour leur échec à se conformer complètement aux directives sur l'égalité femmes-hommes (les plaintes furent déposées par la Commission européenne elle-même) : contre le Luxembourg en 1982, contre le Royaume-Uni en 1983, contre le Danemark et contre l'Allemagne (de l'Ouest) en 1985, contre la France en 1988. D'autre part, sur certains cas individuels, la CJCE va rendre des arrêts de principe consacrant au niveau européen de nouveaux concepts juridiques : la qualification de discrimination indirecte (arrêt Bilka de 1986) et la procédure de partage de la charge de la preuve (arrêt Danfoss de 1989, sur une plainte collective portée par un syndicat). Une dizaine d'années plus tard, face à la lenteur de l'adoption de ces nouveaux outils par les tribunaux nationaux, les instances communautaires vont décider de les imposer au moyen d'une nouvelle directive : en 1997, la directive relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe. Cette année 1997 va marquer un tournant. La directive qui vient d'être citée est encore strictement consacrée à la discrimination fondée sur le sexe, mais elle instaure des concepts juridiques d'une portée plus générale, et qui vont bientôt pouvoir être appliqués à un domaine beaucoup plus large. Car en effet, cette même année 1997, d'autres événements vont considérablement élargir la compétence, en matière antidiscriminatoire, de ce qui est devenu, entre temps, l'Union européenne.

3.2. L'antidiscrimination au-delà du sexe

Discrimination directe et discrimination indirecte

La directive européenne relative à la charge de la preuve de 1997 a donc pour but d'accélérer la reconnaissance, dans tous les États membres, d'outils juridiques déjà promulgués par la CJCE depuis une dizaine d'années : la procédure de partage de la charge de la preuve , mais aussi la qualification de discrimination indirecte.

La directive donne la définition légale suivante du concept de discrimination indirecte : Aux fins du principe de l'égalité de traitement [...], une discrimination indirecte existe lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre affecte une proportion nettement plus élevée de personnes d'un sexe [que de l'autre].

Prenons l'exemple concret de l'affaire Bilka jugé par la CJCE en 1986. Dans une entreprise, les salariés à temps partiel - critère apparemment neutre - se voient interdire l'accès à un avantage qui est réservé aux salariés à temps plein. Le groupe des salariés à temps partiel étant composé en grande majorité de femmes, le désavantage que les femmes subissent, de fait, relève d'une discrimination indirecte relativement au sexe. Pour respecter le droit communautaire, il s'agira simplement d'octroyer le même avantage aux salariés à temps partiel et à temps plein. Quant à la procédure du partage de la charge de la preuve, la directive de 1997 la décrit en ces termes : dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement.

Le caractère généraliste de ces formulations, ne spécifiant aucun mobile particulier de discrimination, va permettre à la législation européenne d'étendre la règle du partage de la charge de la preuve.

La naissance d'outils contre les discriminations liées à l'origine raciale ou ethnique

Au début des années 1990, un réseau informel d'ONG européennes qui travaillaient pour la défense des migrants, le Starting Line Group, avança l'idée, auprès de la Commission et du Parlement européen, d'une directive contre les discriminations sur l'origine raciale ou ethnique. Mais le premier obstacle à cette proposition était l'absence, dans le Traité instituant la Communauté européenne, d'une base légale donnant compétence aux institutions communautaires pour agir sur ce sujet. Les ONG firent donc campagne pour l'inclusion d'une nouvelle clause antidiscriminatoire à la prochaine révision du Traité. Elles purent s'appuyer sur les arguments devenus classiques de la vocation à l'antidiscrimination de la construction européenne : favoriser la libre circulation et la libre activité, au sein du marché commun, des Européens de couleur, d'ascendance immigrée, des religions minoritaires, et de tous les résidents légaux quelle que soit leur nationalité. Les ONG purent s'appuyer aussi sur les textes européens de l'antidiscrimination entre femmes et hommes (article 119 et directives), pour présenter leurs propositions comme une simple extension logique de ce sur quoi l'Europe s'était déjà engagée. Dans un contexte où le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie semblaient augmenter en Europe (profanations de cimetières en France, incendies de foyers en Allemagne), la Commission européenne, la majorité du Parlement puis des États membres se rallièrent peu à peu à ces arguments.

En 1995, la Commission adopta sa première communication contre le racisme, où elle formula, entre autres choses, la question d'amender le traité européen pour établir une législation européenne en la matière. Sous l'égide de la Commission, au Sommet du dialogue social de Florence, les partenaires sociaux européens (association patronale UNICE et confédération syndicale CES) adoptèrent une Déclaration commune sur la prévention de la discrimination raciale et de la xénophobie et la promotion de l'égalité de traitement sur le lieu du travail . Enfin deux réalisations importantes sont prévues pour 1997 : l'Année européenne contre le racisme et l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes. Année européenne contre le racisme, 1997 permit de mobiliser et de construire des partenariats au sein des sociétés civiles et des pouvoirs publics en Europe. Elle consacra aussi, définitivement, le rôle des institutions européennes sur cette question. En juin 1997 fut créé l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes, qui fut installé à Vienne. Il a reçu pour mission de : collecter et analyser les données sur le racisme et la xénophobie en Europe afin notamment de fournir aux institutions européennes et aux États membres des informations objectives et comparables.

Le refus des discriminations s'inscrit dans le Traité instituant la Communauté européenne.

Les droits et les politiques antidiscriminatoires vont acquérir une place majeure et définitive dans les activités de l'Union européenne grâce à ce qui reste l'événement primordial de cette même année 1997 : la signature en octobre du traité dit d'Amsterdam. Entre autres décisions prises à Amsterdam, un nouvel article 13 fut ajouté au Traité instituant la Communauté européenne, article qui est ainsi rédigé : "Sans préjudice des autres dispositions du présent traité et dans les limites des compétences que celui-ci confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle." Deux règles déterminantes sont établies ici. Premièrement : le combat contre la discrimination est une compétence législative et politique qui est directement de niveau communautaire au sein de l'Union européenne, c'est-à- dire au-dessus des niveaux étatiques nationaux, et à l'initiative des instances propres de l'Union ; et c'est le traité fondateur, qui est comme une quasi Constitution de l'Europe, qui le dit. Deuxièmement : ce combat est désormais mené à l'encontre de toutes les formes de discriminations, fondées sur une série de mobiles prohibés, dont une liste explicite est donnée.

C'est ce nouvel article 13, introduit en 1997, entré en vigueur en 1999, qui a directement permis à l'Union européenne d'adopter (dès 2000) deux directives et un programme d'action de lutte contre les discriminations. L'ensemble de ces deux directives et de ce programme a été appelé le paquet antidiscrimination. C'est aussi grâce, notamment, à cet article 13, que va être reconnu officiellement le problème public des discriminations "raciales" en France.

3.3. Le « paquet antidiscrimination », un cadre pour l'Union Européenne

La directive dite "RACE" contre toutes les discriminations raciales

La première directive, dite "RACE", fut adoptée en juin 2000, elle a pour objet d'établir un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur "la race ou l'origine ethnique". la seconde directive, dite "EMPLOI", fut adoptée en novembre 2000, elle a pour objet d'établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle, en ce qui concerne l'emploi et le travail. Le programme d'action communautaire de lutte contre toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle, a été adopté pour la période 2001-2006.

Les directives demandent aux quinze États de l'Union européenne d'intégrer pour 2003, dans leur fonctionnement intérieur, les règles qu'elles posent. Le programme d'action communautaire se déroule sous forme d'une série d'appels d'offre et de subventions, proposés à l'ensemble des acteurs européens.

La première directive a comme titre officiel : Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe d'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique.

Ces deux types de discrimination sont définis ainsi :

- une discrimination directe se produit lorsque, pour des raisons de race ou d'origine ethnique, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait dans une situation comparable ;
- une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une race ou d'une origine donnée par rapport à d'autres personnes [...]»

Un traitement appliqué est donc discriminatoire de façon directe lorsqu'il utilise clairement un critère illégal, ici la "race" ou "l'origine ethnique" d'une personne. La discrimination subie par cette personne est mesurée en la comparant au traitement fait à une personne d'une autre race ou origine ethnique dans une situation comparable. Cette comparaison peut se baser sur des faits présents (une autre personne est traitée), sur des faits passés (a été traitée), ou encore sur des déductions (serait traitée) qui pourront par exemple utiliser des résultats de testing. Lorsqu'une règle ou une pratique semble neutre, mais devient discriminatoire dans ses effets provoqués, alors la discrimination est indirecte. Elle se mesure toujours par comparaison, cette fois-ci dans les effets inégalitaires qu'entraîne la mesure apparemment neutre sur des personnes différentes relativement à un critère illégal, ici la race ou l'origine ethnique . Comme pour la discrimination directe, le repérage d'une discrimination indirecte peut s'appuyer sur un raisonnement de déduction (une pratique apparemment neutre susceptible d'entraîner), en utilisant pourquoi pas des analyses et résultats établis par ailleurs en sociologie, économie, psychologie, etc...

Deux autres formes de discrimination sont définies : "le harcèlement, et la demande de discriminer. "Le harcèlement est considéré comme une forme de discrimination [...] lorsqu'un comportement indésirable lié à la race ou à l'origine ethnique se manifeste, qui a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.". Enfin, tout comportement consistant à enjoindre à quiconque de pratiquer une discrimination à l'encontre de personnes pour des raisons de race ou d'origine ethnique est considéré comme une discrimination."

Suite à ces définitions de différents types de discriminations, la directive RACE précise son domaine d'application. Il est très large. La directive s'applique aux organismes publics comme au secteur privé, en ce qui concerne tout d'abord l'emploi et le travail, salarié ou pas, que ce soit en matière de sélection, de recrutement, de promotion, d'orientation professionnelle, d'apprentissage et de formation, de conditions d'emploi et de travail, de licenciement, de rémunération, d'accès à une organisation de salariés ou d'employeurs ou à un corps professionnel. Mais la directive RACE s'applique aussi aux domaines publics et privés de la protection sociale et des avantages sociaux, de l'éducation, de l'accès aux biens et aux services et de la fourniture de biens et de services, y compris en matière de logement.

La directive autorise ensuite ce qu'elle appelle l' action positive : Pour assurer la pleine égalité dans la pratique, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un État membre de maintenir ou d'adopter des mesures spécifiques destinées à prévenir ou à compenser des désavantages liés à la race ou à l'origine ethnique. Cette idée d' action positive, au départ anglaise et maintenant européenne, est comparable à l' affirmative action dans d'autres pays (États-Unis, Afrique du Sud, etc). On la traduit en général en France par discrimination positive, ce qui est plutôt une mauvaise formule, contradictoire en français et pouvant générer, du coup, la confusion.

La directive impose par ailleurs de nouvelles règles de fonctionnement dans les procès pour discrimination : le partage de la charge de la preuve. Concrètement, la personne qui se plaint d'une discrimination à la justice doit seulement apporter des indices qui permettent de supposer qu'il s'est passé une discrimination. La personne mise en cause alors doit prouver qu'il n'y a pas eu de discrimination dans la situation en question. Ce partage du travail dans la production des preuves a pour objectif de rendre moins difficile la tâche des victimes de discrimination. Tant que celles-ci devaient tout prouver, en général elles n'y arrivaient pas.

Pour finir, la directive commande la mise en place, par chaque État de l'Union européenne, d'un organisme indépendant chargé de combattre la discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique. Cet organisme doit pouvoir, au sein de son État : apporter une aide indépendante aux personnes victimes d'une discrimination, y compris pour déposer plainte et engager une procédure ; conduire des études indépendantes concernant les discriminations ; publier des rapports indépendants et émettre des recommandations, sans restriction. Les États de l'Union européenne doivent avoir adopté, au plus tard en juillet 2003, toutes les mesures nécessaires, dans leur fonctionnement interne, pour appliquer ce que demande la directive RACE.

La directive EMPLOI contre les discriminations dans le travail

Cette seconde directive du paquet antidiscrimination porte le titre officiel de Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail. Son objectif est de combattre, en même temps, les discriminations dans les domaines de l'emploi et du travail liées à la religion, aux convictions, au handicap, à l'âge ou à l'orientation sexuelle. Elle ne reprend pas les mobiles du sexe et de la race ou origine ethnique, qui sont déjà traités par leur directive respective. L'ensemble des directives européennes permet donc à ce jour de couvrir tous les mobiles de discrimination identifiés par le nouvel article 13 du Traité de la Communauté Européenne, à tout le moins dans les domaines de l'emploi et du travail.

Le reste du contenu de la directive EMPLOI est identique à ce que demande la directive RACE, c'est à dire : mêmes définitions, et mêmes condamnations, des quatre formes de discrimination : discrimination directe et indirecte, harcèlement, et instruction de discriminer ; même autorisation et même définition de l'action positive ; même capacité à se porter en justice, en appui ou même à la place d'une victime, pour toutes les organisations ayant un intérêt à agir, ici les syndicats plus particulièrement ; même définition de la procédure de partage de la charge de la preuve ; même protection contre les rétorsions, en l'occurrence dans le monde du travail ; même promotion du dialogue social et du dialogue avec les associations.

3.4. L'influence des innovations du droit communautaire sur le droit français

Du faible usage du droit européen

Tous secteurs confondus (emploi, biens et services, etc.), au civil ou au pénal et toutes qualifications ensemble (discriminations raciales, violences et injures racistes ou xénophobes, diffamations et provocations à la haine raciale), on comptait en France une dizaine de condamnations en moyenne par an, pour discrimination sur la race ou l'origine , dans les années 1990. Sur la même période en Grande-Bretagne, 2000 condamnations en moyenne par an étaient prononcées...

L'argument invoqué est celui de la difficulté de la preuve en matière de discrimination, difficulté qui est bien réelle dans la plupart des cas. Mais a-t-on fait jusqu'à présent en France suffisamment appel aux outils qu'a établis le droit européen pour faciliter la constitution de la preuve : partage de la charge, indifférence de l'intention, déduction abstraite ou statistique de la discrimination, discrimination indirecte.

Désormais la législation européenne demande que ces outils soient appliqués à tous les types de discrimination. L'une des difficultés rencontrées dans les pratiques judiciaires françaises tient au fait que la procédure pénale  y est constituée comme la voie habituelle du traitement des discriminations. La faiblesse du traitement civil [2],  était due pour l'essentiel au fait que la charge de la preuve reposait entièrement sur la victime, qui était isolée et sans réels moyens d'enquête, à la différence du procureur ou du juge d'instruction qui intervient en procédure pénale. Mais à cela il y a une contrepartie de taille : le code pénal français, en même temps qu'il qualifie la discrimination de délit, pose qu'il n'y a point de délit sans intention de le commettre. Pour condamner une discrimination au pénal, il faut donc prouver les faits, puis prouver qu'une intention caractérisée est derrière ces faits, et enfin il faut pouvoir imputer directement l'ensemble à un coupable bien identifié.

Le code pénal...

Le code pénal français a pour autre limite de réserver la définition du délit de discrimination à quelques situations précisément énumérées dans l'article 225-2 : le refus, sur un critère prohibé (origine, sexe, etc.), de fournir un bien ou un service ; l'entrave à l'exercice normal d'une activité économique quelconque ; le refus d'embauche, la sanction ou le licenciement ; la subordination d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur un critère prohibé ; la subordination d'une offre d'emploi à une condition du même ordre. Ce à quoi la loi du 16 novembre 2001 ajoutera : la subordination d'une demande de stage, ou d'une période de formation en entreprise, à une condition fondée sur un critère prohibé ; le refus d'accepter une personne en stage sur un tel critère, en particulier lorsque la personne doit accomplir ce stage dans le cadre de sa scolarité ou de ses études, de sa formation professionnelle continue, de sa rééducation professionnelle. Restent donc exclues de la condamnation pénale, par exemple, les discriminations liées aux conditions de travail et aux rémunérations, aux rapports avec les administrations, les pouvoirs publics ou les forces de l'ordre, etc... En revanche, le code pénal énonce on ne peut plus clairement une idée très importante mais rarement soulignée : la discrimination doit également être condamnée lorsqu'elle est appliquée à des personnes morales (des entreprises, des associations, des écoles) à cause des caractéristiques des membres, ou de certains membres seulement, de ces personnes morales (origine, handicap, nation, orientation sexuelle, religion, etc.). Si l'efficacité du traitement judiciaire des discriminations, aujourd'hui en France, réclame que la voie pénale cesse d'être considérée comme la voie normale de façon systématique, il ne s'agit pas non plus de l'abandonner complètement. Dans les cas où il apparaît que la voie pénale peut aboutir (notamment quand l'intention de discriminer est manifeste), elle doit même sans doute être privilégiée, afin que des parties civiles puissent se constituer et que le ministère public puisse requérir la condamnation des délinquants, les discriminateurs intentionnels, qui violent somme toute le Préambule et l'Article premier de notre Constitution, et sont passibles aujourd'hui de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. C'est en tout cas sur cet héritage, juridique et judiciaire, que la France a dû se préoccuper de transposer, dans son droit interne, les règles innovantes posées par les directives européennes SEXE en 1997 puis RACE et EMPLOI en 2000.

...complété par la loi contre les discriminations...

Pour l'essentiel, la loi du 16 novembre 2001 a complété le code du travail, qui énonçait déjà quelques règles anti-discriminatoires, en particulier dans son article L.122-45. Voici cet article du code du travail modifié notamment par cette loi tel qu'il était rédigé avant la réforme du code du travail en Mai 2008 (il correspond aujourd'hui à l'article L1132-1) : "Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme ou, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail [...], en raison de son état de santé ou de son handicap.

Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire visée à l'alinéa précédent en raison de l'exercice normal du droit de grève. Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux alinéas précédents ou pour les avoir relatés.

En cas de litige relatif à l'application des alinéas précédents, le salarié concerné ou le candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Toute disposition ou tout acte contraire à l'égard d'un salarié est nul de plein droit".

L'apparence, le nom, la race supposée : de nouveaux critères interdits

La liste des critères discriminatoires a été complétée (et cette même liste a été adoptée dans le code pénal). Avant la loi de novembre 2001, le droit français interdisait déjà de prendre en compte bon nombre de ces critères. En ajoutant ceux de l'orientation sexuelle et de l'âge, le droit français intègre l'ensemble des critères interdits par le droit communautaire européen depuis 1997. Le droit français va plus loin. Il souligne qu'il n'est pas du tout important qu' une ethnie, une nation ou une race soit vraie ou supposée pour interdire toute discrimination sur cette base. Il interdit aussi des critères entièrement nouveaux, comme l'apparence physique et le patronyme.

Toute la vie au travail est désormais couverte, même les stages Auparavant, le code ne condamnait la discrimination qu'au moment du recrutement, de la sanction et du licenciement. Tous les aspects essentiels de la vie professionnelle ont été ajoutés : rémunération, formation, affectation, classification, promotion, mutation, etc... De plus, le "notamment" qui commence la liste indique que celle-ci reste ouverte : l'esprit de la loi est de couvrir l'ensemble des relations et des conditions de travail. La loi est par ailleurs très claire sur un nouveau domaine : l'accès aux stages et aux périodes de formation en entreprise. En ce domaine la discrimination est maintenant condamnée en toutes lettres, non seulement dans le code du travail mais aussi dans le code pénal.

Le partage de la charge de la preuve et la discrimination indirecte.

Le traitement d'un litige pour discrimination devant un tribunal civil (dans le domaine du travail il s'agira des prud'hommes), doit aujourd'hui suivre trois temps qui impliquent trois acteurs. Pour éviter les recours abusifs, c'est le demandeur qui doit apporter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination. Dans un deuxième temps, la partie adverse doit prouver qu'elle s'est, au contraire, appuyée sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Troisièmement, sur la base de tous ces éléments, et de compléments d'instruction éventuels, le juge forme sa décision. En utilisant à plusieurs reprises la formule de discrimination directe ou indirecte, la loi de novembre 2001 inscrit pour la première fois ces deux concepts dans la législation française. Mais aucune définition n'en étant donnée, ce sont les définitions, détaillées, des directives européennes SEXE, RACE et EMPLOI, qui devront être utilisées en France.

L'accroissement du pouvoir des acteurs contre la discrimination.

Les organisations syndicales représentatives des salariés ont maintenant la capacité d'agir en justice à la place d'une personne discriminée. Le syndicat qui agit à la place d'une victime présumée n'a pas à obtenir un mandat de celle-ci, mais il doit obligatoirement l'en avertir, celle-ci conservant le droit de s'y opposer. Les associations dont le principal objet est la lutte contre les discriminations depuis au moins cinq ans, peuvent désormais, comme les syndicats, agir en justice pour le compte d'une victime présumée. Mais les associations, elles, doivent obtenir un mandat écrit de la victime, qui garde la possibilité de suspendre l'action à tout moment. L'association ou le syndicat qui agissent en justice à la place d'une victime présumée de discrimination, bénéficient eux aussi de la procédure de partage de la charge de la preuve. Les délégués du personnel ont le devoir de signaler à l'employeur toute discrimination qui se produirait dans l'entreprise, qu'elle soit directe ou indirecte, et relative à tout événement de la vie professionnelle. En cas de désaccord ou en l'absence d'action de l'employeur, le délégué du personnel peut saisir les prud'hommes. Les inspecteurs du travail ont le pouvoir de verbaliser directement toute discrimination et d'en contrôler l'absence dans une entreprise, en se faisant communiquer tout document ou tout élément d'information, quel qu'en soit le support : par exemple les entretiens annuels d'évaluation [Kapp, 2003].

La mise en place de protections pour les victimes et les témoins.

Le licenciement d'un salarié, s'il fait suite à une action pour discrimination engagée par ce salarié ou en sa faveur par un syndicat, et s'il est établi qu'il n'a pas de cause sérieuse, et constitue en réalité une mesure punitive, sera nul et de nul effet. La réintégration du salarié est de plein droit. Si celuici ne veut plus reprendre son emploi, il lui sera versé, en plus de l'indemnité de licenciement classique, une indemnité spécifique correspondant au minimum aux six derniers mois de salaires. De même, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié, ou faire l'objet d'une mesure punitive pour avoir témoigné d'une discrimination. Cela vaut pour le privé comme pour la fonction publique.

...et la loi de modernisation sociale

Lutte contre les discriminations dans la location des logements

Sous ce titre, la loi de janvier 2002 a étendu au domaine du logement les principales innovations que la loi de novembre 2001 a introduit dans le code du travail : nouveaux critères interdits, reconnaissance de la discrimination directe et indirecte (mais toujours sans définition), partage de la charge de la preuve. Aucune personne ne peut se voir refuser la location d'un logement en raison de son origine, son patronyme, son apparence physique, son sexe, sa situation de famille, son état de santé, son handicap, ses mœurs, son orientation sexuelle, ses opinions politiques, ses activités syndicales ou son appartenance ou sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. En cas de litige relatif à l'application de l'alinéa précédent, la personne s'étant vu refuser la location d'un logement présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Quelques règles très pratiques sont précisées. Ainsi, l'absence de nationalité française ne peut empêcher de se porter garant du locataire. Le propriétaire ou son représentant ne peuvent pas, avant d'établir un contrat de location, demander aux candidats de leur fournir une photo d'identité...

Lutte contre les harcèlements au travail

Dans cette autre partie, la loi de janvier 2002 introduit en droit français, dans le code du travail mais aussi dans le code pénal, la qualification de harcèlement moral. En outre, elle modifie et complète le code du travail sur le sujet du harcèlement sexuel. Le législateur français n'a pas saisi cette occasion pour qualifier explicitement les harcèlements, à la demande des directives européennes, comme une forme de discrimination. On peut considérer pourtant que le harcèlement sexuel faisant énormément plus de victimes parmi les femmes que parmi les hommes, son caractère de discrimination est établi. De même que le harcèlement sur l'origine (une qualification absente du droit français), dès lors qu'il touche beaucoup plus les personnes perçues comme étant d'origine étrangère que les autres, est discriminatoire. Il en ira de même pour l'orientation sexuelle, l'âge, l'apparence physique, le handicap, etc. Par ailleurs, les dispositions de la loi de janvier 2002 sur les harcèlements renvoient très clairement à celles de novembre 2001 sur les discriminations, soit en évoquant directement le sujet, soit à travers les formulations employées, et en tout cas du fait des outils juridiques qui sont introduits. Sur ce dernier point il faut citer : le partage de la charge de la preuve au civil, la capacité des syndicats à exercer en justice à la place d'un-e salarié-e (mais avec son accord écrit), la protection des victimes et des témoins.

Nous complétons et actualisons les ressources sur ce thème par cet article d'Eric Cédiey datant du 12 Juin 2008, "Anti-discrimination dans le contexte juridique français".

Pour aller plus loin

4. Des discriminations multiformes : focus sur les discriminations dans l'emploi, dans l'accès au logement et à l'école

Le travail, en France, est communément considéré comme la principale condition de ce que l'on appelle l'intégration. Or les discriminations en général, et les discriminations raciales en particulier, y sont fortement présentes. Le domaine du logement, question tout aussi vitale pour les individus, est l'un des autres domaines où s'exprime la discrimination raciale, que ce soit dans le parc public ou dans le secteur privé. Mais, la discrimination n'est pas toujours aisément identifiable, car elle se réalise souvent sur fond de phénomènes de ségrégations qui relèvent moins de la discrimination que de la traduction, dans l'espace urbain, des inégalités sociales. Ensuite, plus spécifiquement du côté du logement social et des politiques locales de l'habitat, l'énoncé des objectifs de mixité sociale impose des sélections qui prennent en compte l'origine ethnique et raciale des ménages (donc des critères illégitimes au regard de la loi). Ce n'est pas la moindre des questions que pose cette notion même, dès qu'on l'interroge. Enfin, présenter la problématique des discriminations raciales dans le système scolaire français reste toujours très sensible puisque, de fait, elle attaque les fondements du modèle républicain d'intégration car l'école française est, dans ses principes, indifférente aux différences et reste dans l'esprit de beaucoup le dernier rempart de la République. Pourtant, sans nier les efforts réalisés depuis vingt ans par le système éducatif et sans remettre en cause le modèle républicain, on remarque depuis quelques années que ce modèle est moins adapté aux réalités d'une société inégalitaire et d'une école qui produit, elle aussi, parfois des inégalités. Depuis 20 ans, l'appartenance à un milieu socio-économique défavorisé est la première, voire la seule explication, donnée à la scolarité difficile des élèves issus de l'immigration. Par contre, il apparaîtrait qu'à condition sociale égale, être issu de l'immigration pourrait être un avantage, du fait d'une plus grande motivation. La reconnaissance officielle de l'existence des discriminations raciales et ethniques par l'Etat en 1998 a modifié le regard porté sur ces analyses trop peu affinées pour en tirer des conclusions évidentes.

Avertissement : Cet article a été rédigé en 2003 et présente un certain nombre de données non actualisées depuis cette date.

4.1. Les discriminations dans l'emploi : la fin d'un déni ?

Une discrimination avérée

Sur les deux premières années de fonctionnement du numéro gratuit 114 [3], le secteur de l'emploi et de la vie professionnelle arrive en tête du nombre de plaintes, avec plus d'un tiers des témoignages. Deux types de données, en développement depuis une dizaine d'années, confirment ce constat. Il s'agit, d'une part, de statistiques sur divers groupes de population et leurs situations sur le marché du travail, et d'autre part, de collectes de cas concrets de discriminations. Rappelons que les statistiques ne permettent pas de décrire directement les actes de discriminations. Elles ne mesurent que leurs effets éventuels : des écarts injustifiés, des désavantages anormaux. Or c'est bien ce que révèlent, en particulier, les statistiques du chômage en France. Les groupes Étrangers et Français par acquisition issus de l'Union européenne connaissent un taux de chômage identique aux Français de naissance. En revanche, les Étrangers et Français par acquisition qui ne proviennent pas de l'Union européenne subissent des taux de chômage entre deux et trois fois supérieurs. Pour mieux repérer les effets d'éventuelles discriminations, il faut comparer les situations à niveau de qualification égal. Prenons pour exemple les diplômés des grandes écoles ou des seconds et troisièmes cycles de l'université [Haut Conseil à l'Intégration, 2002]. S'ils sont français de naissance, ces diplômés du supérieur connaissent un taux de chômage de 5 % en 2000. S'ils sont étrangers en provenance d'un pays UE, leur taux de chômage en France la même année est de 7 %. S'ils sont français par acquisition, il s'élève à 11 %, soit plus du double de celui des diplômés du supérieur qui sont français de naissance (5 %). Si enfin ces diplômés sont étrangers provenant d'un pays hors de l'Union européenne, leur taux de chômage s'envole à 18 %. Quant aux personnes issues de l'immigration, qui sont en général françaises, par acquisition ou même très souvent de naissance, elles connaissent le même désavantage à niveau de diplôme égal, en terme de chômage mais aussi en terme de déclassement. Une étude menée en 1999 par l'Association française pour l'insertion des jeunes diplômés établissait que si plus d'un jeune diplômé sur deux en moyenne en France (52%) accédait au statut cadre, la proportion chutait pratiquement de moitié (à 29%) en ce qui concernait les seuls jeunes diplômés issus de l'immigration. À l'inverse, pratiquement un sur deux parmi ces derniers (48%) se retrouvait déclassé sur un poste d'exécution, contre un jeune diplômé sur cinq dans l'ensemble. La traduction en termes de salaire était nette : 52% des jeunes diplômés issus de l'immigration devaient se contenter d'un Smic en début de vie professionnelle, contre 22% des jeunes diplômés en moyenne.

Les rapport de la Halde 2007 paru au mois de Mai 2008.

L'émergence d'une politique antidiscriminatoire

La naissance d'une volonté, la production d'études et d'outils antidiscriminatoires sont récents en France. L'impulsion européenne les a suscitées, elle devrait les conforter à l'avenir. Ce n'est qu'en 1998 que les discriminations raciales furent reconnues comme problème public important par les plus hautes autorités françaises. On a vu s'enchaîner depuis une série d'initiatives de l'État, en particulier du côté du ministère de l'Emploi et de son administration. Par exemple, une table-ronde sur les discriminations raciales est organisée par la ministre de l'Emploi avec les partenaires sociaux en mai 1999 ; un plan d'action, dit Déclaration de Grenelle, est adopté ; en septembre 2000 est déposée à l'Assemblée nationale une proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations, qui propose des modifications importantes au Code du travail ; le vote final de cette loi interviendra le 16 novembre 2001. Les partenaires sociaux, certains acteurs privés et associatifs, vont s'intégrer aux initiatives des autorités, pour poser les premières pierres d'une politique publique de lutte contre les discriminations raciales dans l'emploi en France.

On peut distinguer plusieurs niveaux dans cette politique : la sensibilisation-formation, les mesures antidiscriminatoires, et les actions positives.

- Sensibiliser et former les acteurs publics et privés à la lutte contre les discriminations est dès le départ une des grandes orientations de la nouvelle politique ministérielle. Des formations sont proposées aux personnels des services publics de l'emploi : ANPE, Directions territoriales du travail, AFPA, Inspection du travail, Missions locales. Mais au-delà des services publics d'autres acteurs sont mobilisés. La formation des cadres syndicaux à la lutte contre les discriminations fait partie, depuis fin 1999, des priorités qui accompagnent l'aide financière des pouvoirs publics à la formation des syndicalistes. En direction des entreprises, des sessions de formation ont aussi été lancées, auprès de cadres de DRH notamment, avec l'appui du FASILD et de la Fondation Agir Contre l'Exclusion (FACE).

- On passe en général au stade des mesures antidiscriminatoires quand les démarches de formation ou d'étude font apparaître des actions possibles pour prévenir les discriminations, et que ces actions sont mises en œuvre. Pour les intermédiaires de l'emploi par exemple, qu'ils soient publics ou privés, cela peut consister à adopter des règles fermes face aux comportements discriminatoires, dans l'enregistrement et le traitement des offres d'emploi comme dans l'orientation des demandeurs. Au sein du groupe Adecco, suite à une fâcheuse affaire [Le Monde du 5 février 2001], un courrier interne de la direction générale a fait savoir que la discrimination serait considérée comme une faute grave. Cela a pu servir d'argument, dans les agences, pour refuser les demandes discriminatoires émises par certaines entreprises dans leur recherche d'intérimaires. Dans les entreprises en général, une politique antidiscriminatoire sérieuse contrôlera par exemple que les méthodes et les pratiques à l'oeuvre en matière de recrutement et de promotion sont bien objectives et équitables pour tous. Ce genre d'audit est encore trop rare en France ou en Europe.
- Les actions positives consistent à faire quelque chose de plus, à titre de compensation, en faveur des personnes qui peuvent subir des discriminations. Ainsi, les cosignataires de la Charte nationale du parrainage (la FACE, le conseil national des Missions locales, etc.) déclarent en 1999 : La démarche de parrainage est destinée en priorité aux jeunes en difficulté sociale, notamment en raison d'insuffisances de formation ou d'obstacles liés à leur origine nationale réelle ou supposée, de leur origine ethnique, mais aussi de leur sexe, de leur âge ou de leur lieu de résidence. Nous nous engageons à prêter une attention particulière aux jeunes diplômés issus de l'immigration ou des quartiers, dont la réussite doit constituer un exemple. Le parrainage est assuré par des bénévoles, encore salariés d'entreprises ou bien nouveaux retraités, qui mobilisent leur connaissance du monde professionnel, leur expérience et leur réseau, dans une démarche de médiation et d'accompagnement personnalisé des jeunes durant leur recherche d'emploi et pendant leurs premières semaines de travail.

4.2. Discrimination et mixité sociale dans le logement

Populations immigrées et logement : quelques repères

Les nouveaux migrants arrivés à partir des années 1950 ont été regroupés dans des logements précaires, ou les plus vétustes des grandes villes, jusqu'aux années 1970. Les politiques de peuplement ont connu alors deux grandes phases. Dans les années soixante-dix, l'accueil des ménages immigrés dans le logement HLM conduit à les regrouper dans certains quartiers périphériques. À partir des années quatre-vingt et de manière plus affirmée dans les années quatre-vingt-dix, se développent des politiques de "rééquilibrage", qui tentent de fermer l'accès des ménages pauvres et immigrés aux quartiers où ils sont déjà nombreux. Mais le projet de dispersion de la population "immigrée" ne s'est pas traduit sur le terrain. Les immigrés sont moins bien logés que la moyenne des ménages De manière générale, les immigrés (devenus Français ou non) sont moins propriétaires que la moyenne des ménages vivant en France (37 % contre 54 % selon l'enquête logement de l'INSEE 1996) et quand ils sont locataires, demeurent souvent dans le parc HLM (64 % des ménages immigrés ouvriers par exemple). Leur présence forte dans le logement social s'explique aussi par leurs faibles niveaux de ressources et par la réduction des opportunités sur le marché privé (liée à l'amoindrissement constant du parc privé à bas loyer, mais aussi à la discrimination des propriétaires).

L'INED a élaboré un indice synthétique du niveau de la qualité des conditions de logement, allant de bien logés à très mal logés. La part moyenne nationale des ménages très mal logés s'établit à 11 %. Elle varie entre 45 et 50 % pour les ménages originaires du Maghreb, de Turquie, d'Afrique sub-saharienne (1996). Les ménages étrangers disposent en moyenne de 3,6 pièces pour 3,3 personnes, contre 4 pièces pour les ménages français avec 2,4 personnes (enquête logement INSEE 1996). Plusieurs facteurs entrent en jeu dans cette inégalité de conditions, les niveaux de ressources notamment, mais aussi la discrimination raciale, en particulier à travers un accès inégal au logement de qualité. Selon l'enquête logement INSEE de 1996, les immeubles construits avant 1975 accueillent les trois-quarts des immigrés, contre les deux-tiers des locataires en général. Dans le logement social et selon SOS RACISME, seulement 2 à 5 % des populations immigrées d'origine extra-européenne accèdent au patrimoine récent, construit durant les 25 dernières années.

Les populations les plus discriminées au sein des immigrés et supposés tels

Si le manque d'études statistiques interdit de porter des analyses précises, la discrimination en matière de logement semble toucher plus fortement les personnes originaires d'Afrique sub-saharienne, du Maghreb et de Turquie. Selon le GELD, les personnes de la première catégorie seraient les plus discriminées, en raison de la focalisation sur la polygamie et des stéréotypes culturalistes. Dans le logement social, les difficultés concernent surtout les immigrés qui cumulent une précarité socio-économique et des caractéristiques défavorables au regard des critères des bailleurs (famille nombreuse par exemple, ou comportement jugé à risques). Pour eux, les possibilités de mobilité à l'intérieur du parc social sont très faibles et les sorties du parc insalubre, privé ou public, ne s'opèrent plus que par le relogement d'urgence, par le biais de l'intervention des services préfectoraux et des associations spécialisées dans l'accompagnement social. Les jeunes immigrés ou issus de l'immigration font ainsi partie des catégories qui connaissent les plus fortes difficultés d'accès au logement. Une étude récente permet de mieux les connaître. Ces jeunes suscitent en effet le plus de méfiance (absence d'autonomie, risque de dépréciation du quartier, éventualité d'impayé...). Plus que les autres, ils sont dans l'impossibilité d'accéder aux quartiers non stigmatisés.

Les pratiques discriminatoires dans le logement privé et dans le logement social

Un refus ne peut être, légalement et sous peine de poursuites pénales, prononcé sur la base de l'origine du demandeur. On utilisera donc des critères plus légitimes : caractère non prioritaire du dossier, inadéquation de la taille de la famille avec le logement proposé, famille à risque, ressources insuffisantes pour le coût du logement... Facilement identifiables dans le secteur privé, les discriminations relèvent d'une chaîne de décisions complexes dans le cas du logement social.

Dans le logement prive, la réalité de la discrimination semble importante, plus forte que dans le logement social, mais peu d'études permettent d'en mesurer l'ampleur. Les procédures de la discrimination sont aussi plus aisément perceptibles : refus affiché de la part d'une agence immobilière ou d'un propriétaire, par exemple de louer ou de vendre à des gens de couleur ; Anticipation par les agences et intermédiaires de la position du propriétaire, qui font un filtrage pour le compte des propriétaires. Les méthodes de découragement du candidat sont diverses : demandes illégales de pièces à fournir (garants de nationalité française), renseignements erronés (sur le loyer...), etc...

Dans le logement social, les pratiques discriminatoires sont plus difficilement perceptibles ceci pour trois raisons au moins : La catégorie juridique de l'étranger s'est effacée : depuis la fin des années quatre-vingt-dix, on ne prend plus en compte la nationalité des locataires dans les politiques de peuplement (par exemple, l'arrêté du 29 septembre 1999 du ministère de l'Equipement supprime l'information relative à la nationalité des locataires dans les enquêtes statistiques sur l'occupation des logements sociaux). Le critère de l'origine intervient rarement seul, et de ce fait la discrimination est difficile à avérer. Le critère de l'origine vient se combiner avec des critères sociodémographiques qui permettent aux acteurs de la chaîne du logement de mesurer des risques. Ce sont ces risques qui vont permettre de justifier la lenteur du traitement de la demande ou le refus d'attribution [GELD 2001]. Même si l'on relève des logiques similaires, la gestion individualisée du peuplement domine au niveau des organismes : chacun sa commission, chacun ses modes d'attribution de logement, chacun sa notion de mixité [ISM 2001].

C'est donc, le plus souvent, moins le comportement de tel ou tel individu, organisme ou institution qui pose problème, qu'une logique qui met en œuvre, à un niveau local, des mécanismes de sélection des personnes, avec prise en compte de l'origine "ethnique et raciale" des ménages. La discrimination se produit, dans ces cas, tout au long du fonctionnement de la chaîne de gestion de l'attribution de logements, avec des phénomènes cumulatifs. Au-delà de ce processus de système, on peut tout de même identifier des actes et des acteurs.
- Sous forme de discrimination indirecte. Des mesures apparemment neutres pénalisent plus spécifiquement les personnes "immigrées". Par exemple, ces ménages auront plus de difficultés que les autres à fournir les pièces justificatives demandées (fiches de paie, compte bancaire...), et ceci même si ces demandes de pièces sont légales.
- Sous forme de discrimination directe, à travers toute une série d'actes.
Lors du dépôt d'un dossier : propos et relationnel décourageants, voire hostiles, exigences abusives et illégales (justifier d'un CDI) par exemple visent à refuser les demandes... Ainsi les ménages immigrés sont plus nombreux que la moyenne à ne pas renouveler une demande car ils pensent n'avoir aucune chance ou ont été découragés. Lors du placement sur les listes d'attentes : les délais d'attente sont plus longs pour les ménages immigrés que pour les autres (19 % ont déposé leur demande depuis au moins 3 ans, contre 8 % pour l'ensemble des demandeurs, enquête logement INSEE 1996). Lors de la sélection, le filtrage des candidatures est souvent effectué par l'organisme, avant la commission d'attribution, qui se contente alors d'entériner le choix des bailleurs. Lorsque des politiques municipales bloquent parfois l'entrée dans un logement HLM, afin de ne pas accroître la part d'immigrés sur la commune, ou préemptent sur le marché pour décider ensuite de l'acheteur final... Lors des réponses : des témoignages recueillis au sein des CODAC, relevés également par le GELD et SOS RACISME, indiquent que les personnes supposées immigrées reçoivent des propositions de logements situés quasi-exclusivement sur des quartiers stigmatisés, dans les parties les plus anciennes du parc de logement, et les moins centrales par rapport aux communes.

Deux approches : l'approche en termes de « risques sociologiques » et l'approche en termes de « mixité »

L'approche en termes de risques sociologiques attachés à des catégories de populations.

Les populations immigrées ou supposées telles en sont venues à incarner, pour les acteurs du logement (mais pas seulement), une menace : elles risquent de remettre en cause la stabilité du quartier, de dévaloriser le parc immobilier et de provoquer la fuite des autres candidats (GELD, SOS RACISME). On attache alors à ces populations un risque sociologique, qui n'est donc pas individuel, mais attaché à tel groupe en particulier (familles monoparentales, Rmistes, immigrés...). Au point que la seule consonance étrangère d'un patronyme suffise souvent pour classer un ménage dans une catégorie à risques. Cette approche non seulement repose sur la prise en compte de l'origine, mais obéit à une logique implicite de discrimination. Elle intègre des stéréotypes et fait du comportement des ménages résidant une norme d'action : ainsi, le risque de réaction d'hostilité de la part du voisinage à l'installation d'une famille "immigrée" devient un facteur de rejet d'une candidature. Les organismes demandent alors l'adaptation du candidat au logement pour le faire accepter par le voisinage, mais jamais ne reconsidèrent leurs propres critères [ISM 2001].

L'approche en termes de mixité et ses paradoxes

De nouveaux outils, comme la loi SRU qui contraint depuis janvier 2002, sous peine d'amendes, les communes à atteindre 20 % de leur parc en logements locatifs sociaux, pourraient permettre une diversification géographique de ce type d'habitat et donc de donner à l'objectif de mixité une dimension plus opérationnelle. La mixité sociale, ou équilibre de peuplement, est comprise par les bailleurs comme la cohabitation équilibrée sur un même espace ou territoire de groupes divers par l'âge, l'ethnie, le statut socioprofessionnel, les revenus [SOS RACISME 2002]. Sans être jamais définie, elle est mentionnée dans de nombreux discours et textes, dernièrement dans la loi d'orientation de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 (art. 56). L'idée que la mixité sociale implique la mixité ethnique est bien présente dans les représentations des acteurs du logement et dans les pratiques, mais jamais reconnue explicitement. Omniprésent dans les esprit et les débats, l'enjeu de l'immigration disparaît derrière l'affichage d'une préoccupation strictement sociale. Ce caractère implicite, ou euphémisé, de la doctrine nationale de la mixité n'est pas sans lien avec le tabou qui entoure l'usage de catégories ethniques dans l'élaboration des politiques publiques [GELD 2001]. Par exemple, les organismes HLM ne peuvent justifier leur objectif d'équilibre de peuplement par un énoncé comme suit un Français remplace un Français, sous peine de poursuites judiciaires ; si la mise en avant de l'argument de la mixité sociale leur est possible (mais la jurisprudence sur ce point est en train de se construire), ce n'est que parce que cette dernière terminologie se trouve dans des textes de loi. Les outils de tri, de sélection et de répartition des populations selon des critères d' origine, saisis et détruits dans les organismes HLM, sont aussi le plus souvent liés à cette volonté d'arriver à une mixité sociale/ethnique. Enfin : Les objectifs de mixité sociale placent les organismes HLM gérant ces sites dans une position impossible. Comment continuer à refuser des attributions à ces ménages qui composent l'essentiel de la demande, alors que ceux susceptibles de diversifier le peuplement refusent les attributions dans ces quartiers ? [GELD 2001].

De nouveaux outils pour lutter contre les discriminations

On remarque un très faible nombre de plaintes, de poursuites engagées et de condamnations prononcées. Etablir un flagrant délit de discrimination est plus facile à réaliser dans le cas du logement privé que dans le secteur social. Les outils qui permettent d'administrer la preuve sont aujourd'hui, en vertu de l'évolution de la législation : le testing téléphonique, un courrier ou petite annonce compromettants, le témoignage d'une agence immobilière, et sans doute bientôt un enregistrement audio. Plusieurs plaintes ont donné lieu à des condamnations au tribunal correctionnel. De manière générale, les actions de SOS RACISME, des CODAC, des associations d ' aide au logement, et la crainte d'un développement médiatique et de poursuites judiciaires ont permis à un certain nombre de personnes discriminées d'obtenir gain de cause. Des lois récentes ont étendu les outils de lutte contre la discrimination raciale dans le logement.

La loi d'orientation du 28 juillet 1998, relative à la lutte contre les exclusions

Cette loi prend des mesures contre les dysfonctionnements : définition, par des accords collectifs départementaux, des délais d'attente manifestement anormaux au delà desquels les demandes font l'objet d'un examen prioritaire. Ce système passe par l'enregistrement d'un numéro départemental unique, mis en place en 2001. Une commission de médiation est saisie des dossiers ayant fait l'objet d'un délai anormalement long ; renforcement du pouvoir du préfet, en matière de lutte contre les discriminations ; illégalité déclarée de certains critères de refus d'attribution (la nécessaire résidence sur la commune où est faite la demande ne peut être un critère de sélection, par exemple) ; innovation en ce qui concerne les garanties apportées au demandeur d'un logement social et aménagement des possibilités de recours et de poursuites en cas de refus d'attribution ; formalisation de tout rejet d'une demande d'attribution, qui doit être notifié par écrit au demandeur ; le juge saisi par ce dernier pourra apprécier s'il y a discrimination.

La loi de janvier 2002, contre les discriminations dans la location des logements

Cette loi a étendu au domaine du logement les principales innovations que la loi de novembre 2001 a introduites dans le code du travail : nouveaux critères interdits, reconnaissance de la discrimination directe et indirecte (mais toujours sans définition), partage de la charge de la preuve. Aucune personne ne peut se voir refuser la location d'un logement en raison de son origine, son patronyme, son apparence physique, son sexe, sa situation de famille, son état de santé, son handicap, ses moeurs, son orientation sexuelle, ses opinions politiques, ses activités syndicales ou son appartenance ou sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. En cas de litige relatif à l'application de l'alinéa précédent, la personne s'étant vu refuser la location d'un logement présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Dans cette même partie de la loi de janvier 2002 sur la lutte contre les discriminations dans la location des logements, quelques règles très pratiques sont précisées. Ainsi, lorsque le propriétaire ou son représentant exigent qu'une personne se porte caution du locataire, le propriétaire ou son représentant ne peuvent refuser la caution présentée au motif que la personne qui l'apporte ne possède pas la nationalité française (article 161). Le propriétaire ou son représentant ne peuvent pas, non plus, avant d'établir un contrat de location, demander aux candidats à la location de leur fournir une photo d'identité (article 162). Néanmoins, la loi ne fixe pas de sanction automatique, et rien n'impose au bailleur reconnu coupable de discrimination de louer le logement à la personne discriminée (mais sont prévues une amende et une peine de prison).

4.3. Le système scolaire entre résultat et cause des discriminations

Des logiques discriminantes, mais pas dans l'intention

Des annotations à caractère ethnique ou raciale sont rarement insérées par les enseignants dans les dossiers scolaires des élèves issus de l'immigration, et leurs parents sont conscients que le milieu scolaire reste encore, globalement, épargné par les discriminations. Toutefois, on peut se demander si ces élèves ont les mêmes chances de suivre une scolarité que les autres élèves, et force est de constater que ce n'est pas toujours le cas, même si cela ne relève pas d'une discrimination intentionnelle. Ainsi, par exemple, certains cursus scolaires spécialisés, au sortir de l'école élémentaire, destinés normalement à des enfants ayant des déficiences intellectuelles légères, reçoivent deux tiers d'enfants issus de l'immigration, le plus souvent en simple difficulté scolaire. Et si cette sur-représentation exprime sans aucun doute un contexte socio-économique et familial difficile, elle rappelle aussi l'absence majeure d'un dispositif d'intégration des enfants primo-arrivants par la langue, et la non-prise en compte dans les dossiers d'orientation des spécificités culturelles des enfants issus de l'immigration au nom de l'indifférence à la différence. La création d'un contrat d'intégration, décidée le 10 avril 2003 par le gouvernement, tente d'y pallier puisqu'il prévoit que le primo-arrivant s'engage à suivre une formation linguistique de 200 à 300 heures afin d'acquérir un niveau minimal de maîtrise du français.

Un autre exemple nous vient des procédures d'orientation en cycle aménagé (sur trois ans au lieu de deux) de 6e-5e. Un élève de parents étrangers a trois fois plus de chances, à niveau égal, de se retrouver dans ce cycle que l'élève né de parents français. En revanche, on peut parfois noter une légère sous-représentation des bons élèves issus de l'immigration dans les bonnes classes. Un peu plus tard dans la scolarité, à niveau social égal, les enfants de l'immigration sont plus nombreux à être orientés vers la seconde générale. L'orientation vers l'apprentissage et les stages professionnels qui en découlent restent, contrairement à ce que l'on peut croire, difficile d'accès pour les élèves issus de l'immigration. Même si la raison de la discrimination aux stages provient du racisme de certains chefs d'entreprise, on peut parfois se demander si le système scolaire ne prend pas ce problème comme une fatalité due à l'essence même d'une société qui discrimine.

Depuis le 10 avril 2003, dans le cadre du contrat d'intégration, le gouvernement s'est engagé à développer la promotion sociale et professionnelle individuelle, particulièrement pour les jeunes issus de l'immigration qui connaissent des difficultés d'accès à la formation et à l'emploi. Ainsi, les professeurs et les conseillers d'orientation seront sensibilisés à ces difficultés, et une veille éducative chargée de la prévention et de la prise en charge des ruptures scolaires et éducatives sera mise en place. Le gouvernement souhaite aussi relancer les parrainages par un soutien individualisé dans l'entreprise. Ces nouvelles dispositions souhaitent améliorer encore les dispositifs mis en place dans le passé comme le CEFISEM (Centre d'information et de formation pour la scolarisation des enfants de migrants) ou le Contrat Local d'Accompagnement à la Scolarité (CLAS) qui participent à la lutte contre l'échec scolaire et les discriminations indirectes, sous couvert évidemment d'une politique universelle en direction de tous les élèves en difficulté. Si globalement les parcours individuels des élèves issus de l'immigration n'ont pas jusqu'à présent révélé de discriminations intentionnelles, des logiques collectives touchent le système scolaire et provoquent parfois une ségrégation sociale et scolaire marquée, dont les effets pour les années qui viennent ne sont pas suffisamment pris en compte.

L'homogénéité ethnique amplifiée par la ségrégation scolaire

La carte scolaire définit territorialement le système scolaire français. Parallèlement, les Zones d'Education Prioritaire se voudraient suffisamment étendues pour garantir une certaine mixité sociale. Pourtant, les ségrégations sociales, que l'on ne peut nier dans ces zones, semblent plus marquées dans le milieu scolaire. Ceci s'explique par la volonté de nombreux parents issus des classes moyennes et supérieures, mais aussi de l'immigration, de contourner la carte scolaire : choix d'écoles privées, souvent religieuses, utilisation de fausses adresses... De plus, les choix du lieu d'habitation sont de plus en plus influencés par des considérations liées à la carte scolaire, ce qui a des incidences notables sur le prix de l'immobilier. On pourrait même aller jusqu'à penser que la ségrégation au sein du système scolaire exacerbe la ségrégation urbaine. Et si cette ségrégation est principalement d'ordre socio-économique, son rapport aux dimensions ethniques ne saurait être occulté. S'il semble cohérent de trouver des établissements scolaires à forte proportion d'élèves issus de l'immigration dans des quartiers où cette proportion se retrouve, il arrive que, parfois majoritaires dans un quartier, les populations non immigrées soient néanmoins minoritaires dans l'école du quartier, qui proposera de surcroît un cursus scolaire qualitativement moins varié et moins prestigieux. Ceci s'explique par des pratiques d'évitement qui passent soit par l'inscription dans une école privée, soit par le système des dérogations (avec l'accord des municipalités et de l'Education Nationale). Ainsi, dans l'enseignement primaire, l'attitude des communes, qui affectent les élèves dans un établissement, varie sensiblement. La dérogation plus ou moins facilitée complique chaque année l'établissement de la carte scolaire, provoquant parfois des ségrégations scolaires que certains élus tentent de faire endosser à l'autorité académique. Dans certains cas extrêmes, la dérogation devient une carte majeure du clientélisme municipal, tandis que des parents rejettent tel ou tel élève sur des considérations sociales voire ethniques (arguant d'un comportement anormal qui pourrait perturber ses camarades etc...).

Afin de freiner l'évitement croissant de certaines populations plus favorisées, les responsables d'établissement jouent parfois sur les options et les filières, qui permettent l'évitement des classes mal connotées. Ils ont recours également à la constitution de classes dites de niveau présentant une forte homogénéité sociale voire ethnique qui accentuent la ségrégation de fait, malgré la mise en place depuis de longues années du collège unique. Avec l'âge, deux autres critères différencient la composition des classes : le sexe et l'origine ethnique. Ainsi les garçons nés de parents maghrébins sont dans les collèges la catégorie d'élèves la moins mélangée dans la composition des classes. Il faut ici, évidemment, non pas parler d'intentions discriminatoires, mais de logiques discriminatoires, car ce n'est pas en premier lieu l'origine ethnique qui est avancée dans la constitution des classes mais des variables telles que le niveau scolaire des élèves ou leurs attitudes vis-à-vis de l'école. Pour lutter contre la ségrégation sociale, voire "ethnique entre les établissements, les acteurs de bonne volonté se retrouvent devant un dilemme. Pour garder la mixité et les élèves relativement les plus à l'aise dans l'établissement, on crée des classes de niveaux, dans lesquelles, du coup, ces derniers se retrouvent. Cette gestion du réel ne va pas sans provoquer, chez les plus défavorisés, une dépréciation de l'image de soi, et exacerbe parfois le sentiment d'une discrimination.

Stéréotypes et représentations de l'autre, facteurs discriminatoires implicites

La représentation de soi est majeure dans l'épanouissement scolaire, et le sentiment, ou la réalité, d'une consignation forcée à un établissement scolaire ségrégué et à un groupe ethnique stigmatisé, dévalorise aussi l'image de soi, pouvant aggraver des difficultés scolaires déjà bien réelles. De plus, cette dévalorisation, effective ou ressentie, porte en elle les germes d'une culture d'affrontement chez ces élèves qui mettent en avant des attitudes quasi-stéréotypiques uniquement pour provoquer l'institution devenue autorité scolaire. Pire, les logiques discriminatoires peuvent pousser au repli, ou tout au moins au refus d'une inscription active dans la société globale. Se développe alors une relation élève-enseignant fondée sur une prise en compte de plus en plus effective de l'ethnie, l'origine, voire la race ou la religion, et en retour une marginalisation scolaire et des comportements parfois violents, particulièrement chez les jeunes garçons d'origine maghrébine. La prise en compte de l'origine dans les relations avec les élèves touche aussi les relations avec les parents, devenues parfois stéréotypées. Lors de conseils de classe, certaines appréciations des enseignants diffèrent incontestablement selon l'origine des élèves, et l'utilisation de catégories ethniques au sein des écoles est parfois relevée lors d'études sociologiques locales. De telles catégorisations ne relèvent pas uniquement de la sémantique, elles peuvent déboucher sur des discriminations alors intentionnelles, même si elles restent fort rares dans le système éducatif français. Ainsi, la perception du racisme et des discriminations par les jeunes, montre que l'école et ses enseignants sont rarement dénoncés comme racistes ou discriminants, mais plutôt comme positifs et intégrateurs. Il faut toutefois rester vigilant sur le caractère ethnique que prennent parfois les relations élèves/enseignants (et ceci dans les deux sens). Car si l'immense majorité des enseignants reste attachée à des valeurs humanistes, leurs attitudes et discours reflètent parfois une fatalité, liée aux conditions difficiles d'exercice qu'ils connaissent. À la prise en compte plus ou moins explicite des origines de la part des enseignants, s'ajoute le critère, plus ou moins implicite, du nombre d'élèves issus de l'immigration dans l'évaluation de la valeur d'un établissement, tant de la part des parents, que de l'institution et des enseignants. Ceci démontre que même si les études réalisées montrent que les élèves issus de l'immigration, à niveau social égal, réussissent en fait mieux que les autres, cette réalité a peu d'impact sur les représentations irrationnelles sur ces élèves, et sur l'immigration dans sa globalité. L'insécurité, les violences urbaines, les banlieues, les jeunes immigrés sont des termes et des représentations beaucoup plus forts dans l'imaginaire de tous les parents, même quand ils sont eux-mêmes immigrés ou issus de l'immigration. C'est parce que ces représentations ne sont pas assez prises en compte par les acteurs scolaires que se développent, malgré des convictions républicaines certaines, des discours qui agissent sur la pratique : ainsi de l'impossible dépassement de sa culture familiale ou "d'origine", ou de l'impossible assimilation des populations issues de l'immigration maghrébine, turque ou africaine.

4.4. Conclusion des discriminations multiformes

En traitant avant tout des discriminations dites raciales, ce dossier laisse bien sûr de côté d'autres mobiles classiques et massifs de discriminations, à commencer par celui du sexe. Ce qui suit veut simplement donner un aperçu, sur quelques thèmes et sur quelques exemples, des multiples formes que revêt le problème et des multiples axes que peuvent donc suivre les politiques pour le traiter. En Afrique du Sud aujourd'hui, la loi pose que "ni l'État ni personne ne doit injustement discriminer quiconque". Et cela que ce soit "sur un ou plusieurs motifs, parmi lesquels : la race, la couleur, l'origine ethnique, la culture, la langue, le sexe, l'orientation sexuelle, le genre, la grossesse (y compris toute situation lui étant liée, dont le projet de grossesse ou l'interruption de grossesse), la responsabilité familiale (quel que soit le membre de la famille, ou le partenaire, que l'on a à charge), le statut familial, le statut matrimonial (incluant le divorce, le veuvage, et toute relation engageant à un soutien réciproque entre personnes du même sexe ou du sexe opposé), la naissance, l'origine sociale, le statut socio-économique (niveau réel ou supposé d'éducation, d'emploi ou de ressources), le handicap (physique ou mental), l'âge (incluant toute vulnérabilité liée à l'âge), la situation réelle ou supposée face au SIDA (HIV/AIDS status), la conscience, la religion, la croyance, l'opinion politique, la nationalité". Les termes les plus importants sont ceux qui ouvrent la liste : "parmi lesquels".

Dans le même ordre d'idée, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne emploie le terme "notamment". C'est dire que les listes de critères prohibés ne sont qu'indicatives. C'est dire qu'en fait est interdite toute violation du principe d'égalité, toute différence de traitement qui n'est pas liée strictement à des motifs ou à des objectifs légitimes, et qui en un mot, quelle qu'en soit la raison, apparaît arbitraire.

Le problème de la discrimination prend toutefois une tournure particulière lorsqu'il amène à se demander si certaines dispositions légales sont elles-mêmes discriminatoires (exemples de la double peine [Sénat, 2003] et des emplois fermés aux étrangers [GELD, 2000]), ou lorsque la question est sérieusement posée de savoir si la justice elle-même est parfois rendue de façon discriminatoire. En terme d'administration de la justice en effet, il semble que l'on retrouve parfois le poids de l'origine dans la balance [Blier et De Royer, 2001], ou du moins celui de la nationalité. Des études menées par le Centre d'études sociologiques sur le droit et les institutions pénales, qui est sous tutelle conjointe du CNRS et du ministère de la Justice, ont établi qu'en 1998 en France, pour treize types de délits de droit commun sur quinze étudiés, les étrangers sont plus souvent sanctionnés par de la prison ferme que les Français. Pour un délit de vol avec effraction, 52 % des étrangers sont condamnés à de la prison ferme contre 37 % des Français. Pour un délit de détention-acquisition de stupéfiants, 44 % des étrangers écopent de prison ferme contre 31 % des Français, et pour un délit d'usage de stupéfiants, 15 % des étrangers contre 9 % des Français. Les mêmes écarts se vérifient dans le montant de la peine, toujours à délit comparable bien sûr. Pour le vol avec violence par exemple, 15 % des Français sanctionnés par de la prison ont écopé de moins de trois mois contre seulement 7 % des étrangers, alors que 28 % des Français ont été condamnés à plus d'un an, mais 37 % des étrangers. Des professionnels estiment que deux poids deux mesures se révèlent dans les résultats des fonctionnements et des décisions de l'appareil judiciaire en France relativement aux étrangers (mais sur des délits de droit commun).[4] Fonctionnements qu'on peut tout aussi bien constater dans le traitement réservé aux justiciables Français selon leurs origines... Voir sur ce point les analyses de Fabien Jobard.

5. Quelques outils et démarches spécifiques des politiques antidiscriminatoires

Une des innovations de l'antidiscrimination par rapport au type d'actions qui lui paraissent liées et qui l'ont précédée, comme l'antiracisme et l'intégration pour le registre de la race ou de « l'origine », est de proposer un certain nombre d'outils spécialisés qui revêtent parfois un certain degré de technicité, notamment dans les domaines de la statistique et du droit.

5.1. Le testing

Le testing ou test de situation consiste à recréer un événement quotidien sous des conditions paramétrées qui vont permettre de vérifier si cet événement donne lieu à des discriminations dans la situation du monde réel que l'on veut soumettre au test. Il est déterminant de paramétrer les conditions de la situation, de façon à ce qu'elles permettent d'identifier précisément la part de discrimination éventuelle que révèlera le test. On fera donc varier les caractéristiques, à travers les personnes utilisées pour le test, d'un mobile interdit de discrimination (sexe, couleur de peau, nom) tout en reproduisant à l'identique les autres critères, en particulier les critères légitimes de sélection dans la situation testée (la solvabilité pour accéder à un logement, la qualification pour accéder à un emploi, la tenue pour entrer en boîte de nuit, etc...). On verra alors s'il se produit des différences de traitement strictement en fonction d'un critère discriminatoire, tous les autres critères étant égaux par ailleurs. Dans la perspective d'aller en justice, il est crucial, aussi, de recueillir les preuves de ce qui se passe lors du test (enregistrement, constat d'huissier...). L'invention du test de situation remonte à 1967 en Angleterre [Piguet, 2001]. Un centre d'études demanda à trois enquêteurs, citoyens britanniques ayant respectivement des origines hongroises, caribéennes et anglaises, de soumettre des demandes identiques pour des emplois, des logements et des assurances. La comparaison des résultats mit en évidence une discrimination très élevée au détriment de l'enquêteur noir caribéen et plus faible au détriment de l'enquêteur d'origine hongroise, par rapport à l'enquêteur anglais blanc. En Angleterre, cette recherche déboucha sur un débat national et sur l'extension des protections juridiques contre la discrimination raciale. En 1974, une étude plus large et approfondie basée sur l'envoi de candidatures écrites à un emploi, identiques sauf pour la photo, le lieu de naissance, le sexe, etc, a mis en évidence, en Angleterre, une discrimination plus élevée sur le mobile de la couleur de peau que sur celui de l'origine étrangère, et vis-à-vis des hommes noirs que des femmes noires. Par la suite, la Commission anglaise pour l'égalité raciale a souvent pratiqué le testing. Des études comparables ont été régulièrement menées en Amérique du Nord. En France une enquête de grande ampleur mais resta très peu connue. On envoya 682 doubles postulations écrites à des offres d'emploi, soumettant des Français de métropole et des Français des Antilles. Alors que 29% des premiers se virent proposer un entretien, ce ne fut le cas que pour 2% des seconds.

Dans les années 1990, le Bureau International du Travail lança un programme important de vérification empirique de la discrimination par des tests comparables à travers de nombreux pays. La participation de la France était proposée au départ, mais elle délaissa finalement le programme. Les tests ont effectivement été réalisés en Allemagne, en Belgique, au Canada, au Danemark, en Espagne, aux Etats-Unis et aux Pays-Bas. Ils ont enregistré environ 30% de cas de discriminations manifestes.

Ces dernières années, le testing s'est finalement fait connaître en France à travers son utilisation par SOS Racisme, dans l'accès aux discothèques puis à l'embauche, et pour le coup à des fins judiciaires. Dans ce cadre, l'objectif est de se donner les moyens d'enregistrer un éventuel flagrant délit de discrimination. Dans une première décision de septembre 2000, la Cour de cassation a de fait reconnu la validité et la pertinence du testing comme mode de preuve de la discrimination. Comme des juges en France ont quand même persisté à rejeter le testing par principe, un deuxième arrêt de la Cour de cassation, en juin 2002, est venu rappeler que le testing, avec ou sans huissier, se doit d'être pris en compte et examiné comme un moyen de preuve, et qu'il reste seulement aux magistrats à juger si celle-ci est faite ou non.

Pour aller plus loin

5.2. Le mainstreaming ou "approche intégrée"

Le mainstreaming a été d'abord défini lors de la Conférence mondiale de l'ONU pour les femmes qui s'est tenue à Pékin en 1995, comme une politique pour combattre la discrimination institutionnelle, et pour promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes. Le principe de cette politique consiste à ne pas limiter les efforts de promotion de l'égalité à la mise en œuvre de mesures spécifiques en faveur des femmes, mais aussi à mobiliser explicitement en vue de l'égalité l'ensemble des actions générales et des politiques communes, en introduisant dans leur conception même, de façon active et visible, l'attention à leurs effets possibles sur les situations respectives des femmes et des hommes. Cela suppose d'interroger systématiquement ces actions générales et ces politiques communes pour prendre en considération leurs effets possibles, dès leur définition, puis dans leur mise en œuvre. Ce principe de "mainstreaming" ou "d'approche intégrée" réclame, entre autres choses, de passer d'une norme d'égalité formelle à une norme d'égalité réelle dans la conception et dans l'évaluation de toutes les politiques (ou même des lois), puisqu'il faut prendre en compte systématiquement les différences de situations, de conditions et de besoins des femmes et des hommes pour prétendre mesurer les effets possibles sur les unes et sur les autres. Au niveau de l'Union européenne, l'engagement en faveur du mainstreaming est d'abord passé par une communication de la Commission européenne en février 1996 : Intégrer l'égalité des chances entre les femmes et les hommes dans l'ensemble des politiques et actions communautaires. De premiers effets ont pu être constatés dans les domaines de la politique de l'emploi, des relations extérieures, des Fonds structurels européens, des politiques d'éducation et de la jeunesse, de la communication, enfin dans la gestion des ressources humaines à la Commission. L'adoption du nouvel article 13 dans le Traité européen en 1997 va, ici aussi, représenter une étape capitale, puisqu'elle va susciter l'extension de cette politique d'approche intégrée des questions relatives au sexe aux autres grands critères de la non-discrimination. Très vite, la Commission européenne va travailler au "mainstreaming du handicap dans les politiques sociales, les politiques de l'emploi, des transports, des télécommunications, de la santé, de la recherche. Et dès 1998, dans son Plan d'action contre le racisme, la Commission s'est donné entre autres buts d'appliquer une politique de mainstreaming pour s'opposer aux discriminations "raciales": "Dans le cadre de ce plan d'action, la Commission développera une approche visant à intégrer la lutte contre le racisme et la discrimination, ainsi que la promotion de l'intégration, dans l'ensemble de ses secteurs d'activité, en particulier l'emploi, les Fonds structurels européens, les programmes d'éducation et de formation, la politique des marchés publics, les activités de recherche, les relations extérieures, les actions d'information et les initiatives culturelles et sportives. Un groupe interservices sera établi au sein de la Commission de manière à faire avancer ce processus. La Commission continuera à prendre en compte les principes de non-discrimination [sur « la race ou l'origine ethnique »] dans ses propres politiques de recrutement et de promotion."

Pour aller plus loin

5.3. Les actions positives : des politiques souvent mal comprises en France

L'article 5 de la directive RACE (et des clauses équivalentes dans les directives concernant les autres mobiles de discrimination) est intitulé Action positive : "Pour assurer la pleine égalité dans la pratique, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un État membre de maintenir ou d'adopter des mesures spécifiques destinées à prévenir ou à compenser des désavantages liés à la race ou à l'origine ethnique."

C'est là une définition de ce que les lois anglaises (et donc maintenant les directives européennes) appellent positive action, qui fut nommée ailleurs affirmative action, et que l'on traduit fort mal en France, le plus souvent, par "discrimination positive", une expression qui est contradictoire dans les termes en français et qui ne fait qu'alimenter la confusion.

L'action positive, donc, prend la forme de mesures qui sont : (1) spécifiques, (2) bénéfiques, (3) pour des personnes classiquement discriminées, et qui entendent (4) prévenir ou compenser les désavantages causés à ces personnes par la discrimination, et enfin (5) atteindre une pleine égalité dans la pratique, autre façon de dire égalité réelle. Ce dernier point permet de penser que c'est en particulier sur la théorie des différences de situations que peuvent pleinement être justifiées, en droit français, les mesures d'action positive. Les différences de situations que prennent en compte les actions positives sont particulières : elles tiennent aux désavantages entraînés par les discriminations qu'ont subies, subissent ou sont susceptibles de subir certains individus, en raison, classiquement, de leur race ou de leur origine, de leur sexe, de leur handicap. Des lois d'action positive existent clairement en France sur les motifs du sexe (loi dite de la parité) et du handicap (loi dite des 6% de travailleurs handicapés). Concernant les motifs de la race et de l'origine, le maniement de ces catégories étant prohibé par la Constitution, les actions positives passent indirectement par des politiques qui sont parfois appelées de "discrimination positive territoriale" : par exemple la politique de la ville [Estèbe, 2002], ou celle des zones d'éducation prioritaire. Il convient de bien comprendre l'action positive pour ce qu'elle est, car en la matière les erreurs sont légion en France, et réduisent la discussion à des accusations aussi tonitruantes qu'elles sont vides. L'action positive ne représente absolument pas une rupture du principe d'égalité, autrement dit une discrimination, contrairement à ce que laisse croire la mauvaise expression de discrimination positive. Il s'agit bien plutôt de se conformer à un principe d'égalité plus exigeant encore, et plus élaboré, que celui, classique, de la seule égalité formelle, à savoir celui de l' égalité réelle. L'action positive n'est pas forcément, ni automatiquement ni par nature, un instrument pour la reconnaissance des identités ou un droit des groupes, ni une politique communautariste, comme on s'empresse trop souvent de s'en effrayer en France. L'action positive ne concerne jamais que le droit fondamental et très ancien de l'égalité, qu'elle applique de par le monde, le plus souvent et de façon on ne peut plus classique, comme un droit individuel, à des personnes dont on constate ou considère qu'elles sont confrontées à des effets de discriminations. Ce sont ces discriminations, et pas les actions positives, qui ignorent les individus derrière les stéréotypes collectifs de la race, du sexe, etc...

Pour aller plus loin

5.4. Les organismes indépendants d'aide et de conseil

La directive RACE de 2000 a demandé, dans un article spécifique, la désignation par chaque État de l'Union européenne d'un organisme indépendant chargé de combattre la discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique. Cet organisme doit pouvoir, au sein de son État : apporter une aide indépendante aux personnes victimes d'une discrimination, y compris pour engager une procédure en justice ; conduire des études indépendantes concernant les discriminations ; publier des rapports indépendants et émettre des recommandations, sans restriction.

En 2002, la Commission européenne a fait réaliser un rapport sur la transcription, au sein des États membres, de ce point précis de la directive. La conclusion est que jusqu'à cette date, seul un petit nombre d'organismes en Europe se rapprochent de ce que réclame la législation européenne. Ce sont le Centre pour l'égalité des chances de Belgique, la Commission pour l'égalité raciale au Royaume Uni, l'Autorité de l'égalité en Irlande, la Commission de l'égalité de traitement aux Pays-Bas, et l'Ombudsman contre la discrimination ethnique en Suède. Soit le tiers des États membres. Concernant le Groupe d'étude et de lutte contre les discriminations (GELD) créé en 1999 en France, le rapport de la Commission relève, en points faibles, que l'organisme n'a pas la compétence de porter des cas en justice ni de se porter partie civile, que ce soit à la demande d'une victime de discrimination ou de sa propre initiative, qu'il n'a aucun rôle formel dans la prise de décision sur les politiques antidiscriminatoires, et que 51% des votes dans son conseil d'administration sont détenus par les ministères, ce qui est une façon de signifier qu'il n'est pas vraiment indépendant. Ce dernier point s'est d'ailleurs entièrement confirmé lorsqu'à l'automne 2002, le quatrième rapport du GELD, sur le point d'être imprimé, qui devait porter sur la sensibilisation aux discriminations dans la police, s'est vu bloquer sans explications par le ministère des affaires sociales (Le Monde du 22 octobre 2002).

Depuis, la loi du 30 Décembre 2004 a créée la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité (HALDE) qui est une autorité administrative indépendante.

Elle a pour mission générale de lutter contre les discriminations prohibées par la loi, de fournir toute l'information nécessaire, d'accompagner les victimes, d'identifier et de promouvoir les bonnes pratiques pour faire entrer dans les faits le principe d'égalité. Elle dispose de pouvoirs d'investigation pour instruire les dossiers.

Pour compléter ces données, vous pouvez consulter le texte d'Eric Cédiey sur "l'anti-discrimination dans le contexte juridique français", juin 2008, ISM-Corum.

5.5. Les indices statistiques : convaincants s'ils sont rigoureux

Les statistiques permettent d'appréhender les discriminations, mais d'une façon qui reste en général indirecte. Parce que les statistiques classiques ne décrivent pas des actes, mais se contentent d'enregistrer des états. Tout ce que les statistiques peuvent alors permettre de faire, c'est de contester ou de confirmer l'hypothèse que certains états peuvent être liés à certaines actions, qu'il reste à décrire par ailleurs. Or la discrimination est précisément un acte, ou une série d'actes, qu'elle relève d'une action individuelle à un moment donné ou d'un processus cumulatif et plus complexe. Les statistiques pourront seulement mesurer des effets (écarts injustifiés, disparités sans raison légitime, disproportions) dont les causes pourraient être, selon toute hypothèse, des actes ou des processus de discrimination, mais qu'il reste à repérer par ailleurs. Dans l'explication des effets statistiques constatés, il faut aussi veiller à isoler la part des éventuelles causes discriminatoires de celles qui ne le sont pas. Autrement dit, il faut essayer de contrôler l'influence des critères qui peuvent légitimement servir à faire des différences et des choix (la qualification pour l'emploi, la solvabilité pour le logement, etc...) et observer les variations qui restent liées à des critères discriminatoires (la nationalité, l'origine, etc).

En termes statistiques, une fois que l'on peut raisonner toutes choses égales par ailleurs pour les variables légitimes, on fait l'hypothèse que les différences (entre taux de chômage, taux d'accès au logement, etc...) sont l'effet de discriminations. Une hypothèse qu'il s'agit encore de croiser avec des observations directes. Mais plus on contrôle de variables légitimes, plus devient convaincant l'indice statistique de la discrimination. Sur les chiffres du chômage en France par exemple, on peut raisonner à niveau de diplôme égal, à expérience professionnelle égale en retenant la classe d'âge des plus jeunes, à système de formation égal en retenant les gens nés et élevés en France, et on constate toujours de très importants écarts de chômage en fonction de l'origine. Les indices statistiques de la discrimination que l'on dit raciale vont dépendre aussi des catégories utilisées pour enregistrer les personnes. Sur ce point en particulier, la politique statistique des États entre en jeu. Les enquêtes en France peuvent sans restriction demander aux personnes leur lieu de naissance, tout comme leur nationalité. Y compris, tel le recensement par exemple, si elles sont françaises de naissance ou par acquisition, et dans ce dernier cas, y compris quelle était leur nationalité antérieure. À l'opposé, sont considérées comme des questions sensibles toutes celles qui portent, directement ou indirectement, sur la race, l'ethnie ou la religion (mais aussi l'état de santé, l'appartenance politique ou les moeurs). De telles questions seront autorisées, par la Commission Nationale Informatique et Libertés, seulement si elles sont posées dans le cadre d'une enquête qui garantit confidentialité et anonymat, si elles sont pertinentes d'un point de vue scientifique ou social et sont strictement en rapport avec les objectifs de l'enquête, ou si les enquêtés donnent leur accord écrit et signé pour y répondre. Entre les deux se situe la catégorie de "l'origine" des personnes, ici strictement définie à travers le pays de naissance, non pas de ces personnes elles-mêmes, mais de leurs parents. En France, cette information a pu être utilisée pour la production de statistiques depuis plusieurs décennies [Héran, 2002], mais uniquement dans des enquêtes par échantillon visant à des études spécialisées sur la mobilité géographique, l'histoire familiale, ou l'intégration scolaire et sociale, comme la fameuse enquête MGIS réalisée en 1992 par l'INED et l'INSEE. Les responsables de la statistique publique française sont plutôt d'avis que cette variable de l'origine ne doit répondre qu'aux besoins d'études particulières, et n'a pas vocation à être consolidée dans une nomenclature standardisée dont l'usage pourrait devenir général [Héran, 2002].

Pour aller plus loin :

Bibliographie

Jean-Paul Payet, Origine ethnique : facteur de discrimination scolaire ?, Agenda Interculturel, n°142, mars 1996.

Jean-Paul Payet, Agnès Van Zanten, Ecole et immigration, Revue Française de Pédagogie, n°117, 4ème trimestre 1996.

Jean-Paul Payet, L'ethnicité c'est les autres, formes et enjeux de la relation de l'école aux milieux disqualifiés, Ville-Ecole-Intégration, hors-série n°6, décembre 2002.

Jean-Paul Payet, L'école et la question de la discrimination, Mouvements, n°4, mai 1999. Jean-Paul Payet, Mixités et ségrégations dans l'école urbaine, Hommes & Migrations, n°1217, janvier/février 1999.

Rapport RAXEN, Les discriminations raciales à l'école, situation française en 2000, ADRI, 2001.

J. Tauvel, L'antiracisme à l'école : sortir des incantations rituelles, Migrants Formation, n°109, juin 1997.

J. Hebrard, La mixité sociale à l'école et au collège, Rapport à Monsieur le ministre de l'Education nationale, mars 2002.

A. Chambon, Zones d'éducation prioritaire : un nécessaire renouveau, Ville-Ecole-Intégration, Hors série n° 5, octobre 2002.

Haut Conseil à l'Intégration, Lutte contre les discriminations : faire respecter le principe d'égalité, Rapport au Premier ministre, La Documentation française (collection des rapports officiels), 1998.

Éric CÉDIEY, Les discriminations - situation française, évolutions communautaires européennes, 2002.


Notes

[1] Article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune."
Préambule de la Constitution de 1946 : "(...) le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés.(...) La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme.(...) Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. "
Article premier de la Constitution de 1958 : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion."

[2] Les juridictions pénales, ou répressives, condamnent des délits, les juridictions civiles tranchent des conflits.

[3] Ce service téléphonique gratuit est accessible en France métropolitaine et dans les Départements d'outre-mer  Il répond aux demandes d'informations et de conseil de toute personne victime ou témoin de discriminations.

[4] Sur ce dernier point : illustration par l'article de Fabien Jobard et Sophie Névanen, « La couleur du jugement. Discriminations dans les décisions judiciaires en matière d'infractions à agents de la force publique (1965 - 2005) », Revue Française de Sociologie, volume 48, 2007/2, p. 243-272.

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