L'introuvable réforme fiscale
Ce chapitre résume la Lettre de l'OFCE, n° 249, mai 2004.
La nécessité d'une grande réforme fiscale est souvent évoquée dans le débat public, sans que son contenu soit clairement explicité. Certains préconisent une forte réduction du taux de prélèvement obligatoire (ce qui suppose de diminuer d'autant les dépenses publiques), susceptible, selon eux, de dynamiser l'économie, en incitant les ménages à travailler et épargner, les entreprises à investir et embaucher, en améliorant la position française dans la concurrence fiscale européenne et mondiale. D'autres proposent au contraire de réduire la charge pesant sur le travail et les plus pauvres, en augmentant la taxation du capital, des plus riches ou des activités polluantes. Nous voudrions montrer ici la difficulté de la tâche; il n'y a pas de réforme miracle: le système actuel, produit d'un long processus de compromis social, est difficile à améliorer.
Peut-on mettre en oeuvre une forte réduction des dépenses publiques permettant une baisse importante de la fiscalité? Il y a sans doute des gaspillages, des économies réalisables, mais aussi beaucoup de domaines où les dépenses publiques ne sont pas suffisantes: dans la période récente, cela est apparu en matière d'éducation, de recherche, de justice, de police, de politique de la ville, de solidarité. Le vieillissement de la population rend nécessaire l'augmentation des dépenses de retraites et de santé. Une forte réduction des dépenses publiques ne peut être obtenue par la seule baisse des dépenses de fonctionnement. De 2006 à 2016, partiront à la retraite 50% des fonctionnaires. N'en remplacer que 1 sur 2 permettrait d'économiser 25 milliards en 10 ans (1,7% du PIB). Mais cette stratégie est aveugle, lente, peu porteuse et insuffisante. Une réduction importante nécessiterait la privatisation partielle de la retraite, de la santé, de l'éducation et une forte baisse des prestations de solidarité (chômage, famille, RMI). C'est un choix politique et social. Il pèserait sur les ménages, les plus pauvres en particulier.
La taxation des ménages
La France se caractérise par la coexistence d'un impôt sur le revenu (IR), concentré et de faible rendement, et d'une CSG proportionnelle. Il ne faut pas réduire le poids de l'IR, seul impôt à être progressif, à tenir compte de l'ensemble des revenus et des caractéristiques du ménage. Il serait regrettable que la décentralisation fasse augmenter le poids de la taxe d'habitation, nécessaire certes, mais moins juste et précise que l'impôt sur le revenu.
La France reste un des rares pays où le taux marginal d'imposition est supérieur à 50% si on ajoute la CSG et l'IR: 53% contre 48% en Allemagne, 45% aux Etats-Unis, 40% au Royaume-Uni. L'abattement de 20% fait que le taux marginal affiché, 48,08 % en 2004, est bien supérieur au taux marginal effectif: 34,6%, pour la quasi-totalité des contribuables. Pour ceux-ci, la suppression de l'abattement et le reprofilage des tranches seraient neutres. Par contre, elle allégerait la taxation des 9% des revenus imposables qui n'en bénéficient pas actuellement: la part des salaires supérieure à 10500 euros par mois, les revenus fonciers, les dividendes, les BIC (Bénéfice industriel des commerciaux). Son coût serait de l'ordre de 4,5milliards d'euros, qui bénéficierait aux plus riches. Cet allégement n'est guère justifié pour les BIC qui restent fortement sujets à la fraude fiscale. Selon le Conseil des impôts, le taux de déclaration est de 92% pour les salaires, de 50% pour les revenus non salariaux.
Certains proposent de financer la baisse des taux de l'IR par la suppression de tous les dispositifs dérogatoires. Cependant, ne peu-vent être remis les dispositifs qui visent à déterminer précisément la capacité contributive, comme le quotient familial, les abattements pour frais de garde ou de scolarité. Que reste-t-il ? les réductions pour certains investissements (cinéma, bateaux, DOM, PME, FCP innovation), soit un coût fiscal de 600 millions d'euros; ceux pour les placements immobiliers (500 md€); l'exonération de la participation (800 md€); la demi-part supplémentaire à partir du troisième enfant (500 md€); l'abattement spécifique pour les personnes âgées de faible revenu (200md€)déduction pour les personnes seules ayant eu des enfants à charge (1500 md€); l'exonération des suppléments familiaux de retraite (350md€); l'abattement de 10% sur les retraites pour frais professionnels (1900 md€) ; la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié au domicile (1550 md€). Leur suppression rapporterait 8milliards, ce qui permettrait une baisse de 15% des taux du barème. Toutefois, elle frapperait spécifiquement les personnes âgées et les familles nombreuses, certains secteurs économiques (logement, PME) et l'emploi à domicile. Elle ferait beaucoup de mécontents légitimes.
Certains ont proposé de fusionner la CSG et l'IR. Pourtant, il est souhaitable de fournir des ressources propres à la Sécurité sociale, même si actuellement la transparence est brouillée par la multiplicité et la volatilité des transferts. La fusion ferait que tous les Français se sentiraient imposés. Elle donnerait plus de liberté pour restructurer les prélèvements. Reste à savoir ce que l'on ferait de cette liberté: il n'est question ni de réduire la CSG pour demander plus à l'IR, ni de l'inverse. On voit mal alors l'intérêt de la réforme. D'autres voudraient rendre la CSG progressive. Ceci est impossible, sauf à renoncer à la retenue à la source: qui ferait le total des revenus du ménage ? Les retraités et les chômeurs ne paient pas de CSG s'ils ne sont pas imposables et la paient à un taux réduit (6,2%) s'ils le sont. Monter le taux de 6,2 à 8 % rapporterait 2 milliards d'euros; taxer à 8% les retraités et les chômeurs non imposables, 5 milliards. Mais, peut-on réduire de 8% les revenus d'une population particulièrement défavorisée?
Les impôts locaux sont archaïques et inégalitaires puisque les riches paient peu dans les communes riches et les pauvres beaucoup dans les communes pauvres. Il faudra un jour réduire la taxe d'habitation, créer un supplément local à l'IR, dont le produit serait redistribué aux collectivités locales sur la base de leurs besoins (population, enfants à scolariser, personnes en difficulté).
La taxation des revenus du capital
Le régime général de la taxation des revenus du capital est maintenant le prélèvement libératoire de 25%. L'imposition des revenus du capital était menacée par le Marché unique. Après de longues négociations, la Commission a adopté une directive qui généralise l'obligation de déclaration des revenus d'intérêt. C'est le domaine où l'harmonisation fiscale a le plus avancé.
De nombreuses niches fiscales ont été supprimées. Restent les privilèges de l'assurance-vie: la taxation à taux réduit et surtout l'exonération des droits de succession. Malheureusement, la réforme des retraites en a introduite une nouvelle: le PERCO.
L'avoir fiscal sera supprimé à partir de 2005: les dividendes seront imposés à l'IR, mais avec un abattement de 50%. Ceci augmente nettement la taxation des actions détenues dans un PEA et très légèrement celle des autres. Le taux d'imposition global des actions, de l'ordre de 40%, semble nettement supérieur à celui des placements à revenus fixes (25%). Toutefois, le taux d'imposition pour le contribuable, taxé au taux marginal de 48,09% à l'IR, est de 44% sur le revenu réel des actions, de 41,7% sur celui des obligations (pour un taux d'intérêt de 5% et un taux d'inflation de 2%), alors que le taux d'imposition marginal d'un salarié taxé dans la tranche à 37,38% est de 45,2% (y compris cotisations maladie et famille, mais hors cotisations retraite et chômage).
Du côté des riches...
Les sociétés sociales-démocrates taxent fortement les revenus et les patrimoines élevés: ceux qui bénéficient le plus de l'organisation sociale supporte une plus grande part du financement. La mondialisation remet en cause ce schéma puisque les plus riches peuvent choisir le pays où ils travaillent et où ils résident de façon à échapper à l'impôt. La social-démocratie fiscale est-elle condamnée? La riposte peut prendre quatre formes contradictoires:
a) La lutte contre les paradis fiscaux devrait être accentuée, dans un cadre européen ou mondial. Il faudrait interdire aux entreprises d'y avoir des filiales et d'y transférer des fonds.
b) Il faut organiser l'harmonisation fiscale en Europe, ce qui est délicat puisque les pays sont attachés à leur autonomie et qu'il est normal que de bas taux d'imposition compensent des désavantages d'infrastructures ou de développement.
c) On peut réduire le poids portant sur les plus hauts revenus et capitaux.
d) Enfin, on peut réduire spécifiquement la taxation des contribuables les plus mobiles. Mais, ceci est contraire au principe d'égalité devant l'impôt.
Certains pays (Danemark, Finlande, Royaume-Uni) ont des législations dérogatoires pour les cadres expatriés ou les résidents de fraîche date. Leur généralisation permettrait à cette catégorie de la population d'être exonérée de la charge des dépenses publiques, alors qu'elle jouit de revenus élevés et a généralement bénéficié de la gratuité des dépenses d'éducation dans son pays d'origine. La seule mesure acceptable est la déduction fiscale des frais spécifiques induits par l'expatriation. La France est entrée dans cette voie dangereuse en 2003.
Les taxes sur les patrimoines et les successions sont relativement fortes en France: 0,73% du PIB, ce qui la met en 3e position dans l'OCDE, nettement devant les Etats-Unis (0,36%), le Royaume-Uni (0,24%), l'Allemagne (0,16%). En Europe, ne maintiennent un impôt sur la fortune (ISF) que la Suisse, le Luxembourg, la Suède, la France, l'Espagne et la Finlande. L'Italie vient de supprimer l'impôt sur les successions. La tentation de l'exil fiscal est grande pour les personnes fortunées. Il faut cependant distinguer deux cas: s'il s'agit d'une fortune financière, l'exil ne coûte à la France qu'un manque à gagner fiscal et n'a guère de conséquences économiques; s'il s'agit d'une fortune en biens professionnels, elle peut entraîner la fermeture de l'entreprise et la perte de capitaux productifs. Aussi, la France exonère les biens professionnels de l'ISF et d'une partie des droits de successions. Certes, cette mesure peut être considérée comme contraire à l'équité, mais c'est un moindre mal.
L'ISF est plafonné: son montant additionné à celui de l'impôt sur le revenu ne peut excéder 85% des revenus nets imposables. Ce plafonnement n'est pas satisfaisant: les personnes qui ont un patrimoine très important et peu de revenus ont généralement un important portefeuille boursier et ne déclarent pas complètement les plus-values. La réforme de l'ISF nécessiterait que soit calculé un vrai revenu qui incorporerait les loyers imputés (par exemple, pour 5% de la valeur de l'appartement occupé par son propriétaire) et une rentabilité des actions (5% du patrimoine boursier). Dans ce cas, le total de l'ISF et des impôts sur le revenu pourrait être plafonné à 55% du vrai revenu.
Du côté des pauvres...
L'objectif de la Prime pour l'emploi (PPE) était d'accroître l'incitation à l'emploi, en augmentant le gain à la reprise d'un emploi. C'est une prestation compliquée, versée avec un décalage important avec la reprise d'activité. Son montant est faible: 4,6% du salaire (44euros par mois) pour une personne travaillant à temps plein au SMIC; 6,7% du salaire (33euros par mois) pour un mi-temps au SMIC. Les compléments familiaux sont dérisoires. Elle est donc peu incitative.
La PPE ne rend pas vraiment rentable la reprise d'activité à mi-temps du premier travailleur d'un couple ou d'un célibataire ni même la reprise d'une activité à temps complet pour ce premier travailleur (tableau II.1.1).
II.1.1. - Gain Mensuel au Passage à l'Emploi
Source : Calcul OFCE.
La PPE est beaucoup plus faible que l'intéressement du RMI [1] L'intéressement est reçu tous les mois alors que la PPE est touchée plus d'un an après la reprise de l'activité. L'intéressement est donc nettement plus incitatif, mais a le défaut d'être provisoire (maximum un an) et de nécessiter d'être passé par la "case" RMI.
Quatre pistes de réformes peuvent être envisagées, à la fois pour rendre le système plus incitatif à l'emploi et pour améliorer le niveau de vie des travailleurs précaires. La première consisterait à revoir le barème de la PPE. Mais aucune réforme de celui-ci ne semble s'imposer et les défauts de la PPE persisteraient (complexité, délais). La deuxième consisterait à remplacer la PPE par une subvention à l'emploi, c'est-à-dire un remboursement de cotisations salariés pour les travailleurs payés au SMIC horaire et un peu plus. Figurant sur la fiche de paye mensuelle, elle serait immédiate et plus incitative. Toutefois, elle serait équivalente à une hausse du SMIC accompagnée d'une réduction des cotisations employeurs. Faut-il maintenir deux dispositifs équivalents? La troisième piste serait l'Allocation compensatrice de revenu, qui rendrait pérenne et sans condition de passage au RMI, l'intéressement du RMI. Chaque famille d'actifs recevrait une allocation égale au RMI diminuée de la moitié de ses revenus salariaux, de sorte qu'une hausse de 480 euros de salaire (un demi-SMIC) garantirait une hausse de 240 euros de revenu disponible. Cette mesure serait plus coûteuse, mais traiterait de manière cohérente la situation des travailleurs pauvres. Elle aurait la qualité (ou le défaut) de rendre rentable le travail à mi-temps, alors que l'on peut penser que celui-ci devrait être réservé à une population particulière (étudiants, parents d'enfants en bas âge, seniors) et ne peut être considéré comme une situation durable. La quatrième consisterait en la suppression du RMI, dont les titulaires seraient répartis en trois populations. Une première, déclarée définitivement inapte au travail, aurait droit à une allocation d'adulte handicapé. Une deuxième, considérée comme apte, se verrait affecter un emploi au SMIC dans une entreprise par un Contrat d'Initiative Emploi (CIE) renforcé, dans une collectivité locale ou une association. Une troisième, moins apte aurait, soit un travail au SMIC temporairement à mi-temps (par exemple, une célibataire avec enfants en bas âge) assorti d'une allocation d'intéressement, soit une formation rémunérée. Les individus n'auraient plus le choix entre RMI et activité salariée.
Le RMA semble aller dans cette direction. Son principe est de donner le montant du RMI à l'employeur (368 euros); celui-ci n'ayant qu'à fournir le complément pour assurer au travailleur le montant du SMIC à 20 heures de travail. Comme l'employeur ne paye les cotisations que sur ce complément (240 euros), le coût du demi-SMIC est pour lui de 350euros (au lieu de 729 euros normalement). Le travailleur perçoit lui 557 euros, au lieu de 479, puisqu'il ne paye les cotisations sociales que sur 240 euros. L'employeur paie moins, le travailleur gagne plus: la formule est séduisante. Elle pose toutefois deux problèmes. Le gain obtenu par le travailleur (78 euros) a pour contrepartie une baisse des cotisations chômage et retraite, soit de son salaire différé, de 134 euros; sont ainsi introduits des emplois qui ne permettent pas de valider des années complètes pour la retraite; c'est un précédent dangereux pour la protection sociale. Les travailleurs concernés perdent l'intéressement du RMI. Un travailleur qui prend un RMA perd 52 euros par mois (plus 134 euros de salaire différé) par rapport à un travailleur qui obtient un mi-temps rémunéré au SMIC en bénéficiant de l'intéressement du RMI; par contre, l'entreprise gagne 379 euros. Il est donc à craindre qu'un salarié sortant du RMI ne trouve plus que des RMA et perde toute chance de retrouver un emploi normal. Le RMA devra être repensé.
Les impôts sur les entreprises
Le taux français de l'Impôt sur les sociétés (IS), 34,3% est dans la moyenne européenne. Même s'il peut être nécessaire de le redescendre à 33,3%, l'effort à faire est limité (1,7 milliard d'euros). Le problème vient des autres prélèvements (impôts locaux, taxe sur les salaires). Autotal, les impôts sur les entreprises représentaient en France, en 2002, 6,6% du PIB, ce qui la plaçait au 2e rang dans l'OCDE (derrière le Luxembourg), contre 6,4% en Italie, 5,2% au Royaume-Uni, 3,5% aux Etats-Unis, 3% en Espagne, 0,9% en Allemagne (ce chiffre étant exceptionnellement bas en raison de la réforme fiscale).
En situation de chômage de masse, il faut réduire la taxation du travail plutôt que celle du capital. Aussi, la France a-t-elle choisi jusqu'à présent de faire porter l'effort sur la réduction des cotisations sociales plutôt que sur l'IS. Dans cette optique, la suppression de la taxe professionnelle est contre-productive. La taxe ne frappait plus que le capital physique, indépendamment de sa propriété. Les recettes de remplacement possibles sont contestables: la TVA, mais ce serait augmenter la fiscalité portant sur le travail; l'IS, mais celui-ci ne frappe pas le capital emprunté et est extrêmement fluctuant selon la conjoncture; une taxe spécifique sur l'EBE, mais il faudrait créer une nouvelle base fiscale, difficilement localisable; une taxe sur les ménages, certes, la France gagnerait en compétitivité, mais au détriment du pouvoir d'achat des ménages et en s'engageant dans une stratégie de concurrence fiscale. Il faut asseoir la fiscalité locale sur les facteurs physiques utilisés localement par l'entreprise. La bonne taxe, c'est celle que l'on vient de supprimer.
La question de l'harmonisation fiscale se pose de façon importante pour l'IS. Certes, les taux sont proches de 30% dans la quasi-totalité des pays de l'UE, de sorte que ce niveau pourrait être pris comme minimum. Mais, les pays accédants, et l'Irlande, réclament le droit de pratiquer un taux plus faible pour attirer les investissements étrangers. Les pays devraient renoncer à leur liberté de fixer les bases d'imposition alors que l'unanimité en matière de fiscalité directe est main-tenue dans la Constitution de l'UE. Aussi, la seule stratégie est d'affirmer le principe de taxation à la source: chaque pays doit pouvoir pratiquer le taux de son choix sur les profits réalisés sur son territoire. Ce n'est pas optimal puisque cela gêne la constitution d'entreprises européennes et oblige à surveiller les transferts entre sociétés mères et filiales, mais il n'y a pas d'autre solution aujourd'hui.
De trop fortes cotisations sociales?
Les cotisations sociales sont très élevées en France. C'est logique pour les prestations de remplacement (chômage, vieillesse) qui ont le statut de salaire différé. Ce mode de financement n'a aucun fondement pour les prestations famille et maladie, qui sont universelles et devraient être financées par l'impôt. Il faudrait donc remplacer les cotisations sociales employeurs par une taxation sur l'ensemble de la valeur ajoutée des entreprises, sans déductibilité de l'investissement, de façon à favoriser les secteurs de main-d'oeuvre et à inciter les entreprises à préférer l'emploi aux machines. Le gouvernement a préféré garantir aux entreprises que leurs cotisations ne seraient plus augmentées et concentrer les réductions sur les bas salaires.
La stratégie d'exonération des cotisations sociales a été menée sur une large échelle. Son coût ex ante en 2003 est de 15,9 milliards d'euros par an pour un effet estimé à 350000 emplois supplémentaires (d'après le ministère du Travail). Le coût ex post est nettement plus faible puisque ces emplois rapportent 7 milliards en recettes fiscales et économie de prestations chômage. Un célibataire payé au SMIC coûte 1392 euros à son entreprise, dont 424 euros de cotisations représentant des salaires différés. Il reçoit un transfert net de 50 euros (PPE + allocation logement - CSG - IR - cotisations maladie et famille); il lui reste 1018 euros: les Smicards ne supportent donc aucune charge fiscale et sociale nette; leur assurance maladie leur est offerte. Le niveau de vie assuré aux travailleurs non qualifiés est totalement dissocié du coût de leur travail. Mais ces exonérations fragilisent le financement de la Sécurité sociale. Les entreprises sont incitées à créer des emplois non qualifiés spécifiques, sans possibilité d'évolution, coincés dans une trappe à bas salaires. A terme, ceux-ci ne correspondront pas à la qualification croissante des jeunes. Il faudra changer de dispositif à moyen terme.
TVA : faut-il étendre les taux réduits?
Faut-il étendre les taux réduits de TVA ? Diminuer un taux spécifique est une voie dangereuse qui induit des demandes perpétuelles de traitement différencié. Certes, les producteurs concernés prétendent que le prix de leur produit baissera, donc que la demande augmentera, ce qui induira des recettes fiscales supplémentaires, qui réduiront le coût de la mesure. Mais ils oublient que, compte tenu de la contrainte financière, la baisse de recettes fiscales doit être compensée par l'augmentation d'un autre impôt; que le surcroît de demande dans leur secteur se fait au détriment d'autres secteurs, ce qui induit des pertes de recettes fiscales. Pour inciter à l'emploi non qualifié, la mesure est moins efficace que la baisse des cotisations sociales sur les bas salaires (puis-qu'elle bénéficie au capital et à l'emploi qualifié du secteur au détriment de l'emploi non qualifié des autres secteurs). Aussi, ne faut-il pas baisser la TVA sur les restaurants et les disques. On ne peut que regret-ter que la France affaiblisse son crédit en Europe pour défendre ces me-sures au lieu de l'utiliser pour faire progresser l'harmonisation fiscale.
Quelle stratégie pour la réforme fiscale?
La France n'a actuellement pas de marge pour faciliter une réforme fiscale par une réduction globale de la fiscalité. Une stratégie axée sur la réduction des impôts des plus riches poserait des problèmes d'acceptation sociale, creuserait la facture sociale et induirait un déficit de demande: les riches consomment peu (relativement) aux pauvres qui seraient frappés par les baisses de dépenses publiques nécessaires pour financer la réforme. Une stratégie axée sur la réduction des impôts frappant les entreprises afin d'améliorer l'attractivité de la France obligerait à augmenter les impôts des ménages, donc accepter une baisse de niveau de vie pour être plus compétitif. Là aussi, se pose la question de l'impact sur la demande et de l'acceptation sociale. Ce serait une stratégie peu coopérative à l'échelle européenne. La réforme fiscale n'est pas chose aisée.
Notes
[1] Un Rmiste qui retrouve un emploi continue de percevoir pendant un an une allocation égale au RMI diminuée de la moitié de son salaire. Cela lui garantit d'un gain à la reprise d'un emploi égal à la moitié de son salaire.
Pour aller plus loin
La Lettre de l'OFCE N°249 du 4 mai 2004 : "L'introuvable réforme fiscale", Henri STERDYNIAK
Henri Sterdyniak dans la revue de l'OFCE, N°87 octobre 2003 : "Les réformes fiscales en Europe : 1992 - 2002"
Voir les travaux du pôle de réflexion sur la modernisation de la fiscalité à l'Institut de l'Entreprise.