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Retraites : l'état du débat

Publié le 12/05/2003
Auteur(s) - Autrice(s) : Henri Sterdyniak
Évaluer l'avenir des retraites oblige à effectuer des projections sur longue période, même s'il est impossible de prévoir en toute rigueur quelle sera la situation économique et sociale dans 40 ans. Il existe cependant une certaine convergence des diagnostics qui, grosso modo, indiquent que la France a le choix entre trois stratégies. En mai 1999, la publication du Rapport Charpin, issu d'une commission de concertation entre partenaires sociaux et administrations, réunie à la demande du Premier ministre, a relancé le débat sur l'avenir du système des retraites.

Ce chapitre reprend en partie un article de la Revue de l'OFCE, n° 70, juillet 1999

La question des retraites est l'une des plus délicates auxquelles la société française sera confrontée dans les années à venir. Le système de retraite publique assure actuellement aux personnes âgées un niveau de vie satisfaisant, pratiquement équivalent à celui des actifs. Le taux de remplacement (rapport entre la pension de retraite et le dernier salaire net) va de 85 %, pour les travailleurs payés au SMIC, à environ 60 % pour la majeure partie des cadres. En 1997, ce système a redistribué 12,7 % du PIB. Il est fondé sur le principe de la répartition : les retraites sont financées par un prélèvement sur les revenus d'activité de la même période. Mais sa pérennité est menacée par la hausse prévisible du ratio entre retraités et actifs, induite par la baisse de la fécondité et surtout l'allongement de la durée de vie. En mai 1999, la publication du Rapport Charpin, issu d'une commission de concertation entre partenaires sociaux et administrations, réunie à la demande du Premier ministre, a relancé le débat sur l'avenir du système, d'autant plus qu'elle n'a pas permis d'aboutir à une stratégie portée par l'ensemble des partenaires sociaux. Nous nous proposons ici de faire un bilan de l'état du débat.

Des projections sur 40 ans

Évaluer l'avenir des retraites oblige à effectuer des projections sur longue période, même s'il est impossible de prévoir en toute rigueur quelle sera la situation économique et sociale dans 40 ans. Il existe cependant une certaine convergence des diagnostics. Dans le scénario central relativement optimiste proposé par l'OFCE, les hypothèses faites sont celles d'un maintien à 1,8 % des gains de productivité du travail et d'un retour à un taux de chômage de l'ordre de 5 % après 2017. Le ratio de dépendance, c'est-à-dire le rapport entre le nombre de retraités et le nombre d'actifs, resterait aux alentours de 52 % de 1997 à 2005, année de début de départ à la retraite des générations du baby-boom, puis augmenterait ensuite jusqu'à 83 % en 2040 (graphique XI.1).

GRAPHIQUE XI.1. - ÉVOLUTION DU RATIO RETRAITÉS/ACTIFS

ÉVOLUTION DU RATIO RETRAITÉS/ACTIFS

Source : Calculs OFCE.

Grosso modo, la France a le choix entre trois stratégies. Le maintien à son niveau actuel du ratio moyen entre retraites et salaires ferait passer le taux de cotisation retraite de 20,1 % en 1997 à 28,3 % en 2040 ; le taux global de cotisations passerait de 45,6 % à 51,7 %, soit une moindre progression de 0,3 point par an du salaire net (1,5 % au lieu de 1,8 %). La stabilité du taux des cotisations retraite ferait baisser de 40 % le niveau de vie relatif des retraités. Le report de l'âge de départ à la retraite à 65 ans limiterait le ratio retraités/actifs à 60 % en 2040 : il ne serait pas nécessaire alors d'augmenter le taux global de cotisations.

Comme la constitution d'une retraite nécessite un effort sur la totalité de la vie active, les salariés ont besoin d'un cadre prévisible. En même temps, les évolutions structurelles rendent nécessaires des ajustements périodiques. Il faut donc que l'État et les partenaires sociaux s'engagent sur une stratégie précise mais révisable. Cette stratégie doit faire une certaine unanimité parmi les forces sociales et politiques pour ne pas être continuellement remise en cause. Elle doit être annoncée explicitement.

Il faudrait d'abord préciser quel est le niveau de retraite que les régimes publics garantissent. Les réformes mises en œuvre jusqu'à présent, que ce soit la réforme Balladur (1993) ou les accords des régimes complémentaires (1996), réduisent à terme d'environ 20 % les taux de remplacement bruts assurés par le système public ; mais, compte tenu de la hausse tendancielle des droits acquis par les retraités et de la hausse prévisible des cotisations, le ratio retraite nette/salaire net devrait rester stable à l'avenir, si la législation reste en l'état. Cependant, cette stabilité nécessite une hausse tendancielle des cotisations sociales.

Le Rapport Charpin écarte rapidement la stratégie où les salariés accepteraient une hausse tendancielle de leurs cotisations pour maintenir leur niveau de retraite et l'âge de départ à la retraite. Il prétend qu'une hausse des cotisations entraînerait une hausse permanente du taux de chômage d'équilibre. Il ne discute pas de la possibilité d'augmenter l'acceptabilité des cotisations retraites des salariés en les distinguant nettement des prélèvements obligatoires, en faisant ainsi mieux apparaître leur contrepartie en terme de droits à retraite.

Lors des négociations des régimes complémentaires en 1996, devant l'intransigeance du patronat, qui refusait d'augmenter ses cotisations, certains syndicats ont accepté une baisse tendancielle du niveau relatif des retraites complémentaires. De 1996 à 2000, le prix d'achat du point augmente plus que les salaires (de 4 points par an) tandis que la valeur du point évolue moins que le salaire (de un point l'an). Dans leurs projections pour le Rapport, les régimes complémentaires (ARRCO et AGIRC) ont prolongé jusqu'en 2040 les accords de 1996. La valeur d'achat du point serait indexée sur le salaire moyen, mais la pension servie par point serait indexée sur les prix. Aussi, le rendement des régimes complémentaires diminuerait-t-il constamment et serait divisé par 2 en 40 ans. Avec ces hypothèses, pour un ouvrier type, le taux de remplacement net passerait de 83,7 à 69,4 % (soit une baisse de 17 %) ; pour un cadre type de 71,0 à 50,4 % (soit une baisse de 29 %). Est-ce socialement acceptable ? Peut-on imaginer que durablement les salaires nets progressent de 1,45 % par an, les retraites du Régime général de 1,1 % par an, et les retraites complémentaires de seulement 0,3 % par an ?

La part des plus de 60 ans devrait passer de 22,5 % des personnes en 1997 à 35,2 % (en comptant 1 pour les adultes et 0,5 pour les enfants de moins de 15 ans). Il serait donc normal que leur part dans le PIB passe de 12,7 à 18,9 %. Le Rapport ne les fait passer qu'à 15,8 %. Il prévoit donc une forte baisse du pouvoir d'achat relatif des retraités (de 23,5 %).

Après avoir noté que les taux de remplacement sont actuellement identiques pour les salariés du public et du privé, le Rapport estime qu'ils devraient se creuser à l'avenir. Mais ce creusement repose sur l'hypothèse de baisse tendancielle du niveau des retraites complémentaires. La disparité à corriger n'est pas entre retraites du public et retraites du privé, mais entre retraites du privé et salaires du privé. Il ne faut pas demander des efforts aux retraités du public, mais demander aux salariés du privé d'accepter des hausses de cotisations salariés pour maintenir le niveau de leurs retraites (hausses qui seront répercutées naturellement sur les salariés du public).

La disparité actuelle des indexations des retraites des secteurs publics et privés n'est certes pas soutenable, mais il ne serait pas acceptable de briser le lien actuel et statutaire entre salaires et retraites du secteur public. Il faudra donc organiser une convergence des deux systèmes. Un compromis social fructueux devrait comporter l'indexation des retraites sur les salaires nets, dans le privé comme dans le public, une certaine garantie sur le niveau futur des pensions et une convergence des taux de remplacement (qui devraient être d'autant plus forts que le salaire est faible). De même, il faudrait définir des postes de travail pénibles dans le privé, qui pourraient donner droit à une retraite anticipée, comme c'est le cas actuellement dans le public (quitte à revoir la liste des postes classés pénibles dans le public).

Le Rapport préconise une solution miracle : le recul du départ à la retraite. La réforme proposée consiste à faire passer à 42,5 années la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein (au lieu de 37,5 années dans le public et 40 années dans le privé à partir de 2003). Reculer le départ à la retraite nécessite le retour préalable au plein emploi (sinon, il faut payer des chômeurs au lieu de payer des retraités) et une modification importante du déroulement des carrières (les entreprises doivent renoncer à la stratégie d'exclusion précoce des travailleurs vieillissants, les salariés doivent renoncer aux avancements automatiques avec l'âge).

Cette réforme aurait deux conséquences : inciter fortement la plupart des salariés à travailler quelques années de plus et diminuer le montant de la retraite de ceux qui ne pourront atteindre cette durée. La baisse des taux de liquidation proposée par la réforme s'ajouterait à la baisse des pensions induite par la désindexation des pensions du régime général et la baisse des pensions des régimes complémentaires. Elle n'est donc acceptable que si la société peut assurer un emploi à tous jusqu'à une durée de cotisations de 42,5 années. Or, la même année, le gouvernement incite à la semaine de 35 heures, pour réduire le chômage, et le rapport Charpin préconise le maintien en activité de personnes de 60 ans, ayant travaillé 40 ans. Est-on sûr que les travailleurs préfèrent travailler 35 heures par semaine jusqu'à 65 ans plutôt que 39 heures jusqu'à 60 ans ?

Une question de calendrier se pose : la réforme proposée n'a de sens qu'en situation de plein emploi. Peut-on la décider maintenant, alors qu'une dizaine d'années encore nous sépare de cet objectif ? En 2020, en situation de plein emploi, le choix serait purement social : les salariés préféreront-ils une retraite à 65 ans ou à 60 ans, sachant que dans le second cas leur niveau de revenu sera plus bas de 12 % durant toute leur carrière ? Selon quel critère le rapport tranche-t-il aujourd'hui pour la première solution ? Une durée d'activité de 42,5 années est longue. Surtout que l'année manquante coûte 7 % d'une retraite déjà diminuée. Faut-il à ce point se caler sur le modèle assuranciel ? En particulier, se pose le problème de ceux qui ont eu du mal à s'intégrer au départ dans la vie active. Faut-il le leur faire payer 40 ans après ? Une réforme qui maintiendrait les 160 trimestres requis (en l'étendant au secteur public), qui prévoirait de porter de 2015 à 2020 l'âge de départ à la retraite de 60 ans à 62,5 ans, si la France est effectivement en situation de plein emploi, (sauf pour certaines professions pénibles), serait mieux acceptable. Le Rapport ne dit pas clairement que le report de l'âge de la retraite ne peut avoir lieu qu'en situation de quasi plein emploi. Mais que faire si la France reste en situation de chômage de masse ?

Le Rapport envisage d'accumuler des réserves dans les régimes par répartition en augmentant les cotisations dès maintenant, sans attendre 2006. Mais il n'en discute pas la possibilité macroéconomique. Une hausse des cotisations, sans contrepartie en terme de prestations, ne peut avoir lieu qu'en période d'excès de demande, si on ne veut pas qu'elle réduise l'activité. Durant la période récente, au contraire, en raison d'une demande intérieure trop faible, et de taux d'intérêt trop élevés, la France a été obligée pour soutenir son activité de maintenir un certain déficit public et d'accumuler de la dette publique.

Le Rapport estime que la réforme doit être engagée immédiatement. Peut-on retarder l'âge du départ à la retraite avant le retour au plein emploi ? Peut-on accumuler des réserves indépendamment du contexte macroéconomique ? Le cycliste qui monte un sommet à bicyclette, sait qu'il devra freiner dans la descente, ce n'est pas pour autant qu'il anticipe la descente en freinant dans la montée. Peut-être que l'urgence est plutôt une politique concertée de croissance en Europe, qui permettra la baisse de la dette publique, le retour au plein emploi, puis la fin de l'exclusion des travailleurs de 55-60 ans.

Le Rapport ne fournit aucune proposition forte pour renforcer la fiabilité et la crédibilité du système. Peut-on dire aux salariés : on retarde le départ à la retraite, on réduit fortement les pensions, on augmente les cotisations pour constituer des réserves et ne pas leur donner des garanties sur l'avenir du système par répartition et le niveau futur de leur retraite ?

Les fonds de pensions

Les fonds de pension sont les grands absents du Rapport. Le lecteur ne peut pas savoir si le gouvernement et les partenaires sociaux s'accordent pour écarter complètement le recours à la capitalisation ou si, au contraire, l'évolution retenue réduit à ce point les prestations des régimes par répartition que les salariés seront obligés d'avoir recours en plus à des fonds de pension. Il faudra pourtant choisir clairement entre deux discours : celui où l'État et les partenaires sociaux s'engagent à maintenir un niveau des retraites qui assure la parité des niveaux de vie entre actifs et retraités ; celui où ils renoncent à cet objectif et préviennent les salariés qu'ils devront assurer par leur épargne propre une partie importante de leur retraite.

La loi Thomas votée par la précédente majorité devait favoriser la création de fonds de pension. Toutefois, elle leur donnait des avantages excessifs (exonération des sommes versées par les employeurs de toute cotisation sociale) qui leur auraient permis de se développer au détriment de la Sécurité sociale. Le gouvernement actuel a refusé que cette loi soit mise en application. Il devrait proposer un nouveau texte en 2000. Le projet le plus souvent évoqué, favoriser des " fonds d'épargne salariale " investis en actions de l'entreprise, pourrait, certes, permettre aux travailleurs de bénéficier de l'expansion de leur entreprise, contribuer à améliorer les relations de travail dans les entreprises et être un élément de stabilité de l'actionnariat. Mais de tels fonds ne sont pas un instrument de masse pour les retraites. D'abord, ils ne peuvent concerner que les grandes entreprises cotées. Ensuite le salarié placerait dans le même panier son travail et son capital, ce qui n'est pas souhaitable du point de vue de la diversification des risques. Certains retraités seront gagnants, ayant eu la chance d'appartenir à des secteurs porteurs ; d'autres perdants, ayant travaillé dans des secteurs en déclin. Un placement retraite doit être diversifié pour faire courir le moins de risque possible.

La proposition de loi adoptée par le Sénat en octobre 1999 propose un compromis : les versements des entreprises aux fonds seraient exonérés des cotisations employeurs, maladie, famille et chômage, mais paieraient des cotisations vieillesse. La seule proposition acceptable est celle qui évite toute perte de ressources de la Sécurité sociale : les fonds investis bénéficieraient uniquement de l'exonération de l'impôt sur le revenu. Par ailleurs, on voit mal pourquoi priver les salariés du privé de la possibilité qui est offerte aux non-salariés (loi Madelin) et aux fonctionnaires (par la Prefon et le Cref) de compléter volontairement leur retraite par un placement à sortie obligatoire en rente viagère, bénéficiant d'une exonération fiscale à l'entrée.

Le point de vue des partenaires sociaux

Dans le débat sur l'avenir des retraites, le Medef a actuellement une position offensive tandis que les syndicats sont sur la défensive. Dans son document du 12 avril 1999, "Propositions du Medef pour assurer l'avenir des retraites en France", le Medef insiste sur la nécessité d'effectuer des réformes drastiques quant à la retraite des salariés du public. Il refuse la création d'un fonds de réserve qui, dit-il avec justesse, n'a aucun sens en situation de déficit budgétaire. Il refuse toute hausse des cotisations et propose l'adaptation des dépenses aux recettes, soit le calcul de la retraite sur l'ensemble de la carrière, le maintien des (dés-) indexations actuelles et une durée de cotisation de 45 ans. Cette proposition impliquerait que les salariés travaillent jusqu'à 66,5 ans en moyenne et donc que le patronat modifie profondément sa politique d'emploi. Notons que parallèlement à ces propositions, le patronat négocie avec l'État des préretraites dans le secteur automobile.

Pour sauvegarder le système de retraite par répartition, qui est comme le rappelle le Rapport Charpin, un élément important de cohésion sociale, il faudrait que le gouvernement et les syndicats de salariés prennent quelques engagements précis : maintenir grosso modo la parité de niveau de vie entre les retraités et les actifs, maintenir la parité des taux de remplacement entre salariés du public et du privé (ces deux exigences supposent l'indexation des retraites sur les salaires nets, le retour à l'indexation des salaires pris en compte sur les salaires et une fixation explicite des taux de remplacement net), ne pas retarder l'âge de la retraite avant le retour à proximité du plein emploi (garantir aux salariés qu'ils ne seront pas exclus des entreprises avant d'avoir droit à une retraite à taux plein), accepter la hausse nécessaire des cotisations salariés pour satisfaire aux trois premières exigences.

Bibliographie

CHARPIN J.-M., L'Avenir de nos retraites, La Documentation française, Paris, 1999.

KHALFA P. et CHANU P.-Y., Les Retraites au péril du libéralisme, Syllepse, 1999.

STERDYNIAK H., DUPONT G. et DANTEC A., "Les retraites en France : que faire? ", Revue de l'OFCE, n° 68, janvier 1999.