Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Navigation
Vous êtes ici : Accueil / Articles / Budget 2019 : une impulsion pour le pouvoir d'achat

Budget 2019 : une impulsion pour le pouvoir d'achat

Publié le 03/12/2020
Auteur(s) - Autrice(s) : Pierre Madec, Mathieu Plane, Raul Sampognaro
Les mesures d'urgence économique et sociale prises fin 2018 pour répondre à la crise des « gilets jaunes » ont conduit à une réorientation de la politique socio-fiscale du gouvernement depuis l'élection d'Emmanuel Macron. Cet article, issu du Repères "L'économie française 2020", analyse les effets du budget 2019 sur la croissance et les ménages, en identifiant les gagnants et les perdants des nouvelles mesures. Alors qu'en 2018, les plus aisés avaient été les principaux bénéficiaires des mesures socio-fiscales, un rééquilibrage rapide en faveur des autres ménages, notamment ceux des classes moyennes, sera opéré en 2019.

Alors que les priorités fiscales de la Loi de finances 2018 étaient la réforme de la fiscalité du capital (réforme de l'ISF et mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU)) et la poursuite de la baisse de la fiscalité des entreprises (baisse de l'IS, hausse du taux de CICE…), les orientations ont changé en 2019. Sous l'effet notamment de la loi portant les mesures d'urgence économiques et sociales de décembre 2018, un rééquilibrage en faveur du revenu des classes moyennes a été opéré au cours du budget 2019.

En 2019, les ménages bénéficieront en matière fiscale de la matérialisation des effets pleins des baisses de cotisations salariales, de la montée en charge de l'exonération de taxe d'habitation, de la défiscalisation des heures supplémentaires et de la baisse de la CSG pour certains retraités. Malgré la forte revalorisation de la prime d'activité décidée au mois de décembre, les ménages pâtissent de certaines mesures d'économies en dépenses publiques comme la sous-indexation d'un certain nombre de prestations sociales, notamment des pensions de retraite. Dans l'ensemble, la politique budgétaire de 2019 se caractérise par un soutien franc de leur pouvoir d'achat à hauteur de près de 12 milliards d'euros (soit 0,5 point de PIB et 0,8 point de RDB) (tableau 1).

Tableau 1. Impact des mesures socio-fiscales sur le pouvoir d'achat des ménages

Cliquez sur le graphique pour l'agrandir.

Par ailleurs, en 2019, les finances publiques seront fortement impactées par les effets comptables de la transformation de 6 points de CICE en baisse de cotisations sociales employeurs. Au total, hors double effet de la bascule CICE qui conduit à un versement exceptionnel de 20 milliards (0,8 point de PIB) sur la seule année 2019, une impulsion budgétaire de + 0,2 point de PIB sera mise en œuvre.

Une baisse historique du taux de prélèvement obligatoire sur les ménages, principalement due aux mesures d'urgence

À partir des données de comptabilité nationale, nous avons recomposé les évolutions des prélèvements obligatoires (PO) depuis 1995 en distinguant les prélèvements supportés par les entreprises de ceux supportés par les ménages (graphique 1). Après une hausse historique sur la période 2010-2018, une baisse du taux de PO des ménages s'est enclenchée en 2019 (– 0,5 point de PIB), dont environ 60 % sont dus aux mesures d'urgence économiques et sociales. Sous l'effet de la montée en charge de certaines mesures fiscales (taxe d'habitation et bascule cotisations/CSG) et de celles issues de la loi mesures d'urgence économique et sociale, la fiscalité directe sur les ménages va diminuer de 13,6 milliards d'euros (tableau 1). De son côté, avec l'annulation de la hausse de la taxe carbone pour 2019, la fiscalité indirecte n'augmenterait que de 0,7 milliard avec la hausse des taxes sur le tabac. Concernant les mesures sur les dépenses sociales, elles réduiraient le pouvoir d'achat de 0,5 milliard d'euros en 2019 sous des effets opposés (d'un côté, revalorisation de certains minima sociaux, hausse de la prime d'activité et du chèque énergie et, de l'autre, désindexation de certaines prestations sociales et nouveau mode de calcul des aides au logement).

Au final, plus de 80 % des mesures concernant les ménages en 2019 proviennent des décisions prises par le président de la République en décembre 2018 pour répondre à la crise des « gilets jaunes ».

Du côté des entreprises, avec la transformation du CICE, leur taux de PO baissera nettement en 2019 (– 0,6 point de PIB) pour atteindre un point bas sur la période 1995-2019. Hors l'effet transitoire du CICE, le taux de PO des entreprises augmenterait de 0,2 point de PIB.

Graphique 1. Taux de prélèvements sur les ménages et les entreprises sur la période 1995-2019

Cliquez sur le graphique pour l'agrandir.

Budget 2019 : plus de gagnants… mais des perdants

En analysant les mesures qui s'appliquent en 2019, à l'aide de données microéconomiques et du modèle de microsimulation Ines, il apparaît que les 5 % de ménages les plus modestes verraient leur revenu disponible s'accroître en moyenne de 60 euros par an (+ 0,5 %) (graphique 2). Les mesures prises sur les aides au logement (APL), la désindexation d'un certain nombre de prestations sociales et l'augmentation des prix du tabac devraient réduire leur revenu disponible de l'ordre de 0,7 %. Mais cette baisse serait plus que compensée en moyenne par la revalorisation du chèque énergie et la mise en place du « zéro reste à charge » ainsi que la montée en charge de l'exonération de la taxe d'habitation et les mesures de revalorisation de la prime d'activité qui accroîtraient chacune de 30 euros leur revenu disponible.

Graphique 2. Impact des mesures socio-fiscales en 2019, par vingtile de niveau de vie, par rapport à 2018

Cliquez sur le graphique pour l'agrandir.

Plus globalement, pour les ménages les plus modestes, la forte revalorisation et l'extension de la prime d'activité devraient compenser l'impact négatif de la désindexation et du nouveau mode de calcul des aides au logement. Dans le même temps, l'effet des mesures visant les ménages du milieu de la distribution (heures supplémentaires, taxe d'habitation, annulation de la hausse de la CSG pour certains retraités, baisse des cotisations sociales salariés) devrait croître avec le niveau de vie de ces derniers. À partir du 12e vingtile, l'impact positif des mesures socio-fiscales se réduirait avec le niveau de vie des ménages en raison d'un effet plus faible des mesures liées à la taxe d'habitation et du rétablissement de la CSG à 6,6 % pour certains retraités. A contrario, le revenu disponible de ces ménages continuerait à être largement soutenu par la défiscalisation des heures supplémentaires et la baisse des cotisations sociales salariés intervenue fin 2018 (et qui joue à plein en 2019), et ce malgré les effets négatifs de la sous-indexation des prestations sociales et notamment des pensions de retraite.

Les 5 % de ménages les plus aisés, premiers bénéficiaires de la politique socio-fiscale entamée en 2018 verront quant à eux leur revenu disponible croître du même ordre de grandeur que les ménages des 3 vingtiles inférieurs, soit environ 0,5 %.

Si, en moyenne, les ménages bénéficieront tous largement des mesures socio-fiscales mises en œuvre, près de 25 % des ménages accuseraient une baisse de leur revenu disponible du fait de la mise en place de celles-ci. Ces ménages se trouveraient principalement en bas et en haut de la distribution des niveaux de vie. Parmi les 5 % de ménages les plus modestes (le 1er vingtile), près d'un tiers verraient leur revenu disponible se réduire. A contrario, les ménages au centre de la distribution des niveaux de vie, c'est-à-dire entre les 8e et 12e vingtiles, seront plus de 90% à connaître une hausse de leur pouvoir d'achat du fait de l'entrée en vigueur des mesures. Au-delà, la part de ménages « perdants » croîtrait avec le niveau de vie des ménages pour atteindre un peu moins d'un tiers en haut de la distribution, c'est-à-dire pour les 15 % de ménages les plus aisés.

Les pertes enregistrées par certains ménages modestes s'expliquent en grande partie par la baisse des aides au logement et la sous-indexation de certaines prestations sociales. Au centre de la distribution, les ménages « perdants » sont principalement des ménages inactifs ne bénéficiant pas de la baisse des cotisations sociales ou de la défiscalisation des heures supplémentaires mais accusant une baisse de leurs prestations sociales (APL, allocations familiales…). Pour les ménages les plus aisés, les pertes toucheraient en grande partie les ménages retraités à travers le quasi-gel des pensions de retraite. Si les ménages perdants sont minoritaires, ils accuseraient pour certains des pertes de revenu pouvant atteindre 1 %.

2018-2019 : vers un rééquilibrage de la politique socio-fiscale

Alors qu'en 2018 seuls les ménages les plus aisés ont en moyenne bénéficié des mesures socio-fiscales mises en place [1], les gains à attendre pour 2019 sont répartis de manière bien plus large le long de la distribution des niveaux de vie. Pour les 5 % de ménages les plus modestes, les mesures de 2018 ont amputé leur revenu disponible du fait notamment du renforcement de la fiscalité écologique. En 2019, le renoncement à l'augmentation de la taxe carbone associé à l'entrée en vigueur du « zéro reste à charge » et à la revalorisation du chèque énergie soutient leur niveau de vie et vient compenser l'impact négatif des mesures passées. En haut de la distribution, l'impact cumulé des mesures pour 2018 et 2019 reste marqué par le faible effet pour les 20 % de ménages les plus aisés de la mesure de taxe d'habitation. Néanmoins, alors que ces ménages voyaient en 2018 leur revenu se réduire sous l'effet notamment de la bascule cotisations/CSG et de la hausse de la fiscalité indirecte (hydrocarbures et tabac), celui-ci se trouve soutenu par la nouvelle baisse des cotisations salariés et la défiscalisation des heures supplémentaires.

Malgré le rééquilibrage important du budget de 2019 en faveur des ménages, notamment des « classes moyennes », l'impact des mesures de 2018 et 2019 reste très fortement marqué par le geste fiscal effectué en direction des plus aisés en début d'année 2018.

Impact des mesures du quinquennat sur la croissance : négatif en 2018, positif en 2019

Les mesures en direction des ménages soutiendraient la croissance à hauteur de 0,5 point de PIB en 2019. Les baisses de fiscalité décidées pour répondre à la crise des « gilets jaunes » conduiraient à elles seules à améliorer la croissance de 0,3 point en 2019. Par ailleurs, les baisses de la fiscalité du capital et des prélèvements sur les entreprises (y compris le remboursement exceptionnel de la contribution additionnelle de 3 % sur les dividendes et la transformation exceptionnelle du CICE en baisse de cotisations sociales patronales [Ducoudré et Heyer, 2018]) amélioreraient la croissance de 0,04 point en 2019.

Les mesures structurelles visant à contenir l'évolution de la dépense publique (hors investissement public) seraient un frein à la croissance. En 2019, l'effort structurel sur la dépense publique réduirait la croissance de 0,1 point de PIB, principalement sous l'effet des économies sur la masse salariale non marchande, de la réduction du budget du logement social et de la désindexation de la plupart des prestations (impact de – 0,2 point de PIB). En revanche, la forte revalorisation de la prime d'activité et le soutien à l'investissement conduiraient à accroître la croissance de 0,1 point de PIB.

Au final, les mesures prises depuis le début du quinquennat augmenteraient sensiblement l'activité en 2019, de 0,4 point de PIB, dont 0,3 point pour les seules mesures issues de la crise des « gilets jaunes ». En intégrant l'effet des mesures passées (CICE…), la politique budgétaire nationale contribuerait au PIB à hauteur de 0,5 point de PIB en 2019.

Si le budget 2019 permettra de soutenir la croissance, il marquera aussi une pause dans la baisse du déficit public qui avait été ininterrompue depuis 2010. En 2019, il devrait augmenter et repasser au-dessus du seuil des 3 % du PIB (après 2,5 % en 2018). Toutefois, la hausse ne serait que temporaire et essentiellement liée au double effet comptable de la transformation du CICE en baisse de cotisations sociales employeurs (0,8 point de PIB). Dans ce contexte, la dette publique au sens de Maastricht ne devrait pas diminuer en 2019 malgré un contexte favorable (taux d'intérêt historiquement bas, croissance nominale qui résiste), mais les fondamentaux sont là pour que la décrue s'engage dès 2020, le déficit public étant attendu à 2 % en 2020.

Repères bibliographiques

DUCOUDRÉ B. et HEYER É., « Transformation du CICE : des effets faibles attendus sur l'emploi, nuls sur l'activité économique », Policy Brief de l'OFCE, n° 40, octobre 2018.

Pour aller plus loin

Pour plus de détails, voir Policy Brief de l'OFCE, n° 46, janvier 2019.

Notes

[1] Pour plus de détails, voir Policy Brief de l'OFCE, n° 30, janvier 2018.