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Des heures supplémentaires en plus

Publié le 20/05/2008
Auteur(s) - Autrice(s) : Éric Heyer
Xavier Timbeau
La défiscalisation des heures supplémentaires et son exonération de cotisations sociales, proposée par Nicolas Sarkozy, vise à redonner du pouvoir d'achat aux salariés français en abaissant le coût du travail et en augmentant leur durée du travail. Pourquoi cette mesure et quel serait son impact sur l'emploi ? Avant d'exposer les effets macroéconomiques de la défiscalisation des heures supplémentaires, l'article revient sur le diagnostic sur lequel repose cette mesure en se demandant si les salariés français travaillent moins comparativement aux autres pays de l'OCDE et si le coût du travail dans l'Hexagone est trop élevé.

La défiscalisation des heures supplémentaires et son exonération de cotisations sociales est, sans aucun doute, la mesure la plus emblématique du candidat Sarkozy pour donner corps à son slogan «Travailler plus pour gagner plus». Concrètement, cela signifie que la rémunération des heures supplémentaires effectuées au-delà des 35 heures hebdomadaires sera majorée de 25% et ne sera soumise ni à l'impôt sur le revenu ni aux cotisations sociales salariés et employeurs. Elle vise donc à redonner du pouvoir d'achat aux salariés français en abaissant le coût du travail et en augmentant leur durée du travail. Après les assouplissements apportés par la loi Fillon de 2003, cette mesure est une nouvelle étape dans le détricotage des lois Aubry relatives aux 35 heures.

Avant d'exposer les mécanismes macroéconomiques qui soutendent une telle mesure, nous allons revenir sur le diagnostic sur lequel elle repose en répondant aux questions : les salariés français travaillent-ils assez et le coût du travail dans l'Hexagone est-il trop élevé ?

Les Français travaillent-ils assez ?

La France travaille-t-elle assez ? Répondre à cette question suppose de réaliser des comparaisons internationales sur les heures travaillées. Or celles-ci soulèvent de nombreux problèmes méthodologiques qu'il convient de garder à l'esprit lors de leur analyse. La grande diversité législative et institutionnelle sur le temps de travail entre les pays, le manque d'homogénéité des concepts, des modes de collecte et des bases de données, la multiplicité des sources et leur non-concordance pour un même pays fragilisent les comparaisons dans ce domaine, notamment lorsque celles-ci sont réalisées en dynamique.

Depuis l'entrée en vigueur de la législation relative aux 35 heures, la France est le pays où la durée hebdomadaire légale est la plus basse (35 heures en France contre un peu plus de 38 heures chez nos principaux partenaires). Ce constat persiste lorsque l'on tient compte des jours fériés et des congés payés légaux, en ramenant cette durée conventionnelle pour les salariés à temps plein à une base annuelle.

Selon ce concept, les Français ont travaillé 7% de moins que leurs voisins Italiens ou Allemands et 10% de moins que les Hollandais ou les Espagnols en 2004.

Mais ce concept est trop parcellaire pour établir un diagnostic fiable sur les heures travaillées dans les différents pays. Ne prenant en compte que les seuls salariés à temps plein, cet indicateur ne reflète pas les différences dans le recours au temps partiel dans chaque pays ainsi que des durées de travail différentes dans ce type de contrat. Or il se trouve que la France a, à la fois, l'un des taux de recours au temps partiel les plus bas des pays développés (17,3% contre 23,8% en moyenne chez ses principaux partenaires) et la durée du travail dans ce type de contrat la plus élevée (23 heures contre 20 heures en moyenne dans les autres pays, tableau 1).

TABLEAU 1. DURÉE DU TRAVAIL ANNUELLE HABITUELLE (2004)

en heures France Allemagne Espagne Italie Pays-Bas Royaume-Uni États-Unis Moyenne

Durée hebdomadaire habituelle des salariés à temps plein

Rang

38,9

6e

39,8

4e

40,3

3e

3,3

5e

38,8

7e

42,7

1e

42

2e

40,3

 

Durée hebdomadaire habituelle des salariés à temps partiel

Rang

23

1e

18

7e

19

6e

21

3e

19

4e

19

5e

22

2e

20

 

Taux d'emploi à temps partiel 17,3 32,7 9,1 12,4 46,2 25,4 16,8 22,8

Durée annuelle habituelle de tous les salariés

Rang

1879

5e

1694

6e

1994

2e

1927

3e

1552

7e

1909

4e

2011

1e

1852

 

Sources : Bruyères et al. (2006).

Contrairement à l'OCDE qui s'appuie sur des concepts et des données hétérogènes séries des services de comptabilité nationale lorsqu'elles sont disponibles (France, Allemagne, Italie), données d'enquête auprès des entreprises (Espagne, Royaume-Uni) ou des ménages (États-Unis) , la DARES a fait mener une étude méthodologique de calcul d'une durée annuelle habituelle à partir de la source relativement homogène que constituent les enquêtes communautaires sur les forces de travail (FT). Dans cette étude (Bruyère et al. [2006]), les auteurs calculent une durée habituelle qui s'applique à une semaine normale sans événement particulier pour les salariés à temps plein et à temps partiel. Selon ce concept de durées habituelles plutôt que conventionnelles, la hiérarchie entre les pays se modifie. La France n'est plus le pays où l'on travaille le moins : l'Allemagne et les Pays-Bas, en raison d'un taux d'emploi à temps partiel très supérieur à la France et d'une durée du travail dans ce type de contrat inférieure, ont une durée hebdomadaire habituelle inférieure à celle observée dans l'Hexagone (tableau 1).

En tenant compte du temps partiel, cette notion de durée hebdomadaire habituelle est plus complète que celle de durée conventionnelle. Cependant, elle n'intègre ni les congés annuels, maladies ou maternité, ni les jours fériés ou encore de nouvelles formes d'organisation du temps de travail.

C'est la raison pour laquelle la DARES a développé un indicateur de durée annuelle effective. Évalué annuellement et à partir de sources relativement homogènes, notamment par rapport aux données fournies par l'OCDE, ce concept de durée annuelle effective semble le plus adapté pour mener des comparaisons internationales. La comparaison pour l'année 2004 indique que la France est dans une situation intermédiaire en ce qui concerne la durée annuelle effective. Proche de celle évaluée pour le Royaume-Uni, elle se distingue de l'Allemagne et surtout des Pays-Bas qui ont une durée du travail faible et de l'Espagne, de l'Italie et des États-Unis qui ont une durée plus élevée.

Lorsque l'on entre dans le détail, on apprend que la France est le pays parmi ceux étudiés qui a le plus recours aux congés maladie et maternité (70 heures par an et par salarié contre 56,5 en moyenne) ainsi qu'aux congés et jours fériés (270 heures par an et par salarié contre 202 en moyenne). Enfin, d'après les enquêtes force de travail, les salariés français n'ont utilisé en moyenne que 10,7 heures au cours de l'année 2004. Les Allemands (43,8 heures) et surtout les Hollandais (70,5 heures) seraient les plus utilisateurs des heures supplémentaires alors que les Espagnols (5,3 heures) et les Anglais (0,4 heure) ne recourraient quasiment pas à ce type de mesure.

Le coût du travail est-il trop fort en France ?

Contrairement à une idée reçue, au cours des années 1990 et jusqu'au début des années 2000, la France a amélioré sa compétitivité-prix et ce quel que soit l'indicateur retenu. Que l'on prenne les coûts salariaux unitaires pour l'ensemble de l'économie ou pour le seul secteur manufacturier, les prix du PIB ou ceux des exportations, la France se situe au début des années 2000 à un niveau inférieur à celui constaté dix ans auparavant. Mieux, par la désinflation et la modération salariale, la France est, parmi les grands pays, celle qui a le plus réduit ses coûts salariaux unitaires dans le secteur manufacturier au cours de cette période (graphiques 1 et 2). Au regard du coût salarial pour l'ensemble de l'économie, seule l'Allemagne fait mieux que la France au cours de cette période. Cette amélioration est d'autant plus remarquable qu'elle s'est déroulée au cours d'une période d'évolution tendancielle du taux de change effectif légèrement défavorable. À la fin des années 1990, en maîtrisant mieux ses coûts salariaux que la plupart des pays européens et des pays anglo-saxons, la France a amélioré sa compétitivité-prix et par là ses parts de marché dans le commerce mondial. La part des exportations françaises dans le commerce mondial, soutenue par la faiblesse de l'euro et la modération salariale, a atteint un point haut en 2001. Depuis, la France a connu une lourde chute de ses parts de marché, principalement pour deux raisons : d'abord la perte de compétitivité-prix des exportations françaises consécutive à l'appréciation du taux de change effectif nominal de la France (valeur nominale par rapport à un panier de monnaies) comparable à celle observée au début des années 1990, et ensuite, l'engagement d'une politique de réduction drastique des coûts de production par l'Allemagne.

GRAPHIQUES 1 ET 2. COÛTS SALARIAUX UNITAIRES DU SECTEUR MANUFACTURIER

Ces pertes de parts de marché ne sont pas une spécificité française. La politique menée en Allemagne lui permet de gagner des parts de marché sur les pays qui lui sont géographiquement et structurellement proches, autrement dit les grands pays européens. Et à cet égard, la France n'est pas le pays qui souffre le plus en termes de pertes de parts de marché. L'Italie, par exemple, a connu au cours de cette période des pertes trois fois supérieures à celles enregistrées en France.

Les effets macroéconomiques de la défiscalisation des heures supplémentaires

La défiscalisation des heures supplémentaires poursuit trois objectifs : accroître le pouvoir d'achat de ceux qui travaillent, réduire le coût du travail et inciter à une durée du travail plus longue. L'impact sur l'emploi est ambigu. En effet, des effets de sens contraire se superposent :

1. Le premier est positif et relatif à la baisse du coût du travail et à la hausse du pouvoir d'achat des salariés. Face à la baisse du coût des heures supplémentaires, les entreprises seraient incitées à augmenter le temps de travail des salariés en place, en particulier dans les secteurs où le recrutement de la main-d'œuvre connaît des tensions (bâtiment, hôtellerie ou santé). La rémunération de ces heures supplémentaires permettrait une augmentation du pouvoir d'achat irriguant l'ensemble de l'économie avec un effet positif sur l'emploi.

2. Le deuxième est négatif pour l'emploi : en abaissant le coût d'une heure supplémentaire, cela incite les entrepreneurs à allonger la durée du travail, favorisant alors la situation des insiders (salariés) au détriment de celle des outsiders (les chômeurs).
Cela engendre une augmentation de la productivité par tête des salariés français, ce qui est positif pour la croissance potentielle de l'économie française mais défavorable à l'emploi à court terme.

3. Enfin, comme pour toute mesure fiscale, des effets d'aubaine sont à redouter. Avec la reprise de l'activité, de nombreuses heures supplémentaires qui auraient de toute manière été effectuées vont être défiscalisées.

Principales hypothèses

Par ailleurs, la baisse du coût du travail et la suppression des charges salariales coûtent chers. Le dispositif représente un allègement de l'ordre de 5 milliards d'euros (0,3 point de PIB). Sans financement, cette mesure viendrait creuser le déficit public et s'apparenterait à une relance budgétaire. Son financement par une hausse des prélèvements en changerait radicalement la nature. En la finançant sur d'autres cotisations sociales ou avec une hausse de la TVA, elle conduirait à alourdir d'un côté les coûts de production que l'on allège. Les effets différentiels entre la taxation des heures supplémentaires et des heures normales seraient alors accentués. En la finançant sur une base de type impôt sur le revenu, la mesure aboutirait à un transfert de prélèvements des revenus d'activité vers les revenus du capital, mais surtout vers les revenus de transfert (retraite, indemnités journalières (IJ) et chômage), puisque 80% des revenus du capital sont soumis à un prélèvement libératoire. Il existe une dernière piste de financement : ne pas attribuer pour les heures n'ayant pas donné lieu à cotisation de droits associés. Concrètement, dans le calcul du salaire de référence pour l'assurance chômage ou pour les IJ et principalement pour la retraite, les heures supplémentaires ne seraient plus comptées. L'économie substantielle n'interviendrait que dans quelques années, mais elle résoudrait en partie et à long terme le financement de la mesure. Si cette piste peut sembler habile, elle n'est rien d'autre qu'un démantèlement de la protection sociale française.


Bibliographie

Bruyère M. et Chagny O., "Comparaisons internationales de durée et de productivité", Document d'étude de la DARES, n°60, septembre 2002.

Bruyère M., Chagny O., Ulrich V., Zilberman S., "Comparaison internationale de la durée du travail pour sept pays en 2004 : la place de la France", Données sociales. La société française, p.363-370, 2006.

Michon F., "Longues durées de travail, temps flexibles, temps contraints. Les nouveaux enjeux du temps de travail", Revue de l'IRES, n°49, 2005.

Pour aller plus loin

Temps de travail, revenu et emploi, Artus Patrick, Cauc Pierre, Zylberberg André, Rapport du Conseil d'analyse économique, n°68, 2007.

A voir les publications du site du Ministère du Travail.

La page de Pierre Cahuc.

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