Des heures supplémentaires en plus
Xavier Timbeau
La défiscalisation des heures supplémentaires et son exonération de cotisations sociales est, sans aucun doute, la mesure la plus emblématique du candidat Sarkozy pour donner corps à son slogan «Travailler plus pour gagner plus». Concrètement, cela signifie que la rémunération des heures supplémentaires effectuées au-delà des 35 heures hebdomadaires sera majorée de 25% et ne sera soumise ni à l'impôt sur le revenu ni aux cotisations sociales salariés et employeurs. Elle vise donc à redonner du pouvoir d'achat aux salariés français en abaissant le coût du travail et en augmentant leur durée du travail. Après les assouplissements apportés par la loi Fillon de 2003, cette mesure est une nouvelle étape dans le détricotage des lois Aubry relatives aux 35 heures.
Avant d'exposer les mécanismes macroéconomiques qui soutendent une telle mesure, nous allons revenir sur le diagnostic sur lequel elle repose en répondant aux questions : les salariés français travaillent-ils assez et le coût du travail dans l'Hexagone est-il trop élevé ?
Les Français travaillent-ils assez ?
La France travaille-t-elle assez ? Répondre à cette question suppose de réaliser des comparaisons internationales sur les heures travaillées. Or celles-ci soulèvent de nombreux problèmes méthodologiques qu'il convient de garder à l'esprit lors de leur analyse. La grande diversité législative et institutionnelle sur le temps de travail entre les pays, le manque d'homogénéité des concepts, des modes de collecte et des bases de données, la multiplicité des sources et leur non-concordance pour un même pays fragilisent les comparaisons dans ce domaine, notamment lorsque celles-ci sont réalisées en dynamique.
Depuis l'entrée en vigueur de la législation relative aux 35 heures, la France est le pays où la durée hebdomadaire légale est la plus basse (35 heures en France contre un peu plus de 38 heures chez nos principaux partenaires). Ce constat persiste lorsque l'on tient compte des jours fériés et des congés payés légaux, en ramenant cette durée conventionnelle pour les salariés à temps plein à une base annuelle.
Selon ce concept, les Français ont travaillé 7% de moins que leurs voisins Italiens ou Allemands et 10% de moins que les Hollandais ou les Espagnols en 2004.
Mais ce concept est trop parcellaire pour établir un diagnostic fiable sur les heures travaillées dans les différents pays. Ne prenant en compte que les seuls salariés à temps plein, cet indicateur ne reflète pas les différences dans le recours au temps partiel dans chaque pays ainsi que des durées de travail différentes dans ce type de contrat. Or il se trouve que la France a, à la fois, l'un des taux de recours au temps partiel les plus bas des pays développés (17,3% contre 23,8% en moyenne chez ses principaux partenaires) et la durée du travail dans ce type de contrat la plus élevée (23 heures contre 20 heures en moyenne dans les autres pays, tableau 1).
TABLEAU 1. DURÉE DU TRAVAIL ANNUELLE HABITUELLE (2004)
en heures | France | Allemagne | Espagne | Italie | Pays-Bas | Royaume-Uni | États-Unis | Moyenne |
Durée hebdomadaire habituelle des salariés à temps plein Rang |
38,9 6e |
39,8 4e |
40,3 3e |
3,3 5e |
38,8 7e |
42,7 1e |
42 2e |
40,3
|
Durée hebdomadaire habituelle des salariés à temps partiel Rang |
23 1e |
18 7e |
19 6e |
21 3e |
19 4e |
19 5e |
22 2e |
20
|
Taux d'emploi à temps partiel | 17,3 | 32,7 | 9,1 | 12,4 | 46,2 | 25,4 | 16,8 | 22,8 |
Durée annuelle habituelle de tous les salariés Rang |
1879 5e |
1694 6e |
1994 2e |
1927 3e |
1552 7e |
1909 4e |
2011 1e |
1852
|
Sources : Bruyères et al. (2006).
Contrairement à l'OCDE qui s'appuie sur des concepts et des données hétérogènes séries des services de comptabilité nationale lorsqu'elles sont disponibles (France, Allemagne, Italie), données d'enquête auprès des entreprises (Espagne, Royaume-Uni) ou des ménages (États-Unis) , la DARES a fait mener une étude méthodologique de calcul d'une durée annuelle habituelle à partir de la source relativement homogène que constituent les enquêtes communautaires sur les forces de travail (FT). Dans cette étude (Bruyère et al. [2006]), les auteurs calculent une durée habituelle qui s'applique à une semaine normale sans événement particulier pour les salariés à temps plein et à temps partiel. Selon ce concept de durées habituelles plutôt que conventionnelles, la hiérarchie entre les pays se modifie. La France n'est plus le pays où l'on travaille le moins : l'Allemagne et les Pays-Bas, en raison d'un taux d'emploi à temps partiel très supérieur à la France et d'une durée du travail dans ce type de contrat inférieure, ont une durée hebdomadaire habituelle inférieure à celle observée dans l'Hexagone (tableau 1).
En tenant compte du temps partiel, cette notion de durée hebdomadaire habituelle est plus complète que celle de durée conventionnelle. Cependant, elle n'intègre ni les congés annuels, maladies ou maternité, ni les jours fériés ou encore de nouvelles formes d'organisation du temps de travail.
C'est la raison pour laquelle la DARES a développé un indicateur de durée annuelle effective. Évalué annuellement et à partir de sources relativement homogènes, notamment par rapport aux données fournies par l'OCDE, ce concept de durée annuelle effective semble le plus adapté pour mener des comparaisons internationales. La comparaison pour l'année 2004 indique que la France est dans une situation intermédiaire en ce qui concerne la durée annuelle effective. Proche de celle évaluée pour le Royaume-Uni, elle se distingue de l'Allemagne et surtout des Pays-Bas qui ont une durée du travail faible et de l'Espagne, de l'Italie et des États-Unis qui ont une durée plus élevée.
Lorsque l'on entre dans le détail, on apprend que la France est le pays parmi ceux étudiés qui a le plus recours aux congés maladie et maternité (70 heures par an et par salarié contre 56,5 en moyenne) ainsi qu'aux congés et jours fériés (270 heures par an et par salarié contre 202 en moyenne). Enfin, d'après les enquêtes force de travail, les salariés français n'ont utilisé en moyenne que 10,7 heures au cours de l'année 2004. Les Allemands (43,8 heures) et surtout les Hollandais (70,5 heures) seraient les plus utilisateurs des heures supplémentaires alors que les Espagnols (5,3 heures) et les Anglais (0,4 heure) ne recourraient quasiment pas à ce type de mesure.
Le coût du travail est-il trop fort en France ?
Contrairement à une idée reçue, au cours des années 1990 et jusqu'au début des années 2000, la France a amélioré sa compétitivité-prix et ce quel que soit l'indicateur retenu. Que l'on prenne les coûts salariaux unitaires pour l'ensemble de l'économie ou pour le seul secteur manufacturier, les prix du PIB ou ceux des exportations, la France se situe au début des années 2000 à un niveau inférieur à celui constaté dix ans auparavant. Mieux, par la désinflation et la modération salariale, la France est, parmi les grands pays, celle qui a le plus réduit ses coûts salariaux unitaires dans le secteur manufacturier au cours de cette période (graphiques 1 et 2). Au regard du coût salarial pour l'ensemble de l'économie, seule l'Allemagne fait mieux que la France au cours de cette période. Cette amélioration est d'autant plus remarquable qu'elle s'est déroulée au cours d'une période d'évolution tendancielle du taux de change effectif légèrement défavorable. À la fin des années 1990, en maîtrisant mieux ses coûts salariaux que la plupart des pays européens et des pays anglo-saxons, la France a amélioré sa compétitivité-prix et par là ses parts de marché dans le commerce mondial. La part des exportations françaises dans le commerce mondial, soutenue par la faiblesse de l'euro et la modération salariale, a atteint un point haut en 2001. Depuis, la France a connu une lourde chute de ses parts de marché, principalement pour deux raisons : d'abord la perte de compétitivité-prix des exportations françaises consécutive à l'appréciation du taux de change effectif nominal de la France (valeur nominale par rapport à un panier de monnaies) comparable à celle observée au début des années 1990, et ensuite, l'engagement d'une politique de réduction drastique des coûts de production par l'Allemagne.
GRAPHIQUES 1 ET 2. COÛTS SALARIAUX UNITAIRES DU SECTEUR MANUFACTURIER
Ces pertes de parts de marché ne sont pas une spécificité française. La politique menée en Allemagne lui permet de gagner des parts de marché sur les pays qui lui sont géographiquement et structurellement proches, autrement dit les grands pays européens. Et à cet égard, la France n'est pas le pays qui souffre le plus en termes de pertes de parts de marché. L'Italie, par exemple, a connu au cours de cette période des pertes trois fois supérieures à celles enregistrées en France.
Les effets macroéconomiques de la défiscalisation des heures supplémentaires
La défiscalisation des heures supplémentaires poursuit trois objectifs : accroître le pouvoir d'achat de ceux qui travaillent, réduire le coût du travail et inciter à une durée du travail plus longue. L'impact sur l'emploi est ambigu. En effet, des effets de sens contraire se superposent :
1. Le premier est positif et relatif à la baisse du coût du travail et à la hausse du pouvoir d'achat des salariés. Face à la baisse du coût des heures supplémentaires, les entreprises seraient incitées à augmenter le temps de travail des salariés en place, en particulier dans les secteurs où le recrutement de la main-d'œuvre connaît des tensions (bâtiment, hôtellerie ou santé). La rémunération de ces heures supplémentaires permettrait une augmentation du pouvoir d'achat irriguant l'ensemble de l'économie avec un effet positif sur l'emploi.
2. Le deuxième est négatif pour l'emploi : en abaissant le coût d'une heure supplémentaire, cela incite les entrepreneurs à allonger la durée du travail, favorisant alors la situation des insiders (salariés) au détriment de celle des outsiders (les chômeurs).
Cela engendre une augmentation de la productivité par tête des salariés français, ce qui est positif pour la croissance potentielle de l'économie française mais défavorable à l'emploi à court terme.
3. Enfin, comme pour toute mesure fiscale, des effets d'aubaine sont à redouter. Avec la reprise de l'activité, de nombreuses heures supplémentaires qui auraient de toute manière été effectuées vont être défiscalisées.
Principales hypothèses
La mesure s'appliquerait à l'ensemble des salariés des secteurs public et privé. Elle concernerait aussi bien les heures complémentaires (HC) effectuées par les salariés à temps partiel que les heures supplémentaires (HS) et choisies effectuées par les salariés à temps complet, y compris ceux placés sous un régime de forfait. Elle s'appliquerait à compter du 1er octobre 2007.
1. Les grands principes
La mesure comporte plusieurs volets :
A. Réduction forfaitaire des charges patronales
Cette mesure introduit une réduction forfaitaire des charges patronales de 1,5 € par heure supplémentaire effectuée par les entreprises de moins de vingt salariés et de 0,5 € dans les entreprises de plus de vingt salariés.
B. Alignement de la majoration des HS
Cette mesure propose l'alignement des heures supplémentaires sur le taux minimal de 25% dans toutes les entreprises.
C. Aménagement de l'allègement «Fillon»
Pour les salariés à temps complet, cette mesure propose un aménagement de l'allègement «Fillon» de façon à neutraliser l'effet des heures supplémentaires sur le taux d'exonération. Pour ce faire, le nombre d'heures supplémentaires, entrant dans le calcul du salaire horaire, est pris en compte en incluant le taux de majoration qui leur est appliqué.
D. Exonération d'IRPP
Cette mesure permet aux salariés d'exonérer d'impôt sur le revenu les rémunérations versées au titre des heures supplémentaires effectuées dans la seule limite d'une majoration de 25%.
E. Exonération des charges salariales
Cette mesure comporte également une réduction des charges salariales égale au montant de la CSG, CRDS ainsi que de toutes les cotisations légales et conventionnelles.
2. Quel volume d'heures supplémentaires et complémentaires ?
A. Les heures supplémentaires
Selon l'INSEE, 37% des salariés à temps complet du secteur privé effectuent des heures supplémentaires. Ces derniers ont effectué 57 heures supplémentaires au cours de la période 2001-2004. Nous pensons que cette évaluation, issue de l'enquête ACEMO, sous-estime considérablement le nombre d'heures supplémentaires réellement effectué dans l'Hexagone.
Outre le taux important de non-réponse à cette question et de la non prise en compte des entreprises de moins de dix salariés dans cette enquête, les entreprises ont tendance à ne pas déclarer les heures supplémentaires effectuées de façon structurelle et qui sont intégrées dans l'horaire collectif, ainsi que celles compensées par un repos compensateur. Autrement dit, dans cette enquête seules les heures supplémentaires rémunérées à un taux majoré et effectuées occasionnellement pour faire face à un surcroît d'activité sont comptabilisées.
Notre estimation corrigée de cette sous-estimation des heures supplémentaires donne un volume moyen de 58 heures pour les salariés à temps plein du secteur privé, estimation qui est cohérente avec un volume global d'heures supplémentaires rémunérées d'environ 900 millions par an sur le champ des allègements de charges dits «Fillon». Concernant la répartition de ce volume d'heures supplémentaires entre les entreprises de plus ou moins vingt salariés, nous reprenons les résultats de l'enquête ACEMO qui indique que 75% de ces heures supplémentaires sont effectuées dans les entreprises de moins de vingt salariés.
Par ailleurs, les cadres n'effectuant pas d'heures supplémentaires rémunérées, nous avons fait l'hypothèse que la rémunération de ces heures supplémentaires est comprise entre le Smic horaire et deux fois le Smic horaire (correspondant au 1er décile de rémunération des cadres). Cela correspond à un salaire horaire moyen d'environ 1,33 fois le Smic, niveau très proche du salaire médian pour l'économie française.
B. Les heures complémentaires
Selon l'INSEE, plus de 17% des salariés du secteur privé sont à temps partiel. Ils travaillent en moyenne 23 heures par semaine et plus d'un tiers d'entre eux aimeraient travailler plus. Selon l'enquête ACEMO, le volume annuel moyen d'heures complémentaires se montait à 43 heures pour les salariés à temps partiel des entreprises de dix salariés et plus. À l'instar de l'estimation des heures supplémentaires, nous avons retenu un volume d'heures complémentaires rémunérées cohérent avec celui annuel issu du champ des allègements de charges dits «Fillon», et qui, s'élève à 120 millions par an, soit 36 heures complémentaires par an et par salariés à temps partiel. Enfin, les salariés à temps partiel étant, en moyenne, moins bien rémunérés que ceux à temps complet, nous avons retenu un salaire horaire moyen des heures complémentaires de 1,2 fois le Smic.
3. Baisse du coût du travail
Cette mesure aurait différentes implications sur le coût du travail global et sur celui des heures complémentaires et supplémentaires. Concernant ces dernières, l'impact sur leur coût diffère selon la taille de l'entreprise et le niveau du salaire horaire. Les heures supplémentaires coûteraient moins chères une fois la mesure adoptée pour les entreprises employant plus de vingt salariés. Toutefois, malgré cette baisse de coût, l'heure supplémentaire coûterait toujours davantage qu'une heure normale. À 1,33 Smic, l'heure supplémentaire verrait son coût baisser de 7 à 8% et son surcoût par rapport à l'heure normale ne serait plus de 25% mais de 15 à 16%. Pour les entreprises de moins de vingt salariés, le coût lié à l'alignement de la majoration à 25 % des heures supplémentaires serait compensé pour un salaire horaire de 1,2 Smic, c'est-à-dire pour un salaire mensuel brut de 2000 euros.
Au-delà, l'heure supplémentaire coûterait davantage après réforme qu'avant réforme. À 1,33 Smic, salaire horaire moyen d'une heure supplémentaire, le surcoût serait de 1,5% par rapport à la situation actuelle. S'agissant des heures complémentaires, quel que soit le niveau de salaire de référence ou la taille de l'entreprise, leur coût baisserait avec la réforme.
Et contrairement aux heures supplémentaires, l'heure complémentaire coûterait moins chère qu'une heure normale. Enfin, pour les entreprises de plus de vingt salariés, cette mesure permettrait au mieux une baisse du coût du travail de 0,5 % pour leurs salariés, qu'ils soient à temps complet ou à temps partiel. Pour les entreprises de moins de vingt salariés, la baisse peut atteindre jusqu'à 1,2% pour leurs salariés à temps partiel. Concernant ceux à temps complet, le coût est très légèrement inférieur jusqu'à 1,2 Smic et supérieur au-delà.
Par ailleurs, la baisse du coût du travail et la suppression des charges salariales coûtent chers. Le dispositif représente un allègement de l'ordre de 5 milliards d'euros (0,3 point de PIB). Sans financement, cette mesure viendrait creuser le déficit public et s'apparenterait à une relance budgétaire. Son financement par une hausse des prélèvements en changerait radicalement la nature. En la finançant sur d'autres cotisations sociales ou avec une hausse de la TVA, elle conduirait à alourdir d'un côté les coûts de production que l'on allège. Les effets différentiels entre la taxation des heures supplémentaires et des heures normales seraient alors accentués. En la finançant sur une base de type impôt sur le revenu, la mesure aboutirait à un transfert de prélèvements des revenus d'activité vers les revenus du capital, mais surtout vers les revenus de transfert (retraite, indemnités journalières (IJ) et chômage), puisque 80% des revenus du capital sont soumis à un prélèvement libératoire. Il existe une dernière piste de financement : ne pas attribuer pour les heures n'ayant pas donné lieu à cotisation de droits associés. Concrètement, dans le calcul du salaire de référence pour l'assurance chômage ou pour les IJ et principalement pour la retraite, les heures supplémentaires ne seraient plus comptées. L'économie substantielle n'interviendrait que dans quelques années, mais elle résoudrait en partie et à long terme le financement de la mesure. Si cette piste peut sembler habile, elle n'est rien d'autre qu'un démantèlement de la protection sociale française.
Bibliographie
Bruyère M. et Chagny O., "Comparaisons internationales de durée et de productivité", Document d'étude de la DARES, n°60, septembre 2002.
Bruyère M., Chagny O., Ulrich V., Zilberman S., "Comparaison internationale de la durée du travail pour sept pays en 2004 : la place de la France", Données sociales. La société française, p.363-370, 2006.
Michon F., "Longues durées de travail, temps flexibles, temps contraints. Les nouveaux enjeux du temps de travail", Revue de l'IRES, n°49, 2005.
Pour aller plus loin
Temps de travail, revenu et emploi, Artus Patrick, Cauc Pierre, Zylberberg André, Rapport du Conseil d'analyse économique, n°68, 2007.
A voir les publications du site du Ministère du Travail.
La page de Pierre Cahuc.