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Immobilier : fissures et craquements

Publié le 20/05/2008
Auteur(s) - Autrice(s) : Sabine Le Bayon
Hervé Péléraux
Après une phase de croissance soutenue depuis dix ans, qui a vu les prix des logements anciens doubler, le marché immobilier français montre des signes de tassement depuis 2005. Ce mouvement s'est accentué depuis le début de l'année 2006, alimentant les craintes d'un effondrement, à la mesure de la hausse précédente. Le ralentissement de la hausse des prix traduit l'épuisement progressif du mouvement acheteur, sous l'effet de la stabilisation des taux d'intérêt après dix années de baisse prononcée.

Après une phase de croissance soutenue depuis dix ans, qui a vu les prix des logements anciens doubler, le marché immobilier français montre des signes de tassement depuis 2005. Ce mouvement s'est accentué depuis le début de l'année 2006, alimentant les craintes d'un effondrement, à la mesure de la hausse précédente.

Le ralentissement de la hausse des prix traduit l'épuisement progressif du mouvement acheteur, sous l'effet de la stabilisation des taux d'intérêt après dix années de baisse prononcée. Les conditions de crédit ne justifient plus une progression des prix de 15 % par an comme par le passé, même si la mesure de déductibilité des intérêts va un peu alléger la contrainte budgétaire des ménages. Faut-il pour autant redouter un ajustement de grande ampleur du marché, comme dans la première moitié des années 1990 ? Notre réponse est non car, à la différence de la vague de hausse de la fin des années 1980, impulsée par la spéculation à Paris, la situation actuelle du marché ne relève pas d'un phénomène de bulle. La montée des prix est le fait de particuliers qui ne chercheront pas à sortir précipitamment du marché pour couvrir des positions spéculatives aux premiers signaux de baisse. Les réactions cumulatives, où la baisse des prix alimente les ventes et les ventes la baisse des prix, ne doivent pas à l'heure actuelle nourrir la crainte d'un effondrement du marché. Si ce risque peut être écarté, le marché n'est cependant pas prémuni contre la baisse. La dégradation du rendement de l'immobilier, longtemps soutenable dès lors qu'elle était justifiée par la baisse des taux, ne l'est plus désormais que les taux ont cessé de reculer.

Signaux d'alerte

Le ralentissement de la croissance des prix immobiliers est en cours en France, mais il est modeste par rapport à ce que l'on observe aux États-Unis où, selon l'indice du National Association of Realtors (NAR), les prix reculent. Depuis son pic de la fin 2004 à 15,9 %, la croissance des prix des logements anciens sur un an a très progressivement ralenti pour atteindre 9,7 % au dernier trimestre 2006, selon l'indice Notaires-INSEE (graphique 1).

GRAPHIQUE 1. CROISSANCE DES PRIX IMMOBILIERS

Ces premiers signes de ralentissement sont le reflet du déséquilibre qui apparaît progressivement entre l'offre et la demande de logements. L'arrêt de la baisse des taux a freiné l'extension de la solvabilité des ménages et a rendu moins attractifs les placements dans l'immobilier. Il en a résulté un tassement de la demande qui, couplé avec l'arrivée sur le marché de nouveaux logements mis en chantier auparavant, a occasionné un freinage des prix depuis la mi-2004. L'ajustement de l'offre à la demande est particulièrement inerte sur le marché immobilier, du fait de délais de construction importants : entre la demande de permis de construire, le début et l'achèvement du chantier, plusieurs trimestres peuvent s'écouler.

Ainsi, l'ajustement de l'offre ne commence à se manifester, au travers du recul des mises en chantier, que depuis la fin 2006, faisant écho avec un léger retard au tassement de la demande (graphique 2). Certes, 2006 a été une année record avec 430 000 mises en chantier, soit 100 000 de plus que la moyenne depuis 1996, mais la baisse de la fin 2006 et du début 2007 laisse augurer d'une année 2007 en retrait par rapport à ce pic.

GRAPHIQUE 2. MISES EN CHANTIER

Le tassement de la demande n'est pas encore apparent dans les statistiques d'encours de crédits des ménages français, disponibles jusqu'au quatrième trimestre 2006, contrairement à ce que l'on observe aux États-Unis. L'encours de dette hypothécaire a continué de progresser à un rythme proche de 15 % sur un an. Comment expliquer cette déconnexion apparente ? D'abord, entre la décision d'achat (sur plan notamment) et le moment de la livraison du logement, qui correspond au règlement, plusieurs trimestres peuvent s'écouler, ce qui expliquerait que la dernière vague d'achats maintienne encore une progression soutenue des crédits. Ensuite, les logements neufs ne concernent qu'une partie des prêts, alors que les données de crédit sont relatives à l'ensemble des logements. Enfin, le ralentissement de la demande peut être en partie compensé par une baisse du taux d'apport personnel : il y aurait alors moins de prêts accordés, mais pour des montants toujours plus élevés.

D'un marché à l'autre ?

Si aux États-Unis le retournement du marché immobilier est avéré, il n'est qu'embryonnaire en France pour l'instant. La question que l'on peut se poser est alors de savoir si le scénario américain est transposable à la zone euro, et à la France en particulier. A priori, ce risque est limité. Une telle contagion n'est pas mécanique, parce que les marchés immobiliers sont avant tout locaux. Les spécificités nationales affectant l'un n'ont donc aucune raison de se répercuter sur les autres. Cependant, les marchés immobiliers ont aussi des déterminants communs parmi lesquels les taux d'intérêt ont un rôle majeur. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la forte corrélation des taux longs à l'échelle internationale pourrait, dans une certaine mesure, synchroniser les marchés. Mais, même ici, ce lien de synchronisation peut être plus ou moins lâche selon la manière dont les banques répercutent la hausse des taux longs sur les taux hypothécaires. Dans la période récente, ces derniers ont davantage remonté et de manière plus précoce aux États-Unis qu'en France, expliquant vraisemblablement le décalage des conjonctures immobilières entre ces deux zones.

Le retournement enclenché aux États-Unis pourrait-il se propager en Europe via un autre canal ? En cas de krach immobilier outre-Atlantique couplé à une hausse du taux de défaut des ménages, une transmission à l'Europe n'est pas à exclure, du fait de l'émergence de structures nouvelles de couverture de risque, par le biais de la titrisation. La titrisation, qui consiste pour les établissements initialement prêteurs à vendre leurs créances à des institutions qui prennent alors en charge le risque, permet aux banques de réaliser des prêts immobiliers sans que cela ne pèse sur leurs ratios prudentiels. Cette stratégie s'est beaucoup développée depuis le milieu des années 1990. La caractéristique de ce marché de couverture du risque est d'être globalisée. Une hausse du taux de défaut aux États-Unis, si elle survenait, pourrait alors avoir des incidences sur la distribution du crédit en Europe via ce marché.

En effet, les investisseurs détenant des créances titrisées, échaudés par leurs déconvenues aux États-Unis, pourraient exiger des primes de risque plus élevées, ce qui se traduirait par une hausse des taux d'intérêt aux ménages européens et par un ralentissement de la croissance des crédits accordés en Europe. Encore ne s'agirait-il ici que d'un renchérissement du crédit et non pas d'un effondrement du système financier.

Repli en bon ordre

Les enchaînements catastrophes avec phénomènes cumulatifs ne sont pas à l'ordre du jour, sauf si une forte hausse des taux d'intérêt survenait ou si une récession dégradait profondément la solvabilité des ménages. Dans ce cas, un mouvement de ventes contraintes et massives pourrait se déclencher, suscité par les créanciers des agents endettés dans l'immobilier. Dans un tel cas de figure, les professionnels intervenant dans une optique spéculative, le plus souvent fondée sur le levier de l'endettement, seraient contraints de sortir rapidement du marché en cas de retournement, la dépréciation des actifs sur lesquels est gagé l'endettement rendant les positions perdantes à court terme, et rapidement intenables. Du côté des particuliers, des ventes contraintes et massives auraient pour origine une hausse du taux de défaut, c'est-à-dire l'impossibilité pour un ménage d'honorer ses échéances de crédit. Les établissements prêteurs feraient alors jouer les hypothèques, en procédant à une vente forcée du bien qui mettrait fin à l'engagement de l'emprunteur.

Un tel scénario semble peu probable. Contrairement à la hausse des prix dans la seconde moitié des années 1980, le dynamisme du marché depuis une dizaine d'années repose sur l'accession à la propriété de particuliers, du fait de la baisse des taux d'intérêt. Contrairement aux spéculateurs, ces ménages ayant acheté pour se loger ne vendront pas en cas de recul des prix. De plus, le taux de défaut des ménages sur les crédits immobiliers est habituellement faible. Sauf dégradation brutale et profonde de la situation des ménages, poussant à la hausse le taux de défaut, les ventes forcées par les banques n'ont à l'heure actuelle aucune raison de provoquer un afflux d'offre sur le marché.

Le marché n'en n'est pas moins déséquilibré, ce qui devrait entraîner un ajustement des prix. Mais si les taux d'intérêt n'augmentent pas, ou peu, les facteurs de stabilisation des prix apparaîtront d'eux-mêmes. Leur baisse rendra solvables de nouveaux ménages, ce qui encouragera l'achat, conduira à la contraction de l'offre excédentaire et à une remontée des prix.

Le comportement des banques, s'il reste aussi accommodant que par le passé, soutiendra encore le marché. Les banques ont en effet continué d'assouplir les critères d'attribution des prêts pour faire face à la concurrence entre établissements en diminuant leurs marges sur les crédits. Les taux hypothécaires n'ont ainsi augmenté que de 0,5 point depuis les 3,5 % enregistrés au creux de la fin 2005. Ils apparaissent faibles au regard des taux auxquels se refinancent les banques, mais aussi des taux rémunérant les actifs les moins risqués (la rémunération de l'OAT à dix ans atteignait 4 % en mars 2007, comme les taux hypothécaires).

Les mesures de déductibilité des intérêts sur les emprunts immobiliers durant les cinq premières années, annoncées par Nicolas Sarkozy, en diminuant le coût de financement d'un logement, pourront permettre d'accroître l'endettement des nouveaux accédants au moment de la souscription du prêt si le crédit d'impôt à venir est intégré dans la capacité d'emprunt. Ce pourrait être un facteur de soutien de la demande susceptible d'atténuer la mauvaise passe actuelle du marché.

À moins d'un dérapage inflationniste inattendu, qui entraînerait une hausse des taux longs (la principale référence pour les taux hypothécaires en France), l'environnement resterait donc relativement favorable au marché, malgré la poursuite du resserrement monétaire par la Banque centrale européenne.

Prime et châtiment

Le doublement du prix moyen des logements depuis 1998 s'est accompagné d'un net recul du rendement locatif instantané, les loyers s'ajustant incomplètement et avec retard à la hausse des prix 1. L'on pourrait en conclure, à tort, que le marché se trouve en situation de bulle, la baisse du rendement traduisant l'excès de valorisation de l'actif par rapport au revenu qu'il engendre (graphique 3).

GRAPHIQUE 3. TAUX D'INTÉRÊT LONGS RÉELS ET RENDEMENT LOCATIF DE L'IMMOBILIER

Néanmoins, la baisse des taux d'intérêt réels à long terme a accompagné dans la même mesure le recul des rendements locatifs, de telle sorte qu'il est resté plus avantageux en moyenne depuis 1997 de placer dans l'immobilier plutôt que sur les actifs obligataires. Jusqu'à la fin 2004, l'écart entre le rendement locatif et le rendement réel des obligations d'État (représentant les actifs sans risque) est resté positif.

La hausse nominale des prix de plus de 60 % entre 1998 et 2004 n'a donc pas été exagérée dès lors qu'elle était justifiée par le maintien d'une prime de risque positive, à l'inverse de la situation qui prévalait dans la première moitié des années 1990. Alors que les taux d'intérêt réels sont restés durablement élevés jusqu'en 1997, le marché apparaissait clairement surévalué au regard de l'écart important qui a longtemps subsisté entre le rendement de l'immobilier et le rendement des obligations. Dans ce contexte, la vague de baisse des prix dans la première moitié des années 1990, - 16 % en termes réels entre 1991 et 1997, a sanctionné les excès haussiers apparus en région parisienne dans la seconde moitié de la décennie 1980, sans néanmoins que les rendements de l'immobilier ne parviennent à rejoindre durablement ceux des obligations. C'est finalement la baisse des taux à partir de la fin 1994 qui a permis la normalisation des rendements et le retour à une prime de risque positive.

Les fondamentaux du marché, qui ont longtemps rendu la hausse des prix soutenable depuis la reprise du marché en 1998, n'apparaissent toutefois plus aussi favorables depuis la mi-2004. L'arrêt de la baisse des taux d'intérêt réels en 2003, combiné à la poursuite de la hausse des prix, a annulé la prime de risque, devenue négative dans le courant de 2004. Le marché est donc passé progressivement d'une situation de valorisation normale, à une situation de survalorisation que l'on peut estimer à 20 % au quatrième trimestre 2006, c'est-à-dire qu'un retour immédiat du rendement de l'immobilier au niveau du rendement réel des obligations nécessiterait un recul des prix d'environ 17 %.

Ce constat d'une surévaluation de l'immobilier à un moment donné ne signifie pas pour autant que les ajustements appelés à se réaliser se produiront instantanément. Les situations de sous- ou de survalorisation peuvent être durables, comme celles observées dans le passé, et se sont le plus souvent normalisées au fil du temps par des ajustements conjoints et progressifs des prix des deux actifs. L'on n'inférera donc pas de cette présomption de surévaluation la survenue d'une baisse brutale à brève échéance.

Mais elle ouvre clairement un potentiel de correction. L'ampleur de cette correction dépendra de la vitesse des ajustements rendus nécessaires. À supposer qu'aucun ajustement ne se produise, c'est-à-dire une stabilité des taux à dix ans à leur valeur observée au premier trimestre 2007, une poursuite de la hausse des loyers au taux observé sur les derniers trimestres, un taux d'inflation sous-jacent de 1,4 % l'an et une stabilité des prix du logement, le rendement de l'immobilier rejoindrait celui des obligations à la mi-2014. Perdurerait alors une prime de risque des actifs immobiliers négative durant sept ans.

Il est probable toutefois qu'une partie de l'épargne disponible soit découragée de s'investir dans l'immobilier à cause du maintien d'une prime de risque négative. La désaffection des investisseurs vis-à-vis de cet actif aurait alors pour conséquence un recul des prix des logements, accélérant la normalisation des rendements. Un raccourcissement de moitié du délai d'égalisation des rendements, ramené de sept ans à trois ans et demi, associé à un maintien des hypothèses précédentes, nécessiterait un recul des prix nominaux de 12 % entre le quatrième trimestre 2006 et le deuxième trimestre 2010. On est bien loin d'un pronostic décrivant un krach, mais, en l'absence de baisse des taux d'intérêt, il n'y aurait plus d'espace pour la hausse, ni même la stabilité.

Impulsée par la baisse des taux d'intérêt, la vitalité du marché immobilier pourrait se retourner plus durement en cas de remontée des taux. En conservant les hypothèses précédentes et en leur adjoignant une remontée des taux d'intérêt de 0,5 point, la baisse du prix des logements serait plus substantielle d'ici à la mi-2010, de l'ordre de 20 %. Baisse à deux chiffres certes, mais qui ne ferait que ramener les prix deux ans en arrière.


Pour aller plus loin

Indices Notaires/Insee des prix des logements anciens - Premier trimestre 2009.

La soutenabilité des prix de l'immobilier aux États-Unis et en Europe, Gilles MOËC, Bulletin de la Banque de France, n°148, Avril 2006.

Les notes d'information du CA

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