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La démographie à la rescousse de la protection sociale en France

Publié le 20/05/2008
Auteur(s) - Autrice(s) : Mathieu Plane
L'INSEE a publié en juillet 2006 de nouvelles projections de population active à l'horizon 2050. Le nouveau scénario affiché par l'INSEE modifie en profondeur la vision que l'on peut avoir de l'activité française à long terme. Le plus grand dynamisme de l'offre de travail qui ressort de ces projections permettrait à long terme d'accroître la capacité de financement des dépenses publiques. Les dépenses de retraite et de santé seraient moins élevées que prévu en raison du plus grand nombre d'actifs âgés et du vieillissement moins prononcé de la population française.

Ce chapitre reprend la Lettre de l'OFCE «La démographie à la rescousse de la protection sociale en France», n°281, mars 2007.

L'INSEE a publié en juillet 2006 de nouvelles projections de population active à l'horizon 2050 [1]. Le nouveau scénario affiché par l'INSEE modifie en profondeur la vision que l'on peut avoir de l'activité française à long terme. Les précédentes projections dressaient un tableau beaucoup plus sombre quant à l'évolution du nombre d'actifs pour le demi-siècle à venir. La population active devait atteindre son point haut en 2006, puis décroître de façon quasi-tendancielle jusqu'en 2050. Le nombre d'actifs devait se réduire de plus de 2,3 millions entre 2000 et 2050, soit une baisse de 9 %. Dans un scénario de diminution de l'offre de travail, le retour au plein-emploi devait se faire rapidement (aux environs de 2010 selon nos projections). Mais dans un contexte de baisse rapide de la population active, l'économie française aurait vite buté sur des contraintes d'offre, la croissance étant freinée par la réduction de l'offre de travail.

Ces précédentes projections ont été démenties par les faits : elles ont, depuis 2000, sous-estimé la dynamique observée pour la population et les taux d'activité des seniors. Plutôt que de prolonger les tendances observées sur une longue période comme il l'avait fait pour ses anciennes projections, l'INSEE a donc fondé ses nouvelles projections à partir d'observations récentes.

Les nouvelles projections de population active de l'INSEE fournissent désormais un panorama très différent : le point de départ constaté serait plus élevé que ce qui était prévu et le nombre d'actifs augmenterait de plus de 1,8 million entre 2000 et 2050. Le retournement de la population active n'aurait lieu qu'en 2015 et ne serait que temporaire et de faible intensité (graphique 1). Le nombre d'actifs en 2050 ne serait pas de 24 millions comme l'annonçaient les projections de 2002, mais de plus de 28,5 millions, et le ratio de dépendance économique (inactifs de plus de 60 ans/actifs) est maintenant évalué à 71 % en 2050 (au lieu de 90 %).

GRAPHIQUE 1. PROJECTIONS DE POPULATION ACTIVE ET RATIO DE DÉPENDANCE

Ce plus grand dynamisme de l'offre de travail, en élevant le sentier de croissance potentielle de l'économie (de 0,3 % par an en moyenne) permettra à long terme d'accroître la capacité de financement des dépenses publiques. De plus, les dépenses de retraite et de santé seraient moins élevées que prévu, en raison du plus grand nombre d'actifs âgés et du vieillissement moins prononcé de la population française.

Pourquoi de telles révisions ?

Ces projections de population active s'inscrivent dans de nouvelles projections démographiques à l'horizon 2050 3. Selon ce dernier exercice, la croissance démographique serait en France plus dynamique que prévue. En 2050, la France métropolitaine compterait près de 70 millions d'habitants et non plus 64 millions comme le prévoyaient les anciennes projections. La population en âge de travailler (15-64 ans) serait de 40,2 millions en 2050, soit près de 4,4 millions d'individus supplémentaires par rapport aux anciennes projections. Cette modification tient aux changements des hypothèses démographiques (tableau 1).

TABLEAU 1. HYPOTHÈSES DÉMOGRAPHIQUES SELON LES ANCIENNES ET NOUVELLES PROJECTIONS DE POPULATION DE L'INSEE

Les anciennes projections se fondaient pour la fécondité et le solde migratoire sur les tendances observées entre 1975 et 1999. Or les données observées depuis 2000 ne correspondent plus aux anciennes hypothèses, ce qui a conduit les démographes à fonder leurs projections sur les tendances récentes (2000-2005).

Tout d'abord, l'indicateur conjoncturel de fécondité se maintiendrait à 1,9 enfant par femme tout au long de la période de projection, niveau moyen observé entre 2000 et 2005 (tableau 1). En 2006, selon les dernières données fournies par l'INSEE 4, cet indicateur aurait même atteint 2,0 enfants par femme, soit un niveau que l'on n'avait pas observé depuis le milieu des années 1970. L'ancienne projection retenait une hypothèse de 1,8. Si la hausse de la fécondité joue immédiatement sur la population, elle influence avec un délai d'au moins 16 ans le niveau de la population active, quand les nouveau-nés atteignent l'âge de travailler. Les bébés d'aujourd'hui sont en effet les travailleurs de demain. La révision de l'hypothèse de fécondité de 0,1 point à partir de 2006 contribue à accroître le nombre d'actifs de 750 000 en 2050 par rapport à l'ancienne projection (tableau 2).

Deuxièmement, les données récentes ont conduit l'INSEE à retenir un solde migratoire de 100 000 personnes par an au lieu de 50 000 personnes (tableau 1). À l'inverse de la fécondité, la réévaluation du solde migratoire à partir de 2006 a un effet immédiat sur la population active et devrait à terme augmenter la population active de plus de 1,5 million de personne par rapport à l'ancienne projection (tableau 2).

Enfin, l'INSEE a révisé l'évolution de l'espérance de vie, en particulier celle des femmes. Les anciennes projections retenaient l'hypothèse selon laquelle la mortalité continuait à baisser selon la tendance observée entre 1967 et 1997, alors que les nouvelles projections prolongent la tendance estimée sur les quinze dernières années (1988-2002). Ce changement de référentiel réduit de deux ans l'espérance de vie des femmes et de six mois celle des hommes en 2050. L'écart à terme entre l'espérance de vie des femmes et des hommes se réduit de 1,5 an par rapport à l'ancien scénario. La modification du taux de mortalité a un impact marginal sur la population active. Elle baisse en revanche significativement le ratio de dépendance démographique (rapport entre les plus de 60 ans et la population en âge de travailler, qui passe de 78 % à 69 % en 2050) par rapport aux anciennes projections, contribuant ainsi à alléger la part future des dépenses de retraite et de santé dans la richesse nationale.

TABLEAU 2. CONTRIBUTION DES DIFFÉRENTS FACTEURS À LA RÉVISION DE LA POPULATION ACTIVE EN 2050 (EN MILLIONS)

L'évolution des taux d'activité par sexe et âge a été revue à la hausse dans les nouvelles projections de population active de l'INSEE, en particulier pour la classe d'âge des 60-64 ans. Dans les anciennes projections, les taux d'activité masculin et féminin de chaque classe d'âge prolongeaient les tendances passées et connaissaient une certaine stabilité entre 2000 et 2050 (tableau 3). Les effets projetés de la réforme Balladur 5 de 1993 sur l'activité des 60-64 ans étaient faibles et la tranche d'âge qui connaissait la plus forte hausse des taux d'activité était celle des 55-59 ans, sous l'effet de la diminution du nombre de préretraités. Mais depuis ces projections, le taux d'activité des 60-64 ans a significativement augmenté et une nouvelle réforme des retraites a été mise en place en 2003, qui augmente la durée de cotisation requise et modifie les modalités de calcul des pensions. Dans les nouvelles projections, la prise en compte de la réforme Fillon et la réévaluation des effets de la réforme Balladur de 1993 sur l'activité des seniors a conduit l'INSEE à fortement augmenter les taux d'activité des 60-64 ans. Ces derniers augmenteraient entre 2005 et 2050 de 27 points pour les hommes et de 18 points pour les femmes. L'intégration de nouvelles observations dans les projections de taux d'activité amène à augmenter de plus de 1,4 million le nombre d'actifs par rapport à l'ancienne projection. Le nouveau scénario de taux d'activité des 60-64 ans augmente à lui seul la population active de 930 00 personnes. Le reste s'explique principalement par une remontée plus forte des taux d'activité des 15-24 ans (390 000 actifs supplémentaires) et des femmes âgées de 25 à 54 ans (180 000 actifs) à l'horizon 2050. En revanche, l'INSEE a revu à la baisse le taux d'activité des femmes de 55-59 ans en 2050 (140 000 actives en moins).

Sur les 4,5 millions d'actifs supplémentaires en 2050 issus des nouvelles projections de l'INSEE, 1,4 million s'expliquent par des taux d'activité plus élevés que prévu (en particulier pour les seniors), 2,25 millions par des projections démographiques plus favorables et enfin 0,8 million par un niveau plus élevé que prévu de la population active en 2005 (tableau 3). En effet, les nouveaux recensements et les nouvelles enquêtes emploi effectués par l'INSEE entre 2000 et 2006 ont dressé un tableau plus favorable du nombre d'actifs en France que ce que laissaient présager les anciennes projections de population active.

Quel impact sur les dépenses de protection sociale ?

Sous l'effet de l'abaissement du niveau du ratio de dépendance en 2050 par rapport aux anciennes projections, les dépenses de retraite vont croître moins rapidement que prévu, toutes choses égales par ailleurs. La baisse de 19 points du ratio de dépendance économique (inactifs de plus de 60 ans/actifs) en 2050 représente une économie pour les régimes de retraite par rapport à l'ancien scénario. La part des dépenses de retraite 7, qui représentait 12,8 % du PIB en 2004, devait passer à 16,9 % du PIB en 2050 d'après nos calculs sur les anciennes projections de population active 8 (tableau 4). En intégrant les nouvelles hypothèses de l'INSEE, la hausse des dépenses de retraite ne serait plus que de 2,1 points de PIB entre 2004 et 2050, ces dernières atteignant 14,9 % du PIB à l'horizon de la projection. Les révisions des projections de l'INSEE permettent d'économiser 2 points de PIB en 2050 en matière de retraites. En supposant que la masse des cotisations évolue comme le PIB 9, les révisions permettent donc de réduire le déficit de l'ensemble des régimes de retraite de 2 points de PIB en 2050, soit une diminution de moitié du besoin de financement initial. Le rythme de croissance des dépenses de santé ralentirait également en raison d'un vieillissement moins prononcé dans les nouvelles projections démographiques. En tablant sur une tendance moins favorable que prévue du rythme d'augmentation de l'espérance de vie à l'horizon 2050, en particulier chez les femmes, l'INSEE réduit en projection la part des personnes les plus âgées dans la population. La part des 85 ans et plus, qui représentait 2,1 % de la population en 2000, devait atteindre 7,5 % selon les anciennes projections démographiques, et n'atteindrait que 6 % selon les nouvelles. Comme une personne âgée dépense plus pour se soigner qu'une personne jeune, le rajeunissement relatif de la pyramide des âges va induire une baisse des dépenses de santé. Cet effet est pris en compte par le biais d'un index des dépenses de santé par âge. Par exemple, une personne de 85 ans et plus effectue près de neuf fois plus de dépenses de santé qu'une personne âgée de 20 à 24 ans. En modélisant les dépenses de santé à partir de cet index et en supposant que la dépense de santé par tête des 20-24 ans évolue comme le PIB par tête, les dépenses de santé devaient augmenter entre 2004 et 2050 de 3,6 points de PIB (tableau 4) sous l'effet de la déformation de la pyramide des âges donnée par l'ancienne projection. Une déformation moins prononcée de la structure démographique dans la nouvelle projection limite à 2,8 points de PIB l'augmentation des dépenses de santé entre 2004 et 2050 (de 10,5 % du PIB en 2004 à 13,3 % en 2050), soit une économie de 0,8 point de PIB pour les seules dépenses de santé.

TABLEAU 3. DÉPENSES DE PROTECTION SOCIALE (EN POINTS DE PIB) SELON LES DEUX PROJECTIONS DE L'INSEE

En revanche, les dépenses liées à la politique familiale diminueraient moins que prévu dans les nouvelles projections sous l'effet de l'hypothèse d'augmentation de la fécondité. Dans l'ancienne projection, les dépenses familiales diminuaient de 0,6 point de PIB entre 2004 et 2050, pour atteindre 1,9 % du PIB en 2050 (tableau 3). Avec la révision des projections de l'INSEE, ces dépenses ne baisseraient plus que de 0,4 point de PIB en 2050. Enfin, avec le retour progressif au plein-emploi, les dépenses liées au chômage baisseraient du même ordre de grandeur entre 2004 et 2050 (- 1,2 point de PIB) quel que soit le scénario de projection retenu (tableau 3).

Si l'on suppose que la masse des recettes affectées au financement de la protection sociale reste constante dans le PIB, le déficit de l'ensemble de la protection sociale (et non pas uniquement du régime général) n'augmenterait pas, d'ici 2050, de 5,9 points de PIB mais de 3,3 points, soit une diminution de plus de 40 % du besoin de financement initial. Le problème du vieillissement aurait donc été surestimé et surtout abordé d'une mauvaise manière. Il ne s'agit pas de gérer le vieillissement attendu de la population française en colmatant comme on le peut les fuites à venir du système de protection sociale. Il s'agit au contraire de relever deux défis. Premièrement, accompagner ce nouveau dynamisme de la population en conciliant fécondité et activité des femmes et en intégrant les populations nouvelles qui sont désormais installées sur le territoire national, comme celles à venir. Deuxièmement, il importe de réussir le retour au plein-emploi, à la fois pour profiter des économies réalisables sur l'assurance chômage (plus d'1 point de PIB), mais également pour que l'allongement des durées de cotisation devienne possible et que le taux d'emploi des seniors (un des plus bas d'Europe) remonte durablement.


Note

[1] E. Coudin, « Projections 2005-2050 : Des actifs en nombre stable pour une population âgée toujours plus nombreuse », INSEE Première, n° 1092, juillet 2006.

Bibliographie

Matthieu Lemoine, Paola Monperrus-Veroni et Frédéric Reynès L'Europe moins vieille que prévue, Lettre de l'OFCE n°2841 2007

Élise Coudin Projections 2005-2050 - Des actifs en nombre stable pour une population âgée toujours plus nombreuse, Insee première n°1092, 2006

Nauze-Fichet Emmanuelle et Lerais Frédéric Projections de population active - Un retournement progressif, Insee première, n°838, 2002

Isabelle Robert-Bobée Projections de population pour la France métropolitaine à l'horizon 2050 - La population continue de croître et le vieillissement se poursuit, Insee première n°1089, 2006

Bilan démographique 2006 : un excédent naturel record, Lucile Richet-Mastain, Insee Première n°1118, 2007.

Élisabeth Algava et Mathieu Plane, Vieillissement et protection sociale en Europe et aux États-Unis, Dossiers de solidarité santé, n°3 2004 pp. 23-45.

Pour aller plus loin

Rapport du Haut Conseil pour l'Avenir de l'Assurance Maladie, Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, 2007, 144 pages

L'évolution de la législation relative aux mises à la retraite d'office, Inspection générale des affaires sociales : Inspection générale des finances, 2006, 32 pages.

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