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Les banques dans la crise

Publié le 28/09/2010
Auteur(s) - Autrice(s) : Mathieu Plane, Georges Pujals
Issue de la crise des subprimes, la crise bancaire a connu son point d'orgue le 15 septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers. À partir de cette date, la crise a pris une autre dimension et, d'une crise bancaire, nous sommes passés à une crise financière planétaire aux effets économiques et sociaux sans précédents depuis la Seconde Guerre mondiale. Cet article présente la mécanique infernale qui a conduit à la situation actuelle et tente de tirer les leçons de la crise du point de vue des acteurs bancaires. Il explique pourquoi le modèle de la banque universelle à mieux résisté à la crise et pourquoi le modèle de la banque d'investissement indépendante se trouve fragilisé.

Cet article est une synthèse de Mathieu Plane et Georges Pujals : «Les banques dans la crise», Revue de l'OFCE, n°110, juillet 2009.

Issue de la crise des subprimes, la crise bancaire a connu son point d'orgue le 15 septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers. À partir de cette date, la crise a pris une autre dimension et, d'une crise bancaire, nous sommes passés à une crise financière planétaire aux effets économiques et sociaux sans précédents depuis la Seconde Guerre mondiale.

Dépréciations, pertes de capitalisation, chute des profits et plans de soutien des États : la mécanique infernale

La crise financière actuelle met en péril la solvabilité des banques dont la dégradation des bilans passe par plusieurs canaux. Premièrement, les dépréciations d'actifs adossés à des titres «toxiques» ont conduit les banques à passer des provisions colossales pour compenser les pertes, notamment aux États-Unis et en Europe. Selon le rapport du FMI d'avril 2009, les dépréciations d'actifs pourraient atteindre près de 4 000 milliards de dollars au niveau mondial (2700 pour les États-Unis), dont les deux tiers concerneraient des banques. Cela représente 7,4 points de PIB mondial et plus de 19 points de PIB de dépréciations d'actifs à encaisser pour les États-Unis. Certes, le choc ne se concentre pas sur une seule année mais les ordres de grandeur mettent en évidence la gravité du phénomène. Deuxièmement, face à cette dégradation brutale des bilans bancaires, la chute des cours boursiers a été rapide et de grande ampleur conduisant à des moins values sur les actifs financiers détenus par les banques. Entre le mois de juin 2007 et mars 2009, la capitalisation boursière mondiale des banques a perdu 70% de sa valeur, soit plus de 4700 milliards de dollars (8,7 points de PIB mondial).

Ces différents éléments ont conduit les banques à encaisser des pertes sans précédents. À partir des données individuelles des plus grosses banques des pays européens et des États-Unis, nous avons reconstitué des comptes agrégés bancaires pour chaque pays. Ces 34 banques ont vu leur résultat net diminuer entre 2007 et 2008 de plus de 400 milliards de dollars, soit 0,7% du PIB mondial. Cette chute est très concentrée. Près de 70% de la baisse est regroupée dans 13 banques. L'impact de la crise est également différent selon les pays : la chute des profits représente 0,9 point de PIB dans la zone euro et 1 point aux États-Unis. Au Royaume-Uni, la variation du résultat net atteint 4,7 points de PIB et 7,1 points de PIB en Suisse. Au sein de la zone euro, les situations sont très disparates : en haut de la hiérarchie, on trouve l'Espagne et l'Italie où la contraction des profits représente respectivement 0,1 point de PIB et 0,3 point de PIB. Dans une situation intermédiaire, il y a la France et l'Allemagne où la variation des résultats bancaires représente environ 0,5-0,6 point de PIB, même s'il est important de noter que les banques françaises continuent à faire des profits en 2008 alors que les banques allemandes affichent des pertes au niveau agrégé. Enfin, dans une situation extrêmement difficile, les banques belges ont enregistré une chute de leur résultat net de 12,7 points de PIB. Si l'ampleur du choc entre 2007 et 2008 est comparable entre l'Europe et les États-Unis, il faut souligner que la chute des profits a commencé dès 2007 aux États-Unis (baisse de 43 milliards de dollars, soit 0,3 point de PIB) alors que le retournement a eu lieu en 2008 en Europe.

Face à ces pertes colossales qui ont diminué d'autant leurs fonds propres, les banques ont été confrontées à un risque d'insolvabilité, les contraignant à procéder à des recapitalisations massives et à diminuer leurs actifs pondérés du risque. De plus, dans un contexte de crise de liquidité, il était nécessaire de faciliter le refinancement des banques pour qu'elles puissent faire face à leurs engagements. La plupart des États ont donc apporté des garanties pour les émissions de titres de créances des établissements de crédits. En France, la Société de refinancement des établissements de crédit a levé près de 50 milliards d'euros de fonds, soit environ 15% du plafond autorisé. Les États ont également facilité la recapitalisation des banques en leur fournissant des fonds propres. Entre septembre 2008 et février 2009, près de 40% des augmentations de capital des établissements de crédit de la zone euro étaient dus à des injections de capital des pouvoirs publics. En France, la Société des participations publiques de l'État a lancé deux plans de recapitalisation pour un total de 21 milliards d'euros pour les banques françaises (dans un plafond de 40 milliards) et injecté 1 milliard dans le cadre du sauvetage de Dexia.

La nécessité pour les banques de maintenir un certain niveau de solvabilité a eu aussi pour conséquence immédiate une réduction de leurs encours d'actifs et donc de l'offre de crédit, ce qui a accéléré l'effet récessif de la crise sur l'économie réelle.

Les leçons de la crise : redistribution des cartes et nouvelle grille de lecture pour les activités bancaires

Après plusieurs mois de crise, un nouveau paysage bancaire mondial s'est dessiné au gré de faillites, de nationalisations et d'acquisitions et les forces en présence ont été sensiblement redistribuées. C'est aux États-Unis, l'épicentre du séisme, que les stigmates sont les plus profonds. D'une part, trois des cinq fleurons de la banque d'investissement américaine (bulge brackets) ont été rayés de la carte. D'autre part, le classement des dix premières banques du pays en banque de détail a été profondément chamboulé.

Au niveau des acteurs, il ressort que des établissements tels que JP Morgan Chase, Bank of America, Wells Fargo, BNP Paribas ou encore Santander ont su tirer leur épingle du jeu dans un contexte pourtant peu favorable marqué par une crise de confiance généralisée. À l'inverse, Citigroup, Fortis, RBS, Wachovia et UBS, qui figuraient parmi les banques les plus performantes de leur pays respectifs, se sont effondrées ou, pire encore, ont tout simplement disparu.

Cette crise a également contribué à instaurer une nouvelle grille de lecture dans l'exercice du métier de banque dans l'après-crise. Ces dernières années, les établissements bancaires se sont aventurés hors du champ traditionnel des dépôts pour financer leurs crédits. Pour cela, ils ont eu massivement recours aux marchés, ce qui explique le développement de la titrisation. À partir de l'été 2007, les annonces répétées de dépréciations massives liées à la crise des subprimes a inquiété les investisseurs avant d'entraîner, à la suite de la faillite de Lehman Brothers, un gel des échanges sur le marché interbancaire. Malgré l'envolée des rémunérations offertes par les banques, la liquidité est devenue une ressource rare en raison d'un contexte de défiance généralisée. Or, compte tenu des montants colossaux en jeu, l'incapacité de se refinancer, appeler communément le risque de liquidité, peut faire tomber n'importe quel établissement, même si, par ailleurs, il est solvable et son activité est rentable. Les premières victimes collatérales de la crise ont naturellement été celles qui disposaient de peu de dépôts, à savoir les banques d'investissements (Lehman Brothers...) ainsi que l'ensemble des établissements ayant une forte dépendance vis-à-vis des financements de marché (Dexia, IKB, HBOS, Northern Rock, Bradford & Bingley...). Tandis que le ratio prêts sur dépôts de la plupart des banques européennes tourne en moyenne autour de 150%, il était par exemple de 320% pour Northern Rock.

Placée désormais au centre des stratégies bancaires, la course aux dépôts [1] a pris deux formes au cours des derniers mois. D'une part, alors que les fusions-acquisitions antérieures étaient généralement motivées par des critères de synergies de coût et de capital, l'élargissement de la base des dépôts constitue désormais l'une des priorités assignées à ces opérations. D'autre part, les banques ont multiplié les campagnes publicitaires et autres offres promotionnelles afin d'accroître fortement leur base de dépôts clientèle. L'aggravation de la crise à l'automne 2008 a conduit les marchés à se préoccuper de l'adéquation entre le niveau de capitalisation de chaque établissement et les risques qu'il supporte, à savoir sa solvabilité. Cette dernière est généralement mesurée par le ratio de fonds propres durs, aussi appelée ratio Tier 1. Afin de maintenir ce ratio dans les limites exigées par les autorités de tutelle, les banques ont été contraintes de procéder à des recapitalisations massives mais aussi à céder des actifs.

Toutefois, les choses n'en sont pas restées là puisque la crise a également déclenché une véritable surenchère en matière de ratio Tier 1, nourrie à la fois par les États ainsi que par de nouvelles exigences du marché. Alors que ce ratio tournait autour de 7-8% en moyenne avant la crise, la nouvelle norme implicite a été portée aux environs de 10% à la fin 2008 sur la base du nouveau standard britannique. Il n'est alors pas étonnant que la plupart des grandes banques mondiales affichent dorénavant des ratios deux à trois fois supérieurs au minimum réglementaire de 4%. Pour autant, l'attachement actuel au ratio Tier 1 nous semble relever d'un fétichisme irrationnel.

Même si l'utilisation de ce ratio comme instrument de comparabilité des niveaux de fonds propres souffre d'un fort discrédit, les marchés vont probablement continuer à exercer une forte pression sur les banques pour qu'elles maintiennent des niveaux de fonds propres élevés. En effet, l'enjeu de la solvabilité est devenu une priorité avec la crise, et une dégradation de celle-ci dans les prochains mois n'est pas à écarter, comme en témoignent les dernières études réalisées par le FMI ou la Réserve fédérale (FED) [2].

Des modèles bancaires en mutation

D'une manière générale, la crise financière a démontré l'extrême fragilité des établissements qui dépendent fortement des marchés pour se refinancer, en raison d'une base insuffisante de dépôts. Ils sont de deux types. D'une part, les spécialistes du crédit immobilier situés des deux côtés de l'Atlantique. D'autre part, les pures players en banque d'investissement qui ont fait la réputation et le prestige de Wall Street depuis plusieurs décennies. Ces derniers, qui étaient au nombre de cinq avant la crise (Goldman Sachs, Morgan Stanley, Merrill Lynch, Lehman Brothers et Bear Stearns), ont tous disparu en quelques mois.

Très rentables jusqu'à l'été 2007 avec des retours sur fonds propres (ROE) souvent supérieurs à 25%, les activités de banque d'investissement sont devenues ensuite des puits sans fond avec la dislocation des marchés. Même si la plupart des grandes banques mondiales ont pris la décision de réduire leur exposition à ces métiers, il ne s'agit pas pour autant de la fin de la banque d'investissement. En revanche, nous vivons la fin d'une époque en ce qui concerne les activités de marché. Il va donc falloir à présent réinventer de nouveaux modèles de développement, sans doute moins rentables que ceux qui ont conduit à la crise.

Même si l'histoire des banques d'investissement américaines a été agitée, jamais leur modèle n'avait été autant remis en cause. Les grandes banques d'investissement américaines seront finalement mortes en 2008 d'un statut mis en application à l'issue de la crise de 1929, lequel était pourtant censé leur éviter de faire faillite. Autre pied de nez à l'histoire, le modèle de la banque d'investissement indépendante, hier fleuron du capitalisme mondialisé, a disparu au profit de celui de la banque universelle.

Le modèle de la banque universelle se trouve avoir, au final, mieux résisté à la crise pour trois raisons principales. D'une part, les banques universelles, grâce à leurs dépôts, sont généralement moins dépendantes des marchés en matière de financement. D'autre part, lorsque les activités de marchés se sont effondrées avec l'amplification de la crise, la banque de dépôts a alors pris le relais pour fournir des revenus stables, jouant ainsi son rôle d'amortisseur permettant de contrebalancer les lourdes pertes enregistrées par la banque de financement et d'investissement (BFI). Enfin, ces établissements disposent d'un matelas suffisant de fonds propres leur permettant de faire face aux turbulences.

Pour autant, il ne faudrait pas croire que la diversification des métiers propres à la banque universelle est une assurance en soi contre les défaillances bancaires. Beaucoup d'établissements diversifiés ont également fait les frais de leur propre turpitude : Citigroup, Fortis, Royal Bank of Scotland... Dès lors, la diversification s'avère être une condition nécessaire mais pas suffisante pour expliquer une traversée sans encombre majeure de la crise actuelle. L'équilibre entre les différents métiers semble également avoir joué un rôle essentiel comme le démontre le cas des grandes banques françaises, avec comme référence BNP Paribas. Même si la banque de détail constitue le socle de leur activité, elles présentent la particularité d'avoir un profil diversifié et équilibré à la fois géographiquement et en termes de métiers [3].

Si le modèle de la banque universelle à la française a bien fonctionné, c'est aussi parce les établissements hexagonaux ont su le maîtriser. En banque d'investissement, ils ont renoncé à devenir des acteurs mondiaux présents dans toutes les activités, pour se concentrer sur les seules lignes de métiers où ils bénéficiaient d'avantages compétitifs. Le leadership mondial de la Société Générale en matière de dérivés actions en est le meilleur exemple. En banque de détail, ils ont parfaitement ciblé leurs acquisitions dans le cadre d'une stratégie d'expansion internationale claire et bien définie. Enfin, contrairement à certains rivaux, ils n'ont pas dirigé les divers métiers de façon indépendante en les décorrélant les uns des autres. Cette gestion coordonnée des différents métiers se révèle être aujourd'hui un véritable atout.

Nous sommes convaincus que la banque de l'après-crise aura trois caractéristiques majeures. Il s'agira d'une banque qui aura encore plus que par le passé son centre de gravité dans l'activité de banque de détail. La banque revient ainsi à son rôle originel d'intermédiation. Ce sera également une banque de la maîtrise qui devra davantage contrôler la nature et la complexité des opérations ainsi que les produits financiers qu'elle propose avec pour corollaire une baisse des niveaux de rentabilité. Enfin, il s'agira d'une banque de la solidité qui s'appuiera sur la réalisation d'un équilibre contrôlé entre ses différents pôles métiers.

Ce retour aux fondamentaux de la banque, effet secondaire inattendu de la crise financière actuelle, est assurément une bonne nouvelle pour l'économie réelle. Toutefois, il nous incite à formuler deux remarques en guise de conclusion.

D'une part, il nous paraît erroné de croire que la fin des crises bancaires viendra du choix d'un business model plutôt que d'un autre. La solution nous semble davantage passer par la mise en place d'une régulation appropriée et efficace des activités bancaires et financières. Il s'agit d'un objectif difficile à atteindre, car il implique la manifestation d'une volonté politique forte et commune de la part des différentes autorités concernées.

D'autre part, même si des excès ont été commis par le passé, il ne faudrait pas oublier que certaines techniques financières sophistiquées comme la titrisation, qui sont aujourd'hui tant décriées, ont non seulement permis d'accompagner la forte croissance des acteurs bancaires mais aussi celle de nos économies. Dès lors, il nous paraît souhaitable de préserver cette capacité d'innovation, tout en y apportant les correctifs nécessaires. L'enjeu est d'importance car il va conditionner, en partie, le type de croissance économique pour les années à venir.


Notes :

[1] Il s'agit d'une ressource stable, peu coûteuse et représente un gage de résistance en cas de fortes tensions sur la liquidité de marché. Ils alimentent un cercle vertueux : moindre coût de refinancement, meilleur profil de liquidité et donc meilleure notation par les agences.

[2] Selon le rapport du FMI d'avril 2009, les besoins de recapitalisation des banques en Europe et aux États-Unis seraient compris entre 875 et 1700 milliards de dollars. D'après les résultats des stress tests menés par la FED sur un échantillon composé des 19 plus grandes banques américaines, les besoins en recapitalisation des banques outre-Atlantique pourraient atteindre 185 milliards de dollars d'ici à la fin de l'année 2010 dans le cas de la réalisation du scénario noir.

[3] Selon la Fédération bancaire française (FBF), les banques françaises tirent 65% de leurs marges d'exploitation de la banque de détail.

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