Logement : une loi ELAN controversée
L'année 2018 aura été marquée par les discussions autour de la loi « Évolution du logement, de l'aménagement et du numérique » (ELAN).
Un « choc d'offre » réglementaire…
Sur les 66 articles de la loi, une grande majorité visent à fluidifier le marché de la construction à travers l'amendement d'articles du code de la construction, frein supposé à la construction de logements dans notre pays. La France est l'un des principaux producteurs de logement par habitant en Europe. L'idée selon laquelle l'inflation normative aurait entravé la construction en France est donc excessive. De même, si les coûts de construction ont crû bien plus rapidement que les prix à la consommation depuis vingt ans (+ 20% en euros constants entre 1996 et 2016), du fait notamment de l'instauration de normes nouvelles, le coût de la construction est loin d'être le principal responsable de la forte croissance des prix immobiliers neufs sur la période, ce dernier étant le coût du foncier (+ 800% entre 1996 et 2016). Enfin, il convient de rappeler que la construction neuve représente au mieux 1% du parc de logements existants. Même s'il est important de faire baisser les prix de l'immobilier neuf, cette baisse n'aura que peu d'impact sur les prix immobiliers pris globalement, et ce d'autant plus que les deux marchés sont en réalité assez déconnectés en termes de public visé.
… aux conséquences illusoires ?
La littérature économique s'est penchée depuis longtemps sur la réponse des prix immobiliers à un accroissement de l'offre. En France, celle-ci est estimée à – 1,5 au niveau national [1]. Autrement dit, une hausse de 10% de l'offre permettrait de réduire les prix de l'ordre de 15%. Néanmoins, localement, l'accroissement de l'offre de logement va souvent de pair avec une croissance de l'attractivité et donc une hausse des prix immobiliers. De plus, de tels objectifs de construction semblent irréalisables sur les territoires les plus tendus. Il faudrait ainsi construire à Paris en 2018 plus de 150 000 logements supplémentaires pour réduire les prix de 10% (i.e. revenir aux prix de 2016). Compte tenu des contraintes foncières, ces objectifs ne pourront être atteints. Si l'attention portée à la nécessité de construction est louable, c'est bien la production de logements abordables supplémentaires qui semble constituer la solution aux maux du logement en France. Pour ce faire, la construction neuve est insuffisante et les réformes annoncées pour le secteur social pourraient réduire à terme l'offre de logements abordables.
Une réforme au pas de charge du logement social
Les articles 25 à 30 visent à réformer le système du logement social à la française. Pour parvenir aux économies demandées (1,7 milliard d'euros en 2018), le gouvernement avance trois pistes principales : la fusion des organismes, le développement de la vente d'HLM, ainsi que l'engagement d'une réflexion quant au mode de fixation des loyers à l'entrée du parc social. Concernant la restructuration du « monde HLM », les acteurs locaux sont les plus à même de porter un changement. Il est probable que le rapprochement d'un certain nombre d'organismes ait pour effet d'engendrer des économies d'échelle substantielles. Rappelons tout de même que les 800 bailleurs sociaux dénombrés gèrent près de 5 millions de logements. Le parc locatif privé compte, lui, près de 6 millions de logements pour plus de 2 millions de bailleurs personnes physiques.
La vente HLM : attention, danger !
Aujourd'hui de l'ordre de 8 000 unités par an, l'objectif du gouvernement est d'atteindre près de 40 000 logements HLM vendus par année. Cet objectif est pour le moins ambitieux. De plus, ce développement pose un certain nombre de questions. La première est de savoir à qui seront destinées ces ventes. Une étude très complète du CEREMA s'est penchée sur les ventes HLM opérées entre 1999 et 2012 [2]. Si, en moyenne, 62% des logements vendus étaient occupés par leur propriétaire, près d'un quart avaient basculé, dès leur achat, vers le parc locatif privé. Pire, un peu moins d'un logement vendu sur dix était vacant, alors même que l'ensemble de ces logements continuaient à être comptabilisés dans le quota SRU durant cinq ans (le gouvernement compte étendre cette possibilité à dix ans). De fait, la question du public cible doit être posée. Par nature, les locataires du parc social sont peu solvables et ce même à des prix inférieurs au marché. Si d'autres ménages venaient à se porter acquéreurs, le parc social viendrait à se tarir. De même, en plus d'une difficile adéquation entre offre et demande de logement social à la vente, l'adéquation entre territoires candidats à la vente et territoires en besoin de construction n'est pas facile à trouver. Sans mécanisme de péréquation opportun, l'objectif ne pourra ni être rempli ni avoir les effets escomptés.
Loyers HLM : vers un changement de modèle ?
L'article 28 de la loi vise à « mettre en œuvre à titre expérimental une politique des loyers qui prenne mieux en compte la capacité financière des ménages nouveaux entrants du parc social ». Cette mesure constitue un premier pas, important, vers un changement de modèle du secteur social.
À l'heure actuelle, ce sont les montants d'aides publiques qui déterminent les loyers de sortie des logements sociaux, les APL jouant le rôle de prise en compte des revenus des locataires. L'expérimentation proposée par le gouvernement remet en question l'équilibre aide à la pierre/aide à la personne qui constituait jusqu'ici la règle. Si considérer que les loyers d'aujourd'hui dépendent des modes de financement d'il y a des décennies n'a que peu de sens, ce changement de paradigme laisse planer de nombreux risques. Le principal réside dans le fait que la santé des organismes HLM viendrait à dépendre des ressources des ménages qu'ils logent. À terme, en cas de désengagement financier de l'État, tant dans les aides à la pierre que dans les aides personnelles, désengagement déjà entamé, les organismes pourraient être fortement incités à n'accueillir dans leur parc que des ménages leur permettant de percevoir des loyers plus élevés. Quid alors de la mission du parc social de loger les ménages les plus fragiles ?
L'accessibilité des logements au cœur des débats
En plus de l'accessibilité financière des logements, la présentation de la loi ELAN a été l'occasion de discussions animées autour d'une mesure considérée par certains comme rétrograde : l'accessibilité des logements aux personnes en situation de handicap. Depuis 2005, l'ensemble des logements collectifs mis en construction se doivent d'être accessibles. La loi ELAN propose de revenir sur cette disposition. Dans les futures opérations de construction de logements collectifs, seuls un dixième des logements (et au moins un logement) seront accessibles aux personnes en situation de handicap, tandis que leurs autres logements, évolutifs, pourront « être rendus accessibles à l'issue de travaux simples ». Cette modification législative a posé de nombreuses questions. L'une d'elles a porté sur la place des personnes en situation de handicap (et sur leur lieu de vie) en France. D'un côté, certains observateurs ont souligné qu'il n'y avait nul besoin de construire 100% de logements accessibles, étant donné le fait que ces logements ne seront pas tous habités par des personnes en situation de handicap. De l'autre, certains se sont interrogés sur le rôle du logement, non pas comme simple lieu où l'on réside, mais comme espace de vie. Sous cet angle, il apparaît justifié que les « valides » puissent recevoir chez eux des personnes qui le sont moins (amis, parents, grands-parents) dans des conditions décentes. Compte tenu de la faible accessibilité du parc de logement français, cela est pour l'instant loin d'être la norme.
Notes
[1] FRIGGIT J., "L'élasticité du prix des logements par rapport à leur nombre", Conseil général de l'environnement et du développement durable, août 2011, p.3 (actualisation de la note en 2014).
[2] La Vente HLM en France. Méthodes d'observation et résultats, CEREMA, rapport, 2015.