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Ariane Tichit : Le développement durable

Publié le 09/09/2005
Auteur(s) - Autrice(s) : Ariane Tichit
Cet article aborde un certain nombre de débats théoriques autour des concepts de développement durable et de soutenabilité. Il revient sur l'opposition dans la littérature économique entre d'un côté les tenants de la "soutenabilité faible", pour qui le problème de l'épuisement des ressources est résolu par la substituabilité entre capital naturel et capital physique reproductible, et de l'autre les tenants de la "soutenabilité forte", qui accordent une valeur intrinsèque à l'environnement et refusent cette idée de substituabilité ainsi que la priorité donnée à la croissance et à l'efficience économique. Au-delà de la question de la définition du développement soutenable, le problème de la mesure et de la monétarisation de l'environnement est également soulevé : comment prendre en compte l'environnement dans les comptes nationaux, quels indicateurs de développement durable utiliser ?

D'après un cours d'agrégation d'Ariane Tichit, MC en économie à l'ENS-LSH, année scolaire 2004-2005.

Peu de concepts ont attiré autant d'attention politique et académique que celui du développement soutenable. Utilisé pour la première fois au début des années 1980 par l'International Union for the Conservation of Nature dans une perspective écologique et par le PNUD dans une perspective sociale, le concept de "sustainable development" traduit par développement soutenable ou durable est retenu au cours de la décennie suivante comme l'axe fondamental de l'analyse et de la politique de l'ONU en matière de développement et d'environnement. Après la prise de conscience des problèmes liés aux ressources naturelles dans les années 70, les années 80 vont voir la montée en puissance du concept de développement durable. Cette décennie est caractérisée par l'émergence et la reconnaissance de pollutions qualifiées de « globales » (hausse du gaz carbonique, problème de la couche d'ozone...), l'accumulation de divers sinistres technologiques (dont Tchernobyl en 1986) comme écologiques, la perte de biodiversité...

L'ensemble de ces éléments, relayé par les médias, a touché le grand public.

Deux grands évènements amorcent les débats : la Commission mondiale sur l'environnement et le développement (CMED) créée en 1983 aboutit en 1987 à la publication du rapport Brundtland - du nom du premier ministre norvégien de l'époque qui présidait la Commission - et la conférence des nations unies pour l'environnement et le développement (CNUED) de Rio de Janeiro en 1992. Le rapport Brundtland a tout d'abord proposé une définition du développement soutenable qui est devenue officielle : « Le développement soutenable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Le rapport signale les limites des modalités actuelles de la croissance et insiste sur le fait que la tendance ne saurait être poursuivie en raison des contraintes environnementales. Néanmoins, il propose de concilier le développement et la préservation de l'environnement. L'idée n'est pas de limiter la croissance ou de la faire reculer, mais de l'infléchir dans le sens d'un développement durable. On cherche donc à concilier développement et environnement. Le rapport insiste en particulier sur les rapports Nord/Sud, la lutte contre la pauvreté, les droits des femmes, l'équité sociale... Ce rapport a posé des principes qui ont été entérinés à Rio, débouchant sur l'adoption d'une Déclaration sur l'environnement et le développement, une Déclaration sur les forêts, une Convention sur les changements climatiques, une Convention sur la biodiversité (consulter ces textes) et un Agenda 21, inventaire des actions à mener pour préparer le XXIème siècle.

Cependant, en juin 1997, une mission spéciale de l'Assemblée générale des Nations Unies s'est réunie à New York pour évaluer la mise en œuvre des résolutions prises lors de la Conférence de Rio. Le bilan de cette réunion, appelée « Rio + 5 » est mitigé (voir la page consacrée à ce sommet sur le site des Nations Unies). Les années 90 ont été marquées par les chocs financiers qui ont occupé le premier plan. Par ailleurs, les rapports de force entre les pays développés et en développement n'ont pas été véritablement modifiés et les disparités économiques se sont amplifiées. En revanche, dans les pays développés, le développement durable a trouvé une traduction dans des programmes d'action, des politiques publiques, des politiques locales et des stratégies d'entreprise. Le 30 mai 2001, le conseil européen de Göteborg a approuvé une recommandation de la commission visant à développer la transparence du comportement des entreprises en matière environnementale et sociale. La commission européenne publie en juillet 2001 un livre vert : "promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises". En France un décret d'application datant de 2002 de la loi 116 sur les nouvelles régulations économiques, impose aux sociétés cotées d'indiquer dans leur rapport annuel « la manière dont elles prennent en compte les conséquences environnementales et sociétales de leur activité ».

Le développement durable obéit, selon ses concepteurs, à quelques principes généraux : il s'inscrit dans le temps, il suppose la poursuite d'une croissance économique considérée comme nécessaire quoiqu'insuffisante, qui permette un meilleur partage des richesses. La soutenabilité implique également deux dimensions considérées comme indissociables : la promotion de tous les êtres humains et la préservation des équilibres naturels.

Ces concepts sont flous et souvent utilisés comme des boîtes noires. Dès 1989, Pezzey [1] recensait plus d'une soixantaine de définitions dans la littérature. Ces questions sont sujettes à de nombreuses controverses et beaucoup d'options s'offrent aux décideurs politiques. Nous allons aborder certains débats théoriques qui ont lieu autour de ces différents concepts. Certes, l'ensemble des approches partage la définition du rapport Bruntland qui a rendu ce terme si populaire. Un premier clivage oppose les auteurs tenants de l'"écologie profonde" ou "deep ecology » qui accordent une valeur intrinsèque à l'environnement indépendante des besoins humains et les néo-classiques caractérisés par leur croyance à une substituabilité parfaite entre les différentes formes de capital, et voyant donc l'épuisement de certaines ressources comme un problème résolu par la substitution des capitaux entre eux. Dans la littérature économique actuelle le débat a lieu le long d'une ligne de partage qui sépare :

  • Les tenants de la soutenabilité faible, qui traitent la soutenabilité comme une nouvelle forme d'efficience économique étendue à la gestion des services de la nature. Pour eux la croissance est nécessaire pour le développement humain et ils cherchent des moyens de concilier maintien de la croissance à long terme sous les contraintes environnementales.
  • Les tenants de la soutenabilité forte (Daly, 1992 [2]), quant à eux, refusent cette notion de substituabilité, au moins pour un certain nombre d'actifs naturels, dont le stock doit être gardé constant. Ils considèrent que l'efficience est un critère inadéquat pour satisfaire les préoccupations et proposent des visions plus radicales visant à intégrer l'économie dans l'environnement et non pas l'inverse. Ceux-ci mettent donc les questions environnementales avant les questions d'efficience économique dans les priorités. En particulier, la question de la nécessité de la croissance est remise en cause par ce type de courant.

D'autre part, se pose également la question non seulement de définir le développement soutenable, mais de proposer des règles et de fournir des indicateurs de la soutenabilité.

Il apparaît ainsi que les citoyens sont de plus en plus sensibles à cette notion de développement, de progrès social et de protection environnementale. Il y a donc une volonté de fournir des indicateurs permettant de tenir compte de ces nouvelles dimensions. Selon les courants, les propositions diffèrent, bien évidemment, comme nous allons le montrer.

1. La soutenabilité faible

Les approches traitant de la soutenabilité faible relèvent essentiellement du cadre méthodologique néoclassique même si celles-ci ne maintiennent pas toujours l'ensemble des hypothèses traditionnelles de ce cadre d'analyse.

La définition courante du développement soutenable dans la plupart des modèles néo-classiques se traduit par le maintien ou la croissance d'un potentiel de bien-être (Pezzey, 1989[3]). Elle insiste sur la non décroissance de long terme de l'utilité, du revenu par tête ou de la consommation réelle. La question de la soutenabilité est donc appréciée à travers des modèles de croissance incorporant des composantes environnementales. Comme nous l'avons vu avec le modèle d'Hotelling, l'ensemble des ressources naturelles et des services environnementaux est assimilé à une forme de capital qui figure comme l'argument d'une fonction d'utilité ou comme facteur de production. Cette forme de capital est appelée capital naturel, et incorpore les stocks d'énergie et de minéraux et toutes les ressources renouvelables ou non, telles que les forêts tropicales, la couche d'ozone... c'est-à-dire n'importe quel actif naturel fournissant un flux de services au cours du temps. Les principes de la théorie du capital peuvent alors s'appliquer au capital naturel, et les différents types de capitaux sont substituables. Pour déduire une règle de soutenabilité, l'approche économique standard étend les enseignements des modèles de croissance optimale avec ressources épuisables (Dasgupta et Heal 1974[4], Solow 1974[5], Stiglitz 1974[6]) à des modèles de croissance optimale avec capital naturel. Les indicateurs retenus par cette version faible de la soutenabilité résultent de la résolution de tels modèles. Les analyses de la soutenabilité issue de la théorie de la croissance ne lient pas la préservation du capital naturel à des impératifs éthiques, même si certains modèles intègrent la question de l'équité intergénérationnelle.

1.1. Règles de soutenabilité issues des modèles de croissance

Entre le milieu des années 70 et le début des années 80, au moment des grands débats consécutifs à la crainte de la raréfaction des ressources naturelles, on assiste à une prolifération de la littérature économique traitant :

  • de la nature des sentiers de croissance optimale avec ressources épuisables
  • de la faisabilité des sentiers de consommation soutenue ou de consommation croissante par tête
  • des moyens par lesquels de tels sentiers de consommation peuvent être atteints en pratique.

Le terme « soutenabilité » est rarement invoqué à l'époque, mais il est clair que cette littérature concerne directement cette question.

Stiglitz est l'un des premiers à avoir intégré les ressources naturelles épuisables dans un modèle macroéconomique de croissance. Ce modèle est d'ailleurs considéré comme la référence en la matière et les travaux ultérieurs s'en sont fortement inspirés. La question est de savoir si, ce facteur étant amené à disparaître à plus ou moins long terme, selon son utilisation dans la production, la croissance va s'éteindre lorsque celle-ci s'épuisera.

L'introduction de ressources épuisables dans les modèles de croissance montre que ceci dépend des propriétés technologiques du système productif. Lorsque l'économie ne peut s'affranchir de cette contrainte de rareté, l'épuisement de la ressource conduit inéluctablement à un déclin. A contrario, lorsque les conditions technologiques permettent de contourner cette limite physique à la production, l'économie peut se situer sur un sentier de croissance permanente.

A la suite de Hicks qui avait défendu l'idée que le maintien d'un stock de capital constant garantissait celui du revenu réel pour les générations futures, les économistes de l'environnement ont défini la soutenabilité par rapport au capital : s'agit-il du seul capital produit et reproduit par l'homme, le capital artificiel ou s'agit-il également des ressources naturelles, renouvelables ou non, du capital naturel ?

Les économistes néoclassiques vont considérer qu'il s'agit du capital dans son ensemble, comprenant le capital physique reproductible et le capital naturel.

Hartwick (1977[7]) énonce une règle de compensation intergénérationnelle selon laquelle les rentes prélevées au fur et à mesure de l'épuisement des ressources naturelles doivent être réinvesties pour produire du capital qui puisse remplacer les ressources naturelles épuisées. Ce modèle a fourni une règle d'épagne-investissement connue sous le nom de règle de Solow-Hartwick qui, si elle est adoptée par la société, la conduit sous certaines conditions à maintenir une consommation constante au cours du temps. Ceci est initialement montré dans le cas d'une fonction Cobb-Douglas sans croissance de la population ni progrès technique (PT). La règle indique que la société doit réinvestir à chaque date toute la rente issue de l'extraction de la ressource en capital manufacturé. Mathématiquement :

équation de la règle de Solow-Hartwick

où St représente le montant de l'épargne investi et symbole mathématique de la dépréciation du capital la dépréciation du capital.

Le capital est composé de :

K = Km+ Kn

Cela permet l'application des concepts de la théorie du capital et conduit à une règle censée réguler la répartition des capitaux entre les générations. Selon cette loi, la soutenabilité sera assurée si le stock de capital total (K) est constant ou s'accroît afin d'assurer le maintien ou la croissance d'un potentiel de bien être au cours du temps. Soit :

équation mathématique de la règle d'accroissement du capital

Cette règle qui autorise une recomposition entre les parties constitutives du capital global fait l'hypothèse implicite d'une substituabilité quasi-illimitée entre le capital naturel et le capital reproductible.

Si la société adopte cette règle et exige que le stock de ressource soit extrait selon la règle de Hotelling d'épuisement optimal, elle sera juste capable de maintenir une consommation constante, l'accumulation du capital produit par l'homme compensant exactement l'épuisement de la ressource.

Solow (1986) discute de son extension au cas avec croissance de la population, capital humain et PT et montre que son application conduit alors à une croissance continue de la consommation par tête. L'investissement comme le PT est un moyen d'atténuer l'épuisement de la ressource naturelle.

Ainsi on a :

K= Km + Kh + Kn

Si l'on étend la règle de Solow-Hartwick à l'ensemble du capital, on obtient la condition suivante, dite règle de HHS (Hicks, Hartwick, Solow) :

condition mathématique de la règle de HHS

Cette règle relève de la « soutenabilité faible » dans la mesure où elle suppose une substituabilité parfaite entre les différents types de capitaux. Même des dommages infligés aux écosystèmes tels que la dégradation de la qualité environnementale, la perte de biodiversité ou le changement climatique global, ne sont pas inacceptables. Le seul problème est de savoir si des investissements compensatoires pour les autres générations dans d'autres formes de capitaux ont été réalisés. La substitution a donc un rôle central dans la formulation des possibilités de soutenabilité dans la perspective néoclassique. Cette substitution peut jouer entre les différents types de capitaux (Kn et Km), à l'intérieur d'un même type de capital (entre ressources épuisables et renouvelables), spatialement (entre stocks de même type de capital dans différents endroits). Dans le dernier cas, l'accroissement du stock de capital dans une région pourrait compenser le déclin qui se manifeste dans une autre. Enfin, différents types de capitaux peuvent se substituer entre eux au cours du temps.

Comme il est supposé que la combinaison productive varie dans la même proportion que les prix relatifs des facteurs, il est facile de remplacer le capital naturel en voie d'épuisement par du capital produit, puisque parallèlement à l'épuisement d'une ressource, son prix s'élève et rend rentable l'utilisation de substituts permis par la technique.

Stiglitz [8] soutient que dans le cadre d'une fonction Cobb Douglas (hypothèse de substituabilité du capital) une augmentation de la consommation par tête et par la suite de la satisfaction est non seulement possible mais optimale, dans le sens où l'on peut maximiser la somme des bénéfices nets actualisés à travers toutes les générations, à la condition que le rapport entre le taux de croissance du PT et la part de la ressource épuisable dans le revenu soit suffisamment élevée. Il est donc postulé que le PT permettra toujours de retirer une satisfaction plus grande d'un flux de ressources toujours plus faible. Ainsi, Stiglitz montre que non seulement la croissance est possible mais qu'elle est optimale puisqu'elle permet de maintenir au cours du temps la consommation par tête malgré l'épuisement des ressources. Cependant, la stabilité de cette croissance est précaire car aucune force de marché n'est capable de ramener le taux d'utilisation des ressources vers sa trajectoire optimale si celle-ci n'a pas été adoptée dès le départ. Faucheux et Noël (1995[9] ) notent que la règle de Hotelling est une condition nécessaire mais non suffisante d'une bonne gestion des ressources naturelles au cours du temps. De plus, le sentier de croissance équilibrée soutenable à long terme est dépendant d'hypothèses très restrictives sur les paramètres et les fonctions utilisées, que nous ne citerons pas exhaustivement ici. Pour les détails voir Faucheux et Noël (1995[9]) et Harribey (1998[10]).

L'approche de la soutenabilité par incorporation du capital naturel dans les modèles de croissance optimale fournit une règle de soutenabilité faible ou encore économique dans la mesure où les hypothèses en matière de substituabilité et de PT permettent de s'affranchir de toute spécificité du capital naturel et des contraintes écologiques, qui dans ces conditions ne sont jamais définitives. Elle fournit également un certain nombre de variables clés qui sont souvent considérées comme des indicateurs de soutenabilité et qui émanent des conditions pour lesquelles la croissance optimale est soutenable.

1.2. Indicateurs de soutenabilité issus des modèles de croissance


  • L'élasticité de substitution : La soutenabilité n'est valide que si l'élasticité de substitution entre le capital naturel et le capital reproductible est supérieure à 1, ou si elle est égale à 1 et que la part de la ressource naturelle dans le produit est inférieure à celle du capital reproductible. En pratique, que savons-nous de la valeur de cette élasticité ? Une étude de Artus et Perroux (1981[11]) qui comparait les estimations moyennes d'élasticités de substitution de plusieurs travaux dans le cas de l'industrie manufacturière aux Etats-Unis montre une variation des élasticités de substitution allant de -6,87 à 1,77. Si l'on se réfère aux estimations effectuées par Brown et Fields en 1979 sur le fer, l'aluminium, le cuivre, le papier.. il apparaît que la quasi-totalité des élasticités de substitution sont supérieures à 1. Toutefois, les plus grands risques en terme d'injustice inter-générationnelle ne proviennent pas actuellement de la rareté de ressources telles que le fer, l'or ou les métaux non ferreux.
  • Le progrès technique : Le second problème est que la soutenabilité n'est valide que si le taux de PT est supérieur au taux de croissance de la population. Or, il n'existe aucun moyen simple pour mesurer le taux de PT et donc pour évaluer la contribution (historique et future) de ce PT à l'accélération ou au ralentissement de la raréfaction du capital naturel. Ceci constitue donc un problème empirique important qui vient limiter la portée effective d'un tel indicateur.
  • La rente de rareté : ( Voir l'encadré consacré à la règle de Hotelling). Elle n'est pas non plus sans poser de problèmes quant à sa quantification.
  • L'indicateur de soutenabilité écologique : La règle HHS (Hicks, Hartwick, Solow) indique qu'il y a accroissement du capital si le montant de l'épargne investi est supérieur à la dépréciation du capital global : condition mathématique correspondante. En divisant par le produit, Pearce et Atkinson (1993) en ont déduit un indicateur de la soutenabilité faible de la forme :

formule de l'indicateur de la soutenabilité faible Z

Si Z est négatif, l'économie est dite insoutenable.

1.3. Le problème de l'équité intergénérationnelle

La problématique du développement durable est indissociable de celle du souci d'équité intergénérationnelle. Il est clair que l'un des problèmes centraux concerne le bien être des générations futures face à la pression croissante sur l'environnement. Ce sont les générations présentes qui doivent prendre des décisions ayant des conséquences sur l'environnement des générations futures, sachant que très souvent les coûts de leurs actions sont largement désynchronisés des bénéfices liés aux dommages évités, et sachant également que les générations futures ne sont pas là pour défendre leurs intérêts. Se pose alors ici un problème éthique. Les considérations d'équité intergénérationnelles sont apparues dans la littérature de la croissance optimale dès l'article fondateur de Ramsey (1928[12]), de façon naturelle : dès lors que l'on adopte un point de vue normatif et qu'il s'agit de maximiser un critère de bien être social intertemporel, se pose la question du poids qu'il faut accorder aux générations futures.

La pratique qui a le plus souvent prévalu dans les modèles de croissance connus aujourd'hui sous le nom de « modèles à la Ramsey » consiste à choisir la somme actualisée des utilités individuelles. Pourtant Ramsey n'aurait pas reconnu cette formulation comme la sienne, rejetant d'emblée, dès les premières lignes de son article, l'utilisation d'un facteur d'escompte positif sur des bases éthiques et suivant ainsi le strict principe utilitariste de Bentham qui se réfère à la somme non pondérée des utilités des acteurs concernés. Harrod (1948[13]) adopte la même position : l'emploi d'un taux d'escompte positif indique évidemment l'introduction d'une asymétrie entre les générations, dans le sens d'une préférence pour les générations présentes dans la fonction de bien être social, d'une « dictature du présent », selon l'expression de Chichilniski (1993). Le critère utilitariste non escompté peut alors paraître plus acceptable. Si il l'est dans une économie stationnaire, cela l'est moins dans une économie en croissance. Quelques auteurs ont proposé d'abandonner l'approche utilitariste et d'utiliser le principe du maximin de Rawls (1971[14]). Ce principe préconise d'adopter pour fonction de bien être social le niveau d'utilité de l'individu le plus démuni. Solow est l'initiateur de l'application de ce principe à la question de l'équité intergénérationnelle. Or, Rawls lui-même semble très réticent à appliquer son principe à la question de la justice intergénérationnelle, en disant que nous pouvons faire quelque chose pour la postérité, mais celle-ci ne peut rien faire pour nous. Cette situation ne peut changer, et ne relève donc pas de la question de la justice.

Koopmans (1965[15]), défend l'idée que le choix du taux d'actualisation doit être jugé non sur le critère éthique de l'hypothèse, mais sur les conséquences pratiques que ce choix implique. Dasgupta et Heal (1979[16]) partagent ce principe, en notant qu'il ne serait pas judicieux de commenter une doctrine morale sans avoir préalablement effectué une analyse de ses implications sous différentes hypothèses.

Du point de vue des questions intergénérationnelles, l'introduction des ressources épuisables dans les modèles de croissance optimale est particulièrement importante puisqu'elle conduit à un renversement de l'injustice en faveur des générations futures puisque le processus de croissance les rend plus riches. Ceci ouvre aux générations présentes une possibilité de compensation sous forme de consommation et éventuellement d'épuisement des ressources. L'examen des sentiers de croissance optimaux issus des différents critères de bien être permet de mesurer le degré exact de compensation qu'obtiennent les générations futures. Cet examen est effectué sans envisager la possibilité de substituts dans le futur. Ceci pousse à souscrire à l'affirmation de Koopmans. En effet, le principe du maximin, a priori le plus égalitaire, bloque l'économie dans sa situation initiale et empêche qu'un nombre infini de générations à venir bénéficie d'une consommation plus élevée que la présente, ce que permet d'obtenir le critère utilitariste non escompté au prix d'un sacrifice de consommation des générations présentes. En terme de durabilité, critère utilitariste non escompté et maximin induisent des sentiers de croissance durable au sens où l'utilité y est non décroissante. Ce n'est pas le cas du critère utilitariste escompté. Enfin, avec ces 3 critères, le stock de ressources naturelles tend asymptotiquement vers zéro : il ne peut y avoir de durabilité au sens écologique. C'est pour cette raison que les tenants de la « soutenabilité forte » critiquent l'utilisation de critères utilitaristes dans les questions de durabilité et d'équité intergénérationnelle.

2. La soutenabilité forte

Les tenants de la soutenabilité forte soulignent le fait que les décideurs sont dans un monde avec grande incertitude : conséquences de la pollution et de l'épuisement des ressources, des préférences des générations futures, évolutions de l'information et de la connaissance scientifique au cours du temps... Dès lors, le processus relatif à la prise de décision évolue lui-même séquentiellement en réponse aux changements de l'information disponible du décideur et des perceptions qu'il en a.

A ceci s'ajoute pour les auteurs de la soutenabilité forte, la croyance d'une asymétrie forte entre le capital naturel et reproductible par l'homme. Le capital technique peut être augmenté ou diminué volontairement, alors que le capital naturel est sujet à des irréversibilités car il ne peut être que très rarement augmenté lorsque les prélèvements ou les détériorations antérieurs l'amènent à extinction. La combinaison entre incertitude et irréversibilité conduit certains auteurs comme Perrings (1991[17]) à militer pour un principe de précaution, en orientant systématiquement les choix vers les options permettant la préservation des potentiels de choix offerts aux générations futures.

Ces considérations signifient que le capital naturel doit être traité de façon spécifique, comme le suggérait déjà Marshall en 1920, avançant que la terre devait être traitée comme une chose en elle-même, car contrairement au capital elle ne pouvait être augmentée ou diminuée, mais était en quantité fixe. C'est sur cette base de prudence vis-à-vis des effets bénéfiques du PT et de la substituabilité entre capital physique et naturel que s'appuient les approches de la soutenabilité forte. Ces dernières sont diverses.

Les premiers sont pour un état stationnaire et constituent l'approche conservationniste (Daly), les seconds sont les tenants de l'Ecole de Londres qui proposent une certaine complémentarité entre les analyses de la soutenabilité forte et faible (Pearce). Les plus radicaux sont ceux avançant les thèses « économico-écologiques ».

2.1. L'approche conservationniste

L'idée développée ici, en particulier par Daly, est la nécessité de maintenir constant le stock de capital naturel. Les hypothèses fondamentales retenues sont :

  • Le taux d'actualisation est nul car le droit et l'intérêt des générations futures sont exactement les mêmes que ceux de la génération présente.
  • L'élasticité de substitution entre le capital naturel et reproductible est nulle car les fonctions de production sont à facteurs complémentaires et le capital naturel remplit des fonctions fondamentales que ne peut pas faire le capital physique (l'air par ex).
  • Le PT ne peut avoir des impacts que limités sur le capital naturel : les nouvelles technologies ne sont pas nécessairement moins polluantes et les lois de la thermodynamique rendent limitées les possibilités de recyclage et impossibles la recomposition de l'énergie.
  • Les prix ou rentes de rareté n'ont aucune signification. Pour Daly le marché doit être remplacé par des institutions chargées de réglementer l'usage des ressources naturelles.

Le développement soutenable est alors défini comme le développement maximal qui peut être atteint sans diminuer les actifs en capital naturel d'une nation qui sont ses ressources de base. La règle de soutenabilité propre à cette approche peut être qualifiée de conservationniste puisqu'elle exige de maintenir constant le stock de capital naturel. Elle implique de par les hypothèses précédentes une croissance économique et démographiques nulles. Ici les préoccupations économiques et sociales sont sacrifiées au profit des préoccupations écologiques.

2.2. L'école de Londres (Pearce) : réconciliation de la soutenabilité faible et forte

Cette école tente de concilier préservation de l'environnement et croissance économique. Elle se situe à mi-chemin entre les analyses conduisant à la soutenablité faible et celles de la soutenabilité forte.

Les hypothèses :

  • Distinction entre deux types de capitaux naturels : le premier, dont la dégradation potentielle est réversible et porte sur une petite échelle et peut donc peut être traité avec les critères d'efficience économique traditionnels. Le second, dont la dégradation risque d'être irréversible à grande échelle doit voir son usage soumis à des contraintes a priori, et constitue le capital naturel critique.
  • La règle de soutenabilité est donc la suivante : dK/ dt < a, avec Kn le capital naturel critique et a le seuil à ne pas franchir.

Cette école aboutit à des modèles montrant sous quelles conditions la contrainte de maintenir Kn au-dessus d'un certain seuil et une croissance optimale sont compatibles. Pour ce qui est des indicateurs de soutenabilité, cette école échoue à proposer des indicateurs et se heurte au problème de l'agrégation de mesures de Kn différentes. Hueting (1991[18]) propose néanmoins une méthode semblant correspondre aux objectifs de l'école de Londres : il fait intervenir des normes de soutenabilité à atteindre, ou en d'autres termes, des « normes minimales de sauvegarde ».

Dans cette perspective, les biens et services environnementaux ne sont plus perçus en tant que capital naturel, mais sous la forme d'une collection d'usages possibles appelés « fonctions environnementales ». Si l'usage d'une fonction se fait au détriment d'une autre, comme lorsque l'utilisation à des fins productives occulte les fonctions récréatives, il en résulte des pertes de fonctions environnementales. Pour Hueting, il faut définir des normes physiques pour les fonctions environnementales fondées sur leur usage soutenable. Il estime ensuite les coûts d'atteinte de cette soutenabilité (coûts de préservation).

2.3. Les indicateurs de soutenabilité selon les tenants de « l'économie écologique »

En ce qui concerne les indicateurs de soutenabilité proposés par cette approche, ceux-ci sont fondés sur une évaluation énergétique.

L'évaluation énergétique va servir à ce courant à déterminer des contraintes et des indicateurs de soutenabilité forte.

Selon la deuxième loi de la thermodynamique, le processus économique est considéré comme une transformation perpétuelle de la basse entropie vers la haute entropie contenue dans les déchets ultimes (plus recyclables). Ceci signifie que toute l'énergie utilisée par le système économique pour la production réapparaît inévitablement après la production sous une forme dégradée (fumée, cendres, ordures...). On peut alors en déduire l'intérêt de recourir à des indicateurs énergétiques afin de gérer à la fois l'épuisement de l'énergie utilisable et des ressources et la génération de déchets par le système économique. Tous les tenants des courants incorporant la thermodynamique dans les systèmes économiques sont pour l'utilisation de telles procédures. Diverses procédures d'évaluation énergétiques sont disponibles, donnant lieu à divers indicateurs de soutenabilité forte.

  • Evaluation enthalpique : Elle est basée sur la première loi de la thermodynamique (conservation de l'énergie). L'enthalpie est une fonction thermodynamique d'un système. Elle exprime les formes énergétiques en équivalents-chaleur. Elle peut être utilisée par les décideurs pour évaluer l'énergie incorporée requise pour produire un bien ou fournir un service, de même que le montant d'énergie primaire directe et indirecte dissipée en produisant et distribuant les biens et services sur le marché. Les besoins totaux en énergie directe et indirecte pour la production d'un bien ou service représentent le « besoin brut en énergie ». Celui-ci peut servir d'indicateur dans la formulation de la politique énergétique et par extension de la politique environnementale. Un travail empirique considérable a été publié sur l'estimation des besoins bruts en énergie de certains biens. Ce type d'analyse a été très utilisé aux Etats-Unis depuis 1974 pour la prise de décisions dans le domaine des investissements dans la production énergétique (par ex pour le choix entre des énergies alternatives et conventionnelles) : choix de celles qui donnent le plus d'énergie produite en utilisant le moins d'énergie primaire.
  • Evaluation exergésique : par rapport à la méthode précédente, prise en compte de l'énergie en travail mécanique qui reste après transformation : c'est donc un mélange entre la première loi thermodynamique et la seconde (l'entropie). Wall (1990) après avoir mené une analyse de ce type au Japon pour l'année 1985, concluait que 21% seulement des flux de matières et d'énergie entrant dans le système de production trouvent finalement une utilisation sous forme de biens et services, signe que le système héberge de larges potentiels d'économies d'énergie et de rationalisation énergétique.
  • L'eMergie : L'idée d'Odum (81[19]) est de prendre en compte la qualité de l'énergie. Odum et Pillet (87[20]) ont établi une méthodologie pour mesurer la qualité de l'énergie dans les systèmes écologico-économiques complexes. Ils établissent une hiérarchie énergétique sur la base de la capacité à fournir du travail, sans se restreindre au travail mécanique. Cette procédure d'évaluation énergétique est appelée eMergie. Elle décrit le degré des formes énergétiques sur la base de l'énergie solaire incorporée. Elle consiste à mesurer toutes les ressources naturelles et les biens et services produits par leur « transformité solaire », c'est à dire l énergie solaire requise pour le produire.
  • L'entropie : En tant que métrique, l'entropie permet de mesurer les pertes irréversibles de systèmes énergétiques comprenant différentes formes énergétiques. Ceci peut être fait grâce à des bilans entropiques. Certains auteurs ont par exemple proposé un indicateur qui est un équivalent thermique de substances nocives, utile pour analyser la production d'entropie des centrales nucléaires et thermiques.

Ruth (1994) se propose d'intégrer les concepts centraux de l'économie, l'écologie et la thermodynamique. Il en ressort un « arbre de soutenabilité dynamique ». Il retient non une rationalité parfaite, mais une rationalité procédurale dans le processus de décision. L'idée est que les décideurs se fixent des buts intermédiaires atteignables, plutôt qu'un optimum global assez impalpable. Les recommandations et buts sont ensuite basés sur des indicateurs énergétiques :

  • Le surplus eMergétique : comme nous l'avons vu précédemment l'éMergie est l'équivalent en énergie solaire de tout bien et service. Un premier objectif de soutenabilité est que le NES (National Emergy Surplus) soit positif : càd que la quantité éMergétique produite avec les ressources naturelles à l'intérieur d'un pays et la quantité éMergétique consommée par ce dernier doit être positive. NES > 0 fait que le développement est soutenable d'un point de vue des ressources naturelles.
  • Génération d'entropie minimale : sélection des techniques les moins génératrices d'entropie qui donnent une norme et la différence entre l'entropie effective et la norme doit être minimisée.
  • Le surplus exergétique : La procédure d'évaluation exergétique mesure l'énergie en fonction de sa capacité à générer un travail mécanique, ce qui constitue la mesure la plus intéressante de la qualité énergétique d'un point de vue économique. Une telle évaluation peut être utilisée pour quantifier ce qui est qualitativement perçu comme la détérioration énergétique càd la dégradation thermodynamique d'un système donné. On peut définir un surplus exergétique national (National Exergy Surplus NRS) comme la différence entre la valeur exergétique contenue dans les inputs disponibles pour la production, et la quantité d'exergie dissipée dans le processus économique national dans son ensemble (consommation et production). Si NRS < 0, cela signifie qu'il y a une énergie mécanique insuffisante dans le pays pour permettre une reproduction économique. Si NRS > 0, alors le système économique produit un surplus qui peut être utilisé pour entreprendre une reproduction, si bien que le développement (la croissance) est soutenable (en supposant que NES> 0 aussi).

Les tenants de cette vision admettent que le PT peut faire passer un pays qui est NES < 0 à NES > 0 et en tiennent compte. De même, ils développement d'autres soldes de manière à prendre en considération l'ouverture des pays et leurs échange d'énergie avec les autres.

On voit que les courants basés sur la thermodynamique sont en faveur d'une remise en question profonde de la manière de comptabiliser et de mesurer la soutenabilité des activités humaines. Hormis ces courants extrêmes, à l'heure actuelle, l'urgence d'une révision des comptes nationaux est soulignée de toute part, en particulier par le 5ème programme de l'Union Européenne pour l'environnement. Depuis 1995, une base pilote de comptes nationaux ajustés pour tous les pays de l'Union Européenne est disponible. Le système actuel ne permet pas, en effet, de prendre en compte un certain nombre de limites en ce qui concerne l'interface économie/environnement :

  • L'épuisement des ressources n'est pas enregistré convenablement.
  • Le système de comptabilité nationale ne tient pas compte des dégradations environnementales dues aux activités de production et de consommation.
  • Les dépenses défensives, consacrées à la restauration de l'environnement sont assimilées à une élévation du PIB.

Le PNB grossit de la somme pêle-mêle, des activités de fabrication, de construction et de démolition, d'embellissement et de dégradation, de pollution et de dépollution... Peu importe la nature de ce que l'on produit, seul compte le montant du produit. La prise en compte des biens environnementaux se heurte donc brutalement aux deux limites de la comptabilité nationale : ces biens ne sont que rarement l'objet d'échanges monétaires et ils sont susceptibles d'être dégradés.

Il existe bien évidemment des désaccords quant aux modifications nécessaires à effectuer pour corriger les comptes nationaux, quels éléments prendre en compte et comment. Les propositions de réforme portent sur la mesure de l'environnement pour l'intégrer dans la comptabilité nationale afin d'aboutir à la notion de revenu national soutenable.

3. La prise en compte de l'environnement dans les comptes nationaux

Dans la plupart des pays, une intense activité de recherche se déroule pour mettre au point des outils opérationnels pour l'analyse et la protection du patrimoine naturel. Ces outils sont bien évidemment dépendant des courants de pensée, avec d'un côté l'économie de l'environnement néo-classique et de l'autre l'économie écologique. Mais alors que sur le plan théorique les deux approches apparaissent comme largement contradictoires, la confrontation avec la réalité tend plutôt à les rapprocher ou tout au moins à les envisager de manière complémentaire. En effet, les méthodes d'évaluation énergétiques peuvent être utilisées de manière complémentaire aux méthodes fondées sur les préférences en ce qui concerne l'interface économie-environnement.

3.1. Les comptes de patrimoine naturel

L'analyse du patrimoine naturel se fonde depuis une quinzaine d'années sur l'élaboration de comptes selon le principe de la comptabilité en partie double, mais avec une particularité : cette comptabilité est physique lorsqu'il s'agit de mesurer des phénomènes d'autorégulation et d'auto-reproduction du patrimoine, et elle est monétaire lorsqu'il s'agit de mesurer des flux financiers engendrés par l'exploitation et la gestion du patrimoine. Ainsi, il est vain de rechercher la valeur monétaire des stocks : mers, des océans ou de l'atmosphère : seule une évaluation physique a un sens. En revanche, le coût des actions à entreprendre pour reconstituer ou améliorer le patrimoine peut être évalué monétairement. La commission interministérielle des comptes du patrimoine naturel distingue 3 types de comptes centraux liés et articulés, entre eux, mais également avec le système de comptabilité nationale. De plus, le Système Elargi de Comptabilité Nationale français et le Système européen de Rassemblement de l'Information Economique sur l'Environnement (SERIEE) développé dans le cadre d'EUROSTAT utilisent des comptes satellites pour évaluer les dépenses de protection de l'environnement. On pourra se reférer utilement aux indicateurs de développement durable établis par Eurostat pour illustrer concrètement ce qui est mesuré.

Les 3 types de comptes centraux (physiques) :
  • Les comptes d'éléments : ce sont des comptes physiques, établis pour un territoire donné, sur le sol, l'atmosphère, les eaux continentales et marines, la faune et la flore.
  • Les comptes d'écozones : on définit des zones écologiques qui sont homogènes et s'emboîtent les unes dans les autres (du plus petit au plus large). Pour chaque écozone ainsi définie des comptes d'éléments sont élaborés et l'établissement d'un fichier exhaustif et actualisé en permanence est rendu possible grâce à la télédétection par satellite.
  • Les comptes des agents sont ceux des personnes physiques et morales, c'est-à-dire l'homme et les institutions humaines qui utilisent le patrimoine naturel, y prélèvent et restituent des éléments.
Les comptes satellites (monétaires) :

L'évaluation des dépenses de protection de l'environnement n'est guère facile parce qu'elles sont pour la plupart intégrées à des actions plus globales, à des investissements au sein desquels il est presque impossible de séparer ce qui relève de l'innovation technique pure et du souci de préserver l'environnement. Le SERIEE exclut par exemple de la protection de l'environnement les retraitement de déchets qui sont rentables (revente supérieure aux coûts de traitement). L'INSEE présente 6 comptes satellites :

  • Gestion des eaux continentales
  • Parcs nationaux
  • Parcs naturels et régionaux
  • Elimination et récupération des déchets
  • Chasse
  • Protection des espaces maritimes
La mesure de l'environnement pour l'intégrer dans la comptabilité nationale :

Les ressources exploitées sont comptabilisées dans le PIB et l'excédent de cette exploitation constitue un revenu de la propriété. Mais l'utilisation de ces ressources n'est pas comptée comme une dépréciation du stock. Deux choix sont alors possibles : soit on considère les ressources comme des biens de capital fixe, leur exploitation serait comptabilisée dans le PIB mais en serait déduite pour obtenir le PIN (Produit Intérieur Net). Soit on les considère comme des stocks et donc la valeur de ces ressources, hormis le coût d'extraction, serait déduite du PIB et du PIN. Actuellement, seules les dépenses de protection de l'environnement effectuées par les entreprises sont comptées comme des consommations intermédiaires et donc exclues du PIB. Celles des ménages et des administrations sont comptabilisées comme des consommations finales et sont donc incluses dans le PIB. Les difficultés de mesure de la valeur des biens environnementaux, de leur dépréciation et du coût véritable de leur protection et de leur remise en état sont telles que la révision du système de comptabilité nationale pour le rendre adapté aux nouvelles exigences se heurte à une alternative : faut-il se contenter, à la vue de la difficulté de la tâche, de dresser un compte environnemental annexe de la comptabilité nationale, ou faut-il intégrer les modifications dans le corps central de celle-ci pour rendre plus crédibles les politiques de l'environnement ? L'ONU tente d'intégrer le tout, et aboutit à un tableau entrées-sorties rassemblant les activités économiques et l'environnement, mais ne prend pas en compte les dégradations de l'environnement dans le cadre central des comptes.

3.2. Un revenu national soutenable ?

Basé sur la règle de HHS que nous avons vu précédemment, Pearce et Warford (1993[21]) définissent un agrégat de revenu soutenable net en ôtant du PNB la dépréciation du capital manufacturier et celle du capital naturel : RNS = PNB - dmKm- dnKn

Indépendamment des difficultés de mesure de la valeur des biens naturels et de leur dépréciation, la notion d RNS telle qu'elle apparaît dans la formulation de Pearce et Warford s'apparente davantage à un agrégat de revenu national conventionnel simplement corrigé de certaines dégradations. Or la notion de soutenabilité, même au sens faible, implique que soit pris en compte le maintien dans le temps du stock de capital pour un niveau de vie considéré. Un véritable agrégat de revenu national soutenable dans la conception faible serait celui qui indiquerait le niveau de revenu engendré de période en période en maintenant le stock de capital global au moins constant.

D'autres tentatives émanant de la soutenabilité forte (maintien du capital naturel constant) ont vu le jour. Notamment Hueting (1991) a proposé une méthodologie qui consiste à déterminer a priori des normes environnementales en termes physiques que l'on cherchera à atteindre au moindre coût économique. Le facteur naturel est vu comme un ensemble susceptible de rendre plusieurs usages que Hueting appelle fonctions environnementales. Ces fonctions peuvent entrer en concurrence, entraînant des pertes de fonctions qu'il s'agit d'évaluer pour les déduire du PIB. Hueting détermine alors des prix de marché qui représenteront les prix fictifs de ces pertes, ce qui suppose de connaître les courbes d'offre et de demande des fonctions environnementales. Il obtient la courbe d'offre en estimant les coûts annuels des mesures de préservation et de restauration des fonctions menacées ou détruites. Il suppose en revanche une courbe de demande totalement inélastique et respectant la norme environnementale comme gage de la soutenabilité forte.

A partir des normes physiques permettant le respect des fonctions environnementales, la méthode de Hueting consiste à évaluer le coût des mesures nécessaires pour obtenir des améliorations techniques, l'utilisation de ressources renouvelables à la place de ressources non renouvelables, le développement d'activités propres et le recul d'activités polluantes et si besoin est, le recul de l'activité économique. Les coûts de l'ensemble de ces mesures doivent être déduits du PIB pour obtenir le revenu national soutenable.

Mais le problème de la monétarisation de l'environnement est toujours bien présente. Jusqu'à présent, les méthodes échouent à proposer un agrégat convainquant et calculable.

4. Développement durable et croissance économique

Les modèles d'inspiration néo-classiques aboutissant à la soutenabilité faible, montrent que la croissance illimitée est possible et pensent qu'elle est souhaitable en toute circonstance. Mais les limites naturelles sont celles des ressources et celles des capacités d'absorption des rejets de la croissance par l'ensemble des écosystèmes. En postulant que les besoins humains sont illimités, l'idéologie économique justifie par avance la nécessité de la croissance économique illimitée. De plus, il est supposé que l'on peut, grâce au capital et au travail, remplacer le facteur naturel. Cependant, comme l'écrit Daly (1994[22]), l'économie humaine est un sous-système de l'écosystème terrestre qui est fini et fermé. Le sous-système économique se heurte donc aux limites du système total d'autant plus fortement que selon lui, si tous les habitants de la planète devaient bénéficier du même niveau de ressources qu'un américain moyen, il faudrait multiplier le produit mondial par 7! Daly pense que le développement durable n'a de sens que si l'on substitut des critères qualitatifs aux critères quantitatifs. Beaud (1994[23]) pense que le développement durable doit être un développement humain sans croissance dès lors que l'on peut répondre aux besoins essentiels de tous. Les limites de la croissance économique apparaissant d'autant plus que la croissance démographique est encore forte dans une large partie des pays du Tiers-Monde et que la nécessité de réduire les fortes inégalités de niveau de développement humain se fait plus pressante. Les partisans de la croissance économique pensent que celle-ci apporte spontanément avec le temps les éléments qualitatifs qui font d'elle du développement. Le fond du raisonnement consiste à présenter le développement comme une retombée sociale de la croissance économique. Il y a tout de même un relatif consensus pour dire que si la croissance peut être nécessaire au développement, elle est n'est pas suffisante. Certains pensent que dans un premier temps il faut de la croissance pour fournir le minimum vital à toute la population, mais qu'ensuite c'est plus une question de redistribution. Et, dans l'optique où une croissance mondiale soutenue n'est pas viable d'un point de vue environnemental, Harribey (1998[24]) avance le fait que les pays riches pourraient laisser la priorité de l'augmentation de l'utilisation des ressources matérielles et environnementales aux pays les plus pauvres.

La question de la soutenabilité constitue aujourd'hui la pomme de discorde entre les pays riches du Nord et pauvres du Sud. Ces derniers n'apprécient guère que les pays riches, pris soudain d'un remords de dévastation de la planète, exigent d'eux ce qu'ils n'ont pas réalisé eux-même.

On voit bien dès lors que la question du développement durable touche aussi bien à l'économie qu'à l'environnement. Au sein des questions environnementales, la soutenabilité est un concept qui a trait aussi bien à la question des ressources naturelles et de leur épuisement, qu'au rejet et à la pollution involontaires issues des activités humaines. Ainsi, la question du développement durable fait le lien entre l'économie des ressources naturelles (en particulier celles non renouvelables) et l'économie de l'environnement. La première branche s'intéresse à la question de l'épuisement et la dégradation directement liés aux activités humaines de production, alors que la seconde analyse les questions d'externalités négatives qui sont des sous-produits non désirés des activités humaines. L'économie de l'environnement essaie d'analyser et de proposer des solutions à ce problème.

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Notes

[1] PEZZEY, J. Definitons of sustainability, UK CEED, 1989

[2] DALY, H. et alii, Valuing the earth, MIT Press, 1992. Daly, H. et alii, For the common good, Beacon Press, 1994

[3] PEZZEY, J., Definitons of sustainability, UK CEED, 1989

[4] DASGUPTA, P.S. et HEAL, G.M., Economic theory of exhaustible resources, Cambridge university Press, 1974

[5] SOLOW, R., The economics of resources or the resources of economics, American Economic Review, 1974

[6] STIGLITZ, J., Growth with exhaustible natural resources : efficient and optimal growth path, Review of Economic Studies, 1974

[7] HARTWICK, J.M. Intergenerational equity and the investing of rents from exhaustible resources, American Economic Review, 1977

[8] STIGLITZ, J., Growth with exhaustible natural resources : efficient and optimal growth path, Review of Economic Studies, 1974

[9] FAUCHEUX S. et Noël, J.F., Economie des ressources naturelles et de l'environnement, Colin, 1995

[10] HARRIBEY, J.M., Le développement soutenable, Economica, 1998

[11] ARTUS P. et PERROUX, C., Fonctions de production avec facteur énergie : estimation pour les grands pays de l'OCDE, Annales de l'INSEE, 1981.

[12] RAMSEY, F. A mathematical theory of savings, Economic Journal, 1928

[13] HARROD, R.F., Towards adynamic economics, Greenwood Press, 1948(1980)

[14] RAWLS, J., A theory of justice, The bellknapp Press, Cambridge, 1971.

[15] KOOPMANS, T., On the concept of optimal economic growth, 1965, Pontificiae Academiae Scientiarum Scripta Varia

[16] DASGUPTA, P.S. et HEAL, G.M., Economic theory of exhaustible resources, Cambridge university Press, 1974

[17] PERRINGS, C., Reserved rationality and the precautionary principle, In Ecological Economics, (dir. R. Costanza), Columbia University Press, 1991.

[18] HUETING, R., Correcting national income for environmental losses, In Ecological Economics, (dir. R. Costanza), Columbia University Press, 1991

[19] ODUM, H. et ODUM E.C., Energy basis for man and nature, 1981

[20] ODUM, H. et PILLET, G. E3 : énergie, écologie, économie, Georg, 1987

[21] PEARCE D., et WARFORD, J.J. World without end. Economics, environment and sustainable development, World Bank and Oxford University Press, 1993

[22] Daly, H. et alii, For the common good, Beacon Press, 1994

[23] BEAUD, M. Face à la croissance mortifère, quel développement durable ?, Tiers-Monde vol. XXXV, 1994

[24] HARRIBEY, J.M., Le développement soutenable, Economica, 1998

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