Atelier JECO : Travailler, échanger, apprendre à l'ère du numérique
Atelier pédagogique DGESCO « Travailler, échanger, apprendre à l'ère du numérique », proposé par le site SES-ENS (DGESCO/ENS de Lyon) et l'Inspection pédagogique régionale de l'académie de Lyon, en partenariat avec la DGESCO-Ministère de l'Éducation nationale. Date : 18 novembre 2020, dans le cadre de la programmation off des Journées de l'économie de Lyon.
Présentation de l'atelier
Le numérique a envahi notre vie quotidienne. Il transforme en profondeur nos manières de consommer, de travailler, de nous divertir, de nous informer, d'interagir avec les autres ou de nouer des relations sociales. La période singulière de confinement que nous avons vécu en 2020, conséquence de la crise sanitaire, a été particulièrement révélatrice de la place essentielle qu'occupent désormais les outils numériques dans l'organisation de nos sociétés, puisqu'ils ont permis à nombre d'entre nous de maintenir une activité professionnelle grâce au télétravail, de rompre avec l'isolement en restant en contact régulier avec sa famille et ses amis, de poursuivre un enseignement à distance, etc. Mais ce contexte a également mis au jour de fortes disparités dans les équipements, les usages des outils numériques et les conditions de mise en œuvre du travail, professionnel ou scolaire, à domicile.
L'atelier abordera plusieurs dimensions de cette « révolution numérique » :
- les bouleversements de l'organisation du travail et du rapport au travail, mais aussi de la vie sociale et des usages de l'habitat, lorsque le travail devient nomade et s'invite dans notre intimité grâce à l'emploi des nouvelles technologies.
- la transformation des formes de sociabilité, liée à l'explosion des réseaux sociaux en ligne, et ses effets sur le lien social et les solidarités.
- un focus sera proposé sur les usages numériques des jeunes générations, nées avec le digital, très investies dans les pratiques communicationnelles, communautaires et récréatives en ligne, mais pas forcément égales en matière de culture de l'information ou de réception d'un enseignement à distance.
Les intervenants s'appuieront notamment sur les résultats d'enquêtes en ligne réalisées pendant la période du confinement pour nous éclairer, grâce au regard des sciences sociales, sur les enjeux du télétravail, les nouvelles formes de sociabilité à distance et les conditions d'apprentissage dans un contexte d'enseignement en ligne et de distanciation pédagogique.
Intervenants
Tanguy Dufournet, ATER en sociologie à l'INSPE de l'université de Reims Champagne-Ardenne, rattaché au Cérep (Centre d'Etudes et de Recherches sur les Emplois et les Professionnalisations), doctorant au Centre Max Weber de Lyon. Tanguy Dufournet est sociologue du travail, spécialiste de l'organisation du travail multi-située et du travail chez soi, des processus de discriminations et des inégalités.
Pierre Mercklé, professeur des Universités en sociologie à l'université Grenoble Alpes, membre du Laboratoire Pacte. Pierre Mercklé est également directeur de Liens Socio, le portail francophone des sciences sociales, rédacteur en chef de Lectures, la revue en ligne des comptes rendus en sciences sociales et directeur de la Bibliothèque idéale des sciences sociales. Il est spécialiste des méthodes quantitatives en sciences sociales, des réseaux sociaux, des pratiques et usages numériques, de la sociologie de la culture, et notamment des pratiques culturelles et des sociabilités des adolescents. Blog.
L'essor du travail chez soi et du travail multi-situé
Présentation de Tanguy Dufournet : « L'essor du travail multi-situé : transformations du travail, espace, temporalités et représentation de soi »
Intervention préparée avec Djaouidah Sehili, professeure des Universités en sociologie à l'université de Reims Champagne-Ardenne.
Ce travail à domicile a bondi lors du confinement de mi-mars à mi-mai 2020 : alors que le télétravail régulier ne concernait que 3% des salariés en 2017, environ un tiers des personnes en emploi ont télétravaillé durant cette période d'après l'Insee, et ce recours a été massif pour les cadres et professions intellectuelles supérieures. Mais le travail chez soi, et plus généralement le travail « multi-situé », existait déjà avant cette période exceptionnelle. S'il n'est pas toujours strictement du « télétravail », lié à l'emploi du numérique, son développement a été fortement favorisé par la généralisation des technologies de l'information et de la communication. Il s'inscrit dans une dynamique globale des mutations du travail et pose de nouveaux enjeux en termes de sociabilité et d'affectivité spatio-temporels.
Tanguy Dufournet étudie depuis plusieurs années, avec Djaouidah Sehili et Patrick Rozenblatt, l'organisation du travail multi-située et le travail chez soi (Rapport de recherche), à partir d'enquêtes qualitatives et quantitatives. La dernière enquête « Travail chez soi et confinement », conduite en mai 2020, porte sur l'expérience de travail chez soi en période de confinement. Leurs recherches nous permettent de mieux comprendre comment cette mutation du travail transforme notre rapport au travail, mais aussi les modes et habitudes de vie, en particulier les usages de l'habitat, les temps sociaux (temps de travail, temps domestique, temps de loisirs, repos…) et les représentations de soi [Partie 1]. Ce brouillage des frontières entre travail et intimité du chez soi est prolongé dans les espaces de travail nomade en co-working organisés par certaines entreprises [Partie 2] et exploré à travers la notion de « trabitat » [Conclusion].
essor_du_travail_multi_situe | |
Introduction | 00:00:12 |
Partie 1 : Comment le travail s'externalise dans le chez soi / l'habitat | 00:05:38 |
Partie 2 : Comment les entreprises préparent cette externalisation du travail en reconfigurant les frontières | 00:30:24 |
Conclusion : le « trabitat » | 00:45:00 |
Échange et questions du public | 00:47:04 |
Pour télécharger la vidéo, cliquez sur l'icône de droite en bas de la vidéo ou clic droit et "enregistrer sous".
Version audio mp3.
N.B. : Pour des raisons de droit d'auteur, l'ensemble du diaporama de présentation n'est pas diffusé.
Liste des questions posées à Tanguy Dufournet
1. La révolution numérique n'engendre-t-elle pas le retour à des formes anciennes d'organisation et de gestion de la main d'œuvre, comme le « domestic system » juste avant la révolution industrielle, ou le travail payé à la tâche, qui est proposé aujourd'hui par les plateformes numériques (« ubérisation »).
Qu'est-ce qui est nouveau dans le travail chez soi aujourd'hui ? Dans quelle mesure peut-on parler d'innovation ?
2. Comment ce travail chez soi se différencie-t-il, dans le rapport à soi, au temps et à l'espace, du travail scolaire que l'on peut faire quand on est étudiant ? Est-ce que les questions que l'on commence à poser sur le travail chez soi pourraient servir à réinterroger les pratiques éducatives et le rapport au travail scolaire ?
3. Lorsqu'on constate ou perçoit une hausse de la productivité des télétravailleurs, est-ce véritablement dû à une plus grande efficacité du travail chez soi, ou bien le résultat d'un allongement de la durée du travail par rapport au travail qui serait réalisé hors du domicile ?
Avez-vous observé des effets différents selon le type de tâches effectuées ? Par exemple, selon une récente publication dans le blog de l'Insee, le télétravail engendrerait un surcroît de productivité pour les tâches créatives, mais ce ne serait pas le cas pour les tâches plus routinières.
4. Est-ce qu'on s'oriente progressivement vers un travail payé à la tâche pour l'ensemble des salariés ?
5. Dans le « trabitat », l'espace de coworking au pied des immeubles serait intégré dans l'habitation : serait-il donc gratuit, avec une utilisation comprise dans le prix du loyer pour les locataires, à l'inverse des habituels de coworking payants que vous avez présentés ?
6. Ne pensez-vous pas aussi que les salariés se sentent « obligés » de justifier le fait d'être chez eux. Ils se sentent redevables et se doivent de prouver leur « engagement », ce qui expliquerait l'allongement de leur temps de travail ?
7. N'allons-nous pas vers le développement de maladies professionnelles nouvelles liées à cette pratique de travail à la maison?
8. La capacité à maîtriser ces nouvelles formes d'aliénation (savoir, chez soi, arrêter de travailler, par exemple, organiser les espaces disjoints...) doit probablement être porteuse d'inégalités fortes, sociales (logement), « culturelles » (capacité à « se gouverner ») , etc.
Pour aller plus loin
Tanguy Dufournet T., Rozenblatt P., Sehili D. (2019), L'essor multi-situé du « Travail chez Soi ». Vers de nouveaux enjeux de sociabilité et d'affectivité spatio-temporels ? Rapport pour Leroy Merlin, janvier 2019. La page de présentation du rapport comprend trois vidéos d'interviews d'enquêtés (Qu'est-ce que le travail chez soi ? Où travailler chez soi ? Quand travailler chez soi ?). Lien vers le rapport complet en pdf.
Autres présentations de cette recherche : Le travail chez soi : la révolution est-elle en cours ? (Émission sur France Bleue Pays d'Auvergne, 29 mai 2020) ; Intervention de Tanguy Dufournet à la conférence de l'IAPS (International Association of People-Environment Studies, Québec, 24 juin 2020).
Que savons-nous aujourd'hui des effets économiques du télétravail ? DG Trésor. Novembre 2020.
Confinement : des conséquences économiques inégales selon les ménages. Insee. Octobre 2020.
Hallépée S., A. Mauroux (2019), Le télétravail permet-il d'améliorer les conditions de travail des cadres ? Insee Références, L'économie et la société à l'ère du numérique. Édition 2019, novembre.
Sociabilités, apprentissages et numérique
Présentation de Pierre Mercklé : « Sociabilités, apprentissages : le numérique a-t-il sauvé les étudiant·es du confinement ? »
Pierre Mercklé a mené en avril-mai 2020, au sein d'une équipe de douze chercheurs en sciences sociales membres de plusieurs laboratoires du CNRS, une enquête nationale "La vie en confinement" (VICO), visant à mieux comprendre les multiples conséquences de la pandémie Covid-19 sur la vie des personnes et notamment les effets de l'obligation de rester chez soi. L'une des interrogations a porté sur la façon dont les liens sociaux et les solidarités se sont organisés et ont été affectés durant la période de confinement. La présentation de Pierre Mercklé s'appuie également sur des enquêtes par questionnaire en ligne réalisées dans différentes universités françaises auprès d'étudiants et étudiantes confinés auxquels a été dispensé un enseignement organisé à distance.
sociabilites_apprentissages_et_numerique
sociabilites_apprentissages_et_numerique | |
Partie 1 : La sociabilité dans le « monde d'avant »… | 00:02:58 |
Partie 2 : Les sociabilités étudiantes à l'épreuve du confinement | 00:20:28 |
Partie 3 : La continuité pédagogique,vraiment ? | 00:40:13 |
Échange et questions du public | 00:48:58 |
Pour télécharger la vidéo, cliquez sur l'icône de droite en bas de la vidéo ou clic droit et "enregistrer sous".
Version audio mp3.
Liste des questions posées à Pierre Mercklé
1. Concernant l'enquête sur les réseaux numériques, la connaissance du nombre d'« amis » repose-t-elle sur du déclaratif ? Ne pensez-vous pas que la notion d'ami a pu évoluer au cours du temps ?
2. Ne pensez-vous pas que les jeunes osent davantage avouer leur mal-être avec le confinement mais que celui-ci était préexistant au confinement ?
3. Comment, en tant qu'enseignant·e, peut-on dépasser ces difficultés d'accès des étudiant·e·s ? Y a-t-il des formes de cours, des outils plus efficaces que d'autres ?
En téléchargement :
La présentation de Pierre Mercklé (49 mn) en vidéo (avec diaporama) et en audio.
Le diaporama de présentation de Pierre Mercklé.
Pour aller plus loin
Mariot N., Mercklé P., Perdoncin A. (2021), Personne ne bouge. Une enquête sur le confinement du printemps 2020, Grenoble, UGA Éditions, Coll. Carrefours des idées. Version intégrale en ligne.
Sources utilisées pour la présentation :
Enquête VICO – La vie en confinement : Enquêter sur un événement historique exceptionnel : objectifs et premiers résultats, mai 2020.
Mercklé P., La continuité pédagogique, vraiment ? Blog pierremerckle.fr, mis en ligne le 26 mars 2020.
Enquête de l'Observatoire national de la vie étudiante – OVE (2020) : La vie d'étudiant·e confiné·e.
Henri-Panabière G., Mercklé P., Goasdoué R. (2020), Enquêter des étudiant·es par questionnaire en contexte de distanciation pédagogique, in Bonnéry Stéphane et Douat Etienne (dir.), L'éducation aux temps du coronavirus, Paris, La Dispute, p. 47-53.
Autres sources et publications utiles (classement antéchronologique) :
France, portrait social 2020. Insee. Décembre 2020. Voir dans la vue d'ensemble « Les inégalités sociales à l'épreuve de la crise sanitaire : un bilan du premier confinement » les développements consacrés aux activités scolaires et culturelles.
Les inégalités de conditions de vie face au confinement. Août 2020.
Revue Réseaux 2020/4 (n° 222) : Cultures juvéniles à l'ère numérique.
Comment voisine-t-on dans la France confinée ? INED. Juin 2020.
L'économie et la société à l'ère du numérique. Insee. Novembre 2019. Voir notamment la vue d'ensemble « Des ménages et des entreprises de plus en plus connectés, mais des disparités persistantes ».
Dominique Pasquier (2019), l'Internet des familles modestes. Enquête sur la France rurale. Presses des Mines.
Revue Réseaux 2018/2-3 (n° 208-209) : Classes populaires en ligne.
Octobre S. (2014), Deux pouces et des neurones. Les cultures juvéniles de l'ère médiatique à l'ère numérique. Ministère de la Culture – DEPS, coll. Questions de culture.
Mercklé P. (2012), La sociologie des réseaux sociaux. SES-ENS, mars.
Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au coeur des médias sociaux. Ifé. Février 2012.