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Croissance et dette publique en 2030 ?

Publié le 25/09/2011
Auteur(s) - Autrice(s) : Eric Heyer
Mathieu Plane
Xavier Timbeau
Comme dans la plupart des pays développés, l'impact économique de la crise bancaire et financière est considérable en France : une diminution brutale du PIB par habitant que les évolutions récentes stabilisent mais ne comblent pas. La crise laisse en outre des déficits publics très importants, dus à la fois aux mesures délibérées pour lutter contre la spirale dépressive mais aussi à l'impact de la réduction d'activité sur les recettes fiscales et au gonflement des dépenses sociales. Le relais de l'endettement public au désendettement des agents privés a permis de limiter la contraction de l'activité, au prix de la dégradation des comptes publics.

Ce chapitre s'inspire de Éric Heyer, Mathieu Plane et Xavier Timbeau [2010].

Comme dans la plupart des pays développés, l'impact économique de la crise bancaire et financière est considérable en France : une diminution brutale du PIB par habitant que les évolutions récentes stabilisent mais ne comblent pas. La crise laisse en outre des déficits publics très importants, dus à la fois aux mesures délibérées pour lutter contre la spirale dépressive (plans de relance entre autres) mais aussi à l'impact de la réduction d'activité sur les recettes fiscales et au gonflement des dépenses sociales (chômage, pauvreté). Le relais de l'endettement public au désendettement des agents privés a permis de limiter la contraction de l'activité, au prix de la dégradation des comptes publics. Le déficit public français atteindra 8,0% en 2010 et la dette au sens de Maastricht des administrations publiques (APU) 83,5% du PIB soit près de 20 points de PIB de plus qu'en 2007.

Dans ce contexte, le choix d'une stratégie de sortie de la crise est critique. Réduire rapidement les déficits publics limiterait l'évolution de la dette des APU. L'impact de cette réduction rapide du déficit sur la croissance serait dramatique, symétrique de la limitation de la récession par le creusement des déficits publics. La réduction d'activité rendrait plus difficile la réduction de la dette publique en points de PIB et aurait comme effet joint un haut niveau de chômage pendant plusieurs années. Cette réduction du déficit public diminuerait ainsi la charge future par la moindre augmentation de la dette des APU, mais reporterait sur le chômage le prix à payer.

En dégradant les bilans déjà fragiles d'entreprises ou de banques, les effets à court terme pourraient être considérables d'autant que les stratégies nationales ont de grandes chances d'être identiques d'un pays à l'autre et donc de voir leurs effets récessifs se multiplier. Une activité réduite pendant quelques années pourrait également avoir des conséquences de long terme sur la trajectoire de croissance potentielle, soit par l'hystérèse du marché du travail, soit par le biais de canaux indirects (R&D, infrastructures, etc.).

Le plus sage serait donc d'attendre que l'économie ait retrouvé sa trajectoire de croissance antérieure pour s'engager dans une politique de rééquilibrage des finances publiques, définie par exemple par la stabilité du ratio dette publique sur PIB. Mais la trajectoire de croissance que les économies développées ont abandonnée au début de l'année 2008, à la suite du déclenchement de la crise, a pu être une trajectoire globalement non soutenable. En reposant sur un mécanisme de valorisation des actifs alimenté par des bulles spéculatives, un accroissement des leviers d'endettement (privés), des déséquilibres macroéconomiques globaux ou internes [Blot et Timbeau, 2009], la croissance mondiale observée au cours des dernières années pourrait être une trajectoire que l'on ne peut ni ne veut reproduire. La France étant insérée dans l'économie mondiale, tout comme l'Europe, le fait de ne pas être le principal lieu où se développent les déséquilibres ou les bulles ne met pas à l'abri d'une réduction du niveau d'activité après l'éclatement des bulles. Bien qu'ils ne soient pas quantifiables, ces arguments justifient d'anticiper une réduction durable de la trajectoire de croissance.

Il est difficile à ce stade de trancher entre un scénario d'une trajectoire de croissance où la crise n'aurait pas d'effets à long terme sur l'activité et celui d'une trace durable. Pourtant, ces scénarios ont des implications radicalement différentes : une trajectoire de croissance de moyen terme plus basse impose d'ajuster les finances publiques que ce soit par un taux de prélèvements obligatoires (PO) plus élevé ou par une réduction de la part des dépenses publiques dans le PIB. Plus cette trajectoire est basse, plus l'ajustement sera difficile à conduire et plus il faudra de temps pour retrouver l'équilibre des finances publiques, ce qui induira une hausse de la dette publique. Bien sûr, un retour à la trajectoire initiale qui prévalait jusqu'au début de l'année 2008, dispenserait en partie de l'ajustement. Mais, même dans le cas de cette heureuse surprise, l'impact de la crise sur les finances publiques ne sera pas neutre : le niveau de la dette publique accumulée du fait des déficits des années de 2008 jusqu'à la stabilisation des finances publiques. Vouloir la réduire à un certain horizon demandera d'autres réductions de dépenses publiques ou hausses de PO que celles nécessitées par la stabilisation. Dans notre première simulation (scénario gris) la dette publique augmente d'environ 40 points de PIB par rapport à 2007 avant de se stabiliser. Réduire en dix ans cette dette demanderait approximativement un excédent primaire de 4 points de PIB pendant dix ans, effort considérable qui impliquerait des choix douloureux, arbitraires et probablement contre-productifs pour assurer un résultat qui somme toute ne se justifie que si l'on pense que la crise que l'on vient de vivre est un événement récurrent et qu'il faut provisionner pour faire face aux conséquences d'une réplique à venir.

Conception générale de l'exercice

Le but de cet exercice est d'obtenir des indications quant aux scénarios possibles d'évolution des finances publiques en général et de la dette publique en particulier. Cette projection de l'économie française à l'horizon 2030 a été réalisée à l'aide du modèle de simulation de l'économie française de l'OFCE (e-mod.fr). Son approche est essentiellement macroéconomique. Les simulations affichées pour les années 2009 et 2010 reprennent dans les grandes lignes les perspectives de prévision pour l'économie française élaborée par l'OFCE en octobre 2009 [Blot et al., 2009]. Quant à la période 2011-2030, différents scénarios sont envisagés. Mais avant d'en faire une présentation détaillée, il convient de rappeler qu'un scénario est davantage une illustration des évolutions envisageables qu'une prévision. Des hypothèses fortes en termes d'environnement extérieur sont nécessaires. La réalité peut s'avérer différente et le retour vers le plein-emploi ou l'équilibre des finances publiques plus ou moins long et tortueux.

Dans le cadre d'une projection de moyen-long terme, l'analyse et la mesure de l'évolution tendancielle de la population active et de la productivité fournissent des indications utiles sur les capacités d'offre globale et donc sur le sentier de croissance durable et non inflationniste de la production et de l'emploi. En tenant compte de l'évolution de la population active, nous pouvons distinguer trois sous-périodes au cours des soixante dernières années. La période précédant le premier choc pétrolier était caractérisée par une croissance forte de la productivité (4,8%) et de la population active (0,8%) (tableau 1). À la suite de ce choc pétrolier, la croissance tendancielle s'est considérablement ralentie, passant de 5,6% à 2,2%. Cette rupture est largement imputable à la décélération de la productivité qui a été divisée par trois par rapport à la période précédente. À l'instar de la sous-période précédente, la rupture du début des années 2000 porte la marque de l'affaiblissement de la productivité qui ne progresse que de 1,2 % par an. Compte tenu de l'évolution de la population active, le PIB tendanciel n'augmente plus en moyenne que de 1,6% par an depuis 2002.

À l'horizon 2030, la croissance de la population active devrait connaître un franc ralentissement : après avoir progressé de 0,5% en moyenne au cours des dix dernières années, elle devrait se stabiliser au cours des prochaines décennies. Le PIB tendanciel évoluerait par conséquent au rythme de la productivité. Sur la base de cette évolution du PIB tendanciel, trois scénarios de croissance de l'activité sont proposés pour la période 2011-2030. Dans le premier, nous faisons l'hypothèse d'un rattrapage progressif du niveau PIB vers son tendanciel. Une fois atteint, la croissance du PIB serait égale à celle du PIB tendanciel (graphique 1).

Ce scénario «gris» peut être encadré par deux autres : un scénario «noir», plus négatif, dans lequel la croissance de l'économie s'établit à son rythme tendanciel dès 2011 et un autre plus positif (scénario «rose») illustrant une reprise plus forte à moyen terme permettant à l'économie française de rattraper l'intégralité de la perte d'activité liée à la crise. Ces trois scénarios de croissance présentent des caractéristiques macroéconomiques différentes (taux d'investissement, taux d'épargne) caractérisées par des taux de chômage en 2030 différents (tableau 2).

Tendances des finances publiques

L'évolution des finances publiques à court terme (2009-2010) est identique dans les trois scénarios, des écarts importants se creusent ensuite. De 2011 à 2013, les trois scénarios sont calés sur les évolutions des PO et des dépenses publiques primaires exposées dans le programme pluriannuel des finances publiques 2011-2013 (projet de loi de finances pour 2010).

Au-delà de 2013, dans le scénario «gris», nous avons supposé que le solde public primaire reviendrait progressivement à l'équilibre, c'est-à-dire à la situation qui prévalait en 2007 avant la crise. La situation est atteinte en 2018 (graphique 2). Cela suppose un certain nombre d'hypothèses. D'une part, au-delà de 2013 les dépenses publiques primaires évolueraient comme le taux de croissance du PIB tendanciel, soit un rythme inférieur à la croissance effective du PIB dans ce scénario. La part des dépenses publiques primaires dans le PIB diminue donc au cours de la période 2014-2018. D'autre part, afin d'équilibrer le solde public primaire, les PO augmentent de 1,3 point de PIB de 2014 à 2018. Au-delà de 2018, l'économie croit à son rythme tendanciel et le solde public primaire est nul sur la période 2018-2030.

Dans ce scénario «gris», la dette publique brute atteindrait un pic en 2017 (100,5% du PIB) (graphique 3) avant d'atteindre le solde public qui stabilise la dette à un peu plus de 100% (3,8% du PIB en 2018). Au-delà, la dette publique baisse très légèrement et atteint 99,2% du PIB en 2030. Le déficit public reste quasiment stable sur toute la période 2019-2030 (3,3% du PIB en 2030) (graphique 2). Dans ce scénario, les impulsions budgétaires cumulées sont négatives de 2 points de PIB de 2011 à 2030 (-3,3 points de PIB si l'on intègre la remontée spontanée de certaines assiettes fiscales). Les recettes publiques augmenteraient de 2,6 points de PIB entre 2010 et 2018 pour atteindre 49,8% du PIB en 2018 puis se stabiliseraient à ce niveau (graphique 2). Les dépenses publiques diminueraient de 2,8 points de PIB en l'espace de vingt ans pour atteindre 53,1% du PIB en 2030. Aussi bien du côté des dépenses que des recettes, les finances publiques de la France retrouvent en 2018, une situation comparable à celle de 2007. Dans l'intervalle, la dette publique augmenterait de 37 points de PIB. La conséquence directe de cette augmentation est une hausse des charges d'intérêts de 0,8 point de PIB et une charge d'intérêts de 3,4 points de PIB, intégrant la baisse des taux d'intérêt induite par le ralentissement de la croissance nominale potentielle. Si les taux d'intérêt apparents en 2018 étaient égaux à ceux de 2007, la hausse de charge d'intérêts serait de 1,5 point de PIB.

Dans les deux autres scénarios («rose» et «noir»), les évolutions de recettes publiques (en points de PIB) sont identiques à celles du scénario «gris». La croissance des dépenses publiques primaires est la même jusqu'en 2013 dans tous les scénarios. Au-delà de 2013, les dépenses publiques primaires évoluent comme le rythme de croissance tendanciel de l'économie. Seules les hypothèses sur le taux de croissance du PIB et sur celui de sa tendance de long terme, ainsi que sur les taux d'intérêt (estimés à partir de la croissance nominale), varient impliquant une réduction plus ou moins rapide de l'écart de production et un rythme différent d'évolution des dépenses publiques et de leur part dans le PIB.

Ainsi, la dette publique brute en 2030 serait comprise entre 79,4% du PIB dans le scénario de croissance (graphique 3) le plus favorable (scénario «rose») et 135% du PIB (scénario «noir») dans le cas le plus défavorable et les charges d'intérêts vont de 2,7 à 4,4 points de PIB selon les scénarios. Dans le scénario «rose», la dette publique atteint son maximum en 2015 (96,3% du PIB) et décroît tendanciellement au-delà grâce à un déficit inférieur à celui qui stabilise la dette. Le déficit public repasse sous la barre des 3% du PIB dès 2017 et atteint 1,5% du PIB en 2030. Dans le scénario «noir», les déficits publics restent élevés sur toute la période de projection et sont considérés comme intégralement structurels (6,4% du PIB en moyenne de 2011 à 2030). Les déficits publics diminuent légèrement à moyen terme (5,8% du PIB en 2018) sous l'effet des impulsions budgétaires négatives, puis augmentent à nouveau pour atteindre 6,5% du PIB en 2030 en raison de la hausse de la charge d'intérêts.


Repères bibliographiques :

HEYER E., PLANE M. et TIMBEAU X., "Quelle dette publique à l'horizon 2030 ?", Revue de l'OFCE, n°112, janvier 2010.

BLOT C. et TIMBEAU X., "Du chaos financier au K.O. économique", Revue de l'OFCE, n°110, juillet 2009.

CHAUVIN V. et al., "Le modèle France de l'OFCE, la nouvelle version e-mod.fr", Revue de l'OFCE, n°81, avril 2002.

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