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Effet de serre, risque climatique et expertise économique

Publié le 22/10/2004
Auteur(s) - Autrice(s) : Roger Guesnerie
Après un rappel du diagnostic concernant l'effet de serre et le risque climatique, Roger Guesnerie précise dans cet article les domaines pertinents de l'expertise économique en la matière.

L'effet de serre et le risque climatique : un rappel du diagnostic

Ce rappel ne prétend pas être complet. Pour aller à l'essentiel, on passera de ce qui est tout à fait assuré dans le diagnostic à ce qui est moins assuré, de 1 à 8, sur l'échelle de l'incertitude croissante (Partie rédigée à partir de l'ouvrage Combattre l'effet de serre nous mettra-t-il sur la paille ? Editions Le Pommier).

Afin de completer les informations disponibles sur ces pages, Roger Guesnerie vous propose de consulter le site suivant : Le réchauffement climatique (le changement climatique) : réponse à quelques questions élémentaires (site de Jancovici, à voir en particulier : "Aspects physiques du changement climatique : vue d'ensemble" et "Les gaz à effet de serre - généralités")

Ce qui n'est pas douteux (1 à 3 sur l'échelle)

1 - L'atmosphère qui entoure la Terre, à la manière d'une serre, piège le rayonnement solaire : c'est l'effet de serre, déjà souligné par un physicien Arrhenius à la fin du 19ème siècle. C'est à priori un effet heureux : en son absence, il ferait un temps un peu frisquet et sans doute inhospitalier aux formes de vie auxquelles nous sommes accoutumés : la température moyenne sur la Terre serait, de source autorisée, aux alentours de moins dix-huit degrés !

L'intensité de l'effet est liée à la présence dans l'atmosphère d'un certain nombre de gaz, les fameux gaz à effet de serre. Parmi les 6 retenus dans le protocole de Kyoto, le gaz carbonique (C02) - on l'appellera souvent comme le font les Anglo-Saxons dioxyde de carbone -, et le méthane (dont la formule chimique est CH4), sont les deux principaux responsables de l'effet de serre {viennent ensuite le protoxyde d'azote (N20), les hydrofluorocarbones (HFC), les hydrocarbures perfluorés (PFC) et l'hexafluorure de soufre (SF6)}. De tous, le gaz carbonique, est le plus important pour sa contribution instantanée au réchauffement, mais aussi le plus tenace : il faut plus de cent ans pour que quittent l'atmosphère la moitié de cent molécules qui y sont diffusées aujourd'hui, contre une dizaine d'années pour le méthane...

2 - La concentration de CO2, que les scientifiques mesurent en parties par millions en volume (ppmv), est passée de 280 à 370 ppmv, soit une augmentation de plus de trente pour cent depuis le début du XIXe siècle.

graph

Source : Rapport du CAE n°39
Kyoto et l'économie de l'effet de serre p.14 graphique 3a

Si ces chiffres ne sont pas inédits dans l'histoire de la planète, il faut quand même sans doute remonter à 16 millions d'années pour retrouver des niveaux analogues, en gaz carbonique. Mais plus que l'amplitude, c'est la rapidité de l'évolution qui est frappante : pour le gaz carbonique, plus de 100 000 siècles d'une stabilité relative sont à mettre en regard de deux siècles de montée continue.

3 - Le troisième point est lui aussi peu douteux. L'accroissement de la concentration des gaz à effet de serre date du début de la révolution industrielle, même si tout ne vient pas de l'industrie : l'activité agricole est un autre facteur important de l'accroissement des émissions de méthane. Mais c'est bien le bouleversement de nos modes de production et de nos modes de vie, issu de la révolution industrielle, qui est à l'origine de la montée de la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre. Elle est comme disent joliment les experts, d'origine anthropique. Pour le gaz carbonique, l'accroissement des émissions vient bien entendu du développement considérable de l'usage des combustibles fossiles : charbon, pétrole et gaz ont de multiples usages, ils servent à produire une grande part de l'électricité et plus généralement de l'énergie mise à la disposition tant de l'industrie que des particuliers pour leurs usages domestiques (chauffage...). L'énergie utilisée dans les transports vient quant à elle presque exclusivement des combustibles fossiles, directement (essence et gazole) ou indirectement utilisés (lorsqu'ils servent à produire une partie de l'énergie utilisée - l'électricité qui alimente la motrice du TGV par exemple).

Globalement pour la France, on attribue aujourd'hui 22% des émissions de gaz carbonique à l'industrie, 18% à la production d'énergie, 34% aux transports et 26% au résidentiel et à l'agriculture.

Source : Rapport CAE p12

Source : Rapport du CAE n°39
Kyoto et l'économie de l'effet de serre p.12 graphique 1

Le bilan global est spectaculaire : chaque Français contribue en moyenne à émettre chaque année dans l'atmosphère 6,25 tonnes de gaz carbonique et donc - chaque tonne de CO2 contenant 12/44 de carbone - 1 tonne 700 de carbone ! La moyenne européenne est de 2 tonnes 3. La différence vient en partie de notre parc nucléaire qui, souvent décrié par ailleurs, produit une électricité sans carbone. Les Américains, eux, détiennent un record : 6 tonnes de carbone par habitant. Là-bas, la croissance est gourmande en énergie, laquelle est jusqu'à présent restée bon marché par consensus politique.

Ce qui est moins assuré (4 à 5 sur l'échelle)

4 - La relation entre émissions et concentrations est avérée mais ses modalités exactes restent incertaines. Les échanges tant thermiques que gazeux entre la Terre, l'océan et l'atmosphère, (par exemple l'absorption du gaz carbonique par l'océan) jouent des rôles déterminants mais encore incomplètement connus dans la régulation.

5 - La responsabilité de la concentration des gaz à effet de serre dans l'évolution contemporaine du climat reste controversée. Certes, la température moyenne de la planète s'est élevée de 0,5 à 0,8 degrés pendant le vingtième siècle.

Source : Rapport CAE p14

Source : Rapport du CAE n°39
Kyoto et l'économie de l'effet de serre p.14 graphique 3

Le parallélisme entre concentrations et températures est évidemment troublant ! Pour autant, la température de la planète est affectée par toute une série d'autres facteurs, souvent périodiques - certains à longues oscillations (les modifications de l'inclinaison de l'axe de la terre), d'autres de courte période (l'évolution de l'activité solaire) -, dont il faut démêler les effets pour apprécier la part spécifique de l'effet de serre. Il y a donc aujourd'hui une incertitude scientifique sur la part attribuable à l'effet de serre dans les évolutions climatiques récentes.

Ce qui est plus incertain (6 à 8 sur l'échelle)

6 - Si le diagnostic sur les évolutions passées n'est pas pleinement assuré, l'incertitude qui entache la prévision et l'avenir est plus grande encore et ce d'autant plus que l'avenir est plus lointain. Quels seraient, par exemple, les effets sur le climat d'une multiplication par 2,5 de la concentration de gaz carbonique dans l'atmosphère par rapport à son niveau préindustriel - un niveau que les évolutions tendancielles pourraient faire rejoindre au début du siècle prochain ?. Les études conduisent à des résultats qui, pour un même scénario d'évolution des gaz à effet de serre, restent dispersés. Le Groupe International d'Etudes du Climat (GIEC), qui est l'instance internationale d'expertise sur l'effet de serre indique, pour le scénario de montée des concentrations évoqué ci-dessus, une élévation de la température moyenne sur la planète en 2100, qui va, selon les modèles de 2,7 à 4,7 degrés, donc dans une fourchette dont le milieu est de 3,7 degrés. Et, il faut le souligner, un changement de température moyenne de 3 à 4 degrés est sans doute synonyme de bouleversement climatique. Avec 5 degrés de moins en moyenne qu'aujourd'hui le climat de la planète, il y a 15000 ans, était très différent : l'Europe était alors couverte de glaces !

7 - Les effets du changement climatique sont eux mêmes incertains.

A court terme, d'abord. Les effets climatiques d'un effet de serre accru, dont l'ampleur est de toute façon mal assurée, sujette à caution, devraient rester limités. Limités ne veut pas dire qu'ils ne seront pas spectaculaires. Rappelons-nous les tempêtes de 1999. Elles appartiennent à la catégorie de ce que les météorologues appellent des événements extrêmes, événements dont les modèles climatiques prévoient la multiplication. Mais cette prédiction ne pourra trouver de vérification statistique dans un avenir proche : il faut pour la confirmer des observations en nombre suffisant quand les événements extrêmes restent par nature même relativement rares... Limités ne veut pas dire non plus qu'ils ne pourront être extrêmement dommageables, pour certaines régions, certaines activités. Ainsi un réchauffement sensible toucherait-il de plein fouet l'activité des stations de sports d'hiver de moyenne montagne, déjà affectées par les années chaudes de la décennie 1990. À échéance sans doute plus lointaine, la montée du niveau des mers due à au réchauffement pourrait menacer les zones sensibles du Bangladesh comme celles de la Hollande et en submerger une partie. Les grands récifs de coraux disparaîtraient-ils alors ? C'est vraisemblable selon les experts. Le climat serait-il différent ou dégradé ? Et cela de façon temporaire ou définitive ? Personne n'a, semble-t-il, de réponse assurée à ces question.

À plus long terme, le risque devient multiforme. Les spécialistes évoquent, sans se risquer à quantifier les probabilités d'occurrence, "des surprises". L'une d'elles serait, par exemple, le dégel du permafrost sibérien libérant le méthane qu'il contient, alimentant un processus cumulatif de réchauffement et dégazage, autre "surprise" possible, au-delà de ce siècle, le changement de la circulation thermohaline dans l'océan Atlantique ferait redescendre le Gulf Stream de l'Irlande du nord à Gibraltar. L'Europe se refroidirait (se couvrirait même de glaces dans certains scénarios) dans un monde qui, globalement, se réchaufferait

8 - L'évaluation des dommages socio-économiques du changement climatique, au fur et à mesure de sa manifestation, est un exercice particulièrement délicat. On peut certes évaluer les changements de production agricole, les pertes de capital productif. Mais comment évaluer les pertes environnementales, les effets des migrations que susciteraient nécessairement en Asie et en Afrique certaines des modifications attendues. Et comment évaluer la souffrance des "réfugiés climatiques" ou les difficultés des sociétés d'accueil ? Nous connaissons mal les impacts, et donc les dommages, de l'effet de serre sur le climat.

On a vu en passant du plus assuré au moins assuré huit paliers de certitudes ou d'incertitudes. Clairement l'économiste n'a aucune compétence particulière pour se prononcer sur les phénomènes physico-chimiques et sur les incertitudes climatiques proprement dites. Il est par contre sollicité dans le débat comme on le verra plus loin.

Les domaines pertinents de l'expertise économique

Le protocole signé à Kyoto en 1997, puis amélioré et finalisé lors des conférences ultérieures de La Haye et de Bonn, a défrayé la chronique de ces dernières années. Son avenir est encore hypothétique, puisqu' après la décision de l'administration Bush de ne pas le ratifier, les seuils de participation atteints, (en termes de nombre de pays et de volume d'émissions) sont insuffisants pour lui donner force de traité. L' entrée en vigueur du protocole est de fait suspendue à la ratification annoncée, mais à ce jour non effective, de la Fédération de Russie. Alors que le marché mondialisé fait depuis longtemps fi des frontières des Etats, et alors qu'aucun devin ne voit sur son écran radar le signe de l'apparition d'un gouvernement mondial, le besoin d'outils de "gouvernance" à l'échelle de la planète se fait de plus en plus aigu. Le protocole de Kyoto s'efforce de mettre en place une coopération internationale pour la gestion d'un bien collectif de notre époque de mondialisation, un bien collectif "global", en l'occurrence le climat. Il constitue, une tentative ambitieuse, parfois maladroite mais à bien des égards exemplaire, de réponse au besoin de gouvernance qui vient d'être évoqué.

Naturellement, l'évaluation du protocole ne peut faire abstraction d'une discussion sur le risque climatique, que fait ou ferait courir à la planète l'accroissement spectaculaire avéré de la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre depuis le début de la révolution industrielle. Ce débat, et celui de l'adéquation du "package deal" Kyoto, ont depuis le retrait américain, pris un tour plus polémique. Mais quel que soit le devenir à court et moyen terme du protocole, quelle que soient les informations que l'avenir nous apportera sur l'intensité et le déploiement temporel du risque climatique, on peut penser que le protocole de Kyoto restera dans l'histoire, comme l'exemple des tâtonnements inventifs que l'adaptation nécessaire des institutions aux besoins d'une économie mondialisée a et va continuer de susciter.

La perspective du changement climatique dessine les contours de ce que Mauss aurait sans doute fait entrer dans la catégorie du "fait social total". La réflexion sollicite de nombreux savoirs et doit croiser de nombreux regards. On ne s'étonnera pas, par exemple, que le sujet ait suscité des contributions remarquées de philosophes. Parmi les spécialistes de sciences sociales, l'économiste n'a pas le monopole de l'enquête, même si on limite la discussion au protocole de Kyoto, ou plus généralement aux politiques de maîtrise de la concentration des gaz à effet de serre, parfois désignées sous le nom de politiques climatique. Mais, pour l'économiste, le problème est passionnant et multiforme, et sollicite de nombreux chapitres de son savoir, pour l'utiliser, l'éprouver et le cas échéant l'améliorer, le remettre en question et le régénérer à partir de question inédites..

Donnons une idée de quelques unes des déclinaisons thématiques de l'économie de l'effet de serre. Distinguons, même si les questions sont, dans les faits, imbriquées, les questions de l'opportunité des politiques climatiques de celle de leur concrétisation.

compléments

Un encadré extrait du Rapport du CAE N°39 Kyoto et l'économie de l'effet de serre p.22 : Bien collectif, consentement à payer

Dans la collection de poche des éditions Le pommier ( l'ouvrage)

  • Dominique Bourg 2002 Quel avenir pour le développement durable ?, 64p., Coll. Les petites Pommes du Savoir, Editions Le Pommier.
  • Roger Guesnerie 2003 Combattre l'effet de serre nous mettra-t-il sur la paille ?, 64p., Coll. Les petites Pommes du Savoir, Editions Le Pommier
  • Robert Sadourny 2002 Le climat est-il devenu fou ?, 64p., Coll. Les petites Pommes du Savoir, Editions Le Pommier.

Autres articles et ouvrages

  • Conseil d'analyse économique 2003 Kyoto et l'économie de l'effet de serre, Roger Guesnerie, Rapport du CAE, n°39, La documentation française.
  • Olivier Godard 1997 "les enjeux des négociations sur le climat", Futuribles, n°224, p33-66.
  • Hervé le Treut et Jean-Marc Jancovici 2001 L'effet de serre : allons-nous changer le climat ?, Flammarion, "Dominos".

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