Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Navigation
Vous êtes ici : Accueil / Articles / Impôt sur le revenu et prélèvement à la source : les enjeux du débat

Impôt sur le revenu et prélèvement à la source : les enjeux du débat

Publié le 08/12/2017
Auteur(s) - Autrice(s) : Vincent Touzé
Né au début du XXe siècle, l'impôt sur le revenu est souvent critiqué en France en raison de sa complexité et de sa progressivité imparfaite. Le projet de prélèvement de l'impôt à la source s'inscrit dans une démarche de simplification fiscale. Qu'apporterait-il ? Les auteurs de cet article, issu du Repères "L'économie française 2017", analysent les avantages du prélèvement à la source pour l'administration fiscale et les contribuables, mais aussi les difficultés que pose sa mise en place.

Prélever à la source l'impôt sur le revenu (IR) était l'une des mesures du programme du président Hollande lors de sa campagne électorale de 2012. Le président et son ministre de l'Économie, Michel Sapin, ont annoncé à plusieurs reprises en 2015 et 2016 que le prélèvement de l'IR à la source serait effectif dès 2018. L'objectif annoncé est de simplifier l'IR. Une discussion de cette mesure est prévue en octobre 2016 lors de l'examen du projet de loi de finances 2017.

Invention du début du XXe siècle, l'impôt progressif sur le revenu est souvent jugé archaïque. Selon Ayrault et Muet [2015], il manquerait de lisibilité (sa complexité en ferait oublier sa finalité) et de cohérence (sa progressivité ne serait pas optimale). Quant à l'idée de prélèvement à la source, elle n'est pas nouvelle. Elle a déjà suscité de nombreux débats dans le passé. Ces derniers ont d'ailleurs conduit aux principales innovations que nous connaissons : le prélèvement mensuel, des déclarations préremplies, une possibilité de déclarer en ligne, etc.

Que représente aujourd'hui l'IR ? Qu'apporterait le prélèvement à la source ? La simplification sera-t-elle au rendez-vous ?

Un impôt différé

L'impôt sur le revenu des personnes physiques (IR) a rapporté environ 70 milliards d'euros en 2015. Moins d'un ménage sur deux le paie. La déclaration est cependant obligatoire pour tous.

Graphique poids de l'IR dans le revenu primaire brut des ménages en France 1996-2016

Aujourd'hui, l'IR en France est payé avec un décalage d'une année. En 2016, on paie ainsi l'impôt relatif aux revenus gagnés en 2015. Au préalable, son calcul a nécessité une déclaration de revenus auprès de l'administration fiscale pendant le premier semestre 2016 et l'application du barème décidé par la loi de finances 2015 votée au Parlement fin 2014.

Le décalage temporel d'une année implique que l'État accorde un délai de paiement et donc un crédit aux ménages. Ce délai de paiement résulte de deux facteurs : la base fiscale d'imposition est annuelle ; recueillir de l'information prend du temps. Il faut donc attendre a minima que l'année soit écoulée pour avoir une juste évaluation du revenu annuel.

L'IR est progressif. Cela signifie que le taux moyen de prélèvement, le rapport entre l'impôt payé et le revenu, augmente avec le revenu du foyer fiscal. Toutefois, afin de prendre en compte la taille des familles et donc leur véritable niveau de vie (principe d'équité fiscale horizontale), le barème applique un quotient conjugal (une part pour un célibataire ou un contribuable non marié et deux parts pour un couple marié) ainsi qu'un quotient familial (une demi-part par enfant et une part à partir du troisième pour un couple). Le législateur limite l'impact du quotient familial en le plafonnant.

Depuis 2012, les gouvernements Ayrault puis Valls ont :

— amplifié la hausse de l'IR amorcée sous le gouvernement Fillon dès 2011 avec une plus grande fiscalisation au barème de l'IR des revenus du capital, la suppression de la non-imposition des heures supplémentaires, la taxation des avantages familiaux des retraités et des cotisations employeurs de complémentaire santé ;

— baissé en deux temps, en 2013, le plafond de quotient familial, ce qui a conduit à taxer davantage les familles des classes moyennes que les contribuables sans enfant à charge ;

— créé une nouvelle tranche d'imposition à 45% et supprimé la tranche à 5,5% en 2014 (revenu 2015) ;

— relevé rétroactivement les seuils d'imposition à l'IR (revenu 2014) en 2015 afin de réduire le nombre de foyers imposables.

Après une longue période de baisse du poids de l'IR dans le revenu primaire brut des ménages entre 2000 (4,7%) et 2010 (3,3%), ces changements ont conduit à une hausse de 2011 à 2013 (4,5%), puis à une période de stabilisation.

Le projet de prélèvement à la source

Le projet initial s'inspire en partie de l'ouvrage Pour une révolution fiscale de Landais et al. [2011] qui prône :

— la fusion de l'IR et de la CSG ;

— le prélèvement automatique de l'impôt sur le revenu (travail ou capital) à la source, c'est-à-dire dès l'attribution du revenu ;

— une suppression des quotients conjugal et familial.

Le prélèvement à la source s'inscrit dans une démarche de simplification fiscale. Son principal attrait est d'offrir une meilleure synchronisation entre le moment où le revenu est attribué et celui où il est taxé. La suppression des quotients conjugal et familial facilite le calcul du prélèvement à la source.

L'administration fiscale et les contribuables peuvent y trouver un intérêt. Les ménages peuvent juger opportun de connaître en temps réel leurs véritables revenus après impôt. En particulier, pour ceux qui ont des revenus fluctuants, avec par exemple une année de travail (revenu élevé) suivie d'une année de chômage [1] (revenu bas), il y a une meilleure adéquation de leur revenu à leur capacité à payer l'impôt. Cela évite de devoir payer un impôt élevé les mauvaises années de revenu et faible les bonnes années. Pour l'État, le gain potentiel est un meilleur recouvrement de l'impôt car le prélèvement à la source réduit les possibilités d'y échapper. Toutefois, en France, ce gain potentiel est quasi nul car le taux de recouvrement de l'IR est déjà de 99%, soit un niveau supérieur à celui des pays qui pratiquent le prélèvement à la source.

La simplification fiscale est totale si le contribuable n'a plus de déclaration à faire et si le prélèvement à la source est libératoire, c'est-à-dire quand l'imposition est définitive et le revenu net perçu est libéré de toute obligation fiscale.

En juin 2015, le ministre de l'Économie a prévenu que le prélèvement à la source «n'est pas destiné à modifier la façon dont est calculé l'impôt» et qu'il «ne remettra pas en cause, par exemple, le quotient familial». L'idée est de conserver les principes qui régissent la fiscalité actuelle et son niveau.

Les difficultés d'une mise en place

Dans son discours du 16 janvier 2012, Didier Migaud, président de la Cour des comptes, rappelle que :

— tous les revenus ne se prêtent pas facilement à un prélèvement à la source ;

— calculer le taux d'imposition en temps réel est très difficile ;

— la protection de la confidentialité des informations fiscales transmises au tiers-payeurs (l'employeur pour un salarié) est indispensable ;

— l'année de transition est problématique d'un point de vue fiscal.

En pratique, le mode de calcul de l'IR ne va pas changer. Pour les salariés, à partir des éléments connus (revenus de l'année précédente), l'administration fiscale aura l'obligation d'informer leurs employeurs du taux moyen de prélèvement à la source à appliquer sur les salaires. Pour les pensions et certains revenus financiers, elle pourra procéder de la même façon en informant les caisses de retraite et les institutions financières (banques et assureurs). Par la suite, dès lors que l'information sur l'ensemble des revenus sera complète, il y aura inévitablement un rattrapage. Le prélèvement à la source ne sera donc pas libératoire et le choc de simplification n'aura pas lieu : les ménages auront toujours des déclarations à déposer auprès de l'administration fiscale ; le montant de l'impôt définitif sera connu avec retard.

Un problème majeur d'équité fiscale

Si le prélèvement à la source est adopté, les ménages paieront en 2017 l'impôt sur les revenus de 2016 et commenceront à s'acquitter de leur impôt sur le revenu de 2018 dès janvier 2018. Cependant, il reste à savoir si les revenus de 2017 seront soumis à l'IR.

Le gouvernement pourrait être tenté de faire payer l'IR sur les revenus 2017 en 2018, mais les ménages devraient alors s'acquitter pendant une année de deux montants d'impôt, ce qui n'est pas réaliste.

L'autre solution est de ne pas imposer les revenus de 2017. Or cette année «blanche» pose un problème d'équité fiscale. Tous les ménages actuellement imposés vont bénéficier d'une année de moins d'IR à payer sur l'ensemble de leur vie. De plus, ces derniers auront tout loisir de réaliser des plus-values et des revenus exceptionnels pour profiter au maximum de cette opportunité fiscale. Ensuite, la disparition des nombreuses réductions d'impôts permises par la loi (niches fiscales, dons, etc.) pour les revenus de 2017 est problématique.

Une troisième solution serait un remboursement étalé dans le temps et neutre sur la trésorerie [Le Garrec et Touzé, 2016].

Par ailleurs, sans aménagement de la fiscalité, prélever à la source l'IR s'assimile à une hausse de la fiscalité puisque les ménages ne bénéficient plus d'un crédit d'un an pour payer l'impôt. En percevant plus tôt l'IR, l'État peut donc s'attendre à des recettes fiscales plus élevées en période de croissance. Les générations futures de contribuables seront les plus touchées par cette hausse implicite.

L'année blanche profite donc principalement aux plus riches, aux plus âgés (en fin de vie fiscale donc peu impactés par la hausse potentielle de l'IR) et aux contribuables qui ont l'intention de s'expatrier (Antonin et al., 2016).

De longs débats en perspective

Les débats parlementaires s'annoncent nombreux. D'un côté, certains revendiqueront une révolution fiscale totale avec une fusion IR-CSG tandis que d'autres dénonceront l'iniquité fiscale de la réforme et l'absence de simplification [Sterdyniak, 2015 ; Touzé, 2015].

Le débat ne va pas se limiter au Parlement. Des syndicats ont déjà fait savoir qu'ils s'opposaient à la divulgation aux employeurs d'informations fiscales sur les salariés. Par ailleurs, les entreprises et l'administration fiscale s'inquiètent aussi des coûts de gestion supplémentaires induits (vérifications, calculs, transferts d'informations, contentieux).

Le Conseil constitutionnel pourrait aussi invalider certains aspects (fin du secret fiscal pour les salariés, rupture de l'équité fiscale avec l'année blanche) rendant ainsi caduque certaines parties, voire l'ensemble de la loi.

Note

[1] En pratique, les contribuables peuvent déjà solliciter des délais de paiement en cas de baisse supérieure à 30% de leur revenu.

Repères bibliographiques

ANTONIN C., LE GARREC G. et TOUZÉ V., "Prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu : il y aura bien une année blanche !", Blog de l'OFCE, 24 mars 2016.

AYRAULT J.-M. et MUET P.-A., "Pour un impôt juste, prélevé à la source", opuscule de la Fondation Jean Jaurès, 2015. Note de lecture d'Henri Sterdyniak dans le blog de l'OFCE, 25 septembre 2015.

COUR DES COMPTES, Prélèvement à la source et impôt sur le revenu, rapport, 2012.

LANDAIS C., PIKETTY T. et SAEZ E., Pour une révolution fiscale, Seuil, "La République des idées", Paris, 2011.

LE GARREC G. et TOUZÉ V., "Prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu et année de transition : quel impact pour les finances publiques et l'équité fiscale ?", Document de travail, 2016.

STERDYNIAK H., "Prélèvement à la source : une réforme compliquée, un gain très limité", Blog de l'OFCE, 24 juin 2015.

TOUZÉ V., "Prélever à la source l'impôt sur le revenu : une réforme compliquée et coûteuse", Blog de l'OFCE, 15 septembre 2015.

Mots-clés associés :