L'indemnisation du chômage dans la crise
Mireille Elbaum
Ce chapitre est un résumé de la Lettre de l'OFCE n°307 du 2 février 2009.
Avec la crise, le chômage est depuis la fin de 2008 sur une pente très fortement ascendante. L'assurance chômage constitue la première ligne de stabilisation automatique de l'économie en permettant le maintien d'une partie du revenu de ceux qui perdent leur emploi. C'est dans ce contexte que le système vient d'être réformé. Mais l'accord des partenaires sociaux de décembre 2008 n'apporte pas de réponse aux défauts d'articulation du système, et semble surtout inadapté à l'ampleur et aux caractéristiques de la crise, même s'il prévoit un élargissement des conditions d'entrée et une rationalisation des filières d'indemnisation.
Un système à plusieurs composantes
Depuis 1984, l'indemnisation des demandeurs d'emploi est confiée à deux régimes distincts, avec des prestations exclusives l'une de l'autre et une gestion séparée.
Le régime d'assurance, que les partenaires sociaux gèrent de façon paritaire, était en 2008 ouvert aux demandeurs d'emploi justifiant d'une durée de travail salarié dans le secteur privé d'au moins six mois au cours des vingt-deux derniers mois. Ils pouvaient alors bénéficier d'une indemnisation limitée à sept mois, trois «filières longues» étant par ailleurs ouvertes en fonction de l'âge et de la durée d'affiliation.
Les taux de remplacement varient en termes bruts de 65% au SMIC à 57,4% jusqu'à quatre plafonds de la Sécurité sociale. L'allocation moyenne servie était de 1068 euros en mars 2008.
L'assurance chômage indemnisait, en mars 2008, 1,66 million de demandeurs d'emploi (hors formation), pour un coût annuel d'environ 27 milliards d'euros.
Le régime de solidarité a lui-même un champ limité et des principes largement assurantiels. Sa principale prestation, l'allocation de solidarité spécifique (ASS), versée en mars 2008 à environ 316000 personnes, est réservée aux demandeurs d'emploi ayant épuisé leurs droits à l'assurance chômage et justifiant d'au moins cinq ans d'activité salariée dans les dix années précédentes. Soumise à condition de ressources (1 047 euros pour une personne seule et 1 646 euros pour un couple), son montant est de 455 euros par mois en 2009.
Une partie des chômeurs, inscrits ou non à l'ANPE, s'est donc trouvée renvoyée vers les minima sociaux, et en particulier le revenu minimum d'insertion (RMI) (revenu de solidarité actif (RSA) de base depuis le 1er juin 2009), qui permet le versement d'une allocation différentielle à toute personne âgée de plus de 25 ans résidant en France dont les revenus sont inférieurs à un minimum de ressources fixé en fonction de la composition du foyer (455 euros en 2009 pour une personne seule, et 682 euros pour un couple).
Le RMI, géré par les départements, constitue de fait le «troisième pilier» de l'indemnisation du chômage, notamment pour les jeunes adultes isolés de plus de 25 ans ou ayant des charges de famille.
Le système repose donc sur des étages successifs, avec un accès ouvert à chacun d'entre eux sur des bases individuelles, semi-individuelles ou familialisées.
Une gestion structurellement «pro-cyclique»
Les ressources du régime d'assurance provenant uniquement de cotisations assises sur la masse salariale et ses dépenses étant indexées sur le chômage, sa situation financière est particulièrement sensible aux fluctuations conjoncturelles de l'emploi, avec des successions d'excédents et de déficits pouvant rapidement prendre une grande ampleur. Cela peut-être illustré par l'évaluation à trois ans des conséquences d'une réduction de 1% du niveau relatif du PIB (tableau 1). L'impact d'un tel choc est une diminution de 2,3 milliards d'euros (0,12 point de PIB) du solde financier du régime, soit plus de 8% du montant de ses dépenses. Cette sensibilité financière est peu étonnante, l'indemnisation du chômage étant un élément clé de la stabilisation automatique de l'économie.
La bonne gestion macroéconomique voudrait qu'on laisse jouer ce mécanisme régulateur en acceptant la succession de déficits et d'excédents qui en résulte. Or, la volonté des partenaires sociaux de maintenir l'autonomie financière du régime pour préserver sa gestion paritaire les a régulièrement conduit à adopter des mesures «pro-cycliques», durcissant les conditions d'indemnisation lorsque les comptes se dégradaient et que le chômage s'aggravait : c'est ce qui a été observé en 1992 avec l'introduction de l'Allocation unique dégressive, ou avec l'accord intervenu fin 2002, qui, à travers la réduction des durées d'indemnisation, a contribué à une diminution de 4,5 points du taux de couverture de l'assurance chômage entre le début 2003 et la fin 2006.
Ce fonctionnement pro-cyclique du régime d'assurance chômage a un caractère paradoxal. La réduction de la générosité du système lorsque le chômage augmente est en effet problématique, tant en ce qui concerne les durées d'indemnisation que les conditions de prise en charge, alors même que le retour à l'emploi devient plus difficile pour l'ensemble des chômeurs, et que les considérations relatives aux incitations au travail revêtent alors moins d'importance.
Des problèmes structurels d'adaptation aux évolutions du marché du travail et des interdépendances avec les minima sociaux non maîtrisées
Le système des filières entraîne des discontinuités et des effets de seuil peu justifiés. Le système est très sélectif envers les jeunes et les salariés précaires, qui se trouvent pour une large part exclus de l'indemnisation, sans que le régime de solidarité ne leur offre de dispositif de «rattrapage».
Le dispositif s'est donc trouvé en déphasage avec le développement des emplois de courte durée, et dans l'incapacité de «sécuriser» les périodes de chômage intermittent.
La gestion séparée des trois composantes du système d'indemnisation apparaît quant à elle largement illusoire. Les décisions prises par les partenaires sociaux en matière de financement se répercutent, s'agissant d'assurances sociales obligatoires, sur le niveau des prélèvements obligatoires et des déficits publics.
Les modifications des filières d'indemnisation induisent des phénomènes de «vases communicants» et de transferts de charges, d'une part vers le régime de solidarité, d'autre part vers le RMI. Le nombre de RMIstes s'est, par exemple, fortement accru en 2004 et 2005, à la suite de la réforme des filières d'indemnisation, et alors même que le dispositif venait d'être décentralisé.
Les interactions entre assurance chômage et politiques publiques sont particulièrement fortes en ce qui concerne la cessation d'activité des travailleurs âgés. Les dispenses de recherche d'emploi (DRE) ont ainsi pris le relais des préretraites publiques, fortement réduites ces dernières années.
Enfin, la volonté «d'activer» les fonds de chômage et d'inciter à la reprise d'emploi a conduit les partenaires sociaux à financer, au bénéfice exclusif des chômeurs indemnisés, une série de mesures d'aides à l'emploi parallèles ou concurrentes des dispositifs mis en place par les pouvoirs publics pour l'ensemble des demandeurs d'emploi.
L'échéance de 2008-2009 : plusieurs occasions manquées d'une révision en profondeur ?
Sur le plan économique et financier, l'«effet de ciseaux» est spectaculaire entre le redressement des comptes de l'assurance chômage depuis 2006 (en excédent de 3,5 milliards d'euros en 2007 et 4,5 milliards en 2008) et le retournement de l'automne 2008, avec une hausse du déficit beaucoup plus importante que prévu et un très important besoin de soutien du revenu des chômeurs.
Sur le plan institutionnel, la fusion entre l'ANPE et les ASSEDIC, avec contribution forfaitaire de l'assurance chômage au financement des mesures d'accompagnement des chômeurs, modifie aussi fondamentalement le contexte de l'indemnisation du chômage. Enfin, la généralisation du RSA conduit à mêler des financements d'État (RSA chapeau) aux autres prestations sociales et aux allocations chômage. Les bénéficiaires sans emploi sont en outre prioritairement orientés vers le Pôle-emploi, ce qui rapproche leur situation de celle des demandeurs d'emploi.
Mais ces réformes engagées indépendamment de la négociation et la réaffirmation du caractère paritaire de l'assurance chômage font qu'une révision d'ensemble de la cohérence du système d'indemnisation n'a pas été réalisée.
Élargissements et rationalisations dans l'accord de décembre 2008...
L'accord de décembre 2008 élargit les conditions d'entrée dans le régime d'assurance, de six à quatre mois de cotisations pendant une période de référence portée de 22 à 28 mois.
Il institue une filière unique sur le principe 1 mois cotisé = 1 mois indemnisé, dans la limite de vingt-quatre mois pour les moins de 50 ans, et de trente six mois au-delà, sans les effets de seuil induits par les précédentes filières. L'accord prolonge de huit à douze mois le dispositif des conventions de reclassement personnalisé (CRP), avec une rémunération portée à 80% pendant les huit premiers mois.
Enfin, le régime renonce au financement de la plupart des mesures d'insertion exclusivement réservées aux chômeurs indemnisés.
...mais aussi des dispositions inadaptées à la dégradation prévisible du marché du travail...
L'accord réduit la durée d'indemnisation pour le «noyau dur» des chômeurs, à savoir, parmi les moins de 50 ans, ceux qui ont travaillé seize mois au cours des vingt-six derniers mois, alors que les CRP continuent à s'imputer en totalité sur la période de perception des allocations.
Le «calibrage» des durées maximales d'indemnisation retenu vise toujours à maintenir un excédent financier au sein du régime d'assurance chômage, qui aurait dû conduire à une baisse des cotisations. La crise et la forte hausse du chômage ont conduit à revenir sur cet objectif, mais les durées d'indemnisation peuvent s'avérer insuffisantes dans un contexte de retour au chômage de masse. La réforme ne comporte pas plus d'objectif cible à moyen terme pour les cotisations et prestations d'assurance chômage, permettant une articulation avec les besoins de financement des régimes de retraites, et la définition, en lien avec les pouvoirs publics, de dispositions destinées à amortir les fluctuations conjoncturelles.
...et une absence d'articulation persistante avec les autres segments du système d'indemnisation.
L'absence de coordination des trois segments du système d'indemnisation, dont les paramètres sont fixés à des moments différents, indépendamment les uns des autres, par les partenaires sociaux d'un côté et l'État de l'autre, reste la règle. Il devrait en résulter de nouveaux transferts de charge vers le régime de solidarité et le revenu minimum, à travers la réduction de certaines durées d'indemnisation, avec des répercussions sur les finances de l'État et des départements.
Les réformes de 2008 et 2009 laissent sans solution le problème permanent de la prise en charge des jeunes, s'ils n'ont pas travaillé au moins quatre mois ou s'ils n'ont pas de charges familiales. Aucune décision n'est annoncée quant à l'évolution du régime de solidarité, hormis la remise en place temporaire de l'allocation équivalent retraite qui avait été supprimée depuis le 1er janvier 2009, et qui apportait un complément de revenu aux allocataires de l'ASS et du RMI ayant travaillé plus de quarante ans. Au-delà, la décision de repousser l'âge d'accès aux DRE pourrait poser problème alors que la conjoncture devrait peser sur l'emploi des seniors dans des conditions qui laissent peu d'espoir pour un reclassement des plus de 55 ans qui perdent leur emploi. Enfin, sur le sujet «phare» du cumul prestations-revenus d'activité, trois systèmes différents coexistent : l'intéressement pour les bénéficiaires de l'allocation de solidarité, le RSA et la prime pour l'emploi (PPE) gérés par l'État et les départements, familialisé pour le RSA, et l'indemnisation des chômeurs en activité réduite par l'UNEDIC, individualisée. L'orientation affichée par les partenaires sociaux de reconsidérer le régime des activités réduites, afin d'éviter le «glissement» du revenu de remplacement vers «un revenu de complément» constituerait une évolution en sens opposé à l'orientation prise par le RSA.
Malgré la fusion des services de l'UNEDIC et de l'ANPE au sein de Pôle-emploi, la conception des politiques d'indemnisation et d'aide aux sans emplois manque toujours de cohérence, et la concertation entre l'État, les partenaires sociaux et les départements reste sur ce point insuffisante.
La crise va renforcer les besoins de financement de l'indemnisation du chômage et de la politique de l'emploi. La hausse des dépenses est nécessaire pour soutenir le revenu des personnes sans emplois et leur éviter un basculement important dans la pauvreté. L'organisation institutionnelle ne favorise pas cette hypothèse, et le risque que les institutions responsables États, partenaires sociaux, collectivités locales se renvoient la balle du financement est important. Il reste à espérer que l'ampleur de la crise fera prendre conscience de la nécessité de mesures nouvelles.
Repères bibliographiques :
AUDIER F., OUTIN J.-L. et DANG A., «Le RMI, troisième composante de l'indemnisation du chômage», in MÉHAUT P. et MOSSÉ P., Politiques sociales catégorielles, L'Harmattan, Paris, 1998.
COE, Rapport d'étape sur la sécurisation et la dynamisation des parcours professionnels, mai 2007.
DANIEL C. et TUCHSZIRER C., L'État face aux chômeurs, Flammarion, Paris, 1999.
TUCHSZIRER C., «Indemnisation et accompagnement des chômeurs : une articulation à reconsidérer», Connaissance de l'emploi, n° 5, février 2008.