Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Navigation
Vous êtes ici : Accueil / Articles / La crise des dettes publiques de la zone euro

La crise des dettes publiques de la zone euro

Publié le 23/09/2011
Auteur(s) - Autrice(s) : Catherine Mathieu, Henri Sterdyniak
La crise des années 2008-2009 est d'abord une crise bancaire et financière, provoquée par des innovations hasardeuses, dans un contexte de libéralisation et de globalisation financières non contrôlées. Elle ne provient pas de la hausse des dettes et des déficits publics. Elle a cependant provoqué une forte dégradation des finances publiques, en raison du soutien aux banques, de la baisse des recettes fiscales et des politiques de soutien de l'activité. À partir de la fin 2008, les marchés financiers ont spéculé sur l'éclatement de la zone. La crise financière s'est ainsi prolongée en une crise des dettes publiques de la zone euro.

La crise des années 2008-2009 est d'abord une crise bancaire et financière, provoquée par des innovations hasardeuses, dans un contexte de libéralisation et de globalisation financières non contrôlées. Les marchés financiers se sont révélés avides, aveugles et instables. La crise s'explique aussi par l'explosion de la masse des capitaux cherchant à se placer, en provenance des pays suivant des stratégies néomercantilistes en accumulant des excédents extérieurs (Chine, Allemagne, pays scandinaves), des pays producteurs de matières premières, des fonds de pension et des classes riches des pays développés et émergents. Enfin, les politiques monétaires ont laissé gonfler l'endettement privé et les bulles financières et immobilières, ce qui permettait de soutenir la croissance sans distribuer de salaires ou de revenus sociaux.

La crise ne provient pas de la hausse des dettes et des déficits publics. En 2007, le solde public de l'ensemble des pays de l'OCDE ne présentait qu'un déficit de 1,3% du PIB. La crise a cependant provoqué une forte dégradation des finances publiques, en raison du soutien aux banques, de la baisse des recettes fiscales induite par la chute de l'activité, enfin du fait des politiques de soutien de l'activité. Pour les marchés financiers et les institutions internationales, la question essentielle est devenue celle des déficits et des dettes publics. La question se pose avec acuité dans la zone euro, où les règles instaurées par le traité de Maastricht n'ont pas fonctionné. À partir de la fin 2008, les marchés financiers ont spéculé sur l'éclatement de la zone. La crise financière s'est prolongée en une crise des dettes publiques de la zone euro.

Les problèmes de la zone euro avant la crise

En 2007, avant la crise financière, les pays de la zone euro, pris globalement, n'avaient pas de problème de soutenabilité de leurs finances publiques. Le déficit public de la zone (0,6 point du PIB) était nettement inférieur au niveau de 1,6 point qui suffit à garantir la stabilité de la dette nette à 40% du PIB pour une croissance de 4% l'an du PIB en valeur. Par contre, la zone souffrait d'une croissance des disparités entre les pays du Nord (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, pays scandinaves) qui pratiquaient des politiques salariales restrictives, qui engrangeaient des gains de compétitivité et accumulaient des excédents extérieurs et les pays du Sud (Espagne, Grèce, Portugal) dont la croissance étaient soutenue par des taux d'intérêt très bas par rapport au taux de croissance, qui accumulaient des pertes de compétitivité et de forts déficits extérieurs. En Espagne comme en Irlande, la croissance était impulsée par la bulle immobilière.

L'organisation de la politique économique de la zone s'est révélée insatisfaisante. Une politique monétaire commune, appliquée à des pays dont les taux de croissance et d'inflation diffèrent, entraîne le creusement des disparités. Le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) impose des normes rigides sans fondements économiques (les limites de 3% du PIB pour le déficit ou de 60% du PIB pour la dette, l'objectif d'équilibre du solde public à moyen terme). La Commission s'accroche au respect formel du PSC, n'organise pas une réelle coordination des politiques macroéconomiques, tenant compte des situations de chaque pays. Elle ne critique pas les pays dont la stratégie de recherche de la compétitivité par l'austérité salariale pèse sur la croissance de la zone. Elle n'impulse pas de stratégie de croissance, mais cherche à imposer des réformes libérales (dérégulation des marchés des biens, des marchés financiers, des marchés du travail, baisse des dépenses publiques et des impôts) qui se heurtent souvent aux volontés des peuples, qui ne donnent pas de résultat probant et que la crise a décrédibilisées.

Durant les années 1999-2007, la croissance de la zone euro a été relativement faible : 2,2% l'an contre 2,9% aux États-Unis et 2,8% au Royaume-Uni. Le taux d'intérêt était égal au taux de croissance nominal. L'inflation était faible (2,2% sur la période). La part des salaires dans la valeur ajoutée a diminué de 2,3 points. La zone connaissait un excédent extérieur (0,5% du PIB en 2007) alors que le taux de chômage restait élevé (7,5% en 2007). Rien n'indique que les politiques budgétaires auraient été trop expansionnistes.

Les politiques budgétaires durant la crise

La crise a provoqué une forte hausse des déficits et des dettes publics (tableau 1). Pour la zone euro, prise globalement, le déficit public passerait de 0,6% du PIB en 2007 à 6,6% en 2010, le creusement étant particulièrement fort pour les pays les plus frappés par la crise : Irlande (de 0,1% en 2007 à -14,3% en 2009) ; Espagne (de 1,9% en 2007 à -11,2% en 2009) ; Grèce (de -5,1% en 2007 à -13,9% en 2009) ; Finlande (de 5,2% en 2007 à -3,8% en 2010). La dette publique devrait atteindre des niveaux sans précédent depuis cinquante ans.

Peut-on faire la part dans le creusement des déficits de ce qui relève du conjoncturel et du structurel (tableau 2) ? Selon la Commission, la crise aurait provoqué une forte baisse de la croissance potentielle. La Commission a révisé ses estimations, même pour la période d'avant la crise, faisant passer l'écart de production de la zone euro pour 2007 de -0,2% à + 2,5% ; la croissance potentielle de la zone ne serait plus que de 0,9% par an en moyenne de 2008 à 2010 au lieu de 2,1%. Le déficit public structurel de la zone aurait été de 1,9% du PIB en 2007 et atteindrait 5,1% du PIB en 2010. Combler ce déficit nécessiterait donc un effort de 5 points de PIB. Mais comment justifier cet abaissement de la croissance potentielle ? La notion de croissance potentielle perd tout sens si effectivement elle dépend de la croissance réalisée.

Selon nous, la crise n'a guère modifié le niveau de la croissance potentielle. Le solde public a été affecté par des mesures temporaires de soutien de l'activité et par la surréaction des recettes fiscales. Au total, l'impulsion budgétaire dans la zone euro n'aura été que de 1,1% du PIB de 2007 à 2009 et le solde structurel primaire reste excédentaire d'environ 1,9 point de PIB en 2010. Il n'est donc pas nécessaire d'entreprendre des politiques budgétaires restrictives ; la priorité doit être, au contraire, de regagner les 9 points de PIB perdus pendant la crise. Se résigner à leur perte signifierait que la zone euro accepte de conserver un taux élevé de chômage, renonce à augmenter les taux d'activité des femmes et des seniors.

Quelles stratégies de sortie de crise ?

Pendant la crise, le FMI, l'OCDE et la Commission avaient incité des gouvernements à entreprendre de vastes programmes de soutien budgétaire. Maintenant, ces institutions internationales incitent les gouvernements à entreprendre des politiques restrictives, alors que la croissance n'est pas revenue dans la zone euro. Comment une politique restrictive généralisée n'aurait pas des effets catastrophiques sur la croissance ?

Les pays devraient revenir au niveau de dette publique d'avant la crise car un niveau élevé de dette induirait un niveau élevé de taux d'intérêt qui évincerait l'investissement et nuirait à la croissance. Mais les ménages souhaitent détenir un niveau plus élevé de dette publique car ils ont besoin d'actifs pour financer leur retraite et les actions se sont révélées un placement trop risqué. Le fort gonflement des dettes publiques dans la crise ne s'est pas accompagné d'une hausse des taux d'intérêt ; au contraire, les taux courts sont très bas et les taux longs de l'ordre du taux de croissance. Un déficit public qui soutient la croissance, avec des taux d'intérêt les plus bas possible, ne peut être accusé d'évincer l'investissement.

Le FMI demande aux pays développés d'entreprendre des politiques restrictives de 0,8 point de PIB supplémentaire chaque année, sans discuter les implications de cette stratégie sur l'activité. Si le multiplicateur d'une relance généralisée est de 2, ceci signifie que la croissance sera réduite de 1,6 point par an, les soldes publics ne seront pas améliorés (puisque la baisse d'activité réduira les recettes fiscales), les ratios de dette augmenteront du fait du ralentissement économique. Cette politique serait indispensable pour rassurer les marchés, mais une politique qui aboutirait à une longue période de dépression est-elle rassurante ?

Les organisations internationales demandent que l'ajustement se fasse par la baisse des dépenses publiques plutôt que par la hausse des impôts, sans comparer l'utilité sociale des dépenses publiques et des dépenses des contribuables frappés par la hausse des impôts, sans tenir compte de leurs impacts sur la demande. Elles réclament la mise en place de règles budgétaires, de comités indépendants de politique budgétaire. Pourtant, la crise a bien montré que la politique budgétaire ne peut obéir à des règles et doit être pilotée par un pouvoir politique déterminé et courageux, ce que ne sera jamais un comité d'experts.

L'Europe dans la crise de la dette

À partir de la fin 2008, les marchés financiers ont commencé à spéculer sur les dettes des pays européens. Globalement, la forte hausse des dettes et des déficits publics à l'échelle mondiale n'a pas entraîné de hausses des taux longs, les marchés estimant que les taux monétaires resteront longtemps bas, qu'il n'y a pas de risque d'inflation ou de surchauffe. Mais les marchés se sont rendu compte d'une faille dans l'organisation de la zone euro. Alors que les gouvernements des autres pays développés ne peuvent pas faire faillite car ils peuvent toujours être financés par leur banque centrale, les pays de la zone euro ont renoncé à cette possibilité. Du coup, la spéculation a pu se déclencher sur les pays les plus fragiles de la zone : Grèce, Espagne, Irlande, ceux qui avaient connu une forte croissance avant la crise, mais qui devaient changer leur modèle de croissance.

Cette spéculation a été facilitée par le développement du marché des CDS, qui permet de spéculer sur les dettes publiques et privées et par les agences de notation, qui ont déclaré risquées les dettes des pays du Sud de la zone alors même qu'aucun pays développé n'a fait défaut sur sa dette depuis la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, en avril 2010, alors que l'Allemagne s'endettait à 3,05% pour dix ans, la France à 3,4%, l'Espagne et l'Italie devaient payer 3,9%, le Portugal et l'Irlande 4,9%, la Grèce 8,7%, les marchés financiers refusant de renoncer à un scénario d'éclatement de la zone euro, en imaginant que les mesures d'austérité vont entraîner une faible croissance et des troubles sociaux, de sorte que les pays du Sud vont préférer quitter la zone.

Le jeu des marchés financiers risque de paralyser complètement la politique budgétaire. Jadis, quand un pays avait une demande trop faible, la banque centrale diminuait au maximum son taux d'intérêt ; l'État augmentait son déficit ; le bas niveau des taux d'intérêt évitait que la dette publique n'augmente trop ; la méfiance des marchés se traduisait par une baisse du taux de change, donc des gains de compétitivité qui contribuaient à soutenir l'activité. Le risque est que demain, un pays de la zone euro ne puisse plus augmenter son déficit, de crainte que les marchés ne provoquent une hausse des taux d'intérêt, sous prétexte de prime de risque. On ne peut laisser les marchés financiers spéculer sur la faillite des États. Aussi, le risque de faillite des États doit-il être nul : la banque centrale doit toujours avoir l'obligation de financer les États, même dans la zone euro.

Les instances européennes et les pays membres ont tardé à réagir, ne voulant pas donner l'impression que les pays membres avaient droit à l'aide automatique de leurs partenaires et voulant sanctionner la Grèce, coupable de n'avoir pas respecté le Pacte. Toutefois, en mai, ils ont indiqué aux marchés qu'ils apportaient un soutien sans limite, d'abord à la Grèce (le 2 mai, la BCE annonce qu'elle achètera des titres grecs, le 3 mai l'UE et le FMI ouvrent des crédits pouvant atteindre 110 milliards d'euros) puis à tous les pays menacés (par la création d'un Fonds pouvant mobiliser 750 milliards d'euros). En contrepartie, les pays menacés ont dû annoncer des programmes d'austérité budgétaire sans précédent, qui vont les condamner à un fort recul de l'activité et à une longue période de récession.

Cet épisode renforce le poids des partisans des politiques budgétaires automatiques et restrictives en Europe. La crise grecque permet de faire oublier la crise financière. Les pays qui ont accepté de soutenir financièrement les pays du Sud veulent imposer en contrepartie un respect scrupuleux des règles du PSC, même si l'expérience a montré qu'elles sont inappropriées et inapplicables. La Commission et l'Allemagne veulent imposer à tous les pays membres d'inscrire un objectif de budget équilibré dans leur Constitution, de faire surveiller leur politique budgétaire par des comités d'experts indépendants. La Commission veut imposer aux pays membres une longue cure d'austérité pour revenir à une dette publique inférieure à 60% du PIB.

La politique budgétaire risque de devenir fortement restrictive dans la zone euro à partir de 2011. Sous la pression des marchés, qui n'acceptent de leur prêter qu'à des taux prohibitifs, certains pays (Grèce, Espagne, Portugal, Irlande) sont obligés d'annoncer des efforts budgétaires de l'ordre de 4 points de PIB. Les autres, pressés par la Commission de rentrer dans les clous du PSC, craignant de voir leur dette déclassée par les agences de notation, se résignent à faire des efforts de l'ordre de 1,5 point de PIB. Pourtant, globalement, la demande est insuffisante en Europe. La situation des finances publiques de la zone est meilleure que celle des États-Unis ou du Royaume-Uni. Les pays du Nord de l'Europe auraient dû entreprendre des politiques expansionnistes pour compenser les politiques restrictives des pays du Sud. Globalement, la politique budgétaire ne devrait pas être restrictive dans la zone euro, tant que l'économie européenne ne se rapproche pas à une vitesse satisfaisante du plein-emploi. Certes, divers économistes ont mis en évidence dans le passé des épisodes où une politique budgétaire restrictive n'a pas eu d'effet défavorable sur l'activité, mais cette politique était accompagnée d'une forte dépréciation du taux de change, d'une forte baisse des taux d'intérêt, de l'essor du crédit privé dû à la libéralisation financière, d'un essor de la demande privée qui sont peu probables aujourd'hui. Une fois encore, l'Europe risque d'être incapable de définir et de mettre en oeuvre une stratégie de croissance et de connaître une longue période de croissance médiocre et de chômage de masse.

Les classes dominantes et les technocraties européennes essayent de mettre en oeuvre la «stratégie du choc», profiter d'une crise pour imposer des réformes libérales :

- la crise va permettre d'imposer de fortes réductions des dépenses sociales (retraites, santé), ce qui est l'objectif permanent de la Commission, au risque de compromettre la cohésion sociale, de peser sur la demande, d'obliger les ménages à épargner pour leur retraite et leur santé auprès des institutions financières, responsables de la crise ;

- la diminution les dépenses publiques va compromettre l'effort nécessaire pour soutenir les dépenses d'avenir (recherche, éducation, politique familiale), pour aider l'industrie européenne à se maintenir et à se redéployer dans les secteurs d'avenir (économie verte) ;

- les pays européens vont être contraints d'instaurer durablement des politiques budgétaires restrictives qui vont lourdement peser sur la croissance. Les recettes fiscales vont chuter ; les soldes publics ne seront guère améliorés ; les ratios de dette seront dégradés ; les marchés ne seront pas rassurés ;

- le renforcement du PSC, l'introduction de règles budgétaires dans les législations nationales, le poids des marchés financiers risquent d'interdire à l'avenir toute politique budgétaire active.

Au contraire, la stratégie de sortie de crise devrait comporter le maintien de bas taux d'intérêt et des déficits publics, tant qu'ils seront nécessaires pour soutenir l'activité, ainsi que la remise en cause de la globalisation financière et des stratégies des pays néomercantilistes comme des pays libéraux. Si les déficits publics doivent être réduits, ce devrait être en augmentant la taxation des revenus financiers, des plus-values, des hauts revenus dont le gonflement est une des causes de la crise. La stabilité économique mondiale n'est pas menacée par les déséquilibres des finances publiques, mais par le gonflement des activités financières spéculatives et l'absence de gouvernance économique mondiale.