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Les fondements microéconomiques de la macroéconomie : commerce international, croissance et finance

Publié le 16/04/2019
Auteur(s) - Autrice(s) : Philippe Aghion
La macroéconomie moderne repose sur des fondements microéconomiques. Dans cette conférence, Philippe Aghion passe en revue les grands thèmes de la macroéconomie au programme de l'enseignement des sciences économiques et sociales. Il montre que l'abandon de l'hypothèse d'agent représentatif pour tenir compte de l'hétérogénéité des firmes ouvre de nouvelles perspectives dans l'analyse du commerce international, de la croissance et de la finance. Cet éclairage sur les phénomènes macroéconomiques permet d'expliquer un certain nombre de faits stylisés et conduit à repenser les politiques économiques de croissance et de compétitivité.

Philippe Aghion est Professeur de science économique au Collège de France depuis 2015 (chaire Économie des institutions, de l'innovation et de la croissance) et à la London School of Economics. Il a auparavant été professeur à l'Université Harvard. Ses travaux portent principalement sur la théorie de la croissance et l'économie de l'innovation. Avec Peter Howitt, il a développé la théorie schumpetérienne de la croissance économique.

Cette conférence a été présentée dans le cadre du séminaire national sur les nouveaux programmes de Sciences économiques et sociales proposé par le Ministère de l'E.N., en février 2019.

Philippe Aghion : Les fondements microéconomiques de la macroéconomie et les programmes de sciences économiques et sociales

Conférence enregistrée le 7 février 2019 à PSE-École d'économie de Paris.

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Introduction 00:00:00
1. Commerce international 00:03:55
2. Croissance 00:12:20
  • Concurrence et croissance
00:16:24
  • Commerce et innovation
00:19:48
  • Croissance et dynamique des firmes
00:23:24
3. Macro et finance 00:27:11
Conclusion 00:33:52

Compte rendu de la conférence

La macroéconomie contemporaine a connu des avancées grâce à l'introduction dans les modèles d'une hétérogénéité des agents et d'inégalités, c'est-à-dire de fondements microéconomiques. Cela justifie selon Philippe Aghion l'étude des concepts microéconomiques (marché imparfait, monopole, asymétries d'information...) avant d'aborder les thèmes macroéconomiques dans les programmes de sciences économiques et sociales. La macroéconomie moderne microfondée prend notamment en compte les différences de taille, de productivité, de croissance, de contraintes de financement, etc. des entreprises. Ses résultats sont testés à partir de données empiriques de firmes, car c'est en confrontant les modèles aux données que peut progresser la compréhension des phénomènes macroéconomiques, tels que croissance ou les échanges internationaux.

Dans le domaine du commerce international, les théories traditionnelles (théorie des avantages comparatifs, modèle Heckscher-Ohlin) et la «nouvelle théorie du commerce international» (Krugman, Helpman) sont des approches agrégées dans lesquelles les relations entre les nations sont des relations entre agents représentatifs (consommateur, producteur de chacun des secteurs). De nouvelles analyses qualifiées de «New New Trade Theory» ont été impulsées par les travaux pionniers de Marc Melitz (Harvard University). Elles mobilisent des données microéconomiques et supposent une diversité des comportements, des tailles et des niveaux de productivité des entreprises. Ces modèles à firmes hétérogènes permettent de comprendre certains phénomènes empiriques du commerce international, par exemple le fait que seule une minorité d'entreprises d'un pays sont exportatrices (les plus productives), les autres se contentant du marché local, ou que l'économie espagnole a maintenu ses performances exportatrices dans les années 2000 alors que sa productivité moyenne s'est globalement détériorée (le «paradoxe espagnol», Pol Antras).

Ensuite, l'introduction de fondements microéconomiques dans les modèles macroéconomiques permet de mieux appréhender les sources de la croissance : quelle est l'origine du progrès technique et de l'innovation, quels sont les effets de la concurrence, du commerce international sur l'innovation et la croissance, comment expliquer la dynamique des entreprises dans une économie ? Grâce à une analyse à l'échelle des entreprises, il est possible de mettre en évidence le rôle des rentes d'innovation dans l'incitation à innover et la dynamique (conflictuelle) de destruction créatrice qui caractérise la croissance (modèle schumpétérien de croissance endogène, Aghion et Howitt). L'hétérogénéité des firmes permet aussi d'expliquer la relation observée au niveau agrégé entre concurrence et croissance : une courbe en U inversé (travaux d'Aghion et Howitt avec Richard Blundell). Celle-ci résulte des réactions différenciées des firmes à la concurrence selon qu'elles sont proches ou éloignées de la frontière technologique, les premières innovant davantage pour échapper à la concurrence et les secondes étant découragées par la concurrence de rattraper leur retard.

Les effets de composition nous aident encore à comprendre l'effet du commerce extérieur sur la productivité ou le lien entre âge et croissance des firmes. Ainsi, l'ouverture internationale a deux effets contradictoires : un effet taille de marché qui augmente la rente d'innovation et donc l'incitation à innover ; un effet concurrence qui décourage, en particulier les firmes les moins productives, d'innover et de croître. L'effet global d'une hausse de la demande extérieure est alors hétérogène selon les firmes. Il est positif pour les firmes les plus productives pour lesquelles les deux effets se renforcent mutuellement, accroissant encore leur productivité, mais négatif pour les moins efficaces pour lesquelles l'effet concurrence est dominant (Aghion, Bergeaud, Lequien, Melitz, 2018).

Ces analyses conduisent à repenser les politiques de croissance et de compétitivité, en mettant l'accent sur l'environnement institutionnel, les politiques d'incitation à l'innovation et d'investissement dans le capital humain (politiques fiscales, éducatives, etc.). Elles soulignent aussi le rôle des politiques de concurrence dans les pays développés (la concurrence étant un moteur de l'innovation pour les firmes-frontière), qui doivent être associées à une politique de brevets protégeant de manière temporaire les innovateurs.

Enfin, l'hétérogénéité des firmes et les comportements microéconomiques doivent également être pris en compte dans la définition des politiques macroéconomiques, en particulier lorsque celles-ci affectent le financement des entreprises. En période de récession, il est important, explique Philippe Aghion, de mener des politiques contracycliques pour éviter le rationnement du crédit et maintenir l'investissement en recherche-développement des firmes contraintes financièrement. En revanche, en haut de cycle, les politiques monétaires expansionnistes ont des effets de réallocation négatifs (ou d'antisélection), car elles soutiennent les firmes moins efficaces et freinent l'entrée de firmes potentiellement meilleures. Elles réduisent donc l'effet positif de sélection par la concurrence. Du côté des institutions financières, la réglementation macroprudentielle est utile pour prévenir les comportements de prise de risque excessive liés à l'aléa moral collectif et éviter de prendre des mesures macroéconomiques coûteuses pour renflouer les banques («to many to fail»).

Pour aller plus loin

La leçon inaugurale "Les énigmes de la croissance" (publication chez Fayard : Repenser la croissance économique, 2016) et les cours de Philippe Aghion au Collège de France.

Principales publications en français de Philippe Aghion :

Aghion P., Howitt P., Théorie de la croissance endogène, MIT Press, 1998 ; Dunod, 2001.

Aghion P., Cette G., Cohen E., Pisani-Ferry J., Les leviers de la croissance française, La Documentation française, 2007.

Aghion P., Howitt P., L'Économie de la croissance, MIT Press, 2009 ; Economica, 2010.

Aghion P., Roulet A., Repenser l'État, Seuil, 2011.

Aghion P., Cette G., Cohen E., Changer de modèle, Odile Jacob, 2014.

Ressources utilisables en classe :

Interview de Philippe Aghion pour le MOOC "C'est quoi l'éco ?", La croissance dans l'analyse économique : Les théories de la croissance et leur renouvellement avec les analyses de la croissance endogène, SES-ENS, publié en mai 2017.

Interview de Philippe Aghion pour l'Institut des entreprises, Théorie de la concurrence et de la régulation, Melchior, 2012.

Aghion P., Akcigit U., Bergeaud A., Blundell R., Hemous D., "Innovation, inégalités de revenus, et mobilité sociale", Telos, 2 septembre 2015.

Articles de recherche en anglais en lien avec la conférence :

Aghion P., Howitt P. (1992), "A Model of Growth through Creative Destruction", Econometrica, vol.60, n°2, p.323-351.

Aghion P., Bloom N., Blundell R., Griffith R., Howitt P. (2002), "Competition and Innovation: An Inverted U Relationship", NBER Working Paper n°9269.

Melitz M. J. (2003), "The Impact of Trade on Intra-Industry Reallocations and Aggregate Industry Productivity", Econometrica, vol.71, n°6, p.1695-1725.

Antràs P., Segura-Cayuela R., Rodríguez-Rodríguez D. (2010), "Firms in International Trade (with an Application to Spain)", SERIES Invited Lecture, XXXV Simposio de la Asociación Española de Economía, décembre 2010.

Aghion P., Akcigit U., Bergeaud A., Blundell R., Hemous D. (2015), "Innovation and Top Income Inequality", NBER Working Paper n°21247.

Aghion P., Bergeaud A., Lequien M., Melitz M. J. (2018), "The Impact of Exports on Innovation: Theory and Evidence", Working Paper.

D'autres papiers de recherche de P. Aghion et des chercheurs du Centre de recherche sur l'économie de l'innovation sont téléchargeables sur le site du Collège de France.


Autres conférences du séminaire national 2019 :

Philippe Aghion et Pierre-Michel Menger : Economie, sociologie : comment raisonnent et travaillent ces deux sciences sociales ? Une application à l'entreprise

Jérôme Gautié : Risques et gestion collective des risques : l'approche économique

Philippe Riutort : L'opinion publique : histoire, mesure et effets de réalité

Serge Paugam : Comment penser le lien social ?

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