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Quel impact redistributif des mesures du budget 2018-2019 ?

Publié le 14/10/2019
Auteur(s) - Autrice(s) : Pierre Madec, Mathieu Plane, Raul Sampognaro
Quel effet redistributif auront les mesures budgétaires inscrites au budget 2018 ? Cet article, issu du Repères "L'économie française 2019", évalue l'impact des réformes des prestations sociales et de la fiscalité sur le pouvoir d'achat des ménages et les inégalités de niveau de vie. Alors que l'impact sera faible pour une majorité de ménages proche du niveau de vie médian, les plus modestes et le quart supérieur seraient pénalisés à court terme, à l'exception des 5% les plus aisés qui bénéficieraient le plus des réformes. Fin 2019, avec la montée en charge des dispositifs de soutien au pouvoir d'achat, les classes moyennes verraient leur niveau de vie s'accroître, mais les 5% les plus aisés capteraient 42% du gain total attendu des mesures.

Ce chapitre reprend les principaux résultats du Policy Brief de l'OFCE, n°30, "Budget 2018 : pas d'austérité mais des inégalités", janvier 2018.

Les mesures inscrites au budget 2018 devraient avoir un impact faible (+ 0,5 milliard d'euros) sur le pouvoir d'achat des ménages. Toutefois, les montées en charge des différentes mesures auront un effet très différent selon la position des ménages dans la distribution des niveaux de vie. Les ménages les plus aisés vont bénéficier dès 2018 des réformes visant à réduire la taxation du capital. En revanche, les 17,7 millions de ménages éligibles à l'exonération totale de la taxe d'habitation verront celle-ci réduite de l'ordre de 30% en 2018, et les ménages modestes bénéficieront des revalorisations des minima sociaux et de la prime d'activité. Les salariés du secteur privé verront leur pouvoir d'achat s'accroître grâce à la bascule cotisations sociales/CSG, mais les retraités et les détenteurs de capital verront leur pouvoir d'achat amputé. Les fumeurs et les ménages s'acquittant d'une taxation écologique (en fonction notamment de leur mode de déplacement ou de chauffage) verront leur niveau de vie se réduire sous l'effet de l'accroissement de la fiscalité indirecte touchant ces biens.

Nous évaluons ici les revalorisations de la prime d'activité, de l'allocation adulte handicapé (AAH), de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), la bascule cotisations sociales/CSG, les abattements de taxe d'habitation, les réformes de la fiscalité du capital (PFU et ISF), la baisse des allocations logement (AL), ainsi que les hausses de la fiscalité indirecte (sur le tabac et écologique).

Budget 2018 : des arbitrages qui devraient accroître les inégalités à court terme

Pour une majorité de ménages, les mesures ne devraient modifier qu'à la marge leur niveau de vie. Pour les ménages ayant un niveau de vie proche du niveau de vie médian, c'est-à-dire ceux dont le niveau de vie est supérieur aux 25% les plus modestes et inférieur aux 25% les plus aisés, l'impact serait inférieur à +/– 0,1% de leur niveau de vie. L'abattement de 30% de la taxe d'habitation compenserait les hausses de la fiscalité écologique et sur le tabac ainsi que les effets de la hausse de la CSG pour les ménages retraités.

La seconde catégorie de ménages est constituée à la fois des ménages du premier quartile de niveau de vie (les 25% les plus modestes) et des ménages dont le niveau de vie se situe entre le 3e quartile et l'avant-dernier vingtile (les 5% de ménages situés juste en dessous des 5% les plus aisés de la distribution). En 2018, ces ménages devraient en moyenne voir leur niveau de vie se réduire sous l'effet des mesures étudiées. Pour les premiers, les hausses de la fiscalité indirecte et la baisse des allocations logement ne seraient compensées que partiellement par les revalorisations, en fin d'année, des prestations sociales. En outre, ils devraient peu bénéficier de la réforme de la taxe d'habitation, de la revalorisation de la prime d'activité et de la bascule cotisations sociales/CSG. Le niveau de vie des 5% les plus modestes devrait être en moyenne amputé sous l'effet de la baisse des allocations logement et des hausses de la fiscalité écologique et sur le tabac. S'ils devraient bénéficier en moyenne de la revalorisation de l'ASPA et de l'AAH et d'une partie de la réforme de la taxe d'habitation, la faible part d'actifs salariés en bas de la distribution des niveaux de vie diminue la part de gagnants de la revalorisation de la prime d'activité et de la bascule cotisations sociales/CSG.

Pour les ménages des 15e au 19e vingtiles, l'impact plus faible de l'abattement de la taxe d'habitation et l'impact nul des autres mesures de pouvoir d'achat ne sauraient compenser l'augmentation de la fiscalité indirecte et de la CSG.

Tableau 1. Impact des mesures sociofiscales du budget 2018 par vingtile de niveau de vie, en moyenne sur l'année 2018

Évidemment, si les impacts moyens en pourcentage du niveau de vie semblent comparables pour ces ménages, il n'en est rien lorsqu'on analyse l'impact des mesures nouvelles en euros par ménage. Alors, la perte de 1,3% de niveau de vie pour les 5% les plus modestes se traduirait par une diminution pour ces ménages de 100 euros par an et par unité de consommation (uc). Pour les ménages appartenant à l'avant-dernier vingtile, la diminution de 1,1% de leur niveau de vie devrait se traduire par une baisse de l'ordre de 500 euros par an et par UC de leur niveau de vie. De plus, si ces impacts moyens ont le mérite d'éclairer sur les transferts à l'œuvre au sein de la distribution de revenu, ils cachent des effets différenciés selon la situation des ménages. Un ménage percevant l'ASPA bénéficiera de sa revalorisation, ce qui ne sera pas le cas d'un ménage non éligible. Sans surprise, la troisième catégorie de ménages est constituée des 5% de ménages les plus aisés qui devraient profiter pleinement des réformes sur la fiscalité du capital mobilier.

Budget 2018 : de l'importance du calendrier

L'impact des mesures diffère selon que l'on considère ou non la montée en charge des dispositifs. Une fois l'ensemble des mesures montées en charge, les ménages, dans leur ensemble, auraient un gain à attendre de leur mise en place de l'ordre de 3,4 milliards d'euros en année pleine. En termes d'impact budgétaire, la principale illustration de ce phénomène réside dans la mise en place de la « bascule » cotisations sociales/CSG. La CSG a augmenté de 1,7 point au 1er janvier 2018, les cotisations sociales salariés n'ont, elles, baissé que de 2,2 points pour baisser de 0,75 point supplémentaire en octobre 2018. Si, à partir d'octobre, la mesure sera neutre sur le pouvoir d'achat global des ménages, le gain budgétaire pour les finances publiques à attendre de cette montée en charge différée est de l'ordre de 4,5 milliards d'euros sur l'année 2018 [1]. De fait, l'impact redistributif de la mesure diffère sensiblement selon que l'on considère l'effet « moyen », c'est-à-dire l'impact de la mesure pendant l'année 2018, ou l'effet « en année pleine », c'est-à-dire une fois la mesure montée en charge. En effet, en année pleine, les mesures sociofiscales ont vocation à accroître le niveau de vie des ménages de 3,4 milliards d'euros (tableau 2) et la quasi-totalité des vingtiles de niveau de vie devraient gagner en moyenne. Seuls les 18e et 19e vingtiles verraient leur niveau de vie se réduire sous l'effet des mesures. En année pleine, l'abattement de 30% de la taxe d'habitation pour « 80% des ménages » (65% en réalité) et les revalorisations multiples associées à la neutralité budgétaire de la bascule cotisations sociales/CSG joueraient pleinement leur rôle : redonner du pouvoir d'achat aux classes modestes et « moyennes ». Évidemment, un ménage ne consommant pas de tabac ne sera pas touché par la hausse de la fiscalité sur ce dernier. Un ménage ne percevant pas d'AAH ou n'étant pas éligible à l'ASPA ne percevra aucun gain de leur revalorisation. Ces mises au point ne remettent pas en cause les résultats présentés précédemment. Ils permettent tout de même de mieux mesurer la complexité de l'analyse redistributive et les diverses interprétations qui peuvent en être faites.

Tableau 2. Impact des mesures sociofiscales du budget 2018 en année pleine par vingtile de niveau de vie

Quid de 2019 ?

En faisant de la baisse de la fiscalité sur le capital le principal outil fiscal du budget pour 2018, le gouvernement a fait le choix de privilégier à court terme les ménages les plus aisés. Si certaines mesures visent à soutenir le pouvoir d'achat des ménages modestes et des classes moyennes, leur montée en charge tardive devrait conduire à un accroissement des inégalités de niveau de vie en moyenne sur 2018, en lien avec les nouvelles mesures budgétaires.

Néanmoins, afin de ne rien négliger, il doit être noté que le budget 2018 fournit des informations, plus ou moins précises, sur la montée en charge des dispositifs de soutien au pouvoir d'achat des ménages après 2018. Les prestations sociales revalorisées en 2018 devraient de nouveau l'être en 2019. De même, après un abattement de 30%, une nouvelle étape dans l'exonération totale de taxe d'habitation sera franchie en 2019 avec un nouvel abattement de 35%. En revanche, il n'y aurait pas de nouvelle mesure fiscale de réduction de la taxation du capital. Dans le même temps, les hausses de la fiscalité indirecte vont se poursuivre en 2019.

Ainsi, fin 2019, le niveau de vie des ménages devrait s'accroître de 1,2% en moyenne, en lien avec les mesures sociofiscales inscrites dans la loi de finances initiale de 2018 (tableau 3). Si les ménages les plus aisés devraient rester les premiers bénéficiaires des mesures engagées (les 5% de ménages les plus riches capteraient 42% du gain total à attendre des mesures), les « classes moyennes » verraient leur niveau de vie s'accroître significativement du fait de la montée en charge de l'exonération de la taxe d'habitation.

Tableau 3. Impact des mesures du projet de loi de finance 2018 à l'horizon fin 2019

Les 5% de ménages les plus modestes verraient quant à eux leur niveau de vie se réduire sous l'effet de l'augmentation de la fiscalité indirecte, et ce malgré les revalorisations successives des minima sociaux et de la prime d'activité. Si, excepté pour les ménages les plus aisés, les impacts en pourcentage du niveau de vie semblent comparables, l'analyse des effets en euros par ménage laisse logiquement apparaître des gains par ménage de plus en plus importants à mesure que le niveau de vie croît. De même, à l'image du diagnostic posé précédemment sur l'analyse pour 2018 des mesures en « année pleine », il est importants de noter que les mesures telles qu'évaluées pour la période 2018-2019 ne sont pas intégralement financées. Le coût budgétaire estimé de la mise en place des mesures étudiées est de plus de 7 milliards d'euros pour la période 2018-2019 (0,5% du RDB des ménages de 2016). Si ces mesures en faveur du pouvoir d'achat des ménages venaient à être financées par une baisse des transferts sociaux en nature par exemple, les résultats redistributifs mis en lumière ici seraient largement modifiés.

Note

[1] En intégrant la prime qui compense la hausse de la CSG pour les fonctionnaires, le gain budgétaire serait de 3,5 milliards d'euros.