Quelle politique du logement pour 2015 ?
La publication, le 26 mars dernier, au Journal officiel, de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (dite loi ALUR) a marqué une avancée significative dans la politique du logement menée par le gouvernement. Dans un contexte de crise (baisse des transactions, parcs locatifs privé et social à la mobilité bloquée), cette loi, objet de nombreuses critiques depuis plus de deux ans et largement amendée au cours des discussions parlementaires, a pour but de redonner confiance aux différents acteurs de l'habitat et du logement. Qu'en est-il réellement ? Les mesures proposées (encadrement, garantie des loyers, etc.) sont-elles à même de répondre aux exigences des locataires et des propriétaires ? Le marché locatif social est-il le grand oublié de la loi ALUR ?
Quel état du marché locatif privé ?
Selon l'observatoire des loyers Clameur, les loyers de marché ont augmenté en 2013 de 0,6% et de 1,1% sur les cinq premiers mois de l'année en glissement annuel. L'observatoire pointe du doigt le risque important de baisse généralisée à l'ensemble du marché locatif privé. En effet, les moindres hausses observées (i.e. inférieures à l'inflation) depuis le début de l'année, à l'exception notable des zones les plus tendues (+1,4% en île-de-France et en PACA, par exemple), conduisent à une baisse relative du rendement immobilier de certains propriétaires. Pour autant, ces évolutions doivent être relativisées. Ainsi, si elle se confirme, cette érosion apparente des loyers serait tout d'abord, au grand dam des professionnels qui s'alarment de son caractère «préoccupant», une bonne nouvelle pour les locataires.
D'autre part, pour étudier les loyers du parc locatif privé, l'évolution du loyer dit «de marché» n'est pas le seul indicateur à disposition. En effet, le loyer de marché représente la valeur moyenne des logements mis en location à une date t. Une hausse (baisse) des loyers de marché ne signifie donc pas que les loyers ont augmenté (baissé) mais que les loyers du stock disponible à la location à la date t ont augmenté (baissé) par rapport à ceux du stock disponible en t-1. L'évolution qui conditionne en grande partie à la fois l'augmentation du rendement locatif du propriétaire bailleur et la perte de pouvoir d'achat induite par un déménagement pour le locataire est en réalité l'évolution des loyers à la relocation. Celle-ci renseigne sur les augmentations de loyers opérées lors d'un changement de locataire. Ce sont d'ailleurs ces hausses que vise à encadrer le décret publié en juillet 2012 et aujourd'hui encore en application.
Un encadrement des loyers sujet à débat
Ce décret, tout comme le dispositif d'encadrement présent dans la loi ALUR, a été très critiqué lors de sa mise en place. Des études ont visé à démontrer l'existence d'une corrélation entre l'état de dégradation du parc locatif et les mesures d'encadrement des loyers. Or, dans le décret comme dans la loi ALUR, des dispositifs destinés à la prise en compte de la réalisation de travaux existent. On se doit par ailleurs de mentionner la possibilité d'une montée en gamme du parc [Le Bayon, Madec et Rifflart, 2013] due justement au mécanisme de prise en compte des travaux. De même, l'idée selon laquelle les mesures d'encadrement conduiraient à une baisse significative de la mobilité résidentielle est fallacieuse. Si ce risque est réel pour les dispositifs visant à encadrer les loyers en cours de bail (non lors de la relocation), le dispositif d'encadrement présent dans la loi ALUR a, au contraire, pour objectif de conduire à une convergence des loyers. Actuellement, dans les zones dites tendues, les différences de loyers entre ceux ayant emménagé dans l'année et les locataires présents depuis plus de dix ans dans leur logement sont supérieures à 30% (38% pour Paris) [OLAP, 2013]. La convergence souhaitée, bien que modeste compte tenu de l'écart important encore autorisé (plus de 40%), va plutôt dans le sens d'une meilleure mobilité.
En réalité, le seul risque lié à l'entrée en application de l'encadrement des loyers est celui concernant l'offre locative. En effet, une baisse durable de l'offre locative (-20.000 logements entre 2011 et 2013) est problématique, et ce surtout en zone tendue. Si la loi ALUR a vocation à engendrer un cercle vertueux d'érosion des loyers et des prix de l'immobilier et de maintien des rendements locatifs, cet ajustement sera long et peut entraîner à moyen terme une baisse de l'offre locative compte tenu de la diminution possible, au cours de la période, des rendements locatifs. Pour soutenir cette offre locative privée, le gouvernement ne peut pas à l'heure actuelle compter sur l'investissement locatif neuf qui, malgré l'instauration du dispositif Duflot, est atone.
Les pouvoirs publics peuvent agir pour enrayer ces phénomènes. Le durcissement récent de la taxation des logements vacants (notamment l'allongement de la durée d'habitation ouvrant droit à exonération) va dans la bonne direction. En parallèle, des actions en faveur du logement social doivent être engagées. Bien que le temps de la construction diffère sensiblement du temps politique, le développement d'une offre locative sociale crédible ne peut que servir un parc privé en proie au blocage et où les déséquilibres entre offre et demande semblent insolubles.
A l'heure actuelle, près d'un ménage sur trois du premier quartile de revenu (les 25% les plus pauvres) est locataire du parc privé et subit un taux d'effort médian net des aides au logement de 33%, en hausse de près de 10 points depuis 1996. Encadrer les loyers est avant tout une protection pour ces ménages modestes, ménages qui, compte tenu de l'engorgement du parc social et du durcissement des conditions d'accès à la propriété, n'ont d'autres choix que de se loger dans le parc locatif privé.
Ce sont les tensions sur le marché du logement (où l'offre et la demande sont rigides) qui ont permis les fortes hausses de loyers observées ces dernières décennies, et ont abouti à des transferts injustifiés entre propriétaires et locataires. Ces transferts pèsent sur le pouvoir d'achat des plus pauvres, sur l'indice des prix, sur la compétitivité.
Une garantie universelle des loyers (GUL) critiquée
Concernant la garantie universelle des loyers – qui n'a d'ailleurs plus d'universel que son nom (le caractère obligatoire de cette garantie ayant été abandonné durant les discussions parlementaires) – l'argument principal utilisé par ses détracteurs est qu'elle créerait des problèmes d'aléa moral trop importants, c'est-à-dire que l'assurance inciterait les personnes couvertes à prendre «trop de risques». En l'espèce, le locataire, assuré de voir ses défauts de paiement pris en charge par le fonds, se soucierait moins de verser ses loyers ; il pourrait porter son choix sur un logement plus cher que ses besoins réels. Le propriétaire serait moins soucieux de la sélection de son locataire.
L'idée du locataire systématiquement «mauvais payeur volontaire» et prêt à dégrader le logement qu'il loue paraît excessive et réductrice. La GUL couvrira surtout des locataires qui ne peuvent plus payer leurs loyers en raison de difficultés financières (chômage, divorce...). Cette garantie est avant tout une protection nouvelle pour le propriétaire. Avant de disparaître au cours des discussions parlementaires, un fonds alimenté des cotisations versées paritairement par les locataires et les propriétaires devait être créé. Il sera dorénavant alimenté exclusivement par l'État et servira, en cas d'impayé de loyer, à rembourser directement le propriétaire. Le fonds examinera ensuite la situation du locataire et procédera soit à un recouvrement forcé, soit à une prise en charge personnalisée en cas d'impossibilité de paiement.
La GUL devrait donc permettre aux propriétaires de louer un logement à des personnes qui se trouvent dans des situations fragiles (travailleurs en contrat précaire, étudiants issus de familles modestes), sans que celles-ci aient à rechercher des cautions. Les propriétaires seraient moins incités à rechercher des locataires sûrs (fonctionnaires, étudiants issus de familles aisées, salariés des grandes entreprises). L'État est pleinement dans son rôle en couvrant un risque social, accru par la crise et la précarisation des emplois.
Quid de la place du logement social ?
Le débat sur le rôle et la place du logement social en France est ancien. Faut-il le réserver aux ménages pauvres et ainsi renoncer aux objectifs de mixité sociale ? Faut-il pour ce faire diminuer les plafonds d'éligibilité alors qu'aujourd'hui plus de 60% de la population peut prétendre à un logement social ? L'offre de logement social est-elle suffisante ?
L'idée selon laquelle l'État, à travers les prêts aidés aux organismes HLM, ne doit prendre en charge que le logement des ménages les plus pauvres, non rentable par nature, et doit laisser à la concurrence (promoteurs et investisseurs privés) le logement des classes populaires et moyennes, est critiquable, notamment en ces temps de crise économique. Il faut au contraire augmenter la part des logements sociaux mais aussi des logements intermédiaires aux loyers «modérés» construits avec financement public pour loger les classes populaires à des loyers raisonnables et faire baisser les tensions dans les zones critiques. La recherche de nouveaux modes de financement du logement social laisse à penser que la pénurie de logements sociaux serait la conséquence d'un manque de fonds disponibles. Or, grâce aux montants déposés sur les livrets A, l'argent ne manque pas. Les freins à la construction de logement se trouvent ailleurs (manque de volonté politique, pénurie de foncier entre autres).
Laisser aux seules municipalités le pouvoir de décision (et d'action) sur les politiques de la ville est une erreur, certains pouvant être incités à préférer céder les terrains disponibles à des promoteurs privés plutôt qu'à des organismes d'HLM, que ce soit pour des raisons financières ou pour choisir d'attirer une population plus aisée, sans problèmes sociaux. Ainsi, la politique du logement nécessite de fortes incitations à la construction de logements sociaux, comme des aides spécifiques aux communes où ils sont implantés, ou des contraintes légales et une imposition spécifique compensatrice pesant sur les communes qui n'ont pas de logement sociaux. La loi ALUR est nécessaire.
Notons que les propositions allant dans ce sens sont difficiles à faire adopter au niveau politique. Ainsi, la mesure visant à offrir aux intercommunalités le pouvoir de décision concernant notamment le plan local d'urbanisme (PLU), disposition présente dans la loi ALUR, a été en grande partie rejetée par le Sénat, avec l'appui de la ministre du Logement de l'époque (un amendement accordant une faible minorité de blocage aux communes lors des modifications de PLU – 25% des communes et 10% des habitants – a été adopté au Sénat).
Repères bibliographiques
LEBAYON S., MADEC P. et RIFFLART C., Quelle régulation du marché locatif privé ? État des lieux et évaluation des dernières mesures gouvernementales», Revue de l'OFCE, n°128, avril 2013.
OLAP, «Évolution en 2012 des loyers d'habitation du secteur locatif privé dans l'agglomération parisienne», mai 2013.