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Quelle réforme fiscale ?

Publié le 02/11/2015
Auteur(s) - Autrice(s) : Henri Sterdyniak
Cet article, écrit par l'économiste Henri Sterdyniak et issu du Repères "L'économie française 2015", aborde la question de la réforme fiscale en France. Mettant en garde contre l'idée d'une "réforme miracle", l'auteur s'interroge sur les marges de manœuvre dont dispose le gouvernement et questionne l'efficacité des mesures "simplificatrices" proposées par le patronat.

Face à de premières manifestations de révolte fiscale, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, avait annoncé, le 19 novembre 2013, qu'il suspendait l'écotaxe et mettait en chantier une grande réforme fiscale. Celle-ci est souvent évoquée dans le débat public, sans que son contenu et ses objectifs soient bien identifiés. Certains préconisent une forte réduction des impôts, qui serait susceptible de dynamiser l'économie française, en incitant les actifs à travailler davantage, les ménages à épargner, les entreprises à investir et à embaucher, en rendant la France plus compétitive. Mais il faudrait diminuer encore plus les dépenses publiques et sociales, alors que le gouvernement s'est déjà engagé à les baisser de 50 milliards d'euros d'ici 2017 pour réduire le déficit public.

Le Medef réclame une baisse de l'ordre de 100 milliards de la fiscalité des entreprises. Ainsi, la charge de la protection sociale (famille et maladie, en particulier) pourrait être transférée des entreprises vers les ménages. Plusieurs projets sont sur la table depuis de longues années. Etendre l'assiette des cotisations famille et maladie à l'ensemble de la valeur ajoutée aiderait les secteurs de main-d'oeuvre, mais au risque de nuire aux secteurs capitalistiques et à l'industrie. Diminuer les cotisations sociales employeurs et augmenter en contrepartie la CSG supposerait une nouvelle hausse des impôts des ménages, avec le risque d'un effondrement de la consommation.

Rendre notre fiscalité plus écologique, en taxant plus l'énergie et moins le travail, est une piste prometteuse. Mais la taxation écologique est obligatoirement compliquée si on veut éviter de (trop) frapper les agriculteurs, l'industrie, les ménages les plus pauvres, les régions périphériques, les rurbains, etc. C'est ce que nous enseignent les échecs de la taxe carbone (en 2009) ou de l'écotaxe (en 2013).

Faute d'une grande réforme du financement de la protection sociale, les exonérations de cotisations employeurs (en particulier sur les bas salaires) sont devenues le levier essentiel de la politique de l'emploi. Ainsi le gouvernement avait-il décidé en 2012 que les entreprises bénéficieront d'un crédit d'impôt (CICE) de 6% de leurs salaires bruts, limités aux salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC. Celui-ci, d'un coût de 20 milliards, serait financé pour 10 milliards par une baisse supplémentaire des dépenses publiques, pour 6,5 milliards par la hausse de la TVA, pour 3,5 milliards par une hausse de la fiscalité écologique. En 2014, il a été décidé que s'y ajouteront 10 milliards au titre du Pacte de responsabilité. Certains économistes et les industriels ont demandé que les réductions de cotisations sociales soient concentrées sur le secteur industriel (ou, au moins, qu'elles portent sur l'ensemble des salaires) de façon à favoriser les secteurs concurrencés, à soutenir la politique de montée en gamme, à aider les entreprises productives et innovantes (qui versent des salaires relativement élevés). Ils n'ont guère été entendus. 4,5 milliards seront utilisés à réduire les cotisations sociales sur les bas salaires (inférieurs à 1,6 SMIC), 4,5 milliards à réduire les cotisations sociales famille de 1,8 point sur les salaires compris entre 1,6 SMIC et 3,5 SMIC (et 1 milliard à réduire les cotisations famille des indépendants). On aboutit ainsi à un système compliqué, où les cotisations sociales seraient progressives pour les rémunérations inférieures à 1 à 1,6 fois le SMIC, proportionnelles ensuite avec un crédit d'impôt pour les rémunérations inférieures à 2,5 fois le SMIC et réduites pour celles inférieures à 3,5 fois le SMIC. Les mesures prises représenteraient une baisse de 3,9% du coût salarial. La France s'engage donc à plein dans la stratégie de dévaluation interne, pour gagner de la compétitivité en réduisant le coût du travail et en pesant sur la demande, stratégie dangereuse à l'échelle de l'Europe. Ces mesures ne s'inscrivent pas dans une réforme cohérente du financement de la protection sociale puisque le gouvernement prétend financer cette baisse des cotisations employeurs par une diminution des dépenses publiques et sociales.

Aux Assises de la fiscalité des entreprises, début 2014, les entreprises ont réclamé une baisse massive du taux de l'IS (de 34,43% à 25%), la suppression de la C3S (un impôt portant sur le chiffre d'affaires des sociétés qui finance la retraite des non-salariés), la suppression des impôts assis sur la masse salariale (versement transport, taxe sur les salaires, taxe d'apprentissage, versement logement) et celles des petites taxes (qui financent des opérateurs publics ou des organisations professionnelles ou qui ont des objectifs comportementaux). Mais il est légitime que les entreprises contribuent aux frais de transport de leurs salariés ; la taxe sur les salaires remplace la TVA pour les secteurs qui n'y sont pas soumis ; la fiscalité comportementale est nécessaire. A la suite de ces assises, le gouvernement a annoncé la suppression progressive, de 2015 à 2017, de la C3S ; la suppression de la surtaxe de l'IS en 2016 et l'objectif de faire passer en 2020 le taux de l'IS à 28%, soit une baisse de 11 milliards de la fiscalité des entreprises d'ici 2017. Ainsi, la France, qui avait jusqu'à présent choisi des baisses d'impôt favorisant l'emploi (l'exonération des cotisations employeurs sur les bas salaires) ou l'innovation (le crédit impôt recherche), s'aligne sur la pratique de nos concurrents : diminuer le taux nominal de l'IS pour participer à la concurrence fiscale.

En ce qui concerne la fiscalité des ménages, un projet miracle a surgi : la fusion de l'IR et de la CSG. Mais ni les modalités ni les objectifs de cette fusion ne sont précisés. Elle se heurte à l'opposition des syndicats qui voient défavorablement la fusion d'un impôt d'État avec la CSG dont le produit est directement affecté à la protection sociale. La réforme irait dans le sens d'une étatisation des branches maladie et famille, avec le risque que les prestations sociales ne deviennent des variables d'ajustement des finances publiques.

La fusion pourrait être l'occasion de remettre en cause les différents dispositifs qui ont entraîné progressivement le rétrécissement de l'assiette de l'IR, en particulier certaines niches fiscales. Mais n'est-ce pas oublier le rôle incitatif de la fiscalité ? De nombreux dispositifs sont légitimes pour des raisons d'équité (comme le quotient familial), d'aide aux travailleurs pauvres (comme la PPE), d'incitation à l'emploi (comme les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires, les exonérations pour la garde des jeunes enfants) ou à des comportements utiles (dons aux oeuvres, monuments historiques, cotisations syndicales). Certes, il reste quelques revenus non taxés comme certains revenus du capital (l'assurance vie, les plans d'épargne en actions), comme les plus-values non réalisées (mais il est difficile d'imposer des gains simplement potentiels) ou comme les loyers implicites (ceux dont bénéficient les personnes qui logent dans un appartement dont ils sont propriétaires), mais qui osera les taxer ? Il s'agit davantage d'un travail patient de démantèlement des niches, d'ailleurs bien engagé depuis quelques années, que d'une grande réforme.

Le législateur devra trancher la question de la familialisation ou de l'individualisation de l'impôt ainsi fusionné. L'État doit-il ou non reconnaître le droit aux individus de mettre en commun leurs revenus et de les partager avec leurs enfants ? Mais mettre en cause le caractère familial de notre fiscalité est-il l'urgence de l'heure ? L'individualisation impliquerait des transferts de charge plus importants, notamment au détriment des familles mono-actives ou des familles des classes moyennes.

Certains proposent de répartir plus équitablement la charge fiscale entre revenus du travail et du capital et d'augmenter la redistributivité de la fiscalité. Mais la France est déjà l'un des pays qui taxent le plus les hauts revenus, les patrimoines importants et les revenus du capital.

Certains souhaitent fusionner tous les dispositifs aidant les plus pauvres (RSA, PPE, allocation logement) dans un impôt négatif géré par l'administration fiscale, en oubliant la nécessité d'un suivi détaillé, personnalisé et en temps réel que permet la gestion par la Caisse d'allocation familiale (CAF).

En 2014, le gouvernement, souhaitant faire un geste pour les familles pauvres en contrepartie du Pacte de responsabilité, a décidé d'introduire une réduction des cotisations salariés pour les bas salaires (jusqu'à 1,3 fois le SMIC). Ce serait un cinquième dispositif pour les bas salaires, une nouvelle complication de la fiche de paie. Les ressources de la protection sociale seraient encore fragilisées. C'est peu justifié puisque les cotisations salariés finance des prestations contributives. Cela ne va pas dans le sens d'une réforme simplificatrice. S'y ajouterait une réduction de l'IR de 350 euros par adulte pour les ménages imposables les plus pauvres (qui bénéficierait à 3 millions de ménages), qui aurait la forme d'une réduction ex post de l'impôt calculé selon le barème. Cette réduction limiterait la hausse de l'IR résultant des mesures prises depuis quatre ans (gel du barème, imposition des suppléments familiaux de retraite et des heures supplémentaires, des cotisations aux complémentaires santé, suppression de la demi-part supplémentaire des veuves). Là aussi, il s'agit d'un rafistolage, qui ne va pas dans le sens d'une réforme cohérente.

Le problème n'est sans doute pas tant la structure de la fiscalité, mais l'erreur de politique économique faite, au niveau de la zone euro, d'ajouter l'austérité budgétaire au choc dépressif induit par la crise financière et, au niveau français, d'augmenter la fiscalité de 3 points de PIB depuis 2011 (soit de 60 milliards d'euros) pour combler un déficit public induit par la récession.

L'urgence de l'heure est sans doute de lutter contre l'évasion fiscale des plus riches et des grandes entreprises, mais cela passe par une harmonisation fiscale européenne, qui n'est pas sans danger si elle oblige la France à s'aligner sur le moins-disant fiscal en matière d'impôt sur la fortune, d'impôt sur les sociétés ou d'impôt sur le revenu.

Le système fiscal français prélève 46% du PIB ; les dépenses publiques primaires représentent 50% du PIB potentiel. En même temps, la France est l'un des rares pays développés où les inégalités de revenus ne se sont pas fortement accrues dans la période récente. Notre niveau de dépenses publiques et sociales constitue un choix de société qu'il faut maintenir ; le système fiscal français est déjà fortement redistributif. Certes, certaines réformes sont nécessaires pour lutter contre l'optimisation fiscale, pour le rendre plus transparent, plus écologique. Cependant, il n'y a pas de réforme miracle : le système actuel, produit d'un long processus de compromis économique et social, est difficile à améliorer.

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