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Quels effets de la baisse du prix du pétrole sur l'économie française ?

Publié le 15/10/2016
Auteur(s) - Autrice(s) : Bruno Découdré
Aurélien Saussay
La baisse spectaculaire du prix du prix du pétrole depuis l'été 2014 est un "choc positif" à court terme pour la croissance des pays importateurs de pétrole, mais elle constitue un frein à la mise en oeuvre de la transition énergétique. Dans cet article issu du Repères "L'économie française 2016", Bruno Découdré et Aurélien Saussay étudient l'impact d'une baisse de 20% du prix du baril de pétrole pendant cinq ans sur l'économie française, au niveau macroéconomique et sectoriel.

Ce chapitre est une synthèse de l'article de Antonin et al., "Pétrole : du carbone pour la croissance", Revue de l'OFCE, n°138, 2015.

La chute du prix du brent entre l'été 2014 et février 2015 et son maintien à un bas niveau au cours des mois suivants sont une bonne nouvelle pour les économies importatrices de pétrole. Dans un contexte de faible croissance, cela se traduit par un transfert de richesse au bénéfice des pays importateurs nets via la balance commerciale, ce qui stimule la croissance et alimente la reprise. Ce soutien s'accompagne d'un risque pour l'environnement, un prix du pétrole plus faible pouvant ralentir la transition énergétique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Un contre-choc d'ampleur comparable à celui de 1985-1986

La baisse du prix du pétrole depuis l'été 2014 est spectaculaire. Fluctuant autour de 110 dollars depuis le début 2011, le prix du brent a chuté pour atteindre 55 dollars le baril en février 2015, soit une baisse de 46% depuis juillet 2014. En euros, la baisse est également significative, avec une baisse de 38%. Ce choc est d'ampleur comparable à celui enregistré entre juillet et décembre 2008 lors de la «grande récession» ou entre novembre 1985 et juillet 1986 au moment du contre-choc pétrolier (graphique 1).

Graphique 1 Prix du baril de pétrole

Pour avoir un impact positif sur les pays consommateurs, la baisse doit être durable. Un choc ponctuel, suivi d'un retour au prix qui prévalait antérieurement, n'aurait que des effets transitoires sur la trajectoire de croissance des économies consommatrices. Au vu des déterminants traditionnels du prix sur le marché et du comportement des différents acteurs, le niveau des cours atteint début 2015 semble correspondre à un nouvel équilibre, offrant la perspective de coûts d'approvisionnement en énergie durablement plus bas.

Les mécanismes de transmission à l'économie

La baisse du prix du pétrole entraîne un transfert de richesse des pays exportateurs nets de pétrole vers les pays importateurs nets de pétrole, et globalement, une augmentation de la croissance mondiale, le surcroît de croissance engendré par la baisse des prix dans les pays importateurs nets étant supérieur à l'impact récessif dans les pays exportateurs nets. Elle se transmet aux ménages via la baisse du prix des produits pétroliers entrant dans le panier de biens consommés (5% du panier en France), ce qui permet d'accroître le pouvoir d'achat du revenu disponible des ménages et d'encourager des dépenses supplémentaires.

Les entreprises bénéficient, d'une baisse du prix de leurs consommations intermédiaires, et donc des coûts de production. Selon le degré de concurrence sur les marchés, cela conduit à une baisse des prix de vente ou une augmentation du taux de marge. La reconstitution des marges des entreprises peut modérer l'impact désinflationniste. Mais les effets sur le prix de consommation freinent les salaires, ce qui pèse ensuite sur les hausses de prix de valeur ajoutée via la dynamique de la boucle prix-salaire.

À cet effet direct de la baisse du prix du pétrole s'ajoute l'effet indirect via les exportations. Le choc étant symétrique, toutes les économies importatrices voient leur croissance s'accélérer selon les mêmes mécanismes. Ce surcroît de croissance donne lieu à des besoins en importations accrus, et donc une demande étrangère adressée au pays plus élevée. Les exportations vont augmenter et amplifier le mouvement positif de soutien à la demande interne.

Pour les pays exportateurs, la situation est inverse et l'impact du choc pétrolier est clairement négatif. La baisse du prix de vente sur les marchés mondiaux entraîne une dégradation du rendement de l'industrie pétrolière, de moindres rentrées de devises et une baisse des recettes fiscales. Le choc peut conduire à un brutal ralentissement de l'activité économique éventuellement accentué par une rigueur budgétaire. Il s'ensuit une baisse de la demande et des importations des pays exportateurs de pétrole en provenance du reste du monde. Cette moindre demande adressée des pays exportateurs de pétrole n'est cependant pas suffisante pour neutraliser l'impact positif sur la croissance des économies importatrices.

In fine, à court terme, une baisse des prix du pétrole est donc doublement positive pour l'économie française. Elle stimule simultanément la demande intérieure et la demande extérieure. Cette hausse de la demande finale crée un cercle vertueux de hausse de la production, de l'investissement et de l'emploi. Cette dynamique peut aussi être renforcée par un éventuel assouplissement de la politique monétaire puisque les pressions inflationnistes diminuent à court terme.

Quel impact sur l'économie française ?

À l'aide du modèle e-mod.fr – modèle macroéconométrique de l'OFCE pour l'économie française –, nous étudions l'impact d'une baisse de 20% du prix du baril de pétrole, qui passe de 100 à 80 dollars, pendant cinq ans. Les simulations sont réalisées à politiques monétaire et budgétaire inchangées. Nous avons intégré la hausse de la demande mondiale adressée à la France en calculant l'impact attendu de la baisse du prix du pétrole sur les économies partenaires de la France et son impact sur sa demande adressée.

Une baisse durable du prix du pétrole de 20 dollars entraîne une hausse du PIB de 0,2 point la première année (tableau 1). L'effet maximum est atteint au bout de deux ans. Très rapidement la baisse du prix du pétrole se transmet aux prix à la consommation qui baissent en moyenne de 1,2 point la première année.

Tableau 1 Impact d'une baisse de 20 dollars du prix du pétrole à partir du modèle e-mod.fr

Dans les entreprises, la baisse du prix du pétrole se traduit par une baisse du prix des consommations intermédiaires, qui favorise une baisse des prix de vente, atténuée toutefois par une augmentation des marges. Cela renforce la baisse des prix à la consommation (–1,5 point deux ans après le choc). Les salaires nominaux ne s'ajustant qu'imparfaitement au prix de consommation, le salaire réel net augmente. Le pouvoir d'achat des ménages s'en trouve amélioré, ce qui stimule la consommation et par conséquent l'investissement, l'activité et l'emploi. À l'horizon de deux ans, ce sont 36 000 emplois qui sont créés. Enfin, la baisse du chômage favorise une baisse du taux d'épargne qui stimule la consommation.

La hausse de la demande mondiale adressée à la France accentue les effets positifs de la baisse du prix du pétrole. Cet effet indirect augmenterait de près de 20% environ la réaction de l'activité pendant les deux premières années. La stimulation des exportations contribue au rebond de l'investissement. En revanche, le dynamisme de la demande intérieure se traduit par une hausse plus rapide des importations, et le solde du commerce extérieur contribue négativement à la croissance les trois premières années.

Ces simulations ont été reprises pour mesurer l'impact cumulé des variations des prix du pétrole sur l'économie française [Heyer et Sampognaro, 2015]. La chute des prix du pétrole constitue un soutien majeur à la croissance du PIB en 2015 : elle devrait y participer à hauteur de 0,5 point de pourcentage. En 2016, la remontée attendue des prix fait que l'impact serait plus faible (0,1 point) et tiendrait à la diffusion de la baisse passée. L'impact est essentiellement lié aux effets directs sur l'économie nationale.

Les principaux secteurs bénéficiaires

Les effets sectoriels attendus sont étudiés à l'aide du modèle macroéconomique ThreeME (tableaux 2 et 3). L'économie française y est décomposée en 20 secteurs d'activité et 17 sous-secteurs énergétiques. Dans le cadre d'un scénario de baisse de prix du pétrole, cette approche multisectorielle fait apparaître des transferts d'activité d'un secteur à l'autre, en particulier en fonction de leur intensité et de leur mix énergétiques.

ThreeME adjoint à une modélisation macroéconomique de l'économie française une représentation explicite des flux énergétiques, ainsi que des parcs de véhicules privés et de bâtiments. Cela permet d'évaluer l'impact de la baisse du prix du pétrole sur la transition énergétique, principalement au travers de l'évolution des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Tableau 3 Impacts sectoriels d'une baisse de 20 dollars du prix du pétrole, en écart au compte central

Les résultats macroéconomiques obtenus (tableau 2) pour une baisse durable du prix du pétrole de 20 dollars sont comparables à ceux du modèle e-mod.fr hors effet via la demande adressée. L'impact est de 0,31 point de PIB dès la deuxième année, et augmente à 0,37 point de PIB si la baisse est maintenue cinq années consécutives. Ce regain de croissance a cependant un impact environnemental négatif : une réduction du prix de baril cinq années durant conduirait à un surcroît d'émissions de 2,94 MtCO2, soit près de 1% du total émis par la France en 2013.

Les secteurs grands consommateurs de pétrole sont les principaux bénéficiaires : la chimie organique, le transport routier de marchandises, l'industrie agro-alimentaire et le transport aérien connaissent les plus fortes progressions en production (tableau 3). Pour ces secteurs, la baisse du prix du pétrole permet une restauration plus rapide des marges. À l'inverse, le secteur des services marchands, qui bénéficie du regain de pouvoir d'achat des ménages, mais est très peu consommateur de produits pétroliers, voit sa production augmenter sans pour autant améliorer ses marges.

Le secteur du transport ferroviaire est impacté négativement : la chute du prix de l'essence réduit le coût du transport par route, ce qui rend l'alternative ferroviaire moins attractive. Cela confirme l'observation faite au niveau macroéconomique sur les émissions de GES : la baisse des prix du pétrole constitue un frein à la transition énergétique, en réduisant le coût d'utilisation de biens et de services plus riches en intrants pétroliers.

Conclusion

La baisse récente et importante du prix du pétrole aura un effet positif à court terme sur l'économie française. Elle se traduira par une hausse de la consommation des ménages et de l'investissement des entreprises. Les simulations sectorielles indiquent que les principaux bénéficiaires seront les secteurs grands consommateurs de pétrole. Ce regain de croissance se traduira toutefois par une augmentation de 1% des émissions de GES en France et ralentira la réalisation de la transition énergétique.

Repères bibliographiques

ANTONIN C. et al., "Pétrole : du carbone pour la croissance", Revue de l'OFCE, n°138, 2015.

CONSEIL D'ANALYSE ÉCONOMIQUE, Les effets d'un prix du pétrole élevé et volatil, Rapport n°93, septembre 2010.

HEYER É. et SAMPOGNARO R., "L'impact des chocs économiques sur la croissance dans les pays développés depuis 2011", Revue de l'OFCE, n°138, 2015.

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