Réforme fiscale 2007 : un pas de côté
Henri Sterdyniak
Les mesures annoncées par le gouvernement en septembre 2005 ne constituent pas la grande réforme fiscale attendue ; toutefois, elles modifient plusieurs aspects importants du système français. Permettent-elles d'atteindre les objectifs annoncés : un système plus juste, plus simple, plus incitatif à l'emploi ? L'équité a-t-elle été sacrifiée aux nécessités de l'attractivité ? Qui sont les gagnants de la réforme ?
Les réductions d'impôt représentent 5 milliards d'euros en 2007 (soit 0,3 % du PIB) : 3,5 milliards pour la baisse de l'impôt sur le revenu (IR), 1 milliard pour la revalorisation de la Prime pour l'emploi et 0,4 milliard pour le bouclier fiscal. Or le déficit public a atteint 3,4 % du PIB (hors soulte IEG) en 2005. L'objectif de déficit pour 2007 est de 2,6 % du PIB. Compte tenu des réductions d'impôt, cela suppose un effort de plus de 1 point de PIB en deux ans. Il faudra faire un choix politique non encore explicité : quelles dépenses publiques réduire ou quels prélèvements augmenter pour compenser cette baisse des impôts ?
La France dépense ainsi 4 milliards au profit des ménages ayant les revenus les plus élevés, qui risquent d'en épargner une grande partie. Une hausse des plus bas revenus (le RMI ou les prestations sociales) aurait été plus efficace pour relancer la consommation. Mais le diagnostic du gouvernement est que la France souffre avant tout d'une crise d'offre, du manque de motivation au travail des plus qualifiés, de la fuite à l'étranger des entreprises, des salariés les mieux payés et des contribuables les plus riches.
L'impôt sur le revenu est le seul qui tienne compte de la situation d'ensemble du contribuable, donc de sa capacité contributive. C'est pratiquement le seul impôt progressif, donc le plus important en matière de redistribution. Sa diminution aboutit à une baisse de la qualité et de la progressivité de l'impôt, puisqu'elle doit être compensée par la hausse de prélèvements moins précis (comme la taxe d'habitation) ou proportionnels (comme la CSG). Aussi, une grande réforme fiscale devrait obligatoirement intégrer l'IR, la CSG, l'ISF et la taxe d'habitation pour aboutir à un système plus cohérent et plus progressif. En la matière, les retouches peuvent être contre-productives.
Un nouvel impôt sur le revenu ?
L'IR a déjà un poids relativement faible en France (3,2 % du PIB contre 4,0 % pour la CSG et 10 % dans la moyenne de l'UE). Il est très concentré sur les ménages ayant les revenus les plus élevés (tableau 1).
Sa baisse d'environ 6 % annoncée pour 2007, s'inscrit dans le programme de Jacques Chirac de baisser cet impôt de 33 % pendant son quinquennat. De 2001 à 2007, la baisse du poids de l'IR dans le revenu des ménages devrait atteindre 13 % ; 16,5 %, PPE incluse.
TABLEAU 1. REPARTITION DE L'IMPOT SUR LE REVENU
Sources : MINEFI, calculs OFCE.
L'intégration de l'abattement de 20 %
L'un des objectifs de la réforme est d'améliorer l'attractivité de la France en réduisant le taux d'imposition le plus élevé, celui qui s'applique aux cadres des entreprises multinationales, qui hésitent entre plusieurs pays d'implantation. Pour cela, la réforme intègre dans le barème l'abattement de 20 %, qui récompensait les revenus déclarés par des tiers, donc moins susceptibles de fraude fiscale, mais qui ne bénéficiait pas à la partie des revenus d'activité supérieurs à 10 000 euros par mois. Cela permet de réduire de 20 % le niveau affiché des taux d'imposition. Pour en réduire le coût, le gouvernement a décidé des mesures correctrices pour les revenus fonciers (suppression de leur abattement de 14 %) et pour les dividendes (leur abattement passera de 50 % à 40 %) ; le revenu imposable des non-salariés non adhérents à un Centre de gestion agréé (CGA) sera 1,25 fois leur revenu déclaré. Ainsi, les seuls gagnants à l'intégration seront les bénéficiaires de revenus d'activité (salariés ou non-salariés adhérents à un CGA) supérieurs à 10 000 euros par mois. Le taux d'imposition marginal supérieur, y compris CSG et cotisations employeurs maladie et famille, reste cependant plus élevé en France (55,3 %) qu'au Royaume-Uni (47,7 %) et qu'en Allemagne (42 %).
Le barème comporte quatre tranches imposables au lieu de six et incorpore désormais l'abattement de 20 %. Les taux marginaux ont été modifiés (tableau 3) : la tranche de 19,14 % aurait dû devenir une tranche à 15,34 % ; elle passe à 14 %, ce qui réduit l'impôt des contribuables moyens ; la tranche de 48,09 % passe à 40 % (et non à 38,47 %), ce qui réduit le gain à la réforme pour les contribuables du haut de l'échelle. L'élargissement de la tranche à 14 % bénéficie aux revenus moyens inférieurs, dont le taux marginal passe de 22,6 % à 14 %. Surtout, la tranche à 30 % est nettement élargie, ce qui pénalise certains contribuables et en favorise d'autres.
Au total, les gains sont répartis de façon aléatoire sur l'échelle des revenus. Les célibataires d'un revenu imposable inférieur à 10 846 euros ne gagnent rien ; le gain maximal (en % de l'impôt) est atteint pour un revenu imposable de 24 432 euros ; le gain est très faible entre 30 914 et 50 301 euros de revenu imposable. Il augmente ensuite pour atteindre 854 euros pour un revenu imposable de 65 559 euros. Il baisse au-delà, s'annule pratiquement à 120 022 euros, puis augmente fortement au-delà : il atteint, par exemple, 4 867 euros pour un revenu imposable de 180 033 euros. La réforme bénéficie à trois catégories de salariés célibataires : ceux qui ont des revenus mensuels nets de 2 000 à 2 400 euros, ceux qui ont des revenus de 4 500 à 7 500 euros et ceux qui ont de revenus supérieurs à 12 000 euros.
TABLEAU 2. L'IMPACT DE LA REFORME (cas du salariés célibataire)
* Barème de 2006 ; revenu hors abattement de 20 %, après abattement pour frais professionnel.
Source : Calculs des auteurs.
Dans le cas de couples bi-actifs avec deux enfants, les gains sont importants pour ceux dont le salaire moyen des deux membres du couple est de l'ordre de 3 000 à 3 600 euros par mois, puis de nouveau, pour des salaires moyens de 4 500 à 7 500 euros ou nettement supérieurs à 12 000 euros. La simplification du barème se paie d'une faible lisibilité des réductions d'impôt. La réforme bénéficie à certains contribuables des classes moyennes, mais à des niveaux différents selon la composition familiale. Par contre, elle bénéficie fortement aux cadres les mieux payés, que l'on veut retenir ou faire revenir : la hausse de revenu disponible atteint 5 % pour un cadre avec un conjoint inactif et 2 enfants qui gagne 21 000 euros par mois.
Le bouclier fiscal
L'intense campagne contre l'ISF a abouti à la création d'un bouclier fiscal : le total des impôts d'un contribuable (IR, ISF, impôts locaux, mais en oubliant la CSG) ne pourra être supérieur à 60 % de ses revenus. Cette mesure s'ajoute au plafonnement spécifique de l'ISF : le total de l'IR, de la CSG, des prélèvements sociaux et de l'ISF ne peut dépasser 85 % du revenu. Qui trouverait normal que le fisc prélève plus de 60 % des revenus d'un ménage ? La mesure semble de justice.
Le bouclier bénéficiera principalement à deux catégories de ménages : premièrement ceux qui possèdent leur logement principal et ont peu de revenu déclaré. On met en avant des cas comme celui d'un retraité, dont la pension n'est que de 20 000 euros par an. Il possède et occupe un logement évalué à 1,5 million (soit une valeur locative de 75 000 euros). Il paye la taxe d'habitation (5 000 euros), la taxe foncière (5 000 euros), l'IR (3 000 euros) et un ISF de 2 600 euros. Le total de ses impôts directs atteint 73 % de ses revenus. En fait, il bénéficie aussi du loyer de son appartement. Son vrai revenu, loyer imputé compris, est de 95 000 euros et son taux d'imposition sur son revenu ainsi mesuré à 16,4 %. Il est peu justifié de lui faire un rabais si on compare sa situation à celle d'un actif de revenu comparable.
Mais la mesure profite essentiellement à des personnes qui possèdent un important portefeuille de titres, sans déclarer de revenu. Considérons une personne qui possède un portefeuille de 30 millions d'euros, lui rapportant 1 % sous forme de dividendes et 5 % sous forme de plus-values. Elle déclare un revenu de 0,3 million d'euros. Elle bénéficie du plafonnement de l'ISF (le total des prélèvements ne pouvant dépasser 85 % de son revenu) réduit par le plafonnement du plafonnement de l'ISF (qui ne peut dépasser 113 560 euros). Elle doit donc payer 0,354 million d'ISF et, au total, 0,446 million de prélèvements, soit 149 % de son revenu déclaré, mais 24,8 % de son vrai revenu si l'on intègre les plus-values latentes. Le bouclier fiscal ramènera le total de ses prélèvements (hors prélèvements sociaux) à 180 000 euros (soit 213 000 y compris les prélèvements sociaux) ; un gain de 233 000 euros. Son impôt total ne sera plus que de 11,8 % de son vrai revenu, ce qui crée une forte disparité avec un actif de revenu comparable ou avec une personne de même patrimoine, qui toucherait tous ses revenus sous forme de dividendes : celle-ci paierait 1,06 million d'euros d'impôt, soit 59 % de son revenu.
La réforme de l'ISF ne passe pas par un plafonnement sur le revenu déclaré, puisque les bénéficiaires en sont les ménages qu'il est légitime de taxer par l'ISF : ceux qui ont beaucoup de patrimoine et déclarent peu de revenu. Elle nécessite que soit pris en compte un vrai revenu qui incorporerait les loyers imputés (par exemple, 5 % de la valeur des résidences) et la vraie rentabilité des actions (par exemple, 6 % du patrimoine boursier). Le total de l'ISF et des impôts sur le revenu, y compris CSG, pourrait être plafonné à 55 % du revenu ainsi calculé. Ce qui permettrait de tordre le cou à l'idée que leur cumul est confiscatoire et aurait un effet d'affichage favorable.
Selon le gouvernement, le bouclier fiscal coûterait 400 millions. Il va permettre à des propriétaires de patrimoines importants, qui déjà paient peu d'IR, de plafonner leurs montants d'ISF. Il encourage ainsi l'évasion fiscale. En même temps, le gouvernement français introduit un abattement de 75 % pour l'ISF de la valeur des actions des entreprises détenues dans le cadre d'un pacte d'actionnaire ou par des anciens dirigeants ou salariés. Il exonère de la taxation des plus-values mobilières les actions après 8 ans de détention de ces valeurs, ce qui bénéficiera surtout aux cadres supérieurs et aux propriétaires d'entreprise.
Mais le gouvernement estime qu'il fallait offrir aux ménages les plus riches une possibilité de réduire leurs impôts sur le patrimoine. En 2004, la Cour de justice des Communautés européennes a obligé la France à supprimer l'exit tax, c'est-à-dire l'obligation pour un résident français qui s'établissait à l'étranger de payer immédiatement l'impôt sur ses plus-values latentes. Cette mesure augmente fortement le gain à l'exil pour les chefs d'entreprise qui peuvent vendre leur entreprise en résidant à l'étranger, sans payer d'impôt sur les plus-values, ni par la suite d'ISF. L'Europe, ou plutôt le manque d'Europe fiscale, nous impose une fiscalité moins redistributive.
Les niches fiscales
Le système français comporte un grand nombre de dépenses fiscales. Elles fournissent des avantages à certaines parties de la population sans que cela se traduise par une hausse des dépenses publiques et du taux de prélèvement obligatoire. Mais leur accumulation incontrôlée, généralement au profit des plus riches, aboutit à réduire la progressivité de l'impôt et priver le barème de toute signification. Il faudrait s'interdire d'en créer de nouvelles et mettre les plus contestables en extinction .
La réforme de 2005 se bornait à plafonner le montant du cumul de certaines réductions d'impôt : emplois à domicile, frais de garde, investissements de défiscalisation. Le plafond était élevé : 8 000 euros par foyer fiscal, majoré de 1 000 euros par enfant à charge, soit 10 000 euros pour une famille avec deux enfants. Le plafond n'avait pas d'effet rétroactif. Aussi ne devait-il rapporter que 100 millions d'euros en 2007. Le dispositif a été censuré par le Conseil constitutionnel, qui a estimé que le plafonnement était trop compliqué pour le contribuable. Un nouveau dispositif devra être imaginé en 2006.
Il pleut toujours où c'est mouillé...
Le modèle de microsimulation MiSME socio-fiscal permet d'évaluer précisément la répartition des gains de la réforme, en calculant la variation d'impôt induite pour un échantillon représentatif de la population française. Toutefois, le modèle n'intègre pas le bouclier fiscal (dont le gain, 400 millions d'euros, profite surtout aux ménages les plus aisés).
Le graphique 1 représente la distribution des gains à la réforme par vingtile de revenu de quotient familial, c'est-à-dire de revenu divisé par le nombre de parts fiscales. Les quatre premiers vingtiles, soit 20 % des foyers fiscaux imposables, ne gagnent rien à la réforme de l'IR. C'est à partir du 7e vingtile (12 000 euros de revenu imposable) que la réforme se fait réellement sentir ; dernier vingtile mis à part, le gain d'impôt est au minimum de 5 %. Les grands gagnants sont les foyers fiscaux qui font partie des vingtiles 16 à 18, avec un pic à 18 % de gain pour le 17e vingtile. Ils profitent à plein de la forte baisse des taux sur la tranche à 14 %. A contrario, le 19e vingtile présente des gains limités (de l'ordre de 3 %) : c'est l'effet de l'élargissement de la tranche à 30 % vers le bas qui défavorise les contribuables qui étaient imposés marginalement à 22,6 %. Le dernier vingtile regroupe des situations très diverses. S'y trouvent les foyers qui profitent de l'élargissement de la tranche à 30 % vers le haut, ceux qui subissent la hausse du taux de la dernière tranche et ceux qui profitent de l'intégration de l'abattement de 20 %. Celle-ci, qui ne bénéficie qu'à une infime partie des foyers imposables (de l'ordre de 0,3 %), absorbe plus d'un cinquième du coût de la réforme de l'IR. Au total, près de 70 % des 3,6 milliards de baisse d'impôt sont restitués aux 20 % des foyers imposables de plus haut revenu.
GRAPHIQUE 1. GAINS MOYENS D'IMPOT SUR LE REVENU PAR VINGTILE DE REVENU PAR QUOTIENT FAMILIAL
(en euros pour échelle de gauche, en % pour l'échelle de droite)
Champ : foyers fiscaux imposables
Source : MiSME socio-fiscal (OFCE).
L'analyse s'est jusqu'à maintenant limitée à l'IR, mais la réforme comporte aussi une hausse de la PPE ; 22 euros par mois au niveau du demi-SMIC ; 30 au niveau du SMIC. Pour analyser l'ensemble de la réforme, nous raisonnerons maintenant sur les ménages et non plus sur les foyers fiscaux . Le graphique 2 présente la distribution des gains de PPE (version 2007) et d'IR par vingtile de niveau de vie . Les gains de PPE, répartis de manière diffuse, profitent principalement aux cinq premiers déciles. A contrario, les gains d'IR sont fortement concentrés sur les deux derniers déciles. Au total, le gain relatif de revenu disponible oscille entre 0,4 % et 0,5 % pour les 75 % des ménages les plus pauvres et entre 0,6 % et 0,9 % pour les 25 % des ménages aux revenus les plus élevés. Il est donc relativement modeste quel que soit le niveau de revenu ; toutefois, la hausse de revenu en pourcentage est 2 fois plus forte pour le dernier vingtile que pour le premier et 36 fois plus forte en euros.
GRAPHIQUE 2. GAINS MOYENS PAR VINGTILE DE NIVEAU DE VIE
(en euros pour échelle de gauche, en % pour l'échelle de droite)
Source : MiSME socio-fiscal (OFCE).
Si on classe les ménages en quatre catégories, les précaires (les 10 % les plus pauvres) ne reçoivent que 2 % du gain, puisque les minima sociaux ne sont pas revalorisés. Les classes populaires (50 % de la population) en ont 20 % ; les classes moyennes (30 % de la population) en ont 38 % ; les couches supérieures (10 % de la population) en ont 40 %, dont 31 % pour les 5 % de ménages de plus hauts revenus (tableau 1). Certes, la répartition du gain est plus égalitaire que celle de l'impôt sur le revenu ; la réforme est plus équitable qu'une baisse uniforme de l'impôt en pourcentage ; elle n'en creuse pas moins les inégalités de revenu. La réforme profite à une partie des classes moyennes, mais surtout aux dirigeants d'entreprises, à certains cadres supérieurs et à certains possesseurs d'importants patrimoines financiers.
Pour aller plus loin :
Christian Saint Étienne et Jacques Le Cacheux : Croissance équitable et concurrence fiscale, Le rapport du CAE N°56 (2005).
Philippe Le Clézio «Prélèvements obligatoires : compréhension, efficacité économique et justice sociale», Un rapport du CES 2005.