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Pierre Rosanvallon : De l'égalité des chances à la société des égaux

Publié le 29/09/2013
Auteur(s) - Autrice(s) : Pierre Rosanvallon
Anne Châteauneuf-Malclès
Compte rendu de la conférence de Pierre Rosanvallon sur le thème de l'égalité des chances, lors du colloque "Inégalités et justice sociale" organisé à Bordeaux en 2013. Pierre Rosanvallon a d'abord développé une analyse historique et critique des notions de mérite et d'égalité des chances, puis il a précisé comment l'idée d'égalité pourrait être redéfinie de nos jours afin de construire une "société des égaux".

L'historien Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France et directeur d'études à l'EHESS, a donné une conférence publique intitulée "De l'égalité des chances à la société des égaux" lors du colloque "Inégalités et justice sociale" organisé à l'Université Bordeaux Ségalen du 30 mai au 1er juin 2013.

Pierre Rosanvallon occupe depuis 2001 la chaire d'histoire moderne et contemporaine du politique au Collège de France. Il est par ailleurs le fondateur du groupe de réflexion La République des Idées (qui publie des essais sur des questions centrales d'actualité en partenariat avec les éditions du Seuil) et le directeur de La vie des Idées. En 2009, nous avions publié un dossier autour des travaux de Pierre Rosanvallon sur les transformations du régime et des institutions démocratiques : Pierre Rosanvallon : "Réinventer la démocratie". P. Rosanvallon poursuit ici sa réflexion sur les mutations contemporaines de la démocratie en s'intéressant cette fois à la "crise de l'égalité".

La société des égaux

Dans son dernier ouvrage La société des égaux (Seuil, coll. "Les livres du nouveau monde", 2011, voir la présentation de l'éditeur), Pierre Rosanvallon part du constat suivant : quasiment tous les pays développés connaissent une croissance des inégalités, marquant une inversion de la tendance séculaire de réduction de celles-ci au cours du XXe siècle. Conjointement, malgré la montée du sentiment de vivre dans une société injuste et une condamnation quasi-unanime des inégalités, on constate la diffusion d'un certain consentement aux inégalités économiques et l'absence de réelle volonté de les corriger. Les inégalités de fait sont décriées en général, mais elles sont considérées comme légitimes dès lors qu'elles semblent refléter des différences de mérite individuel. Cette "crise de l'égalité" sape les bases de notre démocratie en la privant d'une valeur commune à portée universelle au même titre que la liberté. Ce qui guette alors nos sociétés est, comme lors de la "première crise de l'égalité" au XIXe siècle, la montée du nationalisme, du protectionnisme et de la xénophobie en réponse aux problèmes sociaux. Pour refonder l'idée d'égalité dans les sociétés actuelles, et apporter une réponse efficace à la croissance actuelle des inégalités, Pierre Rosanvallon propose de dépasser les théories de la justice, centrées sur le problème de l'égalité des chances, pour s'appuyer sur une philosophie de l'égalité comme relation sociale.

Recension de La société des égaux de Pierre Rosanvallon dans la revue Sociologie.

Compte rendu de la conférence de Pierre Rosanvallon

Dans cette conférence, Pierre Rosanvallon a d'abord développé une analyse historique et critique de la notion l'égalité des chances, puis il a précisé comment l'idée d'égalité pourrait être redéfinie de nos jours afin de construire une "société des égaux".

Réflexions générales sur le mérite et l'égalité des chances

La notion de mérite

L'idée d'égalité des chances repose sur la notion de mérite qui n'est pas facile à définir et à caractériser, mais qui s'est imposée dans les sociétés occidentales contemporaines. Premièrement, l'origine historique de la notion de mérite est équivoque : elle s'est développée sur une base théologique pour imposer la vision catholique du salut (par le mérite des œuvres) et critiquer la notion protestante de grâce divine (salut par la seule foi). Le mérite s'est donc d'abord défini négativement, comme une critique de la grâce. Deuxièmement, au moment de la Révolution française, le terme de mérite réunissait deux idées différentes, l'idée de talent (variable de nature) et l'idée de vertu ou d'effort (variable de comportement), ce qui a eu pour effet de produire une confusion sur ces deux termes et sur leur ligne de partage. La notion de mérite repose ainsi sur une conceptualisation insuffisante des éléments qui la constitue. Troisièmement, malgré son indétermination, la référence au mérite peut être un "confort" pour les individus (croire que le mérite est justement récompensé est "psychologiquement fonctionnel" selon Marie Duru-Bellat), et une nécessité pour la société, afin de justifier et de légitimer les inégalités de position (c'est une "fiction nécessaire" selon François Dubet) [1].

Le modèle français historique de l'égalité des chances

Comment cette notion de mérite a-t-elle été mise en œuvre dans la société française ?
En France, l'idéal méritocratique a été interprété dès l'origine de manière très restrictive comme une "méritocratie de sommet". Tous les grands théoriciens de l'éducation du XVIIIème siècle (La Chalotais auteur d'un Essai d'éducation nationale, 1763, Diderot sur l'université, Condorcet) souhaitaient concilier redéfinition des élites et maintien d'une organisation stable de la société, où chacun restait à sa place. Ils ont posé les bases du dualisme républicain séparant l'éducation au service de la reproduction sociale (l'éducation ordinaire) et l'éducation au service du gouvernement (l'éducation de l'élite) [2]. Ainsi, les Républicains de la période révolutionnaire ont cherché à élargir le recrutement des élites en mettant en place des procédés pour détecter les talents ou les "génies cachés" parmi l'ensemble de la population. L'égalité des chances a été identifiée à la possibilité pour les meilleurs (les "élèves nationaux") d'accéder au sommet, c'est-à-dire aux Grandes Ecoles, quel que soit leur milieu d'origine, et non à la possibilité de promotion sociale générale grâce à une instruction identique pour tous.

Cette vision dualiste sera dominante en France au XVIIIème siècle et ne connaîtra que deux critiques, celles des philosophes D'Holbac et Rousseau, pour qui les individus devaient être récompensés en fonction de leur utilité sociale (à proportion des avantages procurés aux autres ou des services réels rendus à l'Etat) et non de leur mérite personnel. Néanmoins, l'idée de mérite comme principe de classement sera partagée par la majorité et sera une grande idée républicaine. Ce modèle de méritocratie s'est imposé sous la restauration et la monarchie de juillet, Guizot l'a qualifié à l'époque d'«aristocratie mobile de l'égalité». De nos jours on parle d'«élitisme républicain» (Baudelot et Establet [3]). A la fin du XIXème siècle, Henri Marion et Courcelle-Seneuil seront les seuls à critiquer un système éducatif très hiérarchisé et créateur de nouvelles formes de privilèges. Marion parlera de la "rage de classement" du système français et Courcelle-Seneuil dénoncera la recréation d'un système de caste [4].

Les paradoxes de l'égalité radicale des chances

En France, les saint-simoniens ont été les premiers à théoriser la méritocratie et à développer l'idée d'égalité des chances ; elle supposait selon eux la suppression de l'héritage et une scolarité égale pour tous. Pour pouvoir vraiment égaliser les individus dans une société et supprimer tous les privilèges de naissance, il fallait désocialiser les enfants en les soustrayant à leur famille et les élever dans les institutions uniquement selon leurs "capacités naturelles". Sous la Révolution, un rapport sur l'éducation publique (1794) préconisait de former tous les enfants dans des "maisons de l'égalité" entre 5 et 12 ans, chacun y recevant exactement la même éducation dans des conditions matérielles strictement identiques (uniforme, même nourriture, même instruction...). La famille était considérée comme la principale source d'inégalité des chances et de reproduction sociale.

La suppression de l'héritage va connaître de multiples interprétations pendant la période révolutionnaire et au début du XIXème siècle. Pour lutter contre les effets de l'héritage, le philosophe anglais Thomas Paine avait proposé dans Agrarian Justice (1797) que chaque citoyen soit doté d'un même capital pour entrer dans la vie et que cette somme soit financée par une taxe sur les propriétés héritées. Ce prélèvement sur la rente devait aussi servir à financer les retraites des anciens travailleurs. Le débat sur l'héritage fut très présent pendant la Révolution française et beaucoup de propositions du même type furent faites en France. Par la suite, la suppression de l'héritage fut un élément clé de la pensée socialiste, et même des penseurs libéraux comme John Stuart Mill [5] étaient partisans d'une limitation de l'héritage.
Néanmoins, cette conception d'une égalité totale des chances a un caractère paradoxal : d'une part, l'égalité des chances est le résultat d'une société désocialisée et radicalement individualiste, d'autre part elle conduit à une société très hiérarchisée sur la base des inégalités "naturelles" des hommes. En effet, les inégalités existantes, même les plus extrêmes, ne seront plus contestables dès lors qu'elles sont l'unique produit du mérite individuel. C'est sur cette base que J.S. Mill a critiqué l'utopie d'égalité radicale des chances des saint-simoniens ; il estimait qu'elle risquait de mener à une société insupportable où toutes les inégalités entre les hommes seraient parfaitement admissibles et légitimes et où personne ne pourrait justifier sa situation défavorisée par un fait social. Cette critique sera reprise au XXème siècle par le philosophe britannique Michael Young [6] pour qui un système purement méritocratique conduirait à une société très hiérarchisée, dominée par une aristocratie du talent, et où chacun serait enfermé dans son destin. Une société gouvernée par la méritocratie aboutit donc paradoxalement à une consécration de l'inégalité en fonction des capacités (individualisme radical) et à l'acceptation d'inégalités très fortes au sein de la population (intériorisation des hiérarchies).

L'autre paradoxe, cette fois logique, de l'égalité des chances est la nécessité d'une égalité permanente des chances, mais cela reviendrait à la dissolution de la notion d'égalité des chances car l'idée d'égalité permanente remettrait en cause chaque différence qui apparaîtrait.

Enfin, il existe un paradoxe psychologique et moral dans l'idée d'égalité radicale des chances (voir les discussions autour des travaux des philosophes Ronald Dworkin et Gerald Cohen). En effet, elle suppose de différencier clairement ce qui relève des choix des individus et ce qui relève des circonstances, puisque seules les inégalités découlant des préférences personnelles sont acceptables, les inégalités résultant des circonstances et du hasard devant être compensées. La responsabilité individuelle devient l'élément clé de distinction entre différences admissibles (entièrement attribuables à l'individu) et différences non admissibles (dues aux situations). Mais cette conception de la justice amène à centrer toute la discussion sociale sur la ligne de partage entre choix et circonstances et sur la possibilité d'une manipulation de cette frontière par les individus. Tout comportement peut être soupçonné d'être de la décision des personnes et non plus des circonstances et cette suspicion généralisée érode alors la solidarité et la confiance Or nos sociétés sont justement fondées sur la socialisation de la responsabilité (Etat providence) : ce sont les situations objectives et non les comportements qui déterminent la répartition car les situations sont des faits mesurables. Dans le cas des accidents du travail par exemple, la chaîne de responsabilité est généralement très difficile à établir, c'est pourquoi on a jugé préférable de les considérer comme un fait social plutôt qu'un comportement individuel. A l'inverse, les théories de l'égalité radicale des chances fondent la justice sur une exacerbation de la responsabilité individuelle [7].

Elles conduisent également à une compétition pour la définition d'une position de victime. En effet, comme tout héritage handicapant pourrait donner droit à une compensation, le débat sur la justice serait centré sur la définition du handicap et on assisterait alors à une course à la victimisation.

La place de la méritocratie et de l'égalité des chances dans les transformations économiques et sociales de long terme

Malgré la diffusion de l'idéal méritocratique en France, la question du mérite n'était pas présente dans les débats publics durant les années 1960-70, les progrès économiques et sociaux de cette période n'ont pas été attribuées à la méritocratie. C'est dans les années 1980 que la question du mérite connaît une renaissance.
Durant les Trente glorieuses, la forme capitaliste dominante est le capitalisme d'organisation. Les travaux de l'époque (Galbraith, Shonfield [8]) mettent l'accent sur le rôle de l'organisation collective dans l'efficacité de la grande entreprise et les progrès dans la production. Le succès de l'entreprise dépend de la qualité de l'organisation et non de l'implication individuelle des personnes, de leur talent ou de leur mérite. Le travail dans l'organisation est appréhendé comme une force collective et non d'un point de vue individuel.

Par ailleurs, le recul de la reproduction sociale durant la période 1953-93, observé grâce aux tables de mobilité sociale, n'est pas interprété comme l'effet d'une méritocratie scolaire à la française, mais comme le résultat de deux facteurs : d'une part la massification scolaire, permise par le recul de l'âge de la scolarité obligatoire à 16 ans (qui va permettre aux enfants des classes populaire d'accéder aux études secondaires), d'autre part la croissance économique et l'élévation des niveaux de qualification de la population qu'elle a permise.

L'ouvrage de Pierre Bourdieu Les héritiers (1964), qui décrivait plutôt la société des années 1950, retrouve cependant une certaine actualité aujourd'hui, comme le montrent des travaux récents sur la reproduction sociale en France [9]. Nos sociétés semblent opérer un retour en arrière relativement à la période des Trente glorieuses. Le capitalisme d'organisation a laissé la place à un capitalisme d'innovation dans lequel la mobilisation des individus l'emporte sur les qualités de l'organisation et du travail coopératif. Au niveau économique, on assiste à une reprolétarisation sociale dans certains secteurs d'activité (services notamment). Certains économistes parlent même d'un retour à un "capitalisme de rentiers" tel qu'il existait avant la première guerre mondiale : dans son dernier ouvrage Thomas Piketty [10] montre que la caractéristique principale du capitalisme dans l'histoire n'a pas été la baisse tendancielle du taux de profit mais une tendance permanente à avoir un rendement du capital supérieur au taux de croissance, entretenant une dynamique de concentration des patrimoines. Aujourd'hui la période des Trente glorieuses est relue par les historiens de l'économie comme une exception historique, liée au rattrapage économique des pays européens vis-à-vis des Etats-Unis. Le retour des inégalités appelle donc une réflexion sur l'organisation sociale susceptible de refonder une société d'égaux.

Quelle philosophie sociale de l'égalité pour les sociétés actuelles ?

Pierre Rosanvallon pense que la notion d'égalité des chances n'est pas à rejeter car elle peut être utile pour définir des politiques sociales de réduction des inégalités. Différents types d'égalité des chances peuvent être visés par ces politiques : l'égalité légale des chances, l'égalité sociale des chances, l'égalité institutionnelle des chances, l'égalité correctrice des chances, l'égalité statistique des chances [11]. Cependant, la notion d'égalité des chances ne peut en aucun cas fonder une vision de l'organisation collective. Elle doit être accompagnée d'une redéfinition de «l'esprit de l'égalité».

Toutes les approches contemporaines de la réduction des inégalités reposent sur les théories de la justice dont le principe central est la distinction entre les inégalités justes et les inégalités injustes. L'accent est donc toujours mis sur des positions individuelles relatives, et non sur un état de la société, une "forme sociale". Or une philosophie sociale doit plus fondamentalement expliciter la manière d'organiser la société et de concevoir la relation d'égalité en son sein. Les premières théories de l'égalité sont nées en France et aux Etats-Unis au moment de la Révolution, elles cherchaient à définir la forme de vie collective qui permettrait de limiter les inégalités entre les individus. Elles concevaient une société d'égaux comme une société d'individus autonomes, composée de petits producteurs indépendants (d'où la méfiance des théoriciens de l'époque, comme Condorcet, vis-à-vis du salariat et des grandes entreprises). Mais cette vision a perdu de sa pertinence aujourd'hui [12]. Dès lors, comment concevoir aujourd'hui une société d'égaux ? Comment conceptualiser l'idée d'égalité ? Pierre Rosanvallon propose de redéfinir l'égalité comme une relation sociale, autour de trois grands principes :

1) La reconnaissance de la singularité

Il s'agit de la possibilité égale pour tous d'être singulier, différent des autres, et d'être reconnu en tant que tel. La conception révolutionnaire de l'égalité reposait sur une vision universaliste de l'individu : il fallait constituer un monde de semblables pour établir l'égalité entre les individus. Dans nos sociétés "d'individus", qui valorisent fortement l'autonomie, il est nécessaire de passer d'une "égalité similarité" à une "égalité singularité". C'est le cas pour l'égalité des sexes qui doit être désormais pensée dans le cadre d'une valorisation de la singularité. Pour que les hommes et les femmes puissent "vivre en égaux" (J.S. Mill), il faut, au-delà de l'égalité en droits, laisser s'exprimer librement les différences entre hommes et femmes (Etienne Balibar et son concept d'«égaliberté»). Cette reconnaissance des singularités appelle des politiques sociales de l'individu, plus personnalisées, plutôt que des politiques de transferts monétaires automatiques [13].

2) L'organisation de la réciprocité

La réciprocité correspond à une égale implication dans la vie sociale. Elle permet un équilibre dans les relations sociales. La question de l'impôt est centrale dans l'organisation des conditions de la réciprocité. L'absence de réciprocité, le sentiment que tous les citoyens ne contribuent pas de manière égale ou ne sont pas traités à égalité par les institutions, du fait notamment du développement de la fraude et de l'évasion fiscale, conduit à un retrait social et une défiance, et in fine à un recul du civisme (fuite devant l'impôt, tolérance à l'égard de la corruption ou du favoritisme, etc.) [14].

3) La constitution de la communalité

L'égalité suppose aussi que chacun puisse vivre dans un monde commensurable à celui des autres, que personne ne vive coupé des autres dans une société. Sous la Révolution française, les fêtes révolutionnaires et les banquets républicains cherchaient à produire de la communalité. De nombreux débats ont porté à l'époque sur les lois somptuaires romaines qui visaient à encadrer les banquets privés dans la période antique (limitation du nombre de convives ou des dépenses ostentatoires). De nouvelles modalités de production du commun doivent être envisagées dans la société actuelle [15]. Toutes les formes actuelles de sécession et de séparatisme social sont au contraire la négation de la communalité : exilés fiscaux, refus de la mixité sociale, recherche de l'entre-soi, stratégies d'évitement et d'éviction conduisant à une ségrégation spatiale et sociale...[16].

Conclusion

Le capitalisme d'innovation a fait naître de nouvelles formes d'inégalités économiques au profit d'individus détenteurs d'une rente d'innovation. Ces inégalités ne peuvent être traitées dans le cadre d'une théorie de la justice. En revanche, une théorie de la communalité, de la réciprocité et des singularités permettrait de les limiter et de définir les conditions d'une juste redistribution. La notion d'égalité des chances peut fonder des politiques de correction des inégalités dans les pays où persiste une forte reproduction sociale "à l'ancienne" comme en France. Mais cela ne suffit pas. Pierre Rosanvallon plaide pour un retour à une philosophie de l'égalité qui donne des arguments pour "construire l'égalité" dans une société.


Notes :

[1] Marie Duru-Bellat, Le mérite contre la justice, Presses de Sciences Po, coll. Nouveaux débats, 2009. Voir le Grand résumé de cet ouvrage par M. Duru-Bellat dans SociologieS ainsi que notre dossier "Marie Duru-Bellat et Eric Charbonnier : Qu'est-ce qu'une école juste ?". François Dubet, L'école des chances. Qu'est-ce qu'une école juste ?, Seuil, 2004 (fiche de lecture sur SES-ENS).

[2] Les réformateurs de l'époque craignaient que la généralisation de l'instruction tende à faire naître des ambitions déplacées et à détourner le peuple de ses occupations. Ce dualisme républicain fut rendu possible par la création d'enseignements primaires et secondaires différenciés au XIXème siècle.

[3] Christian Baudelot, Roger Establet, L'élitisme républicain. L'école française à l'épreuve des comparaisons internationales, Seuil, La république des idées, 2009 (fiche de lecture sur SES-ENS).

[4] J.-G. Courcelle-Seneuil, Etude sur le mandarinat français, 1892.

[5] J.S. Mill, Principes d'économie politique, 1848.

[6] Michael Young, La méritocratie, mai 2033, 1958.

[7] Dans l'optique de l'égalité radicale des chances, des personnes habituellement considérées comme victimes pourraient être jugées responsables de leur malheur en raison des choix qu'elles ont opérés : une personne renversée par un véhicule qui aurait traversé en dehors du passage piétonnier, un fumeur jugé responsable de son addiction, etc.

[8] John Kenneth Galbraith, Le nouvel état industriel, 1967 ; Andrew Shonfield, Le capitalisme aujourd'hui, 1967.

[9] Voir la récente publication du sociologue Camille Peugny, spécialiste de la mobilité sociale et des inégalités entre générations, Le destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale, Seuil, La république des idées, 2013. Compte rendu dans Lectures.

[10] Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle, Seuil, septembre 2013 (voir notre dossier).

[11] L'égalité légale des chances est l'égalité des droits et la suppression des privilèges de naissance. L'égalité sociale des chances est la neutralisation des inégalités économiques, sociales et culturelles entre milieux sociaux, soit par l'organisation d'une égalisation des conditions de démarrage dans l'existence (égalité institutionnelle des chances), soit par des actions compensatrices et redistributives (égalité correctrice des chances). L'égalité statistique des chances est la possibilité pour tous les groupes sociaux d'accéder à certaines positions, l'absence de discriminations ou de "plafonds de verre". A chacune de ces facettes de l'égalité des chances, qui se sont succédées historiquement, correspondent des instruments différents (Pierre Rosanvallon, La société des égaux, Seuil, Points Essais, 2011).

[12] De même, les principes de similarité (tous les membres d'une société sont semblables, aucun ne peux jouir de privilèges légaux) et de citoyenneté (égale participation politique grâce au suffrage universel) gardent leur importance mais ont besoin d'être enrichis pour approfondir l'idéal égalitaire (Pierre Rosanvallon, La société des égaux, op. cité).

[13] Fabienne Brugère, La politique de l'individu, Seuil, La république des idées, octobre 2013.

[14] Pour Pierre Rosanvallon, les comportements de "free rider", de profiteur, de contournement ou de détournement des règles à des fins égoïstes, constituent la forme moderne des privilèges. Ces privilèges ne sont plus liés à des distinctions de naissance mais à des asymétries dans les relations aux règles et aux institutions.

[15] Dans La société des égaux, Pierre Rosanvallon précise quelles peuvent être les différentes formes de production du commun : vivre ensemble des événements communs, sportifs ou culturels par exemple, mais aussi des épreuves communes, avoir des réflexions collectives, à travers les médias, la circulation des informations et des idées (commun-participation) ; développer la connaissance réciproque et réduire les préjugés sur autrui, grâce à des contacts, des récits de vie, des enquêtes, des statistiques, des mises en images ou en musique, etc. (commun-intercompréhension) ; favoriser le partage de l'espace public et la circulation humaine au sein des villes grâce à la mise à disposition de transports en commun, de places, de parcs, etc. (le commun-circulation). La politique de la ville joue un rôle central dans cette troisième modalité.

[16] Voir Eric Maurin, Le ghetto français, Enquête sur le séparatisme social, Seuil, 2007 (fiche de lecture sur SES-ENS) pour le cas français ; et le cas des "unincorporated areas" aux Etats-Unis, ces zones résidentielles entièrement privées habitées par une population blanche et socialement homogène.


Pour aller plus loin

- Danilo Martuccelli dans la revue Sociologie (15 juin 2012).
- Anaïs Camus dans la Revue européenne des sciences sociales (6 juin 2012).
- Philippe Deubel sur le site Melchior.

 

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