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La sociologie des réseaux sociaux

Publié le 11/03/2012
Auteur(s) - Autrice(s) : Pierre Mercklé
Après une présentation du champ de la sociologie des réseaux sociaux, le dossier propose un texte de Pierre Mercklé sur les travaux fondateurs de l'approche sociologique des réseaux extrait de son "Repères", une intervention filmée du sociologue à destination d'enseignants de SES, complété par une bibliographie et un ensemble de ressources à consulter sur le thème des réseaux sociaux

Présentation du dossier

L'analyse de réseaux est un champ de recherche en plein essor qui prend appui sur un ensemble d'études et de méthodes développées depuis plus de 40 ans. Elle est actuellement de plus en plus présente dans de nombreuses disciplines des sciences humaines et sociales : la sociologie, mais aussi l'économie, la gestion, la science politique, la géographie, la psychologie, l'anthropologie... En sociologie, l'analyse des réseaux sociaux est venue enrichir l'étude des relations sociales. Elle représente un changement de regard sur le social vis-à-vis des analyses plus classiques en termes de classes ou de catégories sociales qui agrègent des individus partageant les mêmes attributs sociaux.

Dans les approches en termes de réseaux, ce sont en effet les échanges réticulaires qui sont au coeur de la compréhension du monde social. Certains chercheurs considèrent qu'il s'agit d'une "troisième voie" théorique en sciences sociales entre la tradition de l'individualisme et celle du holisme [1]. En privilégiant l'échelle "mésosociologique", la théorie des réseaux ouvrirait des possibilités de "relier de manière convaincante les interactions microsociales et les phénomènes macrosociaux", permettant d'avancer dans "l'analyse des relations entre le micro et le macro" (Mark Granovetter [2]). Ce courant de recherche a trouvé une bonne partie de son inspiration dans la sociologie "relationnelle" de Georg Simmel (1858-1918) ainsi que dans ses prolongements au sein de la tradition interactionniste. Simmel fut l'un des premiers sociologues à refuser l'opposition entre holisme et individualisme méthodologique et à envisager la société comme une construction de l'action réciproque des individus [3]. Dans son étude sur la socialisation, il mobilise, de la même façon que le sociologue français Célestin Bouglé, la notion de "cercles sociaux" qui sera reprise par certains chercheurs comme éléments constitutifs des réseaux sociaux [4].

En France, la sociologie des réseaux sociaux a connu des développements importants depuis les années 1990, sous l'impulsion notamment des travaux d'Alain Degenne et de Michel Forsé sur "l'interactionnisme structural" [5], travaux qui ont contribué à la connaissance de la théorie des graphes et de ses usages en sciences sociales (voir notre dossier "Michel Forsé - L'interactionnisme structural: introduction générale à l'analyse des réseaux"). Cette sociologie des réseaux s'est aussi appuyée sur des enquêtes qualitatives ou quantitatives sur la sociabilité, comme l'enquête "Contacts" de l'Insee [6], l'une des premières sources statistiques pour l'étude des réseaux personnels en France [7]. Plus récemment, la diffusion des nouveaux moyens techniques de communication, en particulier d'Internet, le "réseau des réseaux", et l'émergence des réseaux sociaux en ligne, ont donné plus de force encore aux représentations en réseau. Si bien qu'actuellement, le recours au terme de "réseaux sociaux" dans le langage courant tend de plus en plus à désigner les sites communautaires ou les réseaux socionumériques du type Facebook. Parallèlement à un certain recul des pratiques traditionnelles de sociabilité (les liens de voisinage par exemple), ces nouveaux outils de communication ont donné une dimension inédite aux relations et aux interactions interindividuelles, en offrant techniquement la possibilité à n'importe quel individu connecté de tisser des liens à distance en temps réel avec des personnes, connues ou inconnues. Ils participent au développement de relations de sociabilité plus individuelles et plus diversifiées qui privilégient les "liens faibles", mais aussi à de nouvelles formes de mobilisation et d'action collective [8]. Si la sociologie se saisit aujourd'hui de ce nouvel objet d'étude, l'analyse sociologique des réseaux sociaux, qui étudie plus largement les ensembles de relations entre des individus ou des groupes quelle que soit la nature de ces relations, est loin d'être un champ de recherche unifié et stabilisé. Elle reste traversée par de nombreux débats et connaît une diversité au plan méthodologique et conceptuel [9].

Qu'entendent les sociologues par "réseaux sociaux" ? Quelles sont les différentes méthodes pour les analyser ? Qu'est-ce qui distingue les réseaux complets des réseaux personnels ? Quelles questions sociologiques peut-on traiter à l'aide de ces concepts ? Les réseaux sociaux sont-ils simplement un nouvel outil permettant d'éclairer certains aspects de la réalité sociale mal analysés avec les concepts habituels ? Les méthodes développées par les analyses de réseaux représentent-elles au contraire "davantage qu'un simple outil descriptif venant s'ajouter à la panoplie du sociologue", comme l'affirment A. Degenne et M. Forsé ? Est-ce un nouveau paradigme en sciences sociales ? La structuration en réseau est-elle caractéristique des sociétés contemporaines, comme en atteste la montée des réseaux sociaux numériques ? Faut-il opposer réseaux et classes sociales ? Pierre Mercklé, sociologue à l'ENS de Lyon et auteur de Sociologie des réseaux (La Découverte, coll. Repères, nouvelle édition 2011), a apporté des éléments de réponse à ces questions lors d'une intervention pour la formation des enseignants de SES de l'Académie de Lyon en octobre 2011. Les ressources publiées dans ce dossier viennent compléter et actualiser notre précédent dossier sur l'analyse sociologique des réseaux.

Les réseaux : un nouveau concept, une vieille histoire

Le texte proposé est le premier chapitre du "Repères" de Pierre Mercklé, Sociologie des réseaux, dont une nouvelle édition a été publiée en 2011 (texte reproduit avec l'aimable autorisation des Editions La Découverte).

Ce chapitre offre une bonne introduction à l'approche sociologique des réseaux sociaux et à ses origines. Pierre Mercklé y précise la manière dont les sciences sociales se sont emparées de la notion de réseau : quels usages scientifiques en ont-elles fait, avec quelles hypothèses et quelles implications méthodologiques ? Il revient sur les travaux fondateurs de la sociologie des réseaux. Ses fondements théoriques se trouvent dans la sociologie "formelle" de Simmel qui a cherché à saisir les formes sociales au niveau des interactions entre individus ; elle s'est inspirée également de recherches et de méthodes développées en ethnologie, en psychologie et en mathématiques. Parmi les travaux précurseurs sont mentionnés ceux de l'anthropologue britannique John Barnes, souvent considéré comme l'inventeur du terme "réseaux sociaux", ceux du psychologue américain Stanley Milgram, qui a testé empiriquement le concept de réseau avec l'expérience du "petit monde", et ceux du psychosociologue américain (d'origine roumaine) Jacob Moreno, fondateur de la sociométrie et inventeur du "sociogramme" permettant de représenter graphiquement les relations entre les individus au sein d'un réseau complet.

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Intervention de Pierre Mercklé : "Les réseaux sociaux"

La vidéo ci-dessous est un large extrait d'une intervention de Pierre Mercklé lors d'une journée de regroupement des enseignants de SES à Lyon organisée par l'Inspection Académique en octobre 2011.

https://video.ens-lyon.fr/eduscol-ses/2011/2011-10-17-merckle_2.mp4

Visionner la présentation de Pierre Mercklé avec diaporama

Télécharger la vidéo de la présentation (clic droit, "enregistrer la vidéo sous").

Télécharger le PowerPoint de la présentation.

Plan de l'intervention :

  • C'est quoi les réseaux sociaux ?
  • Comment analyser les réseaux sociaux ?
  • Des méthodes, ou bien un paradigme ?
  • Les réseaux sociaux existent-ils ?
  • Les réseaux sociaux contre les classes sociales.
  • Des approches structurales de la stratification sociale, avec les élèves.


Lors de la discussion avec la salle (8 dernières minutes de la vidéo), Pierre Mercklé a également approfondi ou abordé les questions suivantes : la vision du monde social sous-jacente à certaines approches en termes de réseaux sociaux (White, Latour...) ; les liens méthodologiques entre analyse des réseaux complets et analyse des réseaux personnels ; les passerelles possibles entre l'analyse des réseaux sociaux et la sociologie économique ; la valeur explicative des réseaux relativement à celle des propriétés sociales ou des attributs individuels.

Pour voir l'intégralité de l'intervention de Pierre Mercklé et de la discussion avec le public, cliquez ici.

Des ressources utiles pour approfondir le thème des réseaux sociaux

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Notes :

[1] C'est notamment la position des sociologues Alain Degenne et Michel Forsé dans Les réseaux sociaux (2004) qui qualifient l'analyse structurale de "déterminisme faible". Par là ils entendent que les structures (i.e. les réseaux de relations) préexistantes exercent seulement une contrainte formelle sur les individus (c'est par exemple la forme des réseaux dans lesquels sont insérés les individus qui favorise l'homogamie sociale) et que les interactions entre les individus sont susceptibles non seulement de modifier les réseaux, mais aussi de faire émerger des structures ou des groupes. L'analyse structurale part donc de l'étude des relations sociales et se situe à distance de la conception d'un individu rationnel, "sous-socialisé" (Granovetter) ou "atomisé" (Burt) caractéristique de la tradition utilitariste (l'homo oeconomicus), et de la conception opposée d'un individu "sur-socialisé" dont les choix seraient strictement déterminés par son appartenance à une catégorie ou une classe sociale (anthropologie structurale de Lévi-Strauss ou fonctionnalisme de Parsons). Pour un résumé des discussions sur cette ambition théorique, voir Pierre Mercklé, Sociologie des réseaux, La Découverte, Repères, 2011, chapitre 6.

[2] Mark Granovetter, "La force des liens faibles (1973), traduction française dans Sociologie économique (Seuil, 2008, p.45-73).

[3] "Il y a société, au sens large du mot, partout où il y a action réciproque des individus" (G. Simmel[1894], Sociologie et épistémologie, PUF, 1981, p.165).

[4] G. Simmel [1908], Sociologie. Etudes sur les formes de socialisation, PUF, 1999. Célestin Bouglé, "Qu'est-ce que la sociologie ?", Revue de Paris, 1897, 5ème édition 1925. En France cette notion de cercle a été explorée dans les années 1970 avec le programme Observation du Changement Social et culturel (OCS) auquel a participé A. Degenne. Claire Bidart l'a aussi mobilisée dans ses travaux sur les modes de socialisation et d'insertion sociale des jeunes. Dans un ouvrage récent, La vie en réseau. Dynamique des relations sociales (PUF, Le lien social, 2011), C. Bidart, A. Degenne et M. Grossetti utilisent la notion de cercle social pour désigner les différents collectifs ou contextes (famille, entreprise, bande de copains, voisins, etc.) dans lesquels naissent la plupart des relations sociales des individus.

[5] Alain Degenne et Michel Forsé, Les réseaux sociaux, A. Colin, coll. U, 1994, 2ème édition 2004.

[6] Voir notamment l'étude de François Héran réalisée à partir de l'enquête "Contacts entre les personnes" : "La sociabilité, une pratique culturelle", Economie et statistique, n°216, déc. 1988, p.3-21. Egalement, à partir d'une enquête par sondage : M. Forsé, "La fréquence des relations de sociabilité: typologie et évolution", L'année sociologique, vol.43, 1993. Ces enquêtes mettent en relation les pratiques de sociabilité avec des variables socio-démographiques : âge, sexe, catégorie sociale (PCS), lieu d'habitation, etc. Parmi les enquêtes qualitatives, on peut citer les travaux de Michel Bozon sur les relations sociales dans une petite ville ou ceux de Claire Bidard sur la sociabilité des jeunes et l'amitié.

[7] Selon Degenne et Forsé, "[l]'étude de la sociabilité constitue une sorte de degré zéro de l'analyse structurale. On s'en tient au réseau personnel décrit au travers de pratiques telles que les sorties, la vie associative, les conversations, etc. Cette dimension est néanmoins nécessaire à la compréhension des relations qui composent les structures" (Les réseaux sociaux, op.cit., p.35).

[8] Dominique Cardon, La démocratie internet. Promesses et limites, La République des Idées, Seuil, sept. 2010. Voir l'entretien avec D. Cardon sur SES-ENS : Un invité sur SES-ENS: entretien avec Dominique Cardon sur la "démocratie Internet".

[9] Michael Eve, "Deux traditions d'analyse des réseaux sociaux", Réseaux, n°115, 2002/5, p.183-212.

 

Anne Châteauneuf-Malclès pour SES-ENS.