L'opportunité des politiques climatiques
L'analyse coûts-avantages est ici sollicitée dans un contexte de temps long et de risque difficilement probabilisable qui l'oblige à reprendre la réflexion sur certains de ses fondements. Notons d'abord, que le principe de précaution qui stipule que "l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économique acceptable", renvoie pour l'évaluation du coût économique acceptable, la balle dans le camp de l'économiste. Symétriquement, l'économiste revendique une compétence particulière le problème de l'évaluation des dommages (Rapport du CAE n°39 Kyoto et l'économie de l'effet de serre complément B : Evaluer les dommages : Une tâche impossible ? P Ambrosi et J-C Hourcade).
Le coût des politiques climatiques a suscité un travail de réflexion, et en l'occurrence, puisque le problème requiert la mobilisation de toutes les ressources et de l'information dont nous disposons, de modélisation considérable. (Je me limiterais, là à une publicité brève pour un petit ouvrage que j'ai écrit et qui fait le point sur cette question des coûts. Il s'intitule "Combattre l'effet de serre nous mettra-t-il sur la paille ?" et il a été publié en 08/2003 dans la collection de vulgarisation "Les Petites Pommes du Savoir." chez les éditions Le Pommier).
Second niveau, la décision sous incertitude est un des chapitres de réflexion traditionnels de la discipline. L'économiste a l'habitude d'analyser les conditions sous lesquelles par exemple, une incertitude accrue implique une action plus vigilante. L'argument préféré des contempteurs des politiques climatiques, voire de certains "écolos qui doutent" (c'est la traduction que je propose du titre "the skeptical environnementalist" du best seller de l'imprécateur B. Lomborg ) est que l'incertitude sur les effets climatiques justifie l'inaction. Les économistes sérieux savent que cet argument est suspect. D'une part, même si c'est une conviction qui ne fait pas obligatoirement l'objet d'un consensus, l'incertitude est plus grande encore que l'on ne le croît, (c'est à dire le bas de la fourchette des changements de température est plus bas que ce que proposent les modèles mais aussi que le haut est sans doute plus haut), et d'autre part, c'est une autre conviction, l'analyse, dans le cas d'espèce, justifie un effort d'autant plus grand que l'incertitude est plus grande. (Cf. Rapport du CAE N°39 Kyoto et l'économie de l'effet de serre p40-45)
Enfin, l'analyse économique des choix en incertitude met l'accent sur la dimension d'irréversibilité du phénomène. De fait, le maître mot de la discussion de ces nuisances climatiques est, autant et plus que celui de dommages, celui d'irréversibilité. La montée de la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre n'est en effet que faiblement réversible, à vrai dire pratiquement irréversible à nos horizons de préoccupation habituels. Un fait illustre simplement cette affirmation. Même si l'on arrêtait immédiatement toutes les émissions de CO2, (retour au poêle à charbon de bois et à la bicyclette, à la marine à voile !), sa concentration atmosphérique mettrait plusieurs siècles à revenir à son niveau préindustriel. Cette forte irréversibilité dans l'accumulation du carbone dans l'atmosphère s'accompagne d'une irréversibilité climatique plus forte encore : une bifurcation climatique est en effet tout à fait susceptible de subsister même après retour des concentrations atmosphériques des niveaux antérieurs. Cette irréversibilité se retrouve au cœur de l'évaluation des risques de changement climatique, que cette évaluation soit économique, éthique ou métaphysique. Economique : l'inaction fera irrémédiablement disparaître des options de contrôle des concentrations dont un accroissement d'information pouvait montrer la nécessité, et ce coût va s'ajouter aux coûts directs. Ethique : quel droit avons-nous à détériorer, ou prendre un risque important de détériorer le climat que subiront les générations futures, fussent-elles plus riches que nous ? Métaphysique si l'on veut : peut-on, sans garantie d'innocuité, accepter des évolutions susceptibles, aussi peu que ce soit, de menacer l'intégrité du vaisseau spatial terre ? Après nous, le déluge ?
En complément
La décision rationnelle face à l'aléa (document extrait du Rapport du CAE N°39 Kyoto et l'économie de l'effet de serre p.38)
Présentation du Protocole de Kyoto (document extrait du Rapport du CAE N°39 Kyoto et l'économie de l'effet de serre p.18-19)
"Pourquoi des marchés de permis de polluer ? Les enjeux économiques et éthiques de Kyoto" Regards Économiques, Avril 2004 Numéro 21, Une publication de l'IRES (Institut de Recherches Economiques et Sociales de l'Université Catholique de Louvain).
"Dans le cadre du Protocole de Kyoto, la Belgique s'est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 7,5 % par rapport à leur niveau de 1990. Afin de rencontrer leurs obligations, les autorités belges sont susceptibles de recourir aux marchés internationaux des permis d'émission.
Ce numéro de Regards a pour objectif d'expliquer de manière simple le fonctionnement de tels marchés et d'indiquer la mesure dans laquelle il est justifié d'y recourir."