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A) Valoriser le capital humain par la formation tout au long de la vie : des principes à la réalité

Publié le 28/04/2009
Auteur(s) - Autrice(s) : Stéphanie Fraisse-D'Olimpio
L'éducation et la formation tout au long de la vie reposent sur trois principes qui doivent guider l'amélioration des systèmes nationaux d'éducation et de formation. Le premier principe donne une place centrale à l'apprenant ; le second principe repose sur l'importance accordée à l'égalité des chances. Le dernier principe enfin, s'appuie sur la pertinence et la qualité de l'offre de formation.

1) Une profonde évolution de l'approche de la formation continue en France et dans l'Union Européenne

1.1. La formation tout au long de la vie : la perspective de l'Union Européenne

1.1.1. Les objectifs de Lisbonne

En Mars 2000, le Conseil européen de Lisbonne a fixé à l'Union Européenne un objectif stratégique : faire de l'Union Européenne, « l'économie de la connaissance la plus compétitive du monde », capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale.

La notion d'éducation et de formation tout au long de la vie (FTLV) est l'élément clé de cette stratégie. Elle est définie comme « toute activité d'apprentissage entreprise à tout moment de la vie, dans le but d'améliorer les connaissances, les qualifications et les compétences, dans une perspective personnelle, civique, sociale et/ou liée à l'emploi ». L'éducation et la formation tout au long de la vie reposent sur trois principes qui doivent guider l'amélioration des systèmes nationaux d'éducation et de formation. Le premier principe donne une place centrale à l'apprenant ; le second principe repose sur l'importance accordée à l'égalité des chances. Le dernier principe enfin, s'appuie sur la pertinence et la qualité de l'offre de formation.

Les Etats membres se sont engagés à mettre en place des stratégies d'apprentissage tout au long de la vie. Il s'agit alors d'investir dans le capital humain pour stimuler la productivité, la compétitivité, l'innovation et la participation des actifs. Des études [1] ont ainsi montré qu'une année de plus de formation après l'âge de la scolarité obligatoire peut accroître la productivité de 6,2 % dans l'immédiat et de 3,1 % sur le long terme. Ce complément de formation se traduirait aussi par un salaire supérieur de 8 à 10 %.

1.1.2. L'UE encourage l'investissement dans le capital humain à travers la formation tout au long de la vie

Les systèmes nationaux d'éducation et de formation sont extrêmement variés au sein de l'UE mais les états membres doivent se rapprocher d'objectifs communs en mettant en place des stratégies nationales d'apprentissage tout au long de la vie. Accroître l'investissement dans le capital humain en améliorant les possibilités d'éducation et en développant les compétences est ainsi devenu l'une des priorités fondamentales de la stratégie européenne pour l'emploi.

Ainsi, le «Programme de travail éducation et formation 2010» fixe des objectifs pour améliorer la qualité et l'efficacité des systèmes européens d'éducation et de formation. Il entend ainsi promouvoir leur accessibilité à tous, y compris aux étudiants du monde entier.

La volonté politique européenne de stimuler l'investissement dans le capital humain est par ailleurs soutenue par le Fonds social européen (FSE). Au cours de la période 2000-2006, 12 milliards d'euros au moins ont été affectés aux activités d'apprentissage tout au long de la vie.

Une des priorités des projets financés par le FSE est d'étendre la formation aux salariés des petites et moyennes entreprises (PME). Ceux-ci ont en effet parfois des difficultés à accéder aux centres de formation, alors que le développement des compétences et l'innovation sont essentiels pour suivre le rythme du changement économique et technologique. De même, ces fonds viennent soutenir les Etats qui luttent contre les abandons scolaires prématurés par le biais, par exemple, d'un système de « double certification » qui associe des cours d'enseignement secondaire supérieur à une certification professionnelle. Enfin, les programmes d'action communautaire Socrates (plus d'1,2 million d'étudiants Erasmus depuis 1987-1988) et Leonardo da Vinci sont encouragés puisqu'ils stimulent la mobilité des étudiants, des apprentis et des jeunes travailleurs.

Un Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (CEDEFOP) a été créé. Il montre d'ailleurs, dans une étude de 1999, que l'existence d'un congé de formation rémunéré est essentielle pour garantir l'accès à la formation tout au long de la vie et inciter les personnes à y participer.

La Commission Européenne a en outre rendu obligatoire la collecte d'informations sur la mise en œuvre des objectifs stratégiques européens concernant la formation tout au long de la vie. Une enquête communautaire « Forces de travail » de 2003 a ainsi été menée par les instituts nationaux de la statistique, sous la coordination d'Eurostat (l'Office statistique des Communautés Européennes).

Trois catégories définissent la notion de « formation tout au long de la vie » :

- « L'éducation ou la formation formelle » définie comme la participation à un enseignement régulier dans le cadre du système éducatif en vue d'obtenir un diplôme ou un titre reconnu.

- « L'éducation ou la formation non formelle » c'est-à-dire la participation à des cours, des stages, des conférences ou des séminaires ne s'inscrivant pas dans un programme d'enseignement régulier.

- « L'apprentissage informel » qui correspond aux actions entreprises dans l'intention d'apprendre, à l'aide de supports pédagogiques écrits, audiovisuels ou informatiques, mais en dehors de tout cadre structuré, en termes de lieu, de temps ou de relations entre formateur et formé.

Malgré les précautions prises par les différents instituts de statistique, la définition et la délimitation de ces trois catégories ont pu faire l'objet d'interprétations différentes d'un Etat à l'autre, compte tenu de la variété des formes institutionnelles de la formation et de la nouveauté des concepts utilisés.

De façon générale, les préconisations de la Commission européenne en matière de formation continue restent seulement incitatives : éducation et formation relèvent toujours de la compétence des états. L'analyse des systèmes nationaux de formation montre ainsi l'importance inégale accordée par les états membres aux enjeux de la FTLV.

1.1.3. Des disparités importantes selon les Etats-membres

Dans tous les pays de l'Union Européenne, la dépense publique consacrée à l'éducation initiale représente une part importante du PIB, tandis que la part dédiée à la formation continue s'avère partout nettement inférieure. En 2004, le taux de participation des adultes à l'éducation et à la formation n'était que de 9,4 % dans l'UE, un pourcentage nettement inférieur à l'objectif européen de 12,5 % d'ici à 2010. Quatre pays - la Suède, le Danemark, la Finlande et le Royaume-Uni - ont toutefois enregistré des niveaux supérieurs à 20 %.

Dans la plupart des pays, la formation continue repose largement sur la dépense privée des entreprises et des ménages, tandis que dans les pays ayant une forte tradition d'éducation populaire (Danemark, Finlande, Suède), elle est davantage financée par la dépense publique, notamment des collectivités locales.

Dans les pays du nord, mais aussi en Allemagne, en Autriche et au Luxembourg, l'offre de formation intègre une préoccupation de développement personnel, même si l'objectif de lutte contre le chômage est, comme dans tous les pays, une priorité. En France, l'offre, publique ou privée, d'éducation des adultes s'est heurté au fort développement des institutions de formation initiale à faible degré d'ouverture aux adultes.

Selon Pierre le Douaron [2] , « La distinction entre initiative individuelle et initiative de l'employeur peut servir de clef de lecture pour comparer les systèmes. La France occupe une place originale, avec la prédominance des formations relevant de l'initiative de l'employeur. De même, tous les pays de l'Union européenne connaissent un système de formation continue reposant sur des conventions conclues entre les partenaires sociaux. Seule la France a mis en place un système de financement imposé par la loi. »

Nous allons présenter plus en détail les caractéristiques du modèle français de formation continue en étudiant l'influence de l'Union Européenne sur les changements récents qu'a connu ce modèle.

1.2. Les caractéristiques du modèle français de formation continue

En France, les relations qu'entretiennent le système éducatif et le marché du travail établissent une distinction plus nette que dans tous les autres pays de l'Union Européenne entre l'âge des études et celui de l'activité professionnelle. La proportion d'adulte de 25 ans et plus qui sont en « éducation ou formation formelle » (voir ci-dessus), c'est-à-dire qui poursuivent ou reprennent des études en vue d'obtenir un diplôme, est plus faible que partout ailleurs comme l'atteste ce document comparatif du Cereq dirigé par Martine Möbus [3]. Le nombre moyen d'années d'enseignement qu'une personne peut s'attendre à recevoir au cours de sa vie y est relativement plus faible que dans l'ensemble de l'UE. Par contre, la France figure parmi les pays européens dont la part des jeunes de 18 ans scolarisés est la plus élevée (80% contre 75% en moyenne pour l'UE à 15 en 2003).

La configuration du système éducatif tend à favoriser une spécialisation des âges de la vie : au cours de la jeunesse, on étudie à temps plein sous l'autorité de l'Etat et à l'âge adulte, on se forme à l'initiative de l'entreprise et pendant le temps de travail.

Dans un rapport du Cereq de Novembre 2006, I.Marion, M.Möbus, M.Théry [4] notent toutefois que « si les adultes français ne poursuivent que rarement des études, cela ne signifie pas pour autant qu'ils ne se forment pas. Sur une année, un quart des 25-64 ans ayant un emploi participent à un cours, un stage, une conférence, un séminaire, ce que les autorités européennes désignent par le vocable de « formation non formelle ».[...] Le temps consacré à la formation non formelle durant le temps de travail est en proportion plus élevé en France que partout ailleurs en Europe. »

De manière générale, les réformes portant sur la formation tout au long de la vie se sont efforcées de limiter cette césure qu'établit le système français entre formation initiale et formation continue. Nous retiendrons en particulier la loi de 1971, celle de 2004, avant d'aborder le projet de réforme qui est actuellement débattu.

1.2.1.Le contenu des principales réformes depuis 1971

- Les fondements du système français de formation continue : la loi de 1971.

Le système français de formation continue est issu d'une négociation interprofessionnelle menée en 1970 et dont les principes sont généralisés par la loi en 1971. Celle-ci met fin à une période marquée par le désengagement des entreprises et au transfert à l'Etat de la formation professionnelle initiale et continue. La formation professionnelle était alors considérée comme relevant de l'école et l'apprentissage déclinait. La loi de 1971 inverse la tendance. Les entreprises, les organisations d'employeurs et les syndicats salariés sont désormais placés au cœur du système et s'engagent dans une cogestion structurelle obligatoire. Le résultat est un effort croissant dans la formation professionnelle continue, mais avec de grandes disparités, nous le verrons, selon la taille des entreprises et les catégories socioprofessionnelles des salariés.

Un des principes fondamentaux de cette réforme est l'obligation de dépense et le plan de formation de l'entreprise. Les entreprises privées de plus de 10 salariés doivent en effet dépenser au minimum 1,5% de leur masse salariale pour la formation continue (ce pourcentage évoluera ensuite à la hausse). De même, le plan de formation d'entreprise suppose que l'employeur (en consultation avec le Comité d'entreprise) propose un ensemble d'actions de formation pour ses salariés.

Le système comprend également la possibilité d'un congé individuel de formation choisi par le salarié. Celui-ci est financé par un fond paritaire alimenté par une partie de la cotisation obligatoire.

Le pourcentage de la masse salariale consacré à la formation continue a significativement augmenté de 1971 à 1990 et se situe au dessus de l'obligation en atteignant plus de 3% de la masse salariale. [5] Toutefois, dès la fin des 90, le système issu de la loi de 1971, s'essouffle et devient inadaptée au nouveau contexte économique et social. Plusieurs rapports [6] formulent une série de critiques portant notamment sur les fortes inégalités d'accès à la formation continue, sur le fait que le financement de la formation par l'entreprise confère un fort pouvoir à l'employeur et laisse peu d'initiative à l'individu. On observe ainsi une forte concentration des politiques d'entreprise sur des formations de très courte durée (moins de 5 jours) qui répondent à des besoins d'adaptation à court terme au poste de travail et peuvent conduire selon le rapport pour le Commissariat au plan de Beret, Daune-Richard, Dupray, Verdier, à une baisse de la rentabilité de la formation pour l'individu en termes de carrière et de salaire [7]. Enfin, la conception de la formation était fortement marquée par la logique du « stage » (cours en présence d'un formateur) au détriment d'autres formes de formation (e-learning, formations en alternance...)

Ainsi au début de l'année 2001, s'ouvre une négociation sur la formation professionnelle continue qui durera jusqu'en 2004.

- Vers la loi de 2004 sur la formation continue.

L'accord passé par les partenaires sociaux en 2003 débouche sur une loi en mai 2004. Ce texte présente est à la fois dans la continuité de la loi de 1971 et présente des innovations majeures.

On observe ainsi une extension de la logique de la contribution obligatoire des entreprises pour la formation des salariés. Celle-ci est en effet élargie aux petites entreprises de moins de 10 salariés. Les entreprises artisanales avaient en effet manifesté leur souhait de se rapprocher du modèle des grandes entreprises. En outre, faciliter l'accès à la formation professionnelle pour les salariés de ces entreprises apparaît comme un moyen de lutter contre les inégalités structurelles.

L'innovation fondamentale de cette loi sur la formation continue est sans conteste la création d'un nouveau « droit individuel à la formation » (DIF) qui présente un compromis entre le plan de formation (à l'initiative de l'employeur) et le congé individuel de formation (à l'initiative de l'individu). Un droit à 20 heures de formation par an cumulable sur 6 ans est attribué au salarié qui discute avec son employeur de la formation envisagée, qui doit développer ses compétences dans une perspective de carrière, respecter les orientations prioritaires dégagées au niveau de la branche et se dérouler pour partie en dehors du temps de travail. Des accords collectifs de branche ou d'entreprise peuvent augmenter ce quota d'heures. Lorsqu'un accord est établi sur le contenu de la formation, l'employeur prend en charge le coût direct de la formation et indemnise le salarié à hauteur de 50% du salaire pour les heures de formation en dehors du temps de travail. En somme, selon Philippe Méhaut, « on reste (...) dans une logique de partage des coûts (le salarié donne du temps libre, l'employeur contribue aux coûts), d'initiative individuelle (c'est au salarié de décider s'il veut ou non utiliser son droit de tirage et de proposer la formation qu'il veut suivre). » [8]. La création du DIF correspond donc à une volonté d'individualisation du système sur laquelle nous reviendrons plus loin. Elle repose sur une procédure dite de « co-décision » reflétant une négociation individuelle entre le salarié et son employeur.

L'accord insiste sur les changements dans l'organisation du travail et sur la nécessité de plans de carrière discutés entre les salariés et leur employeur. Ceux-ci peuvent être accompagnés de bilans de compétences et d'aide à l'orientation professionnelle. Dans cette perspective, et selon les suggestions européennes, un passeport individuel d'éducation et de formation est prévu dans la loi. Il a pour objet de recenser les acquis de formation initiale et continue, comme les expériences et compétences acquises par l'individu dans le cadre de son travail. En outre, des « contrats de professionnalisation » sont crées pour les chômeurs nouvellement embauchés, qui favorisent la réorganisation des dispositifs d'aide aux chômeurs.

Enfin, des « périodes de professionnalisation » visent les salariés les plus menacés dans leur emploi du fait du changement technologique et / ou de l'obsolescence de leur qualification.

L'accent est donc mis sur l'entretien des compétences qui doit être permanent et peut passer par des voies diverses. La mobilité des salariés est également au cœur du système.

Philippe Méhaut note que « bien que baptisée « formation professionnelle tout au long de la vie », cette réforme ne permet pas de lever les difficultés d'articulation entre formation initiale et formation continue. C'est avec la validation des acquis de l'expérience, innovation dans le champ des certifications que le pont entre les deux systèmes est le plus explicite. » [8]

Le développement de la validation des acquis de l'expérience (VAE) opère en effet une rupture dans un système dominé par les diplômes acquis lors de la formation initiale. Toute personne pouvant justifier d'un certain nombre d'années d'expérience professionnelle et / ou sociale peut ainsi prétendre à la validation de ses acquis pour obtenir un diplôme. Sur la base d'un dossier présentant son parcours, en relation avec le référentiel de compétence du diplôme, un jury peut décider de l'attribution totale ou partielle de ce diplôme au candidat.

Cette innovation est encore récente mais une étude de F.Ancel montre le succès croissant de cette voie puisqu'en 2003, 15000 personnes ont présenté leur candidature à un diplôme de l'éducation nationale, soit trois fois plus qu'en 2001. Parmi ces candidats, 6000 ont obtenu le diplôme complet. [9]

Le VAE officialise ainsi le caractère formateur des situations de travail et autres situations sociales. Il peut donc contribuer à modifier l'articulation entre formation initiale et continue en rendant moins déterminant l'acquisition d'un diplôme en formation initiale dès lors que la formation continue peut être diplomante. Les Certificats de Qualification paritaires (CQP), eux aussi en pleine expansion, s'inscrivent également dans cette logique. Ces titres paritaires crées par les branches professionnelles visent principalement les jeunes chômeurs engagés dans des dispositifs de formation en alternance et / ou des adultes en formation continue. Leur construction ressemble parfois au diplôme (cible métier, référentiel de compétence et de formation) mais ils sont généralement plus spécialisés.

En dépit de toutes ces innovations et de réelles améliorations, l'accès des salariés français à la formation continue demeure encore restreint et surtout inégalitaire.

- Les négociations en cours depuis 2008.

Le 7 janvier 2009, Les partenaires sociaux ont abouti à un accord sur « le développement de la formation tout au long de la vie professionnelle, la professionnalisation, et la sécurisation des parcours professionnels ». Ouvert à la signature dès février, le texte devrait être signé par la majorité des organisations syndicales. Une fois signé, le texte devra être transposé dans une loi pour être applicable.

Le ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi a fait porter la réforme sur quatre axes : l'amélioration du lien entre formation et emploi ; la construction d'un système plus juste permettant de réduire les inégalités d'accès à la formation au profit des salariés des petites et moyennes entreprises, des salariés peu qualifiés et des jeunes sortis sans qualification du système scolaire ; la nécessité de rendre le système de la formation professionnelle plus efficace par une amélioration de la qualité des formations et une meilleure coordination des acteurs et rendre l'individu acteur de son parcours professionnel.

Deux catégories d'actions de formation (contre trois actuellement) sont distinguées :

les actions d'adaptation au poste et celles liées à l'évolution ou au maintien dans l'emploi qui sont réalisées pendant le temps de travail ;

celles liées au développement des compétences et réalisées en dehors du temps de travail.

La réforme devrait ensuite se traduire par la création d'un fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP). Ce fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels sera alimenté par un prélèvement maximal de 13% sur les contributions des entreprises au titre du financement de la formation professionnelle et s'adressera aux publics ayant actuellement peu accès à la formation continue ou en difficulté - salariés peu qualifiés, salariés des TPE-PME, demandeurs d'emploi.

Un autre aspect important de la réforme porte sur la transférabilité du droit individuel à la formation (DIF) pour les chômeurs. La possibilité est donnée aux demandeurs d'emploi de mobiliser les heures de droit individuel à la formation qu'ils auraient acquises quand ils avaient un emploi, sur la base d'une rémunération horaire forfaitaire. Il serait pris en charge par l'Opca (les organismes paritaires collecteurs agrées) de l'employeur antérieur pendant la durée de chômage et par celle du nouvel employeur en cas de retour à l'emploi. (Ainsi, conformément à l'article 14 de l'accord du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail, en cas de rupture du contrat de travail ouvrant droit à la prise en charge par le régime d'assurance chômage, le salarié pourra mobiliser le solde du nombre d'heures acquises au titre du DIF multiplié par 9,15 euros pour assurer le financement d'actions de formation au cours de la première moitié de sa période d'indemnisation du chômage ou, s'il a retrouvé un emploi, pendant les deux années suivant son embauche.)

Les salariés ayant arrêté leur formation initiale avant le premier cycle de l'enseignement supérieur et qui souhaitent reprendre leurs études, devraient pouvoir poursuivre une formation initiale différée. Ces salariés pourront bénéficier d'actions d'accompagnement, de bilans de compétences ou de validation des acquis de l'expérience (VAE) qui leur permettront de bénéficier de formation qualifiante et diplômante. Celle-ci pourrait durer jusqu'à un an.

Le Grenelle de l'insertion soulignait que le contrat de professionnalisation est particulièrement adapté pour l'insertion ou la réinsertion professionnelle, notamment des publics les plus éloignés de l'emploi. Pour ces publics, un élargissement du contrat de professionnalisation est proposé. Un tuteur externe pourra être désigné, en accord avec l'entreprise, pour traiter les questions indépendantes de la formation mais déterminantes pour le salarié (transport, logement, santé).

Enfin, l'accent est mis sur l'acquisition d'un socle de compétences. Ainsi, le texte de loi souligne qu'« au-delà du socle commun de connaissances et de compétences qui doit être acquis à l'occasion de la formation initiale et qui relève de la responsabilité de l'Education nationale », les partenaires sociaux identifient un « socle de compétences dont l'acquisition et l'entretien (...) est de nature à favoriser l'évolution et les transitions professionnelles tout au long de la vie professionnelle ». Parmi ces compétences, on retient l'aptitude à travailler en équipe, mais aussi la « maîtrise des outils informatiques et bureautiques ainsi que la pratique de l'anglais ». Il n'est pas prévu de financement spécifique pour ces actions, mais, là encore, une mobilisation des fonds existants.

Au total, l'accord s'efforce de se concentrer sur la qualification et requalification des salariés et des demandeurs d'emploi. Il se fixe pour objectif de former 500.000 salariés supplémentaires parmi les moins qualifiés. Ces salariés bénéficieront d'une prise en charge prioritaire par l'OPCA au titre des périodes de professionnalisation ou par l'OPACIF au titre du Congé individuel de formation (CIF). Le nouveau texte a également pour ambition de former 200.000 demandeurs d'emploi de plus qu'aujourd'hui soit augmenter « d'un tiers » le nombre de chômeurs accédant à la formaton. A cet effet, les demandeurs d'emploi pourront bénéficier d'une « préparation opérationnelle à l'emploi » (POE) leur permettant de bénéficier d'une formation de 400 heures maximum en vue d'occuper un emploi correspondant à une offre déterminée. A l'issue de la formation, l'employeur pourra proposer au demandeur d'emploi ayant atteint le niveau requis un CDI ou un CDD d'au moins 12 mois.

Les syndicats se prononceront d'ici peu sur le texte de la réforme de la formation professionnelle.

1.2.2. Une forte évolution de la philosophie sous-jacente au modèle français de formation continue

- Une implication croissante des entreprises dans la formation des actifs.

Alors que la formation continue s'analysait avant la loi de 1971 essentiellement à travers le prisme des financements et des établissements publics, la contribution et l'implication des entreprises occupent aujourd'hui une place centrale dans les débats et les négociations sur la formation professionnelle.

Olivier Monso et Laurent Thevenot [10] soulignent ainsi que dès la fin des années 60, notamment avec le mouvement de mai 68, une rupture s'instaure dans la conception du système de formation continue français. En somme, d'une conception de la formation continue perçue comme un prolongement de l'école, on passe à une approche plus centrée sur les formations en entreprise. Ainsi, ces auteurs indiquent que dès les années 70, « subventionner des organismes de formation pour les travailleurs, leur proposer un parcours de promotion sociale, est perçu comme insuffisant si les entreprises, de leur côté, n'encouragent pas les salariés à se former, ou ne les libèrent pas pour qu'ils puissent se former pendant le temps de travail ». La création des sections syndicales d'entreprises et les négociations qui s'en suivent aboutissent à la loi de 1971. Celle-ci reconnaît le droit à la formation et, surtout impose aux entreprises privées une contribution au financement de la formation continue.

De fait, en instaurant à leur charge une obligation de dépense, la loi de 1971 a laissé aux employeurs le pouvoir de décider du contenu des actions conduites dans le cadre du plan de formation de l'entreprise, même si elle a octroyé de larges compétences au comité d'entreprise. Le dialogue social, qui devait garantir le développement des qualifications par la formation, ne s'est cependant pas suffisamment organisé au sein des entreprises pour permettre une construction contractuelle du contenu du plan de formation.

Cette logique reste de vigueur dans les réformes de 2004 et 2009.

- De la logique de la « promotion sociale » des salariés à la logique de l'adéquation entre la qualification des actifs et les besoins du marché du travail.

Aujourd'hui, selon Pierre Beret et Annie Dupray, la formation ne fait plus que «marquer ex post la reconnaissance de la capacité productive des meilleurs salariés ayant eu un changement de qualification». [11] Alors que le nombre de salariés suivant des formations de type « promotion sociale » représentait près de la moitié des adultes en formation en 1969, il en constitue moins d'un dixième aujourd'hui.

Notons en effet que dans le contexte de la détérioration continue de la situation de l'emploi à partir de 1973, l'état a été amené à subordonner la formation professionnelle aux politiques de lutte contre le chômage. Les financements publics ont été réorientés vers des mesures nombreuses et complexes, faisant de la formation un levier d'action face à l'inadéquation entre offre et demande de travail. La formation est aussi devenue un moyen de diminuer le niveau apparent du chômage et d'en assurer un traitement social.

L'objectif de promotion sociale et personnelle des salariés a donc peu à peu disparu au profit d'actions d'adaptation des compétences.

Aujourd'hui, les deux tiers des personnes suivent des actions courtes, en moyenne 38 heures par an. La réforme de 2004 cherche à enrayer cette logique mais la stratégie de promotion sociale des actifs demeure encore de l'ordre du principe [12].

- L'impératif de rendement et la logique de compétence.

Ces 15 dernières années marquent un autre tournant : la formation professionnelle continue est évaluée à l'aune du « rendement ». « Plus précisément, les salaires deviennent alors le critère privilégié pour évaluer l'effet de la formation du point de vue individuel, au détriment par exemple d'un résultat exprimé en termes de promotion socioprofessionnelle », précisent Olivier Monso et Laurent Thevenot. [13]

Dès lors, l'analyse du lien entre formation et emploi s'appuie sur une vision économiste du capital humain appréhendé en termes de « rendement » ou « d'efficacité » de la formation continue. Il s'agit en effet selon ces mêmes auteurs d'évaluer comment la formation tout au long de la vie remplit des fonctions d'adaptation au poste de travail et peut engendrer des gains, pour le salarié et/ou pour l'entreprise (en termes d'évolution de salaire et/ou de productivité).

Les réformes relatives à la formation tout au long de la vie, ont largement encouragé, nous l'avons vu, l'autonomie de l'individu et sa responsabilité à l'égard de sa propre employabilité. Les sociologues du travail soulignent ainsi le passage d'une logique de qualification à une logique de compétence. Cette évolution de la qualification reflète la « révolution managériale » que s'efforce d'impulser le Medef dès 1998.

Cette conception a plusieurs implications. Tout d'abord, les compétences sont définies par le triptyque « savoir, savoir-faire, savoir-être ». Ensuite le salarié doit donner priorité à la qualité, ce qui modifie sa responsabilité dans l'acte de production (accepter l'obligation de résultat). Enfin, la logique de compétence lie performance et employabilité puisqu'en échange de l'adaptation du salarié aux exigences de la production, l'employeur s'engage à assurer sa mobilité professionnelle. Le salarié est désormais entrepreneur de sa propre carrière. Cet état de fait est de nature à renforcer les inégalités entre les actifs en mesure de mettre en valeur leur expérience et de comprendre les subtilités du savoir-être et ceux qui parviennent mal à mettre en valeur leurs compétences.

Voir sur ce thème le dossier de SES-ENS sur « la sociologie du travail autour de Michel Lallement ».

- Les trois matrices de la formation continue : une synthèse de Claude Dubar.

Claude Dubar fait l'hypothèse que depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu'à ce début de XXIe siècle, la formation des adultes en France a combiné trois matrices de formation [14] significatives : la promotion professionnelle, la formation professionnelle continue et l'éducation permanente.

La première matrice qui repose sur la promotion sociale et ses cours du soir est justifiée dès Condorcet par l'exercice de la citoyenneté démocratique et plus tard par les valeurs républicaines fondées sur le droit au savoir : liberté de penser, égalité des chances d'apprendre et fraternité citoyenne. L'éducation permanente est alors imbriquée dans un idéal de promotion sociale. La loi de Michel Debré, de 1959, reprend ces inspirations en insistant sur les nécessités d'ascension sociale, de promotion culturelle, d'émancipation sociale...L'idée sous-jacente est que pour en finir avec la lutte des classes, pour répondre aux besoins en techniciens et ingénieurs, il faut donner à tous ceux qui n'ont pas fait d'études longues cette seconde chance leur permettant de s'élever dans l'échelle sociale. Plus largement, des intellectuels inspirés par la philosophie des Lumières vont chercher à « apporter la culture au peuple ». Le dispositif de base de cette matrice est celui du cours du soir dans des institutions qui proposent des cursus universitaires à tous (universités populaires, Conservatoire national des arts et métiers, associations professionnelles...). La loi de Debré sur la promotion sociale ne fut réellement mise en œuvre à grande échelle.

La seconde matrice s'appuie sur la formation professionnelle continue et ses stages. Elle est très différente de la première matrice puisqu'elle induit une approche nouvelle de la gestion du personnel : la formation devient un investissement stratégique pour l'entreprise (qui pratique désormais une gestion des ressources humaines). Conformément à ce que défend la théorie du capital humain, la formation, doit permettre au salarié d'acquérir une meilleure maîtrise de son activité actuelle ou future. La loi de juillet 1971 cherche ainsi à favoriser l'adaptation aux changements du travail qui implique une priorité à l'économique. La formation devient un instrument majeur de la compétitivité de l'entreprise autant que la compétence de ses salariés. Ces derniers sont incités à se mobiliser pour leur entreprise. Notons par ailleurs que la formation professionnelle continue devient aussi l'instrument des politiques publiques de l'emploi entre aide à la réinsertion professionnelle et gestion sociale du chômage. Les stages constituent dans ce contexte un outil essentiel pour intégrer les salariés à l'organisation du travail de leur entreprise et pour gérer l'emploi. En définitive, La nouvelle matrice reposant sur les entreprises, l'une des conséquences de ce nouveau système est l'accroissement des inégalités d'accès à la formation continue selon le niveau socioculturel des salariés et la création d'inégalités nouvelles selon la branche et la taille de l'entreprise.

La troisième matrice encourage l'éducation permanente, la Longlife learning et ses apprentissages formels, non formels et informels. Sous l'impulsion de l'OCDE puis de l'Union Européenne dès la fin des années 90, on observe en France un changement de perspective : on passe de la formation professionnelle continue, à l'initiative de l'employeur, à la formation tout au long de la vie, à l'initiative du salarié. La loi de mai 2004 met ainsi l'individu au cœur de cette troisième matrice à travers notamment le droit individuel à la formation (DIF). Le salarié devient ainsi acteur de sa formation et plus largement de son parcours professionnel.

Claude Dubar souligne ainsi que «la troisième matrice inverse (...) l'ordre des acteurs : la demande de formation doit déterminer l'offre et non l'inverse et cette demande est celle des individus sur le marché du travail, pas des entreprises qui ne font que constater et sanctionner l'employabilité de chacun.» [15] La formation postscolaire relève désormais de l'initiative du salarié responsable de sa propre employabilité. Plus largement, l'éducation permanente doit également favoriser la participation des individus à la vie citoyenne et leur permettre de se « développer culturellement » à travers des ressources d'apprentissage multiples et notamment l'auto-formation.

 

Pour en savoir plus :

Récapitulatif des principales étapes de la réforme de la formation professionnelle depuis 1971.

Centre INFFO (l'information sur la formation tout au long de la vie).

Rapport du groupe de travail sur la validation des acquis de l'expérience. Décembre 2008. Ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.

Rapport sur la qualité de l'offre et de l'achat de formation. Décembre 2008. Ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.

Statistiques 2008 sur le financement de la formation professionnelle.

La formation professionnelle: le droit de savoir, rapport du sénateur Bernard Sellier.

 

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CAPITAL HUMAIN ET FORMATION DES ACTIFS.

A) Valoriser le capital humain par la formation tout au long de la vie : des principes à la réalité.

1) Une profonde évolution de l'approche de la formation continue en France et dans l'Union Européenne.

2) Un accès encore largement inégalitaire à la formation continue.

B) Les enjeux économiques de la formation des actifs.

1) Un enjeu de croissance économique et de compétitivité des entreprises.

2) Les enjeux salariaux.

3) Les enjeux en matière d'accès à l'emploi et de protection contre le chômage : la question de la sécurisation des parcours professionnels.

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Notes :

[1] Möbus Martine. Mesurer la formation tout au long de la vie. Une enquête européenne réalisée en 2003. Net Doc 29. Cereq. Octobre 2007.

[2] Le Douaron P. (dir.) « La formation tout au long de la vie », Revue française d'administration publique, 2002-4 (no 104), page 573-580.

[3] Möbus Martine. Mesurer la formation tout au long de la vie. Une enquête européenne réalisée en 2003. Net Doc 29. Cereq. Octobre 2007.

[4] Marion,I., Möbus, M., Théry, M., «Vers une ouverture des frontières de la formation continue», Bref, n°235, Céreq. 2006. P.1

[5] Méhaut Philippe. De la formation continue en entreprise à la formation tout au long de la vie : la difficile évolution du système français. Document du Lest. 2004

[6] De Virville M., Donner un nouvel élan à la formation professionnelle. Rapport au ministre du Travail, Paris, La Documentation Française, 1996.

Secrétariat d'état aux droits des femmes et à la formation professionnelle, La formation professionnelle, diagnostics, défis et enjeux, 1999.

Gauron A, Formation tout au long de la vie, Rapport du conseil d'analyse économique, Paris, La Documentation Française, 2000.

[7] Beret, P., Daune-Richard, A.M., Dupray, A., Verdier, E., Valorisation de l'investissement formation sur les marches du travail français et allemande, Rapport pour le commissariat au plan, Aix en Provence, Lest-CNRS, 1997.

[8] Méhaut Philippe « Formation professionnelle à la française : vers un nouveau « vocationalisme » ? », Documents du CEREQ, 2006. p.14

[9] Ancel, F., Le succès de la validation des acquis de l'expérience, Note DEP no04.36, ministère de l'éducation. 2004.

[10] Monso, Olivier et Thevenot, Laurent « Des milieux sociaux au marché du travail : Les questionnements sur la société française pendant quarante ans d'enquêtes « Formation et Qualification Professionnelle » ». Centre de Recherche en Economie et Statistique. Décembre 2008.

[11] Beret (Pierre) et Dupray (Annie) : « La formation continue : de l'accumulation de compétences à la validation de la performance », Formation emploi, n° 63, 1998.

[12] Pierre Le Douaron (dir.) « La formation tout au long de la vie », Revue française d'administration publique, 2002-4 (no 104), page 573-580.

[13] Monso, Olivier et Thevenot, Laurent, Op.Cit.

[14] Les « matrices de formation » sont un « ensemble, plus ou moins articulé, de mots-concepts renvoyant à des forces économiques, sociales ou politiques autour d'une conception dominante de la formation et de dispositifs c'est-à-dire de moyens pratiques et d'outils de gestion appuyés sur des lois, des règles et des procédures.» in Claude Dubar, « L'évolution des dispositifs français en matière de formation postscolaire. L'hypothèse des trois matrices de formation. » in Yves Morvan (dir.), La formation tout au long de la vie, PUR, 2006.p.45

[15] Claude Dubar, Op.Cit. p.52