L'Europe moins vieille que prévu
Paola Monperrus-Veroni
Frédéric Reynès
Dans une récente communication sur l'avenir démographique de l'Europe, la Commission européenne reprend les résultats d'un nouveau rapport sur la soutenabilité des finances publiques dans l'Union européenne (Commission européenne, 2006a et 2006b). Les évolutions démographiques présentées à l'horizon 2050 mineraient le potentiel de croissance économique, exigeant une remise en cause des systèmes de retraites et des réformes douloureuses. Trois facteurs seraient à l'origine de cette situation : une baisse du taux de fécondité, l'arrivée des baby-boomers à l'âge de la retraite et une forte augmentation de l'espérance de vie. L'immigration resterait soutenue (+ 900 000 par an en moyenne dans l'UE 25), mais insuffisante à compenser ces facteurs. En raison de ces tendances, la population de l'Union se réduirait et vieillirait.
En conséquence, la population en âge de travailler diminuerait entre 2010 et 2050 de 48 millions et le taux de dépendance doublerait : deux actifs par retraité au lieu de quatre aujourd'hui. L'emploi continuerait néanmoins à progresser grâce à la hausse du taux d'emploi des femmes et des personnes âgées. De ces évolutions démographiques résulterait une baisse de 1,2 % en moyenne annuelle du taux de croissance du PIB, si bien que l'Europe serait obligée de s'appuyer de plus en plus sur des gains de productivité comme source majeure de croissance économique.
Autant le vieillissement que le ralentissement de la croissance conduiraient à des pressions significatives sur les dépenses publiques, notamment celles liées à l'âge (retraite et santé), qui progresseraient de 4 points de PIB dans l'UE 25. Afin de maintenir un ratio dette/PIB à 60 % à l'horizon 2050, une restriction budgétaire permanente de l'ordre de 2 points de PIB en moyenne dans l'UE 25 serait nécessaire.
Alors que ce scénario noir repose sur d'anciennes projections démographiques (Commission européenne, 2005), les instituts nationaux de statistiques de plusieurs grands pays européens ont fourni récemment de nouvelles projections. Celles-ci prennent en compte le plus fort dynamisme démographique révélé par les derniers recensements, les effets des régularisations d'immigrés clandestins et l'impact anticipé des réformes des régimes de retraite sur les taux d'activité des seniors.
Ces nouvelles projections permettent de dresser un tableau plus optimiste concernant la croissance potentielle de l'économie européenne. À long terme (plus de dix ans), celle-ci conditionne la soutenabilité des régimes sociaux de retraite comme de santé. À moyen terme (mois de cinq ans), une bonne appréciation de l'écart de production à ce potentiel (output gap) permet de juger de la pertinence des politiques budgétaire et monétaire à mettre en œuvre (ou mises en œuvre), c'est-à-dire du policy-mix.
À partir de ces révisions de population active et en supposant une convergence par le haut des rythmes de productivité, la croissance potentielle future est ici estimée pour la France, l'Allemagne et l'Italie. L'impact sur la soutenabilité des systèmes de retraite est ensuite évalué pour les trois pays.
Une population plus nombreuse et plus active
En France, comme le détaille Plane dans la section II.4, les projections de population active ont été récemment révisées par l'INSEE, pour actualiser les hypothèses démographiques et prendre en compte l'impact de la réforme des retraites de 2003 sur les futurs taux d'activité. Les plus récentes projections démographiques de l'INSEE, fondées sur les résultats des enquêtes de recensement de 2004 et 2005, sont revues à la hausse, du fait de taux de fécondité et de solde migratoire plus élevés sur la période récente. D'une part, en raison d'une augmentation du flux net d'immigrés au début des années 2000, le solde migratoire est désormais supposé se maintenir à + 100 000 par an au lieu de + 50 000 selon le scénario de 2001, fondé sur le recensement de 1999 (tableau 1). D'autre part, les tendances récentes conduisent à revoir à la hausse l'indicateur conjoncturel de fécondité (1,9 enfant par femme, au lieu de 1,8 dans le scénario de 2001). Ces nouvelles projections atténuent le vieillissement, notamment après 2035, car l'effet de la fécondité ne se fait sentir qu'au-delà de cet horizon. Le taux d'activité des 15-64 ans monterait jusqu'à 69,6 % en 2050, contre 66,7 % dans l'ancien scénario. La population active augmenterait de 900 000 personnes à l'horizon 2050, alors qu'elle baissait à partir de 2006 dans le scénario précédent. Cette nouvelle projection est toutefois difficile à mettre en cohérence à court terme avec les évolutions récentes de l'emploi et du chômage.
Un phénomène comparable touche les projections de population active en Italie. Les dernières se fondent, comme les précédentes, sur le recensement de 2001, mais l'enquête de 2005 sur la population recensée conduit à d'importantes révisions à la hausse des flux nets d'immigration (+ 400 000), de l'espérance de vie et du taux de fécondité (1,6 % contre 1,4 % dans l'ancien scénario). Il en résulte une baisse moins marquée de la population (- 2,6 millions dans la dernière estimation contre - 5,5 dans les projections de 2001), de la population en âge de travailler et une hausse plus marquée du taux d'activité (70,4 % contre 67,7 %).
En Allemagne, l'Institut national de statistiques a fourni en novembre 2006 de nouvelles projections de population qui corrigent les évaluations de 2001. La population en 2005 serait plus faible de 500 000 personnes. La baisse à l'horizon 2050 serait plus marquée (700 000 personnes en moins par rapport à l'ancienne version). C'est le résultat du maintien de l'hypothèse d'une faible fécondité, conjuguée à la baisse des gains d'espérance de vie. La population active nouvellement projetée baisserait de 6,4 millions à l'horizon 2050, soit légèrement moins que dans les anciennes estimations, grâce à une plus forte hausse du taux d'activité des 15-64 ans, qui monterait jusqu'à 82,6 % en 2050, contre 79,8 % dans l'ancien scénario.
TABLEAU 1. HYPOTHÈSES DES PROJECTIONS DE POPULATION ET DE TAUX D'ACTIVITÉ
Un potentiel plus dynamique...
Les révisions de projections démographiques et de taux d'activité modifient radicalement la croissance potentielle en France, en Allemagne et en Italie par rapport aux scénarii précédents. En France, la croissance potentielle est supérieure de 0,3 point par an en moyenne entre 2006 et 2050 (tableau 2). En Allemagne, le surcroît de croissance est en moyenne de 0,1 point par an entre 2006 et 2050 mais il repose crucialement sur l'hypothèse d'une forte progression des taux d'activité. En Italie, le taux de croissance du PIB potentiel est plus élevé d'environ 0,5 point sur la période 2006-2010 et de 0,1 ensuite.
TABLEAU 2. AMÉLIORATION DE LA CROISSANCE POTENTIELLE AVEC LES NOUVELLES PROJECTIONS DE POPULATION ACTIVE
Mais la croissance potentielle dépend également des projections de taux de chômage et de productivité. La production potentielle correspond en effet au niveau utilisant au maximum les facteurs de production. On suppose que seul le facteur travail est limitatif à long terme et que la technologie de production peut s'écrire comme une fonction de l'emploi efficace intégrant le progrès technique, soit de la population active, du taux de chômage, de la population en âge de travailler et de son taux d'activité. Le taux de croissance potentiel de la production dépend donc des évolutions tendancielles de la population, des taux d'activité, de la productivité et du taux de chômage.
Pour tous les pays, au plein-emploi, le taux de chômage est supposé de 4,5 %, et nous retenons comme rythmes de retour au pleinemploi les hypothèses des organismes chargés du suivi des dépenses de protection sociale dans les différents pays.
En ce qui concerne les gains de productivité, nous projetons des gains moyens de 1,7 % par an pour la France (tableau 3), évaluation proche de celle du Conseil d'orientation des retraites (COR, 1,8 %) : la montée en puissance des allègements de charges a pris fin en 2002 et ne devrait plus peser sur l'évolution des gains de productivité. Pour l'Allemagne et l'Italie, les gains de productivité convergeraient vers un même rythme de 1,7 % à partir de 2020. En effet, nous avons supposé que les faibles gains de productivité observés dans ces pays au cours des années 1990 proviennent de facteurs temporaires. En Allemagne, la réunification a engendré un choc négatif de compétitivité (forte hausse des salaires, surévaluation du mark à l'entrée dans l'euro). L'Italie a connu une crise industrielle majeure et des mesures spécifiques (crédits d'impôt, régularisations massives d'immigrés) ont gonflé transitoirement l'évolution de l'emploi.
... mais toujours en déclin
La croissance potentielle ralentirait en France de 2,3 % en 2005 à 1,7 % sur la période 2021-2050 (tableau 3) 6. Ce ralentissement serait principalement causé par le vieillissement : la population en âge de travailler (de 15 à 64 ans) progresse encore de 0,6 % en 2005, mais baisserait de 0,2 % par an sur la période 2021-2050. Le taux d'activité et les gains tendanciels de productivité resteraient en effet relativement stables autour de 69 % et 1,7 %. En supposant que l'économie française retourne au plein-emploi en 2015, la croissance potentielle serait augmentée de 0,5 % par an jusqu'à cet horizon.
En Allemagne, la plus faible croissance potentielle (1,2 % en 2005) provient à la fois d'une population en âge de travailler déjà en baisse (- 0,5 %) et d'une progression limitée de la productivité tendancielle (1,2 %). La croissance potentielle se stabiliserait à 5. 1,3 % sur la période 2021-2050, du fait d'une plus forte baisse de la population (- 0,7 % par an), compensée par de plus forts gains de productivité (1,7 % par an). Le retour progressif au plein-emploi engendrerait un surcroît de croissance de 0,3 point par an jusqu'en 2030 et de 0,1 point par an entre 2030 et 2050.
TABLEAU 3. CROISSANCE POTENTIELLE EN ALLEMAGNE, EN FRANCE ET EN ITALIE
En Italie, la croissance potentielle (1,7 % en 2005) serait également plus faible qu'en France, mais cela s'expliquerait exclusivement par des gains de productivité tendanciels très faibles (0,5 %) jusqu'en 2020. La hausse des gains de productivité (1,7 % par an à partir de 2020) compenserait ensuite la baisse de la population en âge de travailler et le potentiel se stabiliserait à 1,1 % sur la période 2021-2050. Le schéma de retour au plein-emploi serait progressif comme en Allemagne.
Finalement, du fait d'une progression plus rapide de la population en âge de travailler, la France bénéficierait d'un surcroît de croissance de l'ordre de 0,5 % par an à l'horizon 2050. Ce dynamisme démographique proviendrait essentiellement d'un plus fort taux de fécondité en France (1,9, tableau 2) qu'en Allemagne (1,4) ou en Italie (1,6). Le scénario français est plus favorable que les autres, car il inscrit un retour au plein-emploi dès 2015, alors qu'il ne serait atteint qu'en 2030 en Allemagne et 2050 en Italie. Ces différences découlent de celles observées actuellement entre les marchés du travail (sortie d'une longue période de hausse du taux de chômage en Allemagne et d'une période de forte croissance de l'emploi en Italie), ainsi que des caractéristiques structurelles des chômeurs dans les trois pays.
En 2010, le taux d'emploi des 15-64 ans s'élèverait à 69,0 % en Allemagne, 64,1 % en France et 60,1 % en Italie. Ainsi, aucun des trois pays n'atteindrait l'objectif de la stratégie de Lisbonne (70 %). Pour que cet objectif soit respecté il faudrait un surplus annuel de croissance potentielle (par rapport à celle exposée au tableau 3) de 0,2 % en Allemagne, de 1,2 % par an en France et de 2,0 % en Italie sur la période 2006-2010.
Systèmes de retraite : des marges de manoeuvre supplémentaires
Les nouvelles projections ont un impact différent sur l'équilibre financier de long terme des systèmes de retraites dans les trois pays.
La part des dépenses de retraite dans le PIB était similaire en France et en Allemagne en 2005 (12,5 % du PIB), plus élevée en Italie (14,2 % du PIB). Selon les estimations officielles du COR, la révision des projections de population active contribuerait à réduire le déficit du système de retraite français de 2 points de PIB à l'horizon 2050 (voir section II.4). En Italie, elle conduirait à 0,3 point de PIB de moindres dépenses par an. En Allemagne, où la réforme de 2004 a introduit un paramètre permettant l'ajustement automatique de la prestation en fonction de l'évolution du taux de dépendance démographique, le déficit du système de retraite resterait inchangé au coût d'un plus faible taux de remplacement.
Bibliographie
- L'avenir démographique de l'Europe, transformer un défi en opportunité, Communication de la commission 2006,
- The Long-term Sustainability of Public Finance in the European Union, European Economy, n°4/2006
- The 2005 EPC projection of age-related expenditure: Agreed underlying assumptions and projection methodologies, European Economy, n°4/2005
- Troisième rapport du Conseil d'orientation des retraites : Retraites : perspectives 2020 et 2050, COR
- Coupet M. Révisions de la croissance potentielle de l'économie française à moyen-long terme, Trésor-Eco, n° 2 Novembre 2006
- Matthieu Lemoine, Paola Monperrus-Veroni et Frédéric Reynès L'Europe moins vieille que prévue, Lettre de l'OFCE n°2841 2007
- Bilan démographique 2006 : un excédent naturel record, Lucile Richet-Mastain, Insee Première n°1118, 2007
Pour aller plus loin
- Allemagne : les suites de la réforme des retraites et les propositions de la Commission « Rürup », Questions retraites, CDC,2003