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Les agences de notation

Publié le 24/02/2025
Auteur(s) - Autrice(s) : Norbert Gaillard
Dans cet article, Norbert Gaillard revient sur l'histoire des agences de notation et expose les méthodes à partir desquelles elles attribuent des notes aux émetteurs de dette publics et privés. Il analyse ensuite les controverses autour de leur activité.

Norbert Gaillard est économiste, consultant indépendant et spécialiste du risque de crédit. Il a publié aux éditions La Découverte une synthèse de référence sur Les agences de notation (coll. Repères, 2022). 

Introduction

Les agences de notation ne cessent de défrayer la chronique depuis la crise asiatique de 1997. Accusées de manquer de transparence, d'être impliquées dans des conflits d'intérêts, d'attribuer des notes (ou ratings) excessivement élevées puis d’annoncer des abaissements de notes (ou downgrades) aux pires moments, elles seraient le reflet d'un capitalisme financier instable.

Cet article se penche sur ces multiples polémiques : il s'attache à mieux comprendre le fonctionnement des agences en s'appuyant sur des travaux récents (Gaillard, 2022). La première partie présente l'industrie de la notation. La deuxième donne les définitions et concepts clés et détaille le mode d'attribution des ratings. Les troisième et quatrième parties étudient respectivement les notations des émetteurs de dette publics et privés. Enfin, la cinquième partie analyse les forces et les faiblesses des agences.

L'industrie de la notation

La notation financière trouve ses origines dans le renseignement économique. Celui-ci connaît un essor spectaculaire aux Etats-Unis à partir du milieu du XIXème siècle. La Mercantile Agency se spécialise dans l'information commerciale puis, en devenant R. G. Dun & Company, elle étend ses activités aux données économiques et financières. En 1900, elle compilait des informations sur plus d'un million d'entreprises, essentiellement américaines, mais émettait également un avis sur leur solvabilité (Sylla, 2002).

C'est en 1909 que John Moody décide d'attribuer des notes aux titres obligataires des compagnies de chemin de fer. Ce journaliste d'à peine 40 ans a compris que, face à l'afflux d'émissions obligataires et au risque de crise financière, les ratings sont un outil commode permettant aux banquiers et investisseurs de détecter les titres de dette les plus solvables. La notation financière était née. Au cours des années 1910, l'agence Moody's va se lancer dans la notation des obligations du secteur industriel, des public utilities, et enfin des titres souverains (c'est-à-dire des Etats) et des collectivités locales aux Etats-Unis et à l'étranger.

Durant l'entre-deux-guerres, trois concurrents de Moody's émergent : Poor's, Standard Statistics et Fitch. Les deux premières sociétés fusionnent en 1941 pour donner Standard & Poor's (S&P). Depuis 80 ans, S&P, Moody's et Fitch constituent les poids lourds de la notation financière. En 2023, ils absorbaient 94 % de parts de marché (Office of Credit Ratings, 2024). Cet oligopole s'explique en bonne partie par la stratégie de croissance externe privilégiée par les trois grandes agences (voir tableau 1).

Tableau 1. Liste non exhaustive des acquisitions des trois grandes agences de notation entre 2017 et 2022

Année de l'acquisition Agence rachetée (nationalité) Acquéreur
2017 Bureau Van Dijk (Pays-Bas) Moody's
2018 Fulcrum Financial Data (Etats-Unis) Fitch
2018 Kensho (Etats-Unis) S&P
2018 Panjiva (Etats-Unis) S&P
2019 451 Research (Etats-Unis) S&P
2019 RiskFirst (Royaume-Uni) Moody's
2020 IHS Markit (Etats-Unis) S&P
2020 ZM Financial Systems (Etats-Unis) Moody's
2021 CreditSights, Inc. (Etats-Unis) Fitch
2022 Shades of Green (Norvège) S&P
2022 Class y Asociados SA Clasificadora de Riesgo (Pérou) Moody's

Source : compilation de l'auteur.

Initialement, les agences de notation tiraient leurs revenus des diverses publications qu'elles vendaient aux investisseurs. A la suite de la récession de 1970 et en raison des progrès de la photocopieuse, elles changent de business model et décident de faire payer les émetteurs de dette (Encadré 1). Ceux-ci acceptent d'autant plus aisément que le contexte économique difficile les oblige à rassurer les marchés. Ce basculement du modèle de l'investisseur-payeur à celui de l'émetteur-payeur a accru la profitabilité des agences de façon spectaculaire. Depuis 2000, les marges opérationnelles de Fitch, Moody's et S&P sont équivalentes à celles du secteur du luxe, avoisinant, voire dépassant les 40 %.

Encadré 1 : Avantages et inconvénients du modèle de l'émetteur-payeur

Historiquement, l'activité des agences repose surtout sur la notation des entreprises. En 2023, 50 % du chiffre d’affaires de Moody's provenait du secteur corporate. Les 50 % restants sont à peu près également répartis entre les segments « financements structurés », « institutions financières » et « émetteurs publics » (Moody's, 2024).

Définitions, concepts et attribution des notations

Définitions et concepts

Les notations financières sont des opinions indépendantes, protégées par le premier amendement de la Constitution américaine. La « quasi-immunité » dont bénéficient les agences ne s'applique pas si les ratings ne traitent pas de question d'intérêt public ou revêtent un caractère commercial. Dans ces cas-là, les agences sont susceptibles d'être poursuivies et condamnées pour tromperie ou négligence (Gaillard et Waibel, 2018).

Une note reflète le risque de défaut de paiement d'un émetteur de dette ou d'un titre obligataire à court/moyen terme. En fait, un rating est assimilable à une probabilité de défaut. Il existe une vingtaine de notes et trois grandes catégories de notations : les ratings de la catégorie investissement, ceux de la catégorie spéculative et ceux de la catégorie « défaut » (voir tableau 2).

Tableau 2. Interprétation actuelle de l’échelle globale de notation de S&P.

Catégorie Note de S&P Signification
Catégorie investissement AAA La note AAA indique que le risque de crédit est le plus faible. Cette note n’est attribuée que dans les cas où l’aptitude à honorer les engagements financiers est exceptionnellement forte.

         AA+

         AA

         AA–

Le risque de crédit est très faible. L’aptitude à honorer les engagements financiers est très forte.

          A+

          A

          A-

Le risque de crédit est faible. Toutefois, une évolution défavorable des conditions économiques ou financières est susceptible d’altérer l’aptitude à honorer les engagements financiers.

         BBB+

         BBB

         BBB–

Le risque de crédit reste assez faible. L’aptitude à honorer les engagements financiers est suffisante bien qu’une évolution défavorable des conditions économiques et financières puisse altérer cette aptitude.
Catégorie spéculative

         BB+

         BB

         BB–

Il y a une possibilité d’apparition du risque de crédit, en particulier en raison d’une évolution défavorable des conditions économiques. Cependant, des ressources financières sont susceptibles d’être mobilisées pour honorer les engagements contractés.

         B+

         B

         B–

Le risque de crédit est significatif. Le respect des engagements financiers est encore assuré. Toutefois, le maintien de l’aptitude à honorer ces engagements dépend de conditions économiques favorables et de la mobilisation durable de ressources financières.

        CCC+

        CCC

        CCC-

        CC

        C

Le risque de défaut de paiement est élevé. L’aptitude à honorer les engagements financiers repose exclusivement sur des conditions économiques favorables et la mobilisation durable de ressources financières. L’éventail des notes indique que la défaillance est probable, très probable ou imminente.
Défaut de paiement         SD Situation de défaut de paiement sur une partie des titres émis.

        D

Situation de défaut de paiement sur l’ensemble des titres émis.

Source : d'après spglobal.com.

Au fil des années, les agences ont développé d'autres systèmes et échelles de notation. Citons par exemple les notes à court terme mesurant la solvabilité à 12 mois ; les notes sur échelle nationale qui évaluent la qualité de crédit relative des émetteurs et des titres de dette dans un pays donné ; les notes spécifiques aux produits structurés, etc.

Les notations sont généralement assorties d'une perspective (outlook) signalant l'évolution probable du rating à un horizon d'un à deux ans : elle peut être « négative », « positive » ou « stable ». Dans certaines occasions (crise financière, offre publique d'achat, etc.), les agences peuvent décider de mettre un rating sous surveillance (négative ou positive). Cette action signifie une forte probabilité de downgrade ou d'augmentation de note (upgrade) à très court terme.

Attribution des notes

Depuis l'instauration du modèle de l'émetteur-payeur dans les années 1970, les agences ont rendu leur processus de notation de plus en plus transparent. Une fois que l'émetteur de dette et l'agence sont engagés contractuellement, un haut responsable du secteur concerné au sein de l'agence désigne un analyste leader. Celui-ci réunit des informations sur l'émetteur. Cette démarche implique des rencontres avec le management et les actionnaires dans le cadre d'une note corporate et des échanges avec le chef du gouvernement, le ministre de l'Économie, des hauts fonctionnaires et/ou le directeur de la banque centrale pour un rating souverain.

A l'issue de cette visite, l'analyste leader rédige un mémorandum qui est ensuite présenté et discuté dans le cadre d'un comité de notation, composé de l'analyste leader et d'autres analystes du secteur. Au terme de ce débat, il est procédé à un vote qui aboutit à l'attribution d'une note. Une fois le rating officialisé, l'analyste leader suit l'évolution économique, financière et politique des entités qu'il supervise. Si des événements le justifient, il peut convoquer un comité de notation extraordinaire afin de réévaluer la qualité de crédit de l'émetteur (Nye, 2014). Les notations sont révisées une à deux fois par an, selon les réglementations en vigueur dans les Etats.

La notation des émetteurs de dette publics

Les Etats

Panorama

Le dynamisme de la notation souveraine est intimement lié au développement des marchés financiers. Au cours de la décennie 1920, l'afflux de dettes européennes et latino-américaines sur le marché new yorkais a été une aubaine pour Moody's et ses concurrents qui ont eu à noter des centaines de nouvelles émissions. En revanche, avec la Grande Dépression et son cortège de défauts souverains, l'activité ralentit considérablement. La Seconde Guerre mondiale puis la période de reconstruction, caractérisée par une forte intermédiation bancaire et un contrôle strict des capitaux, plongent le rating souverain en pleine léthargie.

Il faut attendre la globalisation financière des années 1980 pour que la notation des Etats connaisse un vrai renouveau. Plusieurs facteurs méritent d'être avancés. Tout d’abord, les restrictions aux mouvements de capitaux sont progressivement levées, permettant aux Etats d'emprunter plus aisément hors de leurs frontières. Ensuite, le plan Brady de 1989 visant à transformer les dettes bancaires de plusieurs Etats émergents tombés en défaut en titres obligataires constitue une belle opportunité pour l'industrie de la notation car ceux-ci doivent obtenir un rating pour attirer les investisseurs. Enfin, au début des années 2000, le Département d'État américain et le Programme des Nations unies pour le développement lancent deux initiatives en vue d'assurer à une quinzaine États d'Afrique subsaharienne une première note souveraine. En 2023, environ 150 Etats étaient notés par au moins l'une des trois grandes agences. En moyenne, la moitié des ratings souverains de Fitch, Moody's et S&P sont dans la catégorie investissement.

Il est important de rappeler qu'il existe des alternatives aux notations souveraines émises par les agences de notation. Mentionnons par exemple les ratings et indices souverains des banques et des fonds d'investissement (parfois rendus publics), les Credit Default Swaps (assimilables à des contrats d'assurance contre le risque de défaut), les rendements obligataires (ou yields, c'est-à-dire les taux d'intérêt rapportés par les obligations) ou encore les primes de risque (ou spreads) qui représentent les différentiels de taux entre un émetteur quelconque et un émetteur « sans risque ».

Les déterminants des notes souveraines et leur fiabilité

Il a fallu attendre la crise financière de 2007-2008 pour que les méthodologies de notation souveraine deviennent véritablement transparentes. Auparavant, il était malgré tout possible, grâce à des tests économétriques, de dégager les principaux déterminants des notations souveraines. C'est l'occasion de constater que ceux-ci ont assez peu évolué depuis l'entre-deux guerres. Concrètement, ce sont le produit intérieur brut par habitant, l'inflation, le ratio de dette sur exportations et la survenance ou non d'un défaut souverain dans un passé proche qui pèsent le plus sur les ratings des Etats (Gaillard, 2011[).

Les controverses relatives à la fiabilité des notes souveraines n'ont cessé de se multiplier depuis la crise asiatique de 1997. Les critiques les plus acerbes furent exprimées lors de la tourmente financière qui a touché la zone euro en 2010-2012. Non seulement les notes des Etats d'Europe du Sud étaient excessivement élevées lorsque la crise grecque a éclaté fin 2009 mais en outre les dégradations de la Grèce, de Chypre, de l'Italie, de l'Espagne et du Portugal entre 2010 et 2014 ont exacerbé l'aversion au risque sur les marchés (voir graphique 1). Pourtant, l'examen approfondi des taux de défaut par rating depuis 40 ans montre que les Etats notés en catégorie investissement parviennent quasiment toujours à honorer leurs engagements financiers à un horizon d'un an et même de deux ans. Les rares exceptions furent la Grèce et Chypre au début des années 2010.

Graphique 1 : Évolution des notes attribuées par S&P à l’Espagne, l’Italie et la Grèce entre janvier 2000 et janvier 2020.

Source : Gaillard (2014b) et spglobal.com.

Les collectivités territoriales

Les agences ont l'habitude de distinguer les collectivités territoriales américaines de toutes les autres entités locales. En dépit des défauts de paiement retentissants de la ville de Detroit en 2013 et de Porto Rico en 2016, les collectivités et entreprises publiques locales outre-Atlantique demeurent particulièrement solvables. Chez Moody's, près de 99 % sont notées dans la catégorie investissement, ce qui constitue une singularité dans le paysage de la notation financière.

En dehors des Etats-Unis, la solidité financière des collectivités territoriales dépend fortement de celle de l'Etat de tutelle. Ainsi, dans la foulée de la dégradation d'une note souveraine, il est fréquent d'observer un abaissement des notes des entités locales situées dans le pays en question. Sans surprise, les défauts de collectivités territoriales coïncident souvent avec la banqueroute de l'Etat (cas de la Russie en 1998, de l'Argentine en 2002 et 2020 et de l'Ukraine en 2015).

La notation des émetteurs de dette privés

Les entreprises

Panorama

La notation corporate connaît une expansion quasiment ininterrompue depuis plus de 50 ans. Le nombre d'entreprises notées par Moody's est en effet passé d'un millier environ en 1970 à près de 6 900 en 2022. La proportion de sociétés européennes, latino-américaines et asiatiques a régulièrement augmenté, rompant avec l'image d'émetteurs de dette américains évalués par des agences américaines. Dans le même temps, le pourcentage d'entreprises notées en catégorie investissement par Moody's a chuté de 72 % en 1970 à 52 % en 2022. Pourquoi ?

Depuis les années 1970, la concurrence internationale accrue et les sévères récessions ont mis à l'épreuve le secteur corporate. Les entreprises ont été contraintes d'emprunter beaucoup plus, ce qui a pesé sur leur solvabilité et accentué les risques de faillite. Le montant total de la dette corporate notée par Moody's et tombée en défaut de paiement a grimpé de 2 milliards de dollars durant la décennie 1970 à 126 milliards au cours de la décennie 1990 puis à 746 milliards dans les années 2010. Des fleurons industriels américains comme General Motors, Ford, Chrysler et Eastman Kodak ont fait faillite depuis le début du siècle.

Dans un tel contexte, on comprend que les notes d'entreprises soient moins stables que les ratings souverains. Néanmoins, ce constat doit être nuancé si l'on compare l'évolution des notes corporate attribuées par Moody's lors des deux dernières récessions (tableau 3). Les montants de dettes tombées en défaut sont assez équivalents : 276 milliards de dollars en 2008 contre 227 milliards en 2020. Pourtant, en 2020, les notations ont été nettement plus stables qu'en 2008 et, lorsque des dégradations ont été annoncées, leur magnitude a été bien moindre durant la pandémie de Covid. Deux facteurs expliquent ce décalage. D'une part, Moody's (comme ses concurrents d'ailleurs) a abordé la récession de 2020 avec des notes en moyenne plus basses qu'en 2008. D’autre part, l'action proactive menée dès le mois de mars 2020 par les banques centrales et les gouvernements occidentaux et destinée à empêcher une crise systémique [1] a rassuré les marchés financiers et dissuadé les agences de dégrader massivement les notes d'entreprises (voir Block, 2021, pour le cas américain).

Tableau 3. Evolution annuelle des notes du secteur corporate lors des deux dernières récessions.
Note de Moody's 2008 2020
Upgrade Note inchangée Downgrade d'un cran Downgrade de plus d'un cran Upgrade Note inchangée Downgrade d'un cran Downgrade de plus d'un cran
Aaa NA 84,1 2,2 13,7 NA 83,6 12,7 3,7
Aa1 0,0 79,0 10,5 10,5 0,0 82,9 2,4 14,7
Aa2 0,4 70,7 14,1 14,8 0,0 93,0 4,0 3,0
Aa3 0,0 60,2 21,5 18,3 0,0 86,6 11,8 1,6
A1 0,0 71,2 15,2 13,6 4,1 87,5 5,3 3,1
A2 0,0 77,4 10,8 11,8 2,3 84,6 7,2 5,9
A3 0,0 79,5 7,9 12,6 1,7 87,8 5,7 4,8
Baa1 0,0 76,5 8,1 15,4 0,9 87,3 6,4 5,4
Baa2 0,0 82,2 5,4 12,4 5,1 85,4 5,1 4,4
Baa3 0,0 72,8 4,7 22,5 4,3 77,3 5,6 12,8
Ba1 0,0 69,4 5,8 24,8 5,6 68,2 12,4 13,8
Ba2 0,0 67,2 9,8 23,0 5,3 72,0 8,6 14,1
Ba3 0,0 57,7 10,3 32,0 8,6 69,4 10,7 11,3
B1 0,0 64,5 9,7 25,8 4,2 60,5 10,9 24,4
B2 0,0 57,4 11,4 31,2 3,2 64,1 11,0 21,7
B3 0,0 59,8 13,3 26,9 8,9 58,7 11,8 20,6

Source : Moody's.

Note. Le tableau se lit de la façon suivante : 84,1 % des entreprises notées Aaa au 1er janvier 2008 avaient sauvegardé leur rating au 31 décembre 2008.

Les déterminants des notes du secteur corporate

Les méthodologies de notation corporate ont gagné en transparence depuis 20 ans. Bien qu'il y ait désormais une méthodologie par secteur d'activité, il est possible de dégager quelques grands critères de notation. Les agences prennent en compte l'impact du risque pays [2] sur la solvabilité d'une entreprise, les caractéristiques de son secteur d'activité (croissance, cyclicité, concentration) et son positionnement (spécialisation ou diversification géographique et par type de produits ou de services).

Ensuite, les agences analysent le profil financier de l'entreprise qui repose sur quatre piliers :

  • La croissance et la rentabilité, via l'évolution du chiffre d'affaires, l’EBITDA (Earnings before interests, taxes, depreciations and amortizations), le résultat d’exploitation sur chiffre d'affaires et la rentabilité des fonds propres.
  • La capacité à dégager des flux d'exploitation et d'investissement, ce qui requiert (entre autres) d'examiner la capacité d'autofinancement et le cash flow obtenu exclusivement par les opérations d'exploitation.
  • La flexibilité financière à court et moyen terme, fonction de l'endettement net sur fonds propres, de l'endettement net sur EBITDA, de l'EBITDA sur charges d'intérêt nettes et du profil de la dette.
  • L'évaluation de la stratégie du management (communication, gouvernance d'entreprise, politique comptable, etc.).

Les produits structurés

Les produits structurés sont des obligations adossées à divers actifs. Il peut s'agir de prêts étudiants, de prêts à la consommation, d'encours de cartes de crédit, de prêts d'entreprises, de crédits hypothécaires résidentiels (les RMBS, residential mortgage-backed securities), ou de crédits hypothécaires commerciaux (les CMBS, commercial mortgage-backed securities). Ces titres négociables sont découpés en tranches qui sont hiérarchisées en fonction de leur risque et de leur rendement : c'est le processus de structuration (Aglietta, 2008).

Trois types de risque sont pris en considération par les agences pour noter les produits structurés : le risque de crédit, le risque de structure et le risque propre au tranchage du titre (Fitch, 2020). Le risque de crédit renvoie à la qualité des actifs sous-jacents. Le risque de structure, essentiellement juridique, consiste à s'assurer que les actifs sont réels et à l'abri de fraude. Enfin, le risque propre au tranchage est lié aux règles de priorité de paiement entre les différentes tranches d'actifs. Par exemple, les RMBS jugés les plus risqués sont les subprime RMBS tandis que les plus solvables a priori sont les prime RMBS.

La responsabilité des agences de notation dans la débâcle du subprime de 2007-2008 a été largement documentée (voir U.S. Senate, 2011). Pour préserver leurs parts de marché et ne pas mécontenter les grandes institutions financières, à l'origine des RMBS, des CMBS et des ABS (asset-backed securities), les agences ont sciemment accepté d'être au cœur de conflits d'intérêts majeurs (cf. supra, encadré 1). Concrètement, elles ont délibérément surnoté les produits structurés jusqu'en 2007. En outre, elles ont laissé leurs ratings reposer sur des méthodologies inadéquates, des processus de notation opaques et des sous-effectifs chroniques. Ces manquements ont conduit à une déconnexion croissante entre la qualité réelle des produits structurés et les notes qui leur étaient attribuées. Inévitablement, lorsque la crise du subprime a éclaté à l'été 2007, les agences ont dû procéder à des dégradations massives qui ont affolé les marchés.

Forces et faiblesses des agences de notations

Les forces et faiblesses des agences se mesurent à l'aune de quatre critères : la fiabilité de leurs notations, leur objectivité, l'intégration de leurs notes dans les réglementations financières et leur influence sur les arbitrages des investisseurs.

La fiabilité des notes

Plusieurs outils statistiques servent à déterminer la qualité des notations. Les indicateurs les plus courants sont les taux de défaut. Les notes d'une agence sont d'autant plus fiables que les taux de défaut des ratings les plus élevés sont bas et que les taux augmentent au fur et à mesure que l'on descend l'échelle de notation. La limite des taux de défaut tient au fait qu'ils ne permettent pas de détecter une agence qui « sous-noterait » les émetteurs afin de préserver des taux de défaut très bas pour ses notes élevées. Afin de remédier à ce problème, les agences ont eu recours au ratio d'efficacité (dérivé du coefficient de Gini). Celui-ci détermine la capacité d'une agence à attribuer, pour un horizon donné, des notes élevées aux émetteurs qui ne feront pas défaut et des notes basses aux émetteurs qui feront défaut. Ce ratio s'échelonne de 1 à –1. Plus il se rapproche de 1, plus il indique que l'agence discrimine efficacement les émetteurs (voir tableau 4). Une autre mesure de la qualité des notes consiste à présenter les ratings moyens et médians des émetteurs au cours des mois qui ont précédé leur défaut.

Tableau 4. Ratios d’efficacité (RE) à un an, trois ans et cinq ans pour les notes souveraines de Fitch, Moody’s et S&P, 1er janvier 2001-1er janvier 2013.

  RE à un an

RE à trois ans

RE à cinq ans

Fitch

0,902 0,793 0,777

Moody's

0,925 0,789 0,797
S&P 0,926 0,815 0,812

Source : Gaillard (2014a).

Depuis la globalisation financière des années 1980, les notations ont été relativement fiables, à l'exception des notes des produits structurés à la veille de la crise de 2007. A l'heure actuelle, on peut cependant juger que les ratings souverains de plusieurs Etats occidentaux demeurent excessivement généreux, compte tenu des risques politiques et de l'envolée des dettes publiques.

Réglementations des agences et objectivité de la notation

Le secteur de la notation n'a été soumis à de véritables contraintes réglementaires qu'à la suite de la crise du subprime. Aux Etats-Unis, la loi Dodd-Frank de 2010 a créé l'Office of Credit Ratings afin de contrôler la transparence et la qualité des méthodologies, les processus de notation, les performances des ratings attribués, la compétence des analystes et la prévention des conflits d'intérêts. La loi Dodd-Frank a également prévu le retrait des notations des réglementations financières (voir infra). Dans l'Union européenne, c'est le règlement (UE) n°462/2013 de 2013 qui encadre beaucoup plus strictement l'industrie du rating. Un régime de responsabilité civile des agences a été instauré. Comme outre-Atlantique, les références aux notations dans les différentes normes réglementaires ont été retirées et c'est une nouvelle entité (l'Autorité européenne des marchés financiers, AEMF) qui supervise l'activité des agences, contrôlant la qualité des notes ou encore la lutte effective contre les conflits d'intérêts.

Ce dernier point continue de poser problème aux Etats-Unis comme en Europe. Ainsi, l'AEMF a récemment infligé des amendes de plusieurs millions d'euros à Fitch et Moody's pour avoir enfreint les règles en matière de lutte contre les conflits d'intérêts. Le régulateur européen a par exemple constaté l'attribution de notes à des émetteurs de dette dont un actionnaire de référence ou un membre du conseil d'administration était aussi actionnaire de l'agence.

Les notes dans les réglementations financières

Les régulateurs américains ont intégré les notations dans les réglementations financières dès 1931. Il était alors précisé que les obligations privées et étrangères pouvaient être comptabilisées dans les bilans à leur valeur nominale et non à leur valeur de marché. Cette règle voulait éviter que des titres de « bonne qualité » ne se déprécient pour des raisons conjoncturelles. Au cours des décennies suivantes, les réglementations incluant des références aux notations se sont multipliées aux Etats-Unis puis en Europe. Cette tendance s’est poursuivie jusqu’au milieu des années 2000 lors de l’instauration des Accords de Bâle II puisque les exigences minimales de fonds propres des banques reposaient sur les ratings. Plus la note d’une créance était élevée, plus l’exigence en capital était faible. On peut que considérer que l’influence des agences a culminé à la veille de la crise financière de 2007-2008.

La loi Dodd-Frank de 2010 et le règlement (UE) n°462/2013 de 2013 ont procédé au retrait des notes des réglementations financières. Les substituts aux ratings existent mais les régulateurs, surtout aux Etats-Unis, doutent souvent de leur pertinence (Gaillard, 2016).

L'impact des changements de notes

Les ratings souverains

L'étude de l'impact des changements de notes souveraines affectant les émetteurs émergents entre 1993 et 2007 révèle que les downgrades (upgrades) conduisent en moyenne à des augmentations (baisses) de primes de risque pour les Etats concernés. De même, les effets d'un downgrade de la catégorie investissement à la catégorie spéculative sont bien plus significatifs que ceux d'un upgrade de la catégorie spéculative à la catégorie investissement (Gaillard, 2011).

L’influence des notations souveraines s’étend aux autres classes d’actifs. Entre 1995 et 2011, il apparaît que les dégradations de notes souveraines ont pesé négativement sur le cours de Bourse des banques domestiques, plus particulièrement des établissements de crédit systémiques (Correa et al., 2014).

Les ratings du secteur corporate

L'analyse de l'évolution de près d'un millier de notes d'entreprises entre 2008 et 2013 conclut que les abaissements de notes n'ont pas d'impact significatif, que ce soit sur le cours des actions ou sur les CDS. Les investisseurs tendent à anticiper les downgrades et scrutent les indicateurs de marché plutôt que les notations quand l'aversion au risque s'accroît (Kiesel, 2016).

Références bibliographiques

Aglietta M. (2008), « Comprendre la crise du crédit structuré », La Lettre du CEPII, n° 275, février.

Block C. D. (2021), « Design and Cost of U.S. Responses to the 2007–2009 Financial Crisis and the 2020 Covid-19 Pandemic », in Flores Zendejas J. H., Gaillard N. et Michalek R. (dir.), Moral Hazard. A Financial, Legal, and Economic Perspective, Routledge, Abingdon.

Correa R., Lee K-H., Sapriza H. et Suarez G. A. (2014), « Sovereign Credit Risk, Banks' Government Support, and Bank Stock Returns around the World », Journal of Money, Credit and Banking, vol. 46, supplement n° 1.

Fitch (2020), Global Structured Finance Rating Criteria, 17 juin.

Gaillard N. (2011), A Century of Sovereign Ratings, Springer, New York.

Gaillard N. (2014a), « What Is the Value of Sovereign Ratings? », German Economic Review, vol. 15, n° 1.

Gaillard N. (2014b), « How and Why Credit Rating Agencies Missed the Eurozone Debt Crisis », Capital Markets Law Journal, vol. 9, n° 2.

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Notes

[1] Le risque systémique constitue le risque de voir le système financier national, voire international, s'effondrer suite à la faillite d'un acteur économique ou financier majeur, dit « systémique ».

[2] Plus large que le risque souverain (évalué par les agences de notation), le risque pays peut se définir comme l'ensemble des risques « d'ordre macroéconomique, microéconomique, financier, politique, institutionnel, juridique, social, sanitaire, technologique, industriel et climatique susceptibles d'affecter une firme multinationale, une entreprise exportatrice, ou un investisseur en portefeuille dans un pays étranger » (Gaillard, 2015).