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Union européenne : Du bon usage de la discipline budgétaire

Publié le 02/06/2007
Auteur(s) - Autrice(s) : Jacques Le Cacheux
©2007 Encyclopædia Universalis
Analyse de l'économiste Jacques Le Cacheux sur les règles budgétaires européennes et leur usage : pourquoi instaurer des règles budgétaires européennes, avec le pacte de stabilité et de croissance, alors que la politique budgétaire est du ressort des Etats ? Quelles sont les coûts, notamment en termes d'investissements d'avenir, de cet encadrement de la politique budgétaire pour les pays européens de la zone euro ?

Article extrait d'Universalia 2007, publié avec l'aimable autorisation de l'éditeur, Encyclopædia Universalis.

Verrait-on enfin le bout du tunnel ? À la suite de la publication, début novembre 2006, de prévisions de croissance relativement optimistes pour l'Union européenne (U.E.) et la zone euro en 2006 et 2007, le commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, Joachim Almunia, a annoncé que la Commission mettrait un terme à la procédure dite des "déficits excessifs" qu'elle avait engagée à l'encontre du gouvernement français depuis plus de trois ans, le déficit public français étant d'ores et déjà en 2006 inférieur à la limite autorisée (2,6% du P.I.B. prévus) et devant se maintenir au même niveau en 2007. Il se pourrait même qu'elle en fasse autant pour l'Allemagne, dont le déficit public devrait également repasser en 2007 sous la barre fatidique des 3% du P.I.B. Cette amélioration se produit après des années de dégradation des finances publiques, particulièrement prononcée dans les grands pays membres de la zone euro : en Allemagne, en France ou encore en Italie, les déficits publics ont systématiquement dépassé la limite supérieure en principe imposée par le pacte de stabilité et de croissance (P.S.C.), tandis que les ratios d'endettement public n'ont cessé de s'accroître. Le retour "dans les clous" des deux premiers pays et les efforts considérables déployés par le troisième pour faire de même au plus tôt - le Parlement italien a adopté un budget de rigueur drastique pour l'année 2007 - signalent-ils le retour d'une véritable discipline budgétaire dans la zone euro? Serait-ce la preuve que la réforme du pacte, adoptée au printemps de 2005, commence à porter ses fruits?

Rien n'est moins sûr, car l'amélioration de la situation des finances publiques dans les deux plus grandes économies de la zone euro - l'Allemagne représente à elle seule 34% du P.I.B. de la zone, la France 22 p.100 - doit sans doute beaucoup à l'embellie conjoncturelle, largement imprévue pour 2006 au moins, qui demeure fragile et dont la pérennité n'est en rien assurée. L'assainissement des finances publiques est tout juste entamé, et l'endettement public demeure élevé, comme le soulignait, en décembre 2005, le rapport, sans doute alarmiste, établi sous la houlette de Michel Pébereau, qui citait les chiffres d'un stock total de dette publique atteignant, en France, près de 1100 milliards d'euros, soit quelque 17000 euros par personne. Alors que le ratio d'endettement public atteint 68% du P.I.B. en France à la fin de 2006, il dépasse les 70% en Allemagne, et excède largement les 100% du P.I.B. en Italie. Le pacte de stabilité, dont l'objectif explicite est la stabilisation, voire la réduction, de ces ratios, est donc apparemment resté lettre morte. Entre vif regain d'optimisme et alarmisme excessif, où se situer ?

Les institutions et les règles budgétaires dans les traités européens

Au contraire de la politique monétaire de la zone euro, complètement centralisée, du moins en ce qui concerne les décisions sur son orientation, les politiques budgétaires sont demeurées aux mains des gouvernements nationaux. Le budget européen, en tant qu'instrument d'action budgétaire coordonnée, est resté cantonné, par les traités et par la volonté des gouvernements nationaux, à un second rôle, tant par sa taille très réduite (environ 115 milliards d'euros en 2006, soit un peu plus de 1% du P.I.B. de l'U.E.) et la structure très contrainte de ses dépenses, que par l'obligation qui lui est faite d'être en équilibre chaque année.

Une politique budgétaire décentralisée...

Cette décentralisation budgétaire s'explique à la fois par l'application du principe de subsidiarité (en dehors du champ d'application des traités, les institutions communautaires ne sont compétentes qu'en cas d'insuffisance des États) et par les impératifs de la régulation conjoncturelle d'une zone monétaire encore très imparfaitement intégrée. En effet, selon les enseignements de la théorie des zones monétaires optimales due à Robert Mundell (1961), les pays membres d'une zone monétaire souffrant d'imperfections diverses - rigidités de prix, faible mobilité de facteurs de production, inexistence d'un budget commun, etc. - doivent pouvoir disposer d'un instrument pour faciliter les ajustements face à des chocs macroéconomiques asymétriques (n'affectant pas de la même manière ou avec la même force tous les pays de la zone) ou spécifiques (à un seul pays de la zone). Ce serait donc le rôle des politiques budgétaires nationales que de permettre l'ajustement à des chocs asymétriques, la politique monétaire unique se chargeant, quant à elle, en principe, des réponses aux chocs communs (symétriques) à l'ensemble de la zone.

... mais encadrée par le pacte de stabilité et de croissance

Pourtant, la liberté des budgets nationaux est soumise aux limites imposées par le pacte de stabilité et de croissance, adopté en 1997 lors du sommet européen d'Amsterdam et destiné à remplacer, dans le cadre de l'union monétaire, la discipline des "critères de Maastricht". Ce pacte stipule trois règles: les budgets publics nationaux doivent tendre à l'équilibre à moyen terme; les déficits publics nationaux courants ne doivent pas dépasser 3% du P.I.B., sauf circonstances exceptionnelles: c'est la règle dite des "déficits publics excessifs", dont le non-respect déclenche, en principe, une procédure d'avertissement par la Commission, puis de sanctions, adoptées par le Conseil, sous forme de dépôt, puis d'amende; les gouvernements doivent s'efforcer de stabiliser leurs ratios d'endettement public sous la barre des 60% du P.I.B. Les contraintes qui pèsent ainsi sur les politiques budgétaires nationales risquent, à l'évidence, d'entraver leur capacité de réaction en cas de chocs asymétriques ou spécifiques: nombre d'observateurs ont souligné les coûts d'un pacte susceptible de contraindre les gouvernements nationaux à des orientations pro-cycliques, restreignant les dépenses ou augmentant les prélèvements dans les périodes de basse conjoncture et relâchant les efforts d'assainissement quand la croissance revient et desserre le carcan du plafond de déficit. En outre, les coûts politiques de l'ajustement pourraient inciter ces mêmes gouvernements à sacrifier les dépenses publiques les plus productives.

Pourquoi des règles budgétaires européennes?

Pourquoi soumettre les gouvernements nationaux des États membres à des règles budgétaires, alors que ni les États souverains, ni les entreprises, en général, ne sont assujettis à de telles contraintes?

Pour relayer la discipline de marché

On pourrait imaginer que les marchés financiers, qui sont censés exercer une discipline financière sur tous les débiteurs, notamment en faisant supporter à chacun un taux d'intérêt sur sa dette d'autant plus élevé qu'il est plus endetté, assurent, dans ce cas aussi, la discipline financière requise. Et ils semblent d'ailleurs le faire, au moins partiellement: ainsi les grandes agences de notation, qui publient régulièrement un jugement synthétique sur les principaux emprunteurs du monde, ont, en octobre 2006, décidé de "dégrader" la dette publique italienne, jugeant ses perspectives d'évolution moins bonnes que prévu, ce qui a eu pour effet de faire monter le taux d'intérêt sur cette dette. Mais il y a de bonnes raisons de penser que cette discipline de marché est moins efficace dans une union monétaire que dans le cas d'États monétairement souverains, car les investisseurs tablent sur une certaine solidarité de fait, sinon de droit, entre gouvernements des pays membres. C'est d'ailleurs pour éviter cette éventualité que les rédacteurs du traité de Maastricht avaient inscrit une clause de "non-renflouement", stipulant que ni les États membres, ni la Banque centrale européenne (B.C.E.) ne sont autorisés à remédier à l'insolvabilité de l'un d'entre eux.

Pour limiter l'indiscipline financière

Il est toutefois apparu que la clause de non-renflouement ne pouvait suffire, notamment en raison de sa faible crédibilité en cas de problème sérieux, de sorte que l'on a préféré compléter cette disposition par les règles budgétaires du pacte, pour protéger tant les autres États membres que l'indépendance de la B.C.E. contre les risques d'une éventuelle indiscipline financière de l'un des membres. Dans une union monétaire, chacun des gouvernements nationaux est, en effet, davantage enclin à l'endettement, voire au surendettement, dans la mesure où une partie au moins des conséquences de cette stratégie est supportée par les autres: s'il doit y avoir des conséquences négatives sur le taux de change, celles-ci sont subies par tous les membres de la zone monétaire; si les taux d'intérêt de long terme sur les dettes publiques sont liés, la hausse de l'un entraîne tous les autres dans son mouvement; et si la B.C.E. réagit à la dégradation des finances publiques de l'un des États membres en augmentant son taux d'intérêt de court terme, c'est encore l'ensemble des pays membres qui en pâtissent. C'est donc, en principe, pour imposer aux gouvernements nationaux des pays membres une politique de solvabilité - ou de "soutenabilité" - qu'ils sont moins incités à mettre en œuvre que dans la situation antérieure de souveraineté monétaire nationale, que le pacte de stabilité a été conçu, évitant ainsi les effets externes négatifs que les stratégies financières nationales sont de nature à faire supporter aux partenaires.

La règle commune, ou la camisole à taille unique

Toute règle a cependant un coût, et celui du pacte apparaît élevé, notamment pour les plus grands pays européens qui sont entrés dans la zone euro avec des finances publiques beaucoup plus dégradées que ne l'avaient imaginé ceux qui, en 1991 à Maastricht, avaient choisi les critères que ce pacte pérennise. Le pacte invite, en effet, les gouvernements nationaux à stabiliser leur ratio d'endettement au-dessous de 60% du P.I.B. et à viser, pour ce faire, un budget en équilibre ou en léger excédent.

De trop faibles marges de manœuvre initiales

Dans les conditions définies par le pacte, un ralentissement de l'activité ou même une récession d'ampleur modérée peuvent aisément être surmontés, la dégradation automatique des comptes publics ne risquant pas en pareil cas de pousser le budget au-delà des 3% du P.I.B. prévus; et, en cas de récession "sévère", le pacte prévoit d'autoriser le dépassement de cette limite. Mais rappelons que, pour la plupart des pays membres et en particulier pour les plus grands d'entre eux, l'entrée dans la zone euro s'est faite sans la moindre marge de manœuvre, avec une dette publique à la limite de 60% du P.I.B., voire au-dessus, et un déficit budgétaire juste au-dessous du plafond des 3% du P.I.B. Dès lors, la récession de 2001 et la faible croissance qui a caractérisé les années suivantes ont aussitôt poussé les grands pays à la faute.

De plus, il est apparu que les ajustements budgétaires nécessaires au respect du pacte étaient relativement plus aisés pour les "petits" pays, économiquement très ouverts, dont la demande intérieure ne représente qu'une part minime des débouchés et dont les politiques de compétitivité sont, au contraire, particulièrement efficaces, que pour les "grands", moins ouverts aux échanges extérieurs: une réduction des dépenses publiques qui affecte la demande intérieure a, pour les premiers, peu de conséquences sur les débouchés des entreprises nationales, plus tournées vers l'extérieur, tandis que les seconds voient leur produit intérieur affecté négativement; à l'inverse, une baisse d'impôts ou de charges, notamment sur les entreprises ou les capitaux, a des effets positifs forts sur la compétitivité des premiers, ce qui compense les éventuelles pertes de recettes fiscales, que les seconds risquent au contraire de subir.

La réforme du pacte

Contraints de reconnaître les difficultés d'application d'une règle conçue dans un contexte fort différent et dont Romano Prodi, alors président de la Commission européenne, avait reconnu qu'elle était "stupide", la Commission et le Conseil ont finalement accepté de réformer le pacte pour en atténuer les défauts. La réforme, adoptée par le Conseil européen au printemps de 2005, élargit la définition des "circonstances exceptionnelles", pour y inclure les ralentissements conjoncturels et non plus les seules récessions "sévères", et tenir compte de toutes sortes de circonstances nationales. Elle prévoit aussi de faire reposer la surveillance des déficits par la Commission européenne sur une évaluation du solde budgétaire "structurel", qui tient compte de la position cyclique de l'économie, et non plus de sa valeur courante. En recourant à ce type d'indicateur, souvent considéré par les économistes comme meilleur, parce que la mesure y est purgée des conséquences automatiques des fluctuations de l'activité sur le solde budgétaire, la Commission rend le pacte moins "stupide". Elle espère lui ôter son caractère pro-cyclique, notamment parce qu'elle compte peser ainsi sur les gouvernements nationaux pour qu'ils réduisent leur déficit et leur dette en période d'accélération de la croissance.

Mais le "nouveau" pacte ne saurait suffire à inciter les gouvernements nationaux à entreprendre de manière coordonnée des politiques favorables à la croissance de la zone tout entière. En effet, les évaluations des "soldes structurels" sont discutables, parce qu'elles reposent sur une estimation de la croissance potentielle de chaque pays, estimation elle-même sensible aux évolutions conjoncturelles. En outre, la réforme a écarté l'idée d'une "règle d'or" des finances publiques, à l'anglaise, qui fonde la discipline budgétaire sur un critère de solde excluant les dépenses publiques d'investissement, c'est-à-dire celles, précisément, qui sont censées agir sur le sentier de croissance potentielle de l'économie; et elle a, en revanche, durci la contrainte de stabilisation de l'endettement public en proposant de tenir compte des dettes publiques "implicites", c'est-à-dire des engagements "hors bilan", non financés, des administrations publiques nationales, principalement les pensions de retraite futures des fonctionnaires.

La discipline imposée aux budgets nationaux par le nouveau pacte paraît ainsi renforcée, ce qui pourrait favoriser la réduction des endettements publics. Mais cette évolution risque bien d'avoir des coûts élevés : privés de marges de manœuvre, les gouvernements nationaux vont devoir, pour la plupart, poursuivre encore longtemps la cure de rigueur budgétaire, retardant d'autant la mise en œuvre de politiques ambitieuses dans des domaines pourtant cruciaux tels que la recherche ou les grandes infrastructures.


Bibliographie

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J. CREEL, J. LE CACHEUX, "La Nouvelle Désinflation compétitive européenne", in Revue de l'O.F.C.E., n°98, juill. 2006

J.-P. FITOUSSI, J. LE CACHEUX (dir.), L'État de l'Union européenne 2007, Fayard-Presses de Sciences Po, Paris, 2007

J. LE CACHEUX, "Budget européen: le poison du juste retour", in Notes de notre Europe, n°47, juin 2005

R. MUNDELL, "A Theory of optimal currency areas", in American Economic Review, vol. 51, n°6, nov. 1961

M. PEBEREAU, Rompre avec la facilité de la dette publique. Pour des finances publiques au service de notre croissance économique et de notre cohésion sociale, Rapports officiels, Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, La Documentation française, Paris, 2006.

A. BENASSY-QUERE, Universalia 2002 : "L'Euro: la révolution monétaire européenne".

 

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