L'économie européenne 2019 : quel bilan et quels enjeux pour l'euro 20 ans après sa création ?
L'économie européenne 2019 est une publication de l'OFCE sous la direction de Jérôme Creel aux Éditions La Découverte, collection Repères. Cette quatrième édition confirme tout l'intérêt de cette synthèse annuelle pour l'enseignement des sciences économiques et sociales (voir également notre présentation des trois précédentes éditions : 2016, 2017, 2018).
« Vingt ans après, la zone euro et la gestion de l'euro en particulier ne ressemblent plus vraiment au projet initial et aux prévisions. L'ouvrage revient ainsi sur l'évolution du projet de monnaie unique, rapport officiel après rapport officiel depuis les années 1960 et sur l'influence allemande, notamment dans le domaine monétaire. Ainsi l'euro, largement approuvé par les citoyens européens est-il devenu une monnaie stable qui, en contribuant globalement à la stabilité des prix, a protégé le pouvoir d'achat des Européens. Ce n'est pas une mince réussite. Cette réussite ne doit pas pour autant masquer les difficultés à faire émerger des convergences dans de nombreux domaines : structures des marchés du travail, dynamiques industrielles, politiques migratoires, systèmes de retraite, fiscalité des entreprises et adaptation aux défis numériques pour ne citer que ceux auxquels un chapitre est consacré. » (Jérôme Creel, Blog de l'OFCE, 28 mars 2019).
Présentation de l'ouvrage "l'économie européenne 2019"
Présentation éditeur
L'OFCE propose dans la collection "Repères" un bilan annuel de l'économie européenne. L'édition 2019 s'inscrit dans une actualité particulière : 2019 est l'année des vingt ans de l'euro, une année d'élection au Parlement européen et l'année qui pourrait voir le déclenchement du Brexit.
Revenir sur les fondements historiques, institutionnels et intellectuels qui ont prévalu à l'adoption de l'euro permet de mieux comprendre quels ont été les réussites et les défauts de cette monnaie. Les divergences européennes en termes de marché du travail et d'activité industrielle sont nombreuses. Elles pèsent sur la capacité des Européens à adopter une position commune sur les réformes à mener pour assurer une meilleure convergence européenne.
L'ouvrage analyse aussi les réformes de la fiscalité des multinationales et des retraites en Europe. Malgré l'urgence de la question climatique, l'ambition européenne sur ce plan marque le pas. L'Union européenne est par ailleurs confrontée à deux autres défis : celui de l'immigration et celui de la transformation numérique.
Publication en mars 2019.
Lire l'introduction sur cairn et le billet de Jérôme Creel publié sur le blog de l'OFCE "L'économie européenne 2019".
Plan de l'ouvrage
Première partie : L'état de l'économie européenne
I / La genèse de l'euro : retour aux sources, par Sandrine Levasseur
II/ La Banque centrale européenne au prisme de l'ordolibéralisme, par Marc Deschamps et Fabien Labondance
III/ Les vingt ans de l'euro : bilan et enjeux futurs, par Christophe Blot, Jérôme Creel et Xavier Ragot
IV/ Marché(s) du travail : à la recherche du modèle européen, par Eric Heyer et Pierre Madec
V/ Dynamique et synchronisation des industries manufacturières de l'Union européenne, par Mattia Guerini, Mauro Napoletano et Lionel Nesta
Seconde partie : Les défis économiques de l'Union européenne
VI / Brexit : une sortie impossible ?, par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak
VII/ Quelle imposition des multinationales en Europe ?, par Guillaume Allègre et Julien Pellefigue
VIII/ L'Europe des retraites : des réformes sous la pression de populations vieillissantes, par Frédéric Gannon, Gilles Le Garrec et Vincent Touzé
IX/ L'Europe au défi de la nouvelle immigration, par Grégory Verdugo
X/ L'Europe face aux défis numériques, par Cyrielle Gaglio et Sarah Guillou
Interview : genèse, bilan et enjeux futurs de l'euro
Sandrine Levasseur : L'introduction de l'euro en 1999 est le résultat d'un processus long et tumultueux. Chaque avancée majeure vers davantage d'intégration monétaire en Europe eut lieu dans un contexte de très forte instabilité des changes qui risquait de miner le projet même de construction européenne : c'est le cas en 1970, avec le Plan Werner qui visait à « sécuriser » l'Union douanière et la Politique agricole commune puis, à nouveau en 1992, lorsque les turbulences rencontrées par le Système monétaire européen apparurent incompatibles avec le Marché unique. Trois décennies s'écoulèrent entre le Plan Werner et l'introduction de l'euro. C'était sans doute le temps nécessaire pour que les hommes et les femmes politiques, et avec eux, leurs électeurs, se convainquent de la nécessité de renoncer à leur monnaie nationale et donc à la souveraineté monétaire qu'elle était supposée procurer. On ne rappellera jamais suffisamment l'importance du couple franco-allemand dans chacune des étapes décisives du processus : les deux partenaires durent apprendre à dépasser le clivage qui les séparait pour finalement parvenir à fédérer autour du projet de Monnaie unique. Le résultat est que la zone euro est aujourd'hui constituée de 19 membres de l'Union européenne et que la Bulgarie pourrait en devenir le vingtième à l'horizon de trois ans.
Marc Deschamps et Fabien Labondance : Nous ne sommes pas en mesure de prouver une causalité directe entre l'ordolibéralisme et la structure institutionnelle de la zone euro. En outre, la construction européenne a été influencée par de multiples courants de pensée. En revanche, il est indubitable que les caractéristiques actuelles de la zone euro ont des saveurs prononcées d'ordolibéralisme. Ainsi, la volonté d'établir un ordre qui délimite strictement le pouvoir politique à travers l'établissement de règles inscrites dans les traités européens, comme celles du pacte de stabilité et de croissance, ressemble fortement aux préconisations ordolibérales. De même, l'objectif de stabilité des prix assignés à la BCE peut renvoyer aux recommandations ordolibérales d'orthodoxie monétaire, tout comme le fait de confier la politique monétaire à une agence indépendante pour la préserver des pressions politiques. En somme, l'influence de l'ordolibéralisme sur le cadre institutionnel de la zone euro est au moins indirecte et reflète avant tout les pratiques économiques allemandes qui ont directement influencé les concepteurs de l'union économique et monétaire européenne.
Jérôme Creel : L'euro est le résultat de l'intégration plus poussée de l'Union européenne, par son versant monétaire et, de ce fait, il est indissociable du traité de Maastricht qui a précisé ses conditions d'existence et les statuts de la banque centrale européenne (BCE). Deux objectifs primordiaux ont été dès l'origine assignés à la BCE : assurer la stabilité des prix et le bon fonctionnement du système de paiements. À l'aune de ces deux objectifs, l'euro semble avoir été un franc succès. L'inflation a été globalement maîtrisée et le système de paiements n'a pas été mis en défaut. Le satisfecit décerné à l'euro ne doit cependant pas masquer les défauts de vingt années de gouvernance monétaire. J'en mentionnerai deux.
Tout d'abord, la dispersion des taux d'inflation entre les États membres de la zone euro n'a pas vraiment diminué et la moyenne des taux d'inflation cache donc des trajectoires nationales différentes, ce qui a des conséquences sur les conditions du crédit qui ne convergent pas (en termes réels) d'un pays de la zone euro à un autre. On parle alors de fragmentation financière. Ensuite, depuis la crise de 2012, le taux d'inflation moyen est inférieur à sa cible de 2% malgré une forte expansion monétaire, reflet de la difficulté grandissante de la zone euro à renouer avec une croissance forte et durable et reflet également des années perdues par dogmatisme à hésiter à mener à bien cette expansion monétaire. Qu'on s'en souvienne : la politique ultra-accommodante de la BCE démarre fort tardivement, en mars 2015. C'est là sans doute qu'on perçoit les limites de la gestion de l'euro. Ajoutons également que l'incapacité de la BCE à faire converger l'inflation vers sa cible montre, ou rappelle, que l'inflation n'est pas uniquement un phénomène monétaire. Le contrôle des prix dépend de la demande, et donc de la politique monétaire, mais également de l'effet des autres politiques, et notamment de la politique budgétaire qui n'a pas assez soutenu l'activité.
Jérôme Creel : Les difficultés rencontrées par la zone euro sont liées aux divergences économiques et sociales qui subsistent en son sein, voire qui se sont renforcées depuis la crise : chômage, conditions de crédit, productivité, etc. Elles peuvent être rapprochées des modalités de gestion de l'euro, trop homogènes et tardivement ciblées vers l'identification et la gestion des déséquilibres ou divergences macroéconomiques. Les limites de la gestion de la zone euro dont je parlais plus haut ne sont donc pas exclusivement monétaires mais bien aussi budgétaires : à avoir précocement renoncé à utiliser la politique budgétaire pour sortir de la crise financière internationale de 2007-2008, la zone euro s'est enfoncée dans la récession et a vu la soutenabilité de ses finances publiques mise en doute malgré l'austérité. Il a fallu à la BCE beaucoup de pragmatisme pour que l'euro survive, mais il a fallu également beaucoup (trop) de temps pour que ce pragmatisme s'impose. L'usage intensif que font les autorités américaines – le gouvernement fédéral et la Réserve fédérale – des instruments de politique économique contraste allègrement avec la zone euro, avec des résultats économiques eux aussi fort contrastés. Une forme de renoncement de la zone euro à utiliser les politiques économiques, monétaires et budgétaires, de manière contra-cyclique et coordonnée a pesé et pèse encore sur les performances économiques de la zone euro. Le contrôle des divergences économiques instauré en 2011 sera forcément un atout pour prévenir une nouvelle crise de divergence, mais malheureusement il ne lui a été associé aucun moyen pour renforcer la convergence. Enfin, du côté bancaire, l'union bancaire qui a vu le jour en 2014 a consacré le rôle de superviseur unique de la BCE (pour les grands établissements bancaires) : cela favorise l'identification précoce des risques bancaires dans la zone euro. Quant à la gestion d'une nouvelle crise financière, elle sera rendue plus facile par l'existence du Mécanisme européen de stabilité – il n'existait pas encore lors de la crise de 2007-2008 – mais elle sera entravée par les engagements élevés de la BCE et la dette publique elle aussi toujours élevée de la zone euro qui réduiront les marges de manœuvre des politiques économiques.
Mattia Guerini, Mauro Napoletano et Lionel Nesta : Il est clair que la crise de 2008 a révélé puis exacerbé les divergences entre pays de la zone euro. La difficulté est que la politique monétaire de la zone euro s'applique par définition à l'ensemble des pays membres de la zone, alors même que ceux-ci sont dans des cycles économiques hétérogènes. À court terme, dans un contexte de fortes incertitudes porté par le Brexit et les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, la BCE va continuer de garder son taux directeur bas afin de soutenir les conditions de financement favorables à l'investissement des entreprises. Dans le pays du Nord, cette annonce va probablement se traduire par un maintien de l'investissement, et donc par une persistance de la croissance de la production industrielle, au risque d'une inflation en faible croissance. Dans les pays du Sud, et en Italie essentiellement, il y a fort à parier que cette politique monétaire accommodante ne s'accompagnera pas d'un surcroît de l'investissement des entreprises, et n'aura que peu d'effet. Autrement dit, à court terme, cette politique monétaire va accroître la divergence Nord-Sud détectée dans le chapitre que nous avons rédigé.
Plus généralement, on peut appréhender les difficultés que la zone va rencontrer à l'aune du concept de zone monétaire optimale (ZMO). Sans mécanisme de compensation entre États (en l'absence de mécanisme d'assurance qui assure le transfert de ressources financières entre États), et sans réelle mobilité géographique du travail, la zone euro reste pour l'heure une zone monétaire non optimale. Il échoit ainsi aux États d'assurer la croissance de la production industrielle en se concentrant sur les fondamentaux de l'économie tels que la production de capital humain et d'infrastructures qui, à court terme, n'auront que peu d'effets.
Dans l'hypothèse plausible d'une persistance d'un écart croissant entre le Nord et le Sud, le danger réside dans la défiance des populations envers les institutions européennes, qui à terme menace la zone euro en particulier, et l'Union Européenne dans sa totalité.
Christophe Blot : Aujourd'hui, la question de l'hétérogénéité dans l'Union ne fait pas l'objet d'une attention suffisante. Elle est directement prise en compte au travers du budget européen via les fonds européens alloués sur une base régionale et qui, en pratique, bénéficient principalement aux pays ayant un niveau de PIB par habitant plus faible. Mais ici, plus que la question de l'hétérogénéité, la finalité de ces fonds, et notamment du Fonds européen de développement régional (FEDER) et du Fonds social européen (FSE) est de promouvoir la convergence des niveaux de vie. Par ailleurs, la procédure pour déséquilibre excessif (MIP) est aussi une façon, plus indirecte de réduire l'hétérogénéité. Ce nouvel outil de gouvernance introduit dans le cadre de la réforme « Six-pack » de 2011 est un instrument ayant pour finalité de prévenir les déséquilibres macroéconomiques – non liés aux politiques budgétaires – qui peuvent avoir des effets néfastes sur la stabilité économique. Sont particulièrement visés les déséquilibres de compte courant, qui ont joué un rôle important pendant la crise de la zone euro. Sur la base d'un certain nombre d'indicateurs d'alerte, incluant le solde courant, les coûts unitaires du travail, les parts de marché à l'exportation, etc., la Commission établit un rapport annuel faisant état ou non d'un déséquilibre excessif. Dans ce cas, la Commission peut faire des recommandations au pays. L'efficacité de cet outil est cependant limitée. D'une part, certains indicateurs sont analysés de façon asymétrique. Ainsi, un déficit courant supérieur à 4% du PIB est perçu comme excessif mais pour qu'un excédent soit considéré comme excessif, il doit être supérieur à 6% du PIB. D'autre part, la Commission peut suggérer des réformes visant à réduire ou augmenter le coût du travail pour influencer la compétitivité mais ces propositions ne sont pas contraignantes. De fait, le lien entre le coût du travail et l'existence d'un déséquilibre courant est plus ténu et incertain que celui existant entre la politique budgétaire et les déficits budgétaires ou la dette publique. Par ailleurs, les réformes structurelles, comme par exemple celles qui concernent le marché du travail, restent une compétence nationale.
Comment faire alors pour réduire les hétérogénéités dans la zone euro ? Les conseils nationaux de productivité et de compétitivité pourraient à terme jouer ce rôle à condition qu'ils aient ensuite un relais au niveau européen. Dans un précédent rapport iAGS (independent Annual Growth Survey 2014), nous proposions une coordination des salaires minimums au niveau européen. Il ne s'agirait pas forcément de fixer un niveau de salaire commun à tous les pays mais que ceux-ci se coordonnent de telle sorte que la dynamique des salaires soit relativement plus rapide dans les pays en situation d'excédent courant. Un défaut majeur de la coordination des politiques macroéconomiques en Europe est de ne pas prévoir d'espace de coordination suffisant entre les pays afin de tenir compte des interdépendances qui existent entre les pays. Si un pays décide de mener une politique de baisse du coût du travail, cela aura une incidence sur la compétitivité de l'ensemble de ses partenaires européens. Il serait donc utile que les pays discutent de ces choix de façon conjointe.
Interview réalisée par Anne Châteauneuf-Malclès et Pascal Le Merrer pour SES-ENS.
Les réformes dans l'UE : focus sur la gouvernance budgétaire et la politique climatique européenne
En complément de cette présentation de L'économie européenne 2019, nous publions, avec l'aimable autorisation des éditions La Découverte, deux articles d'économistes de l'OFCE qui traitent de domaines dans lesquels l'Union européenne gagnerait à réformer ses instruments de politique publique : la gouvernance budgétaire et la politique climatique.
Les réformes budgétaires dans la zone euro, par Jérôme Creel et Francesco Saraceno.
La politique climatique européenne : vers une nouvelle ambition ?, par Éloi Laurent.
Ces articles ont initialement été publiés dans L'économie européenne 2018, La Découverte, coll. Repères (février 2018).
Publications récentes sur l'Europe et la zone euro sur le site de l'OFCE
Anne-Sophie Alsif et al., "L'industrie a-t-elle besoin de l'Union européenne ?", Policy Brief 54, 14 mai 2019.
Guillaume Sacriste et Antoine Vauchez, "L'euro-isation de l'Europe : Trajectoire historique d'une politique «hors les murs» et nouvelle question démocratique", Revue de l'OFCE, n°165, avril 2019.
Christophe Blot et al., "Des défis à venir pour l'Union européenne", Policy Brief 47, 2 avril 2019.
Céline Antonin, Christophe Blot, Paul Hubert, Catherine Mathieu, "Europe : le temps des incertitudes", Policy Brief 41, 12 novembre 2018.
Améliorer la construction européenne, Revue de l'OFCE, n°158, décembre 2018.
Sur le blog de l'OFCE :
Billets sur l'Europe.
Billets sur l'Union européenne.
Billets sur la zone euro.
Billets sur la politique budgétaire.
Billets sur la politique monétaire.
Nous remercions Jérôme Creel (OFCE) qui a permis la réalisation de ce dossier.