L'Union européenne après le Brexit
Anne Châteauneuf-Malclès
L'économie européenne 2017. L'UE après le Brexit est une publication de l'OFCE sous la direction de Jérôme Creel aux Editions La Découverte, collection Repères.
Publication le 2 février 2017.
« L'économie européenne 2017 permet de faire un large tour d'horizon des questions que pose aujourd'hui le projet d'Union européenne. Brexit, migrations, déséquilibres, inégalités, règles économiques rigides et souples à la fois : l'UE reste une énigme. Elle donne aujourd'hui l'impression d'avoir perdu le fil de sa propre histoire et d'aller à rebours de l'Histoire. Celle, récente, de la crise financière internationale. Celle, plus ancienne, de la Grande Dépression. » (Jérôme Creel, Blog de l'OFCE, 2 février 2017).
Introduction, par Jérôme Creel
Quelques mois après la faillite de la banque Lehman Brothers, les chefs d'État et de gouvernement réunis à Londres pour le sommet du G20 en avril 2009 avaient établi une liste de recommandations pour relancer l'économie mondiale. Parmi celles-ci figuraient la mise en œuvre de politiques budgétaires et monétaires actives, le soutien aux banques assorti d'une meilleure réglementation bancaire, le refus de la tentation protectionniste, la lutte contre les inégalités et la pauvreté et le soutien au développement durable.
Ces recommandations s'opposaient aux politiques mises en œuvre peu après la Grande Dépression, dans les années 1930. À l'époque, les politiques économiques avaient commencé par être restrictives, et avaient donc alimenté la crise et la montée des inégalités. À l'époque aussi, le protectionnisme n'avait pas juste été une tentation, mais une réalité : des barrières tarifaires et non tarifaires avaient été levées pour tenter de protéger les entreprises locales de la concurrence internationale. On sait ce qui arriva par la suite : une montée des populismes et des extrémismes qui plongea l'Europe, puis le monde, dans une guerre épouvantable. Les enseignements économiques tirés de la gestion catastrophique de la crise des années 1930 ont donc contribué aux recommandations du sommet de Londres.
Que reste-t-il aujourd'hui de ces enseignements en Europe ? Peu de choses finalement si ce n'est une politique monétaire résolument expansionniste et la mise en place d'une Union bancaire. La première a vocation à atténuer la crise actuelle tandis que la seconde tend à éviter que survienne une crise bancaire en Europe. Ce n'est pas rien, certes, mais cela repose sur une seule institution, la Banque centrale européenne, et ne répond pas, loin s'en faut, à toutes les difficultés qui traversent l'Europe.
Le Brexit est l'une d'entre elles : premier cas de désintégration européenne, la sortie du Royaume-Uni pose notamment la question des conditions du futur partenariat avec l'Union européenne (UE) et fait resurgir la question du protectionnisme entre États européens. La tentation du repli sur soi est également manifeste dans la gestion de la crise des réfugiés, qui en appelle pourtant aux valeurs de solidarité qui ont longtemps caractérisé l'UE. Les divergences entre les États membres de l'UE en termes d'inégalités, de compétitivité et de fonctionnement des marchés du travail réclameraient des politiques différenciées et coordonnées entre les États membres plutôt que des politiques très homogènes et sans vision d'ensemble menées jusque-là. C'est le cas notamment des politiques visant à résorber les déséquilibres commerciaux et de celles s'attachant à réduire les dettes publiques. La gestion des finances publiques par l'application de règles budgétaires, même imparfaitement respectées, et la gestion des déséquilibres économiques et sociaux par le respect de critères quantitatifs font perdre de vue les interdépendances entre les États membres : l'austérité budgétaire pèse aussi sur les partenaires, tout comme la recherche d'une meilleure compétitivité-prix. Est-ce bien utile et raisonnable dans une Union européenne prochainement à vingt-sept qui peine à retrouver la voie d'une croissance durable et qui a vu augmenter ses inégalités ?
Cet ouvrage dresse un bilan de l'Union européenne dans une période de fortes tensions et de fortes incertitudes, après une année de conjoncture moyenne et avant que s'enclenche véritablement le processus de séparation entre l'UE et le Royaume- Uni. Au cours de cette période, plusieurs élections majeures en Europe serviront aussi de tests de résistance pour l'UE : moins, plus ou «mieux» d'Europe, il va falloir choisir.
Jérôme Creel
Plan de l'ouvrage
Première partie : L'état de l'économie européenne
I / La situation conjoncturelle européenne, par Christophe Blot et Sabine Le Bayon
II / Une brève histoire de l'intégration économique européenne, par Éloi Laurent
III / La politique industrielle européenne, petite sœur de la politique de concurrence, par Sarah Guillou
IV / La Banque centrale européenne et le carcan budgétaire, par Jérôme Creel et Fabien Labondance
Seconde partie : Les risques de désintégration européenne
V / Brexit : le prix à payer, par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak
VI / Les deux premières années de l'Union bancaire, par Céline Antonin, Sandrine Levasseur et Vincent Touzé
VII / Les déséquilibres des balances courantes dans la zone euro : comment les résorber ?, par Sébastien Villemot
VIII / Les inégalités en Europe durant la Grande Récession, par Guillaume Allègre
IX / Démographie et marché du travail depuis 2008, par Gérard Cornilleau, Sabine Le Bayon et Christine Rifflart
X / L'Europe face aux réfugiés : un aperçu, par Jules Bergeot, Gérard Cornilleau et Sabine Le Bayon
Nos commentaires
Après la crise de la dette, les tensions en Grèce, la crise des migrants, le choix du Brexit (British exit) par le Royaume-Uni est une nouvelle source d'incertitudes dans l'UE tant sur le plan politique et institutionnel qu'économique. Aux inquiétudes sur l'avenir de la zone euro s'ajoutent désormais des incertitudes sur les relations commerciales, les taux de change et la circulation des personnes au sein de l'Union. Celles-ci pourraient affecter l'économie européenne en freinant la croissance, l'investissement et la baisse du chômage. Dans un contexte favorable au repli sur soi et à la perte de confiance dans le projet européen, les risques de désintégration européenne doivent être pris au sérieux et l'UE doit plus que jamais engager une réflexion sur son avenir : faut-il aller vers une «union toujours plus étroite», revoir le projet européen, réduire les ambitions de la construction européenne ? L'économie européenne 2017 permet d'éclairer ces questions en dressant un bilan de l'Union européenne.
La première partie propose une analyse de la conjoncture économique européenne (chapitre I) et un retour sur l'histoire de la construction européenne (chapitre II). Elle souligne les différents risques de désintégration auquel l'Union doit faire face aujourd'hui : désintégration politique avec la progression des opinions et des mouvements hostiles à l'UE, sortie du Royaume-Uni, avenir incertain de l'euro et risque de fragmentation territoriale. Trois domaines d'intervention de l'UE déterminants pour son avenir économique sont ensuite examinés : la politique industrielle (chapitre III), la politique monétaire et les règles budgétaires (chapitre IV). Si la BCE a opéré un net changement d'orientation dans sa politique monétaire grâce au développement des outils non conventionnels (voir le commentaire de Jérôme Creel), les politiques budgétaires sont toujours bridées par un cadre réglementaire contraignant. Quant à la politique industrielle, elle a peu de moyens et reste arrimée à la politique de la concurrence.
La seconde partie est consacrée aux risques de désintégration européenne et aux divergences économiques au sein de l'UE. La première question abordée est celle du Brexit (chapitre V) qui fragilise l'UE sur le plan politique et ouvre une longue période d'incertitudes économiques et financières. D'autres pays pourraient être tentés par un retour à la souveraineté nationale si l'UE ne change pas d'orientation économique. La stratégie «discipline budgétaire/réformes structurelles», imposée aux Européens dans véritable processus démocratique, n'a en effet guère donné de résultats satisfaisants sur le plan économique et social. Le départ du Royaume-Uni pourrait néanmoins donner un nouvel élan à l'intégration européenne à l'intérieur d'un cercle restreint de pays (ceux de la zone euro ?), mais cela supposerait d'instaurer une union à plusieurs vitesses, ce qui pose de nombreuses difficultés sur le plan institutionnel.
L'Union bancaire, qui est ensuite examinée (chapitre VI), représente en revanche une avancée importante pour restaurer la confiance dans le système bancaire européen et renforcer la stabilité financière dans la zone euro. Cependant, elle reste encore inachevée et peine à mettre en place la garantie commune des dépôts.
L'UE doit en outre faire face à d'autres difficultés. Sur le plan économique, les déséquilibres persistants des balances courantes, à la source de la crise de la zone euro, restent une menace pour l'existence de l'euro et appellent une nouvelle stratégie de convergence (chapitre VII). Autres domaines dans lesquels l'hétérogénéité s'est accentuée depuis la Grande Récession : les inégalités et la pauvreté d'une part (chapitre VIII), la démographie et les marchés du travail d'autre part (chapitre IX). La question du creusement des inégalités, peu présente dans le débat européen, est inquiétante tant du point de vue de la justice et de la cohésion sociales qu'au niveau macroéconomique, car l'accroissement des inégalités est, pour certains économistes, un facteur de stagnation séculaire. La hausse du chômage, qui alimente la crise sociale et la montée de la défiance à l'égard de l'UE, affecte aussi inégalement les populations européennes. Les fortes disparités des taux de chômage observées dans l'UE ne s'expliquent pas seulement par des divergences dans la croissance de l'emploi, elles résultent aussi de l'évolution démographique et des comportements d'activité au sein des pays dans un contexte d'intégration des marchés du travail.
Enfin, la période récente a été marquée par la crise des réfugiés et le dernier chapitre (chapitre X) se propose d'étudier l'impact économique de l'afflux massif d'immigrés sur le sol européen, en s'appuyant sur les travaux empiriques réalisés sur cette question. Les effets sur le marché du travail (salaires et chômage) et sur les finances publiques devraient rester limités dans les pays d'accueil des réfugiés, notamment parce que beaucoup d'entre eux sont jeunes, ce qui contribue à dynamiser la consommation et à diminuer le ratio de dépendance dans ces pays. Il ne faut cependant pas négliger les effets locaux et sectoriels de l'arrivée des migrants, lorsque ceux-ci entrent en concurrence avec les travailleurs les moins qualifiés et les anciens immigrés, des effets qui pourraient engendrer des tensions sociales et un rejet de l'UE chez ces populations.
Au final, tout comme l'édition précédente, L'économie européenne 2017 s'avère très utile pour l'enseignement des SES. Le livre fournit des données comparatives récentes sur l'UE et retrace les grandes étapes de la construction européenne. Il présente les politiques de la concurrence et les fondements des politiques monétaires et budgétaires (complétant utilement l'édition 2016 sur les politiques communes). Il fait aussi le tour des grands problèmes posés au processus d'intégration européenne et dessine les voies possibles pour relancer le projet européen. Tout ceci sans détails techniques ni formalisation et avec un souci pédagogique appréciable.
L'avenir de l'UE : focus sur le Brexit et le plan Juncker
En complément de cette présentation de L'économie européenne 2017, nous publions, avec l'aimable autorisation du magazine Diplomatie et des éditions La Découverte, deux articles d'économistes de l'OFCE qui permettent d'approfondir des questions importantes pour l'avenir de l'UE et ses perspectives économiques.
Le Brexit, quelle(s) voie(s) de sortie pour l'Union européenne ?, par Jérôme Creel
Union européenne : Sortir de la crise par l'investissement ?, par Mathilde Le Moigne, Francesco Saraceno, Sébastien Villemot.
Merci à Jérôme Creel (OFCE) qui a permis la réalisation de ce dossier.