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Toutes les générations sont-elles égales ?

Publié le 10/03/2019
Auteur(s) - Autrice(s) : Hippolyte d'Albis
La deuxième conférence du cycle "Regards sur les inégalités aujourd'hui" organisé à l'ENS de Lyon portait sur les inégalités générationnelles. Les travaux de l'économiste Hippolyte d'Albis s'inscrivent dans le débat sur la fracture générationnelle et le déclassement des jeunes générations relativement à celle des baby-boomers. Remettant en cause l'idée de "génération sacrifiée", il montre que le niveau de vie s'est constamment élevé au cours du temps, de génération en génération, et de manière encore plus nette pour les femmes.

Hippolyte d'Albis est directeur de recherche CNRS et professeur des universités à l'École d'économie de Paris-PSE. Il dirige également, à l'INED, l'équipe française du projet de comptes de transferts nationaux, qui vise à produire une comptabilité nationale par âge. Spécialiste en économie démographique, il travaille notamment sur les migrations internationales, les inégalités de revenus et les transferts entre les âges et entre les générations.

La conférence d'Hippolyte d'Albis : Toutes les générations sont-elles égales ?

Conférence du cycle "Regards sur les inégalités aujourd'hui" enregistrée le 3 décembre 2018.

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Introduction : Propos liminaires sur le titre de la présentation 00:00:00
Partie 1 : Les inégalités générationnelles ne sont qu'une des facettes de la « peur des vieux » 00:26:56
  • Quelques données démographiques
00:27:00
  • Le mythe du déclin démographique
00:32:49
  • Le vieillissement : une chance – une notion relative
00:36:02
Partie 2 : Les inégalités entre les âges et les générations 00:39:20
  • Les questionnements théoriques
00:39:43
  • Quelles mesures pour comparer les générations ?
00:44:42
  • Les estimations des inégalités de niveaux de vie entre les générations
00:51:21
  • Extensions (prise en compte des gains d'espérance de vie, des inégalités entre hommes et femmes, du niveau de qualification)
01:06:59
Partie 3 : Les transferts entre les générations 01:16:39
Partie 4 : Défis d'hier vs défis d'aujourd'hui 01:22:20
  • Le logement
01:22:30
  • Le chômage
01:25:01
Conclusion 01:27:21
Questions du public 01:28:35

Pour télécharger la vidéo, cliquez sur l'icône de droite en bas de la vidéo ou clic droit et "enregistrer sous".
Version audio mp3.

Télécharger le diaporama complet associé à la conférence.

Le compte rendu de la conférence

Hippolyte d'Albis introduit sa conférence par quelques réflexions sur les difficultés de comparaison entre les générations, la notion de «génération sacrifiée» et le débat autour du conflit générationnel né dans les années 2000. Une première contextualisation du sujet lui permet de relativiser la vision idéalisée de la vie des baby boomers, leur poids dans la société et la centralité du conflit entre les générations. En France, les nouvelles générations, indique-t-il, ont certes leurs propres défis à relever, à commencer par celui du chômage, mais elles ont profité de la hausse quasi-constante du niveau de vie depuis l'après-guerre, leur permettant de consommer trois fois plus en moyenne qu'en 1960. Elles ont aussi bénéficié de l'élévation de l'espérance de vie, du niveau de diplôme et des nombreux transferts existant entre les générations.

Hippolyte d'Albis poursuit cette mise en perspective historique en s'intéressant au vieillissement démographique en France et à sa perception dans la société (partie 1). Il souligne le décalage entre «la peur des vieux» et la réalité d'une population qui, bien que plus âgée, ne «vieillit» pas compte tenu des gains élevés d'espérance de vie.

Le cœur de la présentation (partie 2) concerne le traitement de la question de l'équité intergénérationnelle, afin de répondre aux questions suivantes : les jeunes sont-ils moins bien lotis que leurs aînés ? une génération (celle du baby boom) a-t-elle été avantagée relativement aux autres ? Hippolyte d'Albis a étudié, avec la chercheuse Ikpidi Badji, les inégalités de niveaux de vie en France entre les classes d'âge (effet du cycle de vie) et entre les générations (effet de la date de naissance). A partir des données de l'enquête Budget de famille de l'Insee, ils ont reconstitué le niveau de vie de toutes les générations nées entre 1901 et 1979. Ils utilisent plusieurs indicateurs pour mesurer celui-ci : la consommation privée d'une part, le revenu disponible d'autre part, en incluant ou non les dépenses de logement et les loyers implicites [1].

Leurs résultats montrent tout d'abord que le niveau de vie augmente fortement avec l'âge, jusqu'à environ 60 ans. Après 60 ans, la hausse du revenu disponible est imputable aux loyers implicites et à la surreprésentation des catégories aisées dont l'espérance de vie est plus longue, tandis que la consommation privée, sans le logement, est décroissante avec l'avancée en âge.

Ces différences entre les âges se traduisent-elles par des différences entre les générations ? Pour l'ensemble des cohortes nées entre 1901 et 1979, il ressort qu'aucune génération n'a été désavantagée par rapport à ses aînées : aucune baisse du revenu disponible n'est observée et le niveau de consommation a fortement augmenté au fil des générations. Cela a été permis par la croissance économique qui, malgré le ralentissement qui a suivi les Trente Glorieuses, est restée positive. En particulier, les générations du baby boom ont un niveau de vie supérieur à celui de générations précédentes, nées avant-guerre, mais inférieur ou égal à celui des générations qui les suivent, nées dans les années 1970 [2]. Elles n'auraient donc pas été significativement avantagées en termes de bien-être économique. Pour les femmes, l'amélioration de la situation des jeunes générations relativement aux générations antérieures est très nette. En revanche, les deux économistes constatent un réel déclassement pour les hommes non qualifiés des cohortes récentes qui ont connu une dégradation de leur bien-être en comparaison des générations plus anciennes.

Dans la troisième partie, Hippolyte d'Albis revient sur la notion de cycle de vie et s'intéresse aux transferts entre générations. Là aussi, les observations vont à l'encontre de certaines idées reçues. Il apparaît que l'État finance de plus en plus la consommation des moins de 25 ans, notamment du fait de l'allongement des études, et de moins en moins celle des plus de 60 ans, qui ont parallèlement réduit leurs transferts au bénéfice de la famille.

La dernière partie aborde les deux grands défis que doivent affronter les nouvelles générations : le logement et le chômage. Selon Hippolyte d'Albis, la répartition inégale des logements entre les âges est un faux problème, le vrai problème étant l'inégalité d'accès à la propriété au sein des jeunes générations, dans un contexte de forte hausse des prix immobiliers, et la transmission intergénérationnelle des inégalités de patrimoine par l'intermédiaire des dons et des héritages. Quant au chômage des jeunes, qui augmente depuis 1975, il s'agit avant tout d'un problème des non ou peu qualifiés, l'absence de diplôme étant de nos jours un frein important à l'accès à l'emploi.

Au final, la situation s'améliore de générations en génération, du point de vue du bien-être économique (la mobilité sociale et les composantes non monétaires des inégalités ne sont cependant pas étudiées). Plus que les inégalités intergénérationnelles, ce sont celles qui existent au sein des jeunes générations qui peuvent être source de malaise et doivent inquiéter : les inégalités entre femmes et hommes, qualifiés et non qualifiés, propriétaires et non propriétaires, etc. Chaque génération a ses propres défis à relever, conclut Hippolyte d'Albis, et les opposer ne les aidera en rien. Les mutations démographiques sont un défi pour notre système de protection sociale, mais poser le débat en termes de conflit générationnel et avoir un discours punitif à l'égard des seniors lui semble contre-productif et risqué.

Pour aller plus loin

H. d'Albis et I. Badji, "Les inégalités de niveaux de vie entre les générations en France", Économie et Statistique, n°491-492, 2017, p.71-92.

H. d'Albis, "Inégalités : non, les jeunes générations n'ont pas été «sacrifiées»", The Conversation, 14 juin 2017.

H. d'Albis, C. Bonnet, J. Navaux et al., "À quels âges les revenus excèdent-ils la consommation ? 30 ans d'évolution en France", Population et Sociétés, n°529, janvier 2016.

H. d'Albis, P.-Y. Cusset et J. Navaux, "Les jeunes sont-ils sacrifiés par la protection sociale ?", Regards, n°48, 2015/2, p.41-52 ; "Les jeunes sont-ils sacrifiés par la protection sociale ?", France Stratégie, La Note d'analyse, n°37, janvier 2016.

Vidéo : Qu'entend-on par inégalités intergénérationnelles ? Interview d'Hippolyte d'Albis, Économie et management, n°160, juin 2016.

Notes

[1] Les loyers implicites ou imputés sont les loyers qui seraient versés par les propriétaires-occupants s'ils étaient locataires de leur logement.

[2] Par exemple, la consommation de la cohorte née en 1946 est de 40% supérieure à celle de la cohorte née en 1926, mais de 20% inférieure à celle de la cohorte née en 1976.

 

Anne Châteauneuf-Malclès, pour SES-ENS

Prise de vue et réalisation de la vidéo : Raphaël Caillet, sites Toutéconomie et Journées de l'économie.


Autres conférences du cycle « Regards sur les inégalités aujourd'hui » :

Lucas Chancel, Un panorama des inégalités mondiales, 15 octobre 2018.

Conférences des Journées de l'économie le 7 novembre 2018 : Pourquoi les inégalités hommes femmes ne diminuent plus ? ; Mieux comprendre les inégalités aujourd'hui ? ; Les régions riches doivent-elles aider les autres ?

Sylvie Démurger, Économies émergentes : quelles inégalités ? L'exemple de la Chine, 4 février 2019.

Laurent Simula, Comment redistribuer les revenus au XXIème siècle ?, 8 avril 2019.

Hélène Périvier, Hommes/Femmes : une impossible égalité ?, 13 mai 2019.

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