Réforme de la fiscalité
Ce chapitre résume les Lettres de l'OFCE n° 196 et 198 des 23 juin et 28 septembre 2000, et un article de la Revue de l'OFCE, n° 75, octobre 2000
Le retour de la croissance, conjugué à la progressivité du système fiscal, a conduit à des recettes fiscales fortes. En 1999, les prélèvements obligatoires ont atteint le niveau historiquement élevé de 45,7% du PIB. Cette manne financière offre des marges de manoeuvre pour la politique fiscale.
Toute réforme fiscale doit prendre en compte la contrainte macroéconomique et répondre à des objectifs. Le gouvernement doit déterminer la part des recettes fiscales utilisées pour, respectivement, diminuer les prélèvements, augmenter les dépenses publiques et améliorer le solde. Les objectifs d'une réforme fiscale peuvent être divers, et éventuellement contradictoires. Les mesures sont différentes selon que le gouvernement veut favoriser l'emploi, le dynamisme des entreprises, réduire les inégalités, faire face à la concurrence fiscale, stimuler la consommation ou l'investissement, remporter des élections... Les mesures dépendent également du diagnostic économique (insuffisance de la demande, manque de compétitivité des entreprises, coût du travail trop élevé, ...).
Le gouvernement a opté pour une baisse générale et forte des impôts sur quatre ans: les mesures prises en 2000 et 2001 et les réductions annoncées pour 2002 et 2003 représentent presque 3points de PIB au total (tableau XI.1). Les prélèvements obligatoires atteindraient 43,9% du PIB en 2003, se rapprochant ainsi de la moyenne européenne (42,4% du PIB). Le déficit des administrations ne s'annulerait en 2003 qu'à condition que la croissance soit forte (au moins 3% par an) et que les dépenses soient gérées très rigoureusement (hausse limitée à 1,3% par an).
TABLEAU XI.1. - LES BAISSES DE PRÉLÈVEMENTS ANNONCÉES
(entre 1999 et 2003, en milliards de francs)
Source: MEFI.
Les principales mesures concernent la réduction des charges sur les salaires pour les entreprises (82 milliards), et la réforme de la fiscalité directe pesant sur les ménages (106 milliards). Le gouvernement réalise également un "toilettage fiscal" en réduisant ou supprimant certaines taxes (taxe d'habitation, taxe professionnelle, droits de mutation, droit de bail, vignette auto). Enfin, la TVA est réduite de 51 milliards par la baisse d'un point du taux normal à 19,6% et la réduction ciblée sur les travaux dans les logements.
Entreprises : priorité à la baisse des cotisations sociales
Les baisses de prélèvements sur les entreprises visent essentiellement à réduire le coût du travail pour stimuler l'emploi: suppression progressive des salaires de l'assiette de la taxe professionnelle et réduction massive des cotisations patronales via deux mesures: extension jusqu'à 1,8 SMIC de la ristourne dégressive en faveur des bas salaires et aide forfaitaire pour les entreprises ayant signé un accord de réduction du temps de travail. La première mesure (d'un coût de 25 milliards à terme) doit être financée par la hausse des prélèvements sur les autres facteurs de production: taxation des activités polluantes (TGAP) et contribution sur les bénéfices des sociétés (CSB, dont sont exonérées les PME). La réduction forfaitaire de cotisations (40 milliards en année pleine) ne constitue pas une baisse nette du coût du travail pour les entreprises car elle compense (en partie) la hausse induite par la réduction de la durée (35 heures). L'Unedic a par ailleurs annoncé une baisse des cotisations patronales et salariées.
Le taux de taxation des bénéfices (IS) est réduit à 33 1/3% (hors CSB) d'ici 2003 et une fraction du bénéfice des petites entreprises va bénéficier d'un taux réduit (15%). En même temps, le gouvernement a diminué les possibilités d'amortissement dégressif et le taux de l'avoir fiscal entre sociétés, ce qui pénalise les placements financiers des entreprises en augmentant la double imposition des bénéfices.
Ménages : des baisses de grande ampleur
Le gouvernement réduit sensiblement la fiscalité directe des ménages: impôt sur le revenu (IR), CSG-CRDS, taxe d'habitation. La vignette payée par les particuliers et les artisans est supprimée. Toutes les tranches de l'IR voient leur taux se réduire. La baisse est plus forte au bas du barème: le taux des deux tranches inférieures baisse de 3,5 points contre 1,5 aux deux tranches supérieures. Le taux supérieur sera de 52,5% en 2003. En 2003, la CSG-CRDS sera supprimée pour les Smicards et les travailleurs de salaire inférieur à 1,4 SMIC bénéficieront d'une ristourne dégressive. Les retraités, les préretraités et les chômeurs non imposables sont exonérés de CRDS. La part régionale de la taxe d'habitation est supprimée et les dégrèvements en faveur des bas revenus étendus et réformés.
Pour chacun de ces trois impôts, les baisses sont donc plus fortes pour les bas revenus. Pourtant, les plus riches sont globalement plus favorisés par la réforme que les classes moyennes compte tenu de l'ampleur de la baisse de l'IR et de sa progressivité (tableau XI. 2). Ils bénéficient également davantage de la suppression de la vignette qui était un impôt fortement progressif. Le gain pour les salariés faiblement rémunérés est très élevé: il peut atteindre 10% du salaire. Au total, les 25% de ménages les plus riches obtiennent plus de 50% (80 milliards) du montant en francs des baisses d'impôt directs et de la TVA, compte tenu du fait que ce sont les plus gros contribuables.
TABLEAU XI.2. - GAINS ANNUELS (EN FRANCS) DES MESURES FISCALES ANNONCÉES POUR UN COUPLE AVEC DEUX ENFANTS
Source: Calculs OFCE.
Notons que la mesure CSG ne prend pas en compte la situation familiale (salaire du conjoint, nombre d'enfants) et les autres revenus. Les oubliés de la réforme sont les bénéficiaires de minima sociaux (qui ne paient pas d'impôts directs) et les familles mono-actives dont le salaire est supérieur à 1,4 SMIC et qui, compte tenu du nombre d'enfants, ne sont pas imposables. À l'inverse, l'augmentation du plafond du quotient familial provoque un saut important du gain du revenu disponible pour les familles dont le revenu se situe entre 5 et 8 SMIC.
La fiscalité du patrimoine (ISF) et de l'épargne n'est pas modifiée, exceptée la fiscalité du nouveau Plan partenarial d'épargne salariale volontaire, qui prévoit la quasi-exonération de cotisations sociales de l'abondement patronal, ce qui rend ces placements très avantageux au détriment des recettes de la Sécurité sociale. La taxation des dividendes est un peu alourdie pour les hauts revenus.
Les mesures prises par le gouvernement visent à lutter contre les trappes à inactivité, c'est-à-dire à augmenter l'écart entre le revenu des travailleurs à bas salaires et les prestations d'assistance, sans réduire ces dernières et sans accroître le coût du travail. Le système de dégrèvement de la taxe d'habitation est unifié et ne dépend plus que du revenu imposable et non du statut, alors qu'auparavant, à revenu égal, un Rmiste ne payait pas de taxe d'habitation quand un salarié à temps partiel payait jusqu'à 2189 francs. La réforme de l'allocation logement va dans le même sens. La ristourne dégressive de CSG rapporte 540 francs par mois à un travailleur au SMIC à temps plein (270 francs à mi-temps). La baisse de la tranche inférieure de l'impôt sur le revenu bénéficie aux Smicards célibataires.
Ces mesures renforcent l'attrait du travail. Un célibataire qui travaille pour 0,5 SMIC gagne 730 francs par mois de plus qu'un Rmiste. Auparavant, il gagnait 130 francs de moins (hors dispositif d'intéressement qui permet provisoirement de cumuler une partie du RMI et son salaire). Mais lorsque deux personnes d'un couple sans enfant sont Rmistes, il n'est toujours pas intéressant que l'un des deux obtienne un emploi à 0,5 SMIC: le revenu du ménage reste inférieur (de 940 francs par mois) à leur revenu d'assistance (hors intéressement). La question des trappes à inactivité n'est donc pas totalement résolue.
Malheureusement, la baisse de CSG creuse la trappeà bas salaires: pour augmenter de 100 francs le salaire net d'un travailleur au SMIC, l'entreprise devra payer 334 francs. Les ristournes dégressives de CSG et de cotisations patronales risquent de bloquer les salariés peu qualifiés au niveau du SMIC, et de créer une "fracture salariale". Le rôle de l'État dans la politique salariale (fixation du SMIC) se trouve considérablement renforcé.
Cohérence et limites de la réforme
Les mesures suivent deux axes: elles favorisent l'emploi par la réduction de son coût et elles augmentent le revenu disponible des ménages, notamment les travailleurs faiblement rémunérés. La redistribution n'est cependant pas leur objectif prioritaire
Les réformes annoncées ne sont pas exemptes d'incohérences et de limites. Certaines mesures (TVA, taxe d'habitation, fiscalité écologique) se sont arrêtées au milieu du gué. Si le gouvernement considère que les baisses ciblées de TVA sur les services sont efficaces sur le plan de l'emploi, pourquoi s'est-il limité aux travaux d'entretien dans les logements, dont l'application est très complexe? La redéfinition des valeurs locatives servant d'assiette de la taxe d'habitation n'a pas été effectuée; si elle est impossible, pourquoi ne pas supprimer la taxe d'habitation et créer une taxe locale sur le revenu ? Enfin, le gouvernement a sacrifié une part de sa politique environnementale à la suite de mouvements catégoriels; l'augmentation progressive de la taxation de la pollution (hausse de la TVA sur le gazole et de la TGAP) a été remise en cause par des baisses ciblées de la taxe sur les produits pétroliers; la suppression de la vignette va dans le même sens. La taxation écologique est un combat permanent: ses avantages sont diffus et à long terme; ses inconvénients ciblés et immédiats.
Une part importante des réductions porte sur les ressources des collectivités locales et de la Sécurité sociale. Le gouvernement s'est engagé à accroître les dotations de l'État et à compenser les réductions de cotisations sociales. Mais, cela remet en cause l'autonomie des administrations locales et des organismes de Sécurité sociale, d'autant que, compte tenu de l'ampleur des baisses d'impôts annoncées, l'amélioration du solde public suppose qu'ils limitent fortement leurs dépenses.
La plupart des pays européens ont engagé des plans pluriannuels de baisse des prélèvements obligatoires. Mais le plan français se singularise par son orientation: il ne privilégie pas la baisse de la fiscalité sur les entreprises et sur les revenus de l'épargne, domaines dans lesquels la concurrence fiscale est la plus forte. Une telle stratégie sera-t-elle tenable, alors que certains voisins européens (Allemagne, Pays-Bas, Espagne ) se sont lancés dans la course au moins-disant fiscal?
Bibliographie
BOURGUIGNON F. et BUREAU D., L'Architecture des prélèvements en France, Rapport du Conseil d'analyse économique, n° 17, La Documentation française, 1998.
DUPONT G., LE CACHEUX J., STERDYNIAK H. et TOUZÉ V., "Faut-il vraiment réduire les impôts?", Lettre de l'OFCE, n°196, 23 juin; repris dans Problèmes économiques, n° 2.688-2.689, 15-22 novembre 2000.
DUPONT G., STERDYNIAK H. et TOUZÉ V., "Impôts: une baisse bien ciblée?", Lettre de l'OFCE, n° 198, 28 septembre; repris dans Problèmes économiques n° 2.685, 25 octobre 2000.
DUPONT G., LE CACHEUX J., STERDYNIAK H. et TOUZÉ V., "La réforme fiscale en France, bilan et perspectives", Revue de l'OFCE, n° 75, octobre 2000.
GODINO R., CASTEL R., JALMAIN M. et PIKETTY T., "Pour une réforme du Rmi", Notes de la Fondation Saint-Simon, février1999.
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