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Cinq questions à Wilfried Rault : un spécialiste du Pacs nous répond

Publié le 30/11/2007
Auteur(s) - Autrice(s) : Wilfried Rault
Stephanie Fraisse-D'Olimpio
Sept ans après sa mise en œuvre, le Pacs s'inscrit dans le double mouvement amorcé dans les années 1960 de diversification des modes de vie commune et de complexification des usages sociaux des cadres de la vie privée. Quels sont les spécificités du Pacs ? Comment expliquer son succès ? Participe-t-il à une "désinstitutionnalisation" de la famille ? Quels sont ses différents usages sociaux ? Réponses de Wilfried Rault, chercheur à l'INED et spécialiste du Pacs, dans un entretien accordé à SES-ENS.

Wilfried Rault a présenté dans sa thèse de doctorat [1] une approche sociologique originale du pacte civil de solidarité à travers une enquête basée sur des entretiens semi-directifs auprès d'un échantillon de contractants. Il cherche à cerner les significations que donnent les individus au pacs en observant en particulier le moment de l'enregistrement du pacs au tribunal d'instance et celui de son éventuelle célébration. Le pacs apparaît alors comme une expérience dont le sens est à la fois imposé par l'institution (au cours de l'enregistrement) mais relève aussi de la dimension symbolique que cherchent à lui donner ses signataires .

W. Rault est aujourd'hui chercheur à l'INED et poursuit son travail d'analyse des usages sociaux du Pacs. L'essentiel de ses recherches [2] porte sur la sociologie des formes de vie commune et des cadres institutionnels de la sexualité.

Nous le remercions d'avoir accepté de répondre à nos questions.

Plus de 77000 Pacs ont été signés en 2006. Le succès de cette forme d'union est croissant depuis 2000. Comment l'interprétez-vous ?

Cette augmentation importante du nombre de Pacs tient à plusieurs éléments. L'intérêt du Pacs pour les couples de sexe différent (auxquels on doit la hausse du nombre de pactes) n'avait rien d'évident à ses débuts : il symbolisait avant tout la reconnaissance du couple de même sexe. Aujourd'hui, le Pacs est mieux connu et plus facilement envisagé comme une forme d'union possible. Il y a probablement un effet « boule de neige » dans cette évolution : plus le nombre de Pacs augmente, plus on en parle, notamment dans les médias, et plus le recours au Pacs est perçu comme envisageable. De même, le débat récurrent sur le mariage des couples de même sexe joue probablement en faveur du Pacs, même s'il n'a pas franchi les portes de l'Assemblée nationale. Il contribue en effet à rappeler publiquement que le Pacs ne peut être assimilé à un « mariage homosexuel » compte tenu de ses caractéristiques juridiques. Ce faisant, il apparaît davantage comme une « autre » forme de vie commune pour des couples, notamment qui ne se sentaient pas concernés par le Pacs au premier abord.

Ensuite, d'autres éléments interviennent très probablement dans cette hausse. Je pense tout particulièrement à l'alignement du statut fiscal sur celui des mariés voté en 2004 et mis en œuvre en 2005. Après la réforme, le nombre de Pacs a augmenté de plus de 50% entre 2004 et 2005, et de près de 30% entre 2005 et 2006. L'hypothèse d'un effet de cette réforme sur le nombre de Pacs est appuyée par le changement de saisonnalité du Pacs. Depuis trois ans, la part des Pacs contractés au printemps, période qui permet souvent d'optimiser les effets fiscaux du pacte, est bien plus considérable.

Le Pacs officialise la reconnaissance du couple homosexuel mais, en même temps, les spécificités de ce contrat et son élargissement aux couples hétérosexuels ne soulignent-ils pas les ambiguïtés de cette forme d'union ?

Le législateur aurait pu faire le choix d'un « partenariat enregistré », sur le modèle des pays nordiques, pionniers en matière de reconnaissance du couple de même sexe. Qu'est-ce qu'un partenariat enregistré ? C'est un contrat d'union civile réservé aux couples de même sexe et dont le contenu juridique est relativement proche du mariage. En optant pour le pacte civil de solidarité, la France a mis à l'écart tout dispositif réservé aux unions homosexuelles, conformément à un esprit républicain qui aurait volontiers taxé de « communautariste » une telle forme de partenariat. De manière significative, on observe dans les enquêtes par entretien, que rares sont les « pacsés » en couple de même sexe qui auraient préféré par principe un dispositif spécifique perçu comme stigmatisant et « enfermant ».

La mise à l'écart de cette possibilité - que les pays nordiques remettent d'ailleurs aujourd'hui en question en posant la question d'un mariage ouvert à tous les couples - s'est accompagnée d'un autre impératif politique : créer une « autre » forme de vie commune. C'est ainsi que le Pacs a été envisagé comme une loi pour « ceux qui ne peuvent ou ne veulent se marier », leitmotiv de la majorité qui a défendu le texte en 1998-99. Mais un même dispositif juridique peut-il répondre pleinement à deux objectifs aussi distincts ? A travers le choix d'un dispositif devant se distinguer impérativement du mariage, le législateur a davantage créé une nouvelle forme de vie commune pour tous que mis en œuvre une égalité des sexualités, telle qu'on peut la trouver aujourd'hui, de manière plus ou moins aboutie, en Espagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni ou encore en Belgique.

Les caractéristiques du Pacs portent ainsi la trace de ses ambivalences originelles. Prenons un exemple particulièrement révélateur de l'ambiguïté du texte : l'enregistrement du pacte. Celui-ci a lieu dans un tribunal d'instance, institution méconnue de la population, qui tranche des litiges de la vie quotidienne. Il dure quelques minutes et ses modalités en font une interaction administrative qui n'a rien à voir avec la reconnaissance publique et ritualisée d'une union comme le mariage. Si le couple de même sexe est bien juridiquement reconnu, cette reconnaissance est particulièrement discrète. En revanche, au regard de ces modalités d'enregistrement, le Pacs apparaît bien comme une forme de vie commune alternative qui permet d'encadrer juridiquement une union de manière privatisée.

L'évolution du Pacs depuis son adoption en 1999 est aussi intéressante de ce point de vue. La loi a été modifiée à de multiples reprises, mais l'ambivalence demeure. Certaines modifications le rapprochent du mariage (la modification du régime fiscal, la révision de l'article 4 sur la solidarité mutuelle par exemple) tandis que d'autres continuent de marquer la spécificité du dispositif (telles que le régime de séparation de biens adopté en 2006).

On dispose finalement de peu d'informations statistiques sur le Pacs. Comment peut-on expliquer cette situation ? Ne retrouve-t-on pas derrière cet état de fait des éléments du débat relatif aux statistiques ethniques ?

La situation a quelque peu changé sur ce point depuis l'entrée en application du Pacs en novembre 1999. Jusqu'à l'automne 2007, le nombre de Pacs enregistrés par trimestre, la répartition géographique et le nombre de dissolutions étaient les trois types de données dont nous disposions. A l'origine, cette quasi-absence de statistiques était étroitement liée aux décrets d'application qui ont accompagné la mise en œuvre de la loi et suivi les recommandations de la Commission nationale informatique et liberté. Sur ce point, on a pu observer des confusions qui traversent parfois le débat sur les « statistiques ethniques », et notamment l'amalgame entre l'élaboration de statistiques anonymes et le « fichage » des individus, comme si les deux aspects étaient nécessairement liés. Or, ils ne vont pas de pair. Jusqu'en 2007, la Cnil invitait à ne pas faire de statistiques ayant à voir avec les orientations sexuelles, alors que les personnes contractantes sont, depuis l'entrée en application du texte, inscrites sur un registre dans chaque tribunal d'instance...

Ce régime a changé suite à une loi votée en 2004. On en sait désormais un peu plus sur le Pacs : les pactes gays et lesbiens sont très minoritaires (12% du total depuis 1999, près de 7% pour la seule année 2006). La moyenne d'âge des contractants est proche de celle du mariage pour les partenaires en couple de sexe différent (32.1 pour les hommes, 30.1 pour les femmes en 2006) et un peu plus élevée pour les partenaires en couple de même sexe. A moyen terme, les grandes enquêtes quantitatives conduites par l'Ined et l'Insee permettront d'en savoir plus sur les profils sociaux des contractants.

Votre travail porte sur les usages sociaux du Pacs. Retrouve-t-on des similarités dans le sens que peuvent donner les couples homosexuels et hétérosexuels au Pacs ?

Oui. Le Pacs n'est pas une figure duale qui s'incarnerait de manière distincte selon les deux « publics » qui y ont recours. Des appropriations sont certes plus ou moins exclusives. Tel est par exemple le cas lorsque le Pacs vise à endosser, pour des couples de même sexe, la fonction d'un mariage auquel ils n'ont pas accès. Mais cette configuration qui fait du Pacs un substitut de mariage qui donne lieu de ce fait à une célébration et emprunte plus ou moins au rituel matrimonial, n'est pas la seule figure de Pacs homosexuel. Assez spontanément, le sens commun invite à considérer les Pacs gays et lesbiens comme des substituts de mariage. C'est une erreur : certains contractants en couple de même sexe peuvent souhaiter un cadre juridique différent du mariage (voir schéma ci-joint). Ainsi, les Pacs qui traduisent une certaine réticence vis-à-vis du mariage et ses injonctions à la publicité de l'union, voire qui reposent sur la volonté de faire valoir une autre forme de vie commune sont l'œuvre de couples de même sexe aussi bien que de couples de sexe différent. Ce qui caractérise tous ces contractants, c'est ce que j'ai appelé, dans une terminologie inspirée de Max Weber, un ethos matrimonial, c'est-à-dire un système de valeurs et de dispositions vis-à-vis du mariage relativement critique au moment où ils choisissent le Pacs. Cette « défiance » vis-à-vis du mariage n'est pas nécessairement corrélée à l'orientation sexuelle.

De même, on pourrait penser que la figure du « mariage à l'essai » ne concerne que les couples de sexe différent puisque eux seuls ont accès au mariage. La réalité est plus complexe. Des couples de même sexe ont parfois recours au Pacs dans un esprit prospectif. Dans cette optique, le Pacs ne remplace pas le mariage. Les partenaires souhaitent, à plus long terme, avoir recours à l'institution matrimoniale en espérant qu'elle leur sera ouverte ou en envisageant un mariage à l'étranger. Dans ces situations, l'ethos matrimonial que les contractants donnent à voir est plus favorable au mariage, perçu de manière plus souple. Cette posture n'est pas non plus nécessairement corrélée au type de couple concerné.

Le Pacs illustre-t-il aussi clairement que certains analystes le laissent penser le phénomène de "désinstitutionnalisation" de la famille ?

Si, par « désinstitutionnalisation », on entend un reflux du droit dans la vie privée, alors cette thèse est mise à mal au regard de la courte histoire du Pacs. Si on additionne le nombre de Pacs et des mariages, on observe que le nombre de couples qui a recours à un cadre juridique est en hausse constante. L'augmentation massive du nombre de Pacs, depuis deux ans surtout, excède largement le tassement du mariage. De ce point de vue, la norme conjugale, si elle connaît des mutations, reste hégémonique.

Il y a près de vingt ans, le sociologue britannique Anthony Giddens voyait la désinstitutionnalisation comme un indice de l'avènement proche de la « relation pure » construite par les seules partenaires et débarrassée de supports externes et notamment de cadres institutionnels. L'évolution récente des formes de vie commune invite à nuancer cette thèse : la demande de droit et de cadres institutionnels de la vie privée demeure. Et elle subsiste d'autant plus que ces formes de vie commune sont « appropriables » et compatibles avec une plus grande « démocratisation de la vie privée » entendue comme la possibilité, pour les individus, de choisir les cadres de leur vie privée et d'en construire le sens. Ce que montrent les usages sociaux du pacte civil de solidarité, et en particulier les phénomènes de mise en scène et de ritualisation auxquels il se prête, c'est que la dimension instituante du dispositif juridique ne lui est pas intrinsèque et est à géométrie variable. Certains contractants le maintiennent dans une sphère privée et n'en font pas un dispositif instituant. Ils insistent sur le fait que le Pacs ne change rien à la manière dont ils perçoivent leur union, disent fréquemment qu'ils seraient restés en union libre si le régime juridique du concubinage avait été pourvoyeur de davantage de droits. D'autres pacsés, à l'inverse, le rendent public, le célèbrent avec des cercles sociaux plus ou moins larges et se l'approprient davantage comme un statut. Ce sont les pacsés eux-mêmes qui construisent en partie la fonction instituante du dispositif.

Schéma :

Commentaire du schéma :

Ce schéma permet de rendre compte de manière synthétique de la diversité des usages du pacte civil de solidarité. Pour plus de précisions concernant les figures représentées ici, voir Wilfried Rault, « Entre droit et symbole. Les usages sociaux du pacte civil de solidarité », Revue française de sociologie, 48 (3), 2007, p. 555-586.

Lecture : Verticalement figurent les représentations associées au mariage. Elles renvoient à ce qu'on pourrait appeler, dans une terminologie d'inspiration weberienne, un ethos matrimonial. Celui-ci constitue le système de dispositions mentales relatives au mariage, un ordre normatif intériorisé qui joue un rôle dans l'orientation des activités des individus. Il permet de rendre compte de la diversité des représentations associées au mariage qui apparaît ainsi comme un dispositif « pluriel ».

Schématiquement, plus une appropriation du Pacs se fait en référence positive au mariage, plus nous nous situons haut dans le schéma. A l'inverse, lorsque le Pacs s'inscrit dans des représentations traversées par une distance, voire une hostilité à son égard et que le mariage est subjectivement codé de manière négative, on s'inscrit dans la partie inférieure du tableau.

Au milieu, le mariage n'est pas associé à un engagement supplémentaire, une étape de la vie en couple. Il n'est ni appréhendé comme un idéal, ni comme susceptible d'avoir des conséquences négatives sur la relation.

Horizontalement, sont représentées schématiquement les pratiques auxquelles le Pacs donne lieu. Un Pacs fortement investi, ritualisé sous formes d'appropriations de l'enregistrement, d'accompagnement, de célébrations consécutives, nous conduit à la droite du schéma. Inversement, l'absence de toute appropriation symbolique en termes de pratiques conduit à sa gauche.

Propos recueillis par Stéphanie Fraisse-D'Olimpio pour SES-ENS.

Pour aller plus loin

Vous pouvez consulter le dossier de SES-ENS sur la sociologie de la famille.

Voir aussi, L'amour et la famille, Informations sociales, CNAF, n°144, 2007.

Notes

[1] Thèse de doctorat "Donner sens au Pacs. Analyse sociologique du Pacte civil de solidarité par son enregistrement" (2005) sous la direction de F. de Singly.

[2] Quelques publications :

RAULT Wilfried, «Nouvelles formes d'union, nouveaux rituels ?», Informations Sociales , n°148, 2007. (à paraître)

RAULT Wilfried, «Entre droit et symbole. Les usages sociaux du pacte civil de solidarité», Revue française de sociologie , 48 (3),2007 p. 555-586 .

RAULT Wilfried, «Pacser et se marier ? Le sens d'une combinaison». Recherches Familiales , n°4, 2007,p. 139-148.

RAULT Wilfried, «L'enregistrement du Pacte civil de solidarité au tribunal d'instance : entre assignation et réappropriation» in B. Perreau (dir.), Le choix de l'homosexualité. Recherches inédites sur la question gay et lesbienne, EPEL, Paris, 2007, p. 197-209.

RAULT Wilfried, «Pacs» in ANDRIEU, Bernard (dir.), Le dictionnaire du corps en sciences humaines et sociales, Editions du CNRS, Paris, 2006.

RAULT Wilfried, «Construire une légitimité. Les appropriations du Pacs par les familles homoparentales» in GROSS, Martine (dir.) Homoparentalités, Etat des lieux, ERES, Toulouse, 2ème édition, 2005, p. 319-328.

RAULT Wilfried , «The best way to court. The French mode of registration and its impact on the social significance of partnerships.» in DIGOIX, Marie et FESTY, Patrick (Eds.), Actes du colloque Same-sex couples, same-sex partnerships and homosexual marriages. A focus on cross-country differentials, 2004, INED, Collection «Documents de travail», n°124, p. 27-33