De l'économie du travail aux politiques de l'emploi
Patrick Cotelette est professeur normalien agrégé de Sciences Economiques et Sociales. Il enseigne en khâgne B/L au lycée Fustel de Coulanges et prépare des étudiants de l'Université de Strasbourg au CAPES de SES. Il est notamment l'auteur de l'ouvrage Economie du travail et des politiques de l'emploi (Ellipses, 2018).
Introduction
Alors que l'été 2024 laissait planer le doute sur le futur de la politique économique française, certains étaient au contraire sûrs de ce qu'il serait nécessaire de faire pour que le « pays aille mieux » sur le front de l'emploi et du chômage. Prenons le cas de la réforme de l'assurance chômage, mise en suspens avec la dissolution de l'Assemblée Nationale et les récentes élections législatives. Bruno Le Maire déclarait ainsi le 11 juin 2024 « considère[r] que réduire la durée d'indemnisation du chômage, tout en accompagnant mieux les chômeurs, est la meilleure solution pour que chacun reprenne vite un emploi et qu'on arrive enfin, après un demi-siècle de chômage de masse, au plein emploi qui se situe autour de 5% ». De son côté, Lucie Castets, proposée par le Nouveau Front Populaire pour devenir la deuxième Première Ministre de la Ve République, assurait le 25 juillet qu'il existe au sein du NFP « un large consensus […] sur l'abrogation […] de la réforme de l'assurance-chômage ». S'il est possible d'éclairer ces prises de position à partir du positionnement sociopolitique des différents partis en présence, que peut en dire le discours des économistes ?
Une telle question pose le problème de l'usage des théories économiques en matière de politique économique et de justification politique des mesures prises. Reprenons sur ce point l'intuition keynésienne : « Les idées des économistes et des philosophes politiques, qu'elles soient correctes ou non, sont plus puissantes que ce que l'on pense généralement. En réalité, elles dirigent le monde ou peu s'en faut. Les hommes d'action, qui pensent être dénués d'influence intellectuelle, sont en général les esclaves de quelque économiste défunt » (Keynes, 1936). Si, depuis les années 1930, l'usage d'arguments économiques explicites est devenu de plus en courant dans le vocabulaire des femmes et des hommes politiques, il n'en demeure pas moins qu'ils peuvent s'appuyer sur des idées « incorrectes ». Comment s'assurer alors que les théories économiques aient du sens pour permettre aux acteurs politiques d'atteindre les objectifs pour lesquels ils ont été élus par les citoyens ? Sur ce point, les lauréats du prix Nobel d'économie 2019, Esther Duflo et Abhijt Banerjee, proposent trois conseils (Banerjee et Duflo, 2012) : afin d'aider au mieux les populations, il est nécessaire de mettre en place des institutions en évitant trois écueils, les trois i, à savoir l'idéologie, l'ignorance et l'inertie. Ils plaident alors pour le pragmatisme : plutôt que d'imaginer des solutions toutes faites (contre l'idéologie), il est nécessaire de tenir compte des contextes spatio-temporels (contre l'ignorance) afin de mettre en place les incitations (contre l'inertie) les plus efficaces et les plus efficientes. Et c'est l'évaluation de politiques publiques qui permet de découvrir alors, pour chaque contexte donné, ce qui semble le plus pertinent théoriquement, étant donné l'objectif fixé politiquement, pour aider une population à atteindre une situation qu'elle juge favorable.
Sur ce point, l'économie du travail et ses conseils en matière de politique économique est un terrain parfait d'enquête. Cette branche de l'économie porte sur l'étude des comportements des agents économiques qui décident d'acheter (les demandeurs que sont les employeurs) ou de vendre (les offreurs que sont les salariés potentiels) du temps de travail, comportements qui influencent alors et dépendent des salaires et du chômage. Dans le seul cas français, c'est une branche de l'économie qui porte donc sur environ 5 millions d'entreprises (aussi bien entreprises individuelles que sociétés), 27 millions de salariés et 3 millions d'indépendants. Chaque décision de politique économique à ce sujet est lourde de sens pour la population française. On peut à ce titre distinguer les politiques de l'emploi, qui influencent le fonctionnement du marché du travail et gèrent les déséquilibres qui s'y trouvent, des politiques pour l'emploi qui affectent indirectement, par le biais d'autres marchés, les niveaux d'emploi et de chômage de l'économie. Tandis que les politiques de formation professionnelle font partie de la première catégorie, les politiques budgétaires de relance, par de l'investissement public dans les infrastructures par exemple, font partie de la seconde.
Afin de saisir alors mieux l'importance d'une évaluation des politiques économiques pour éclairer les théories économiques et les décisions politiques, nous prendrons d'abord le temps de délimiter plus clairement les politiques de l'emploi, et présenterons leurs modalités d'évaluation usuelles. Nous prendrons ensuite rapidement trois études de cas, parmi la pléthore qui existe (Askénazy, 2011 ; Cotelette, 2018 ; Erhel, 2020), pour concrétiser la question : l'indemnisation du chômage, les politiques d'exonération de cotisations sociales et les politiques de formation professionnelle.
Un rapide tour d'horizon des politiques de l'emploi
Afin de saisir les contours actuels des politiques de l'emploi, un retour historique et théorique s'impose. Historiquement, avec les chocs pétroliers des années 1973 et 1979 et la fin du compromis fordien des Trente Glorieuses, c'est le problème du chômage qui est devenu le problème économique majeur sur le marché du travail français. Les politiques de lutte contre le chômage, sous diverses formes, se sont développées pleinement depuis. Leur diversité tient aux leçons que la théorie économique a apportées progressivement (Blanchard, 2005). Schématiquement, on peut considérer que le chômage a deux composantes principales, et quatre causes distinctes.
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Graphique n° 1 : Taux de chômage en France (hors Mayotte), en % des actifs de 15 ans et plus.
Source : Insee, enquête Emploi, 2024.
D'un côté, il existe une composante de court terme [1] du chômage. Elle est mise en évidence en observant les variations du taux de chômage et du nombre de chômeurs d'un trimestre à l'autre ou d'une année sur l'autre. Sa cause principale correspond au raisonnement keynésien et à ce qu'il se produit sur le marché des biens et des services. On parle usuellement d'un chômage conjoncturel, ou keynésien, provenant d'un manque de demande de biens et services (elle-même influencée par la situation sur les marchés financier et monétaire), et donc de débouchés, par rapport à l'offre potentielle. Dans de telles conditions, les producteurs n'ont pas besoin d'embaucher plus, et sont même incités à réduire leur quantité totale d'heures de travail effectuées, le temps de vider les stocks. On observe d'ailleurs une forte corrélation négative entre le taux de croissance du PIB et la variation du taux de chômage, ce que l'on résume sous le nom de loi d'Okun. C'est alors en agissant sur la demande de biens et services, par des politiques pour l'emploi, que l'on peut résorber ce type de chômage de court terme.
D'un autre côté, il existe une composante de long terme du chômage. Elle est approximée en observant le taux moyen sur une dizaine d'années autour duquel varie le taux de chômage annuel. Dans le cas français, on observait un taux moyen de 1 % des actifs durant les Trente Glorieuses et un taux moyen de 8-9 % des actifs depuis les années 1980 [2] (graphique n° 1). Cette composante a des causes plus complexes, puisqu'on peut considérer rapidement qu'elle tient à la fois au comportement des offreurs de travail, des demandeurs de travail et à leur interaction sur le marché du travail. C'est ce que l'on appelle respectivement un chômage volontaire, classique et structurel. Ce sont ces trois dimensions auxquelles s'attaquent les politiques de l'emploi.
Premièrement, l'idée de chômage volontaire naît lorsque l'on étudie le comportement des offreurs de travail que sont les salariés potentiels. Sachant que ces derniers sont supposés rationnels, il existe des cas où les gains à l'emploi (a minima la consommation permise par le salaire) sont plus faibles que les gains au non-emploi (a minima le temps libre). Ce comportement est influencé par les politiques de l'emploi, à savoir par l'indemnisation du chômage et les minima sociaux d'une part, et par leur activation d'autre part, au travers de la prime d'activité [3]. En 2022, selon la Dares (Dares, 2024), en excluant les pensions de retraite et les minima sociaux, les pouvoirs publics français ont consacré 45,6 milliards d'euros au soutien du revenu en cas d'absence d'emploi ou d'activité, et 24,4 milliards pour inciter à l'activité. Deuxièmement, on parle de chômage classique lorsque l'on étudie le comportement des demandeurs de travail que sont les employeurs. Dans leur cas, il n'est pas rationnel d'embaucher un travailleur lorsque ce dernier a une productivité horaire inférieure au coût horaire de son travail. C'est alors un deuxième volet des politiques de l'emploi qui se trouve concerné, permettant de réduire le coût du travail des employeurs sans réduire le gain à l'emploi des travailleurs. En 2022, l'Etat français y consacre 87,7 milliards d'euros, notamment à travers les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires et la pérennisation du CICE [4] depuis 2019. Troisièmement, l'idée de chômage structurel apparaît lorsque l'on s'intéresse à la manière dont se fait la rencontre entre un salarié et son poste de travail. Assez simplement, la recherche d'emploi prend du temps à se concrétiser en embauche, et ce temps est plus ou moins long selon la qualité des services de mise en relation des salariés aux entreprises, selon le degré de mobilité géographique des travailleurs et selon l'adéquation des compétences aux postes. C'est alors le troisième volet des politiques de l'emploi qui se trouve mobilisé, avec 6,5 milliards d'euros dépensés en 2022 pour accompagner les personnes en recherche d'emploi (mission de France Travail, ex-Pôle Emploi) et 27,7 milliards pour former professionnellement les personnes en recherche d'emploi.
Ainsi, ce sont 178,7 milliards d'euros, soit 6,8 % du PIB français, qui ont été employés par les pouvoirs publics pour agir sur le chômage et pour augmenter l'emploi en France en 2022. Comment savoir maintenant si ces sommes ont été dépensées efficacement ? C'est tout l'enjeu de l'évaluation économique des politiques publiques.
L'évaluation en question des politiques de l'emploi
Pour évaluer correctement les politiques de l'emploi, deux étapes sont nécessaires. D'une part, il s'agit d'identifier correctement les variables en jeu. D'autre part, une méthodologie spécifique doit être employée pour s'assurer qu'il existe bien une causalité entre la politique de l'emploi étudiée et les résultats observés.
Sur le premier point, lorsque l'on se demande si une politique de l'emploi a un effet sur le chômage d'un pays, il est nécessaire de choisir des variables adaptées. On se rend vite compte, comme dans d'autres sciences, que chaque indicateur choisi comporte des limites. Prenons deux exemples. Dans un premier temps, on peut se dire qu'une bonne manière de faire consiste à choisir le taux de chômage du pays, soit la proportion de chômeurs par rapport à l'ensemble des actifs du pays [5]. Cependant, étant donné la manière de calculer un taux de chômage, il est tout à fait possible que le taux de chômage d'un pays baisse alors que le nombre d’emplois a baissé dans le même temps, si la participation au marché du travail a baissé plus rapidement que le nombre d'emplois. C'est le cas par exemple quand des chômeurs découragés quittent la population active, ce qui est arrivé en France lors du deuxième trimestre de 2020, lors du premier confinement français provoqué par l'apparition du Covid-19 dans le monde, où le taux de chômage avait baissé. De plus, un taux de chômage peut changer de valeur pour une population identique si la définition employée par les services statistiques pour mesurer le chômage a été modifiée [6]. On retrouvera alors le même problème en employant le nombre de chômeurs plutôt que le taux de chômage. On peut en déduire une première précaution : mieux vaut tester les effets d'une politique de l'emploi sur plusieurs indicateurs connexes – et dont on vérifie la définition – que sur un seul.
Cette précaution vaut d'ailleurs pour notre deuxième temps de l'analyse. Imaginons qu'on choisisse une donnée plus microéconomique, soit les chances individuelles de retour à l'emploi d'un individu ayant bénéficié d'une politique de l'emploi. Soit une politique qui améliore cette chance. Rien n'assure que la politique soit pleinement bénéfique et pertinente économiquement si d'autres indicateurs ne sont pas mêlés : n'y a-t-il pas une simple substitution des chômeurs dans la file d'attente du chômage, de sorte que le nombre de chômeurs total n'ait pas changé ? L'emploi retrouvé est-il conservé ensuite longtemps par l'individu, de sorte que les chances de retour à l'emploi soient véritablement durables ? Ainsi, que l'on se place à un niveau d'observation macroéconomique ou microéconomique, une variable seule est rarement pertinente et toujours à prendre avec précaution.
Passons maintenant au second point. Quel que soit l'indicateur choisi, il reste maintenant à évaluer concrètement les politiques de l'emploi. Contrairement au discours journalistique ou de sens commun, l'économiste ne peut se contenter de constater une corrélation entre la mise en place d'une mesure et une modification sur le marché du travail. Il faut surtout démontrer l'existence d'une causalité. Idéalement, on peut démontrer une causalité lorsque la survenue d'un événement X conduit, toutes choses étant égales par ailleurs, à la modification d'un événement Y. Si le chercheur en sciences physiques peut mener des expériences dans un environnement contrôlé, et les répliquer, un tel travail est beaucoup plus complexe pour un chercheur en sciences économiques (Berry et al. 2017) et plus largement en sciences sociales. Par exemple, l'environnement économique et social n'est jamais toutes choses étant égales par ailleurs puisqu'une mesure politique est généralement adoptée en même temps que d'autres, et que les variables économiques et sociales sont également fluctuantes. Il est ainsi difficile d'isoler l'effet de la mesure sur sa cible. De même, la réplication des évaluations est complexe puisqu'une mesure mise en place en France en 2015 n'est pas pleinement équivalente à la même mesure mise en place en Allemagne en 2013. L'effet observé en 2015 n'est pas nécessairement le même que celui observé en 2013. Tout un ensemble de méthodes statistiques sont donc nécessaires pour contourner ces problèmes.
Sans entrer dans l'ensemble des détails techniques, la méthode la plus pertinente en économie du travail pour évaluer une politique de l'emploi consiste à calculer des « différences de différences », sur le modèle des tests scientifiques de traitements médicamenteux. Son principe est de considérer une mesure politique comme un choc exogène affectant à un moment précis du temps le comportement de certains individus. Il s'agit alors de délimiter un groupe traité par la politique, par exemple les chômeurs de longue durée entrés en emploi aidé, et un groupe non traité (dit « groupe témoin »). On observe d'abord quelles différences existent entre eux avant la mise en place de la mesure. On observe ensuite si le comportement du groupe traité se différencie significativement du groupe non traité après la mise en place de la mesure. C'est donc en calculant une « double différence » (avant et après, entre deux groupes), que l'on peut évaluer l'effet toutes choses étant égales par ailleurs d'une politique de l'emploi. Bien entendu, la qualité d'une estimation réside sur la qualité des groupes comparés. En effet, c'est surtout lorsque les individus qui bénéficient de la mesure ressemblent beaucoup ex ante aux individus non traités qu'il est possible de considérer les différences apparaissant entre eux après la mise en place de la politique comme un effet causal de cette politique. Il est donc nécessaire de contrôler la construction des groupes. Deux méthodes standard sont employables. La première est celle d'une « expérience aléatoire ». Il s'agit, à l'image des études médicales, d'accorder à certains individus tirés au hasard le bénéfice d'une politique publique, et à ne pas l'attribuer à d'autres (ce que les médecins font en leur donnant un placebo). De telles expérimentations posent des problèmes tant juridiques qu'éthiques et pratiques, et sont encadrées par des dispositions légales précises (notamment en France depuis la réforme constitutionnelle de 2003 qui a permis leur développement). La deuxième méthode est celle d'une « expérience naturelle ». Dans ce cas, certains groupes ont été non intentionnellement exclus des bénéficiaires de la mesure. Ils servent alors de point de référence pour l'évaluation, sous certaines conditions de validité.
Ces éléments étant posés, que nous enseigne actuellement une partie des travaux sur les politiques de l'emploi, permettant ainsi de faire dialoguer les théories économiques avec les résultats de l'évaluation des politiques publiques ?
Les effets de l'indemnisation du chômage
La question de l'indemnisation du chômage se pose lorsqu'on s'intéresse théoriquement à ce qu'on appelle du chômage volontaire. En tant que revenu d'assurance versé aux individus lors de périodes de non-emploi, une allocation chômage constitue dans une première approximation un gain pour les individus à être sans emploi. Dans ces conditions, peut-on imaginer qu'il existe une « trappe à chômage » en raison des allocations chômage ? On restera ici à un niveau microéconomique d’analyse pour centrer le propos.
Théoriquement, il existe deux canaux simples par lesquels une allocation chômage conduit à maintenir des individus dans la situation de chômage volontaire. Il suffit pour ce faire de supposer, à la manière néoclassique, que les individus sont rationnels et ne comparent l'emploi et le non-emploi que par rapport aux gains matériels immédiats qu'ils procurent. D'une part, puisque les allocations chômage sont un revenu de substitution en cas de non-emploi, elles peuvent augmenter le salaire de réserve des chômeurs, c'est-à-dire le salaire minimum qu'ils attendent pour consentir à vendre leur temps de travail. Elles conduisent donc à une augmentation du salaire négocié par ces derniers lors d'une reprise d'emploi. Une telle situation augmente donc les chances pour un chômeur de rester sans emploi : il y a moins de propositions d'emploi qui leur conviendront. D'autre part, les allocations chômage peuvent réduire les efforts de recherche des chômeurs en raison de la sécurité relative de leur situation. Il est en effet rationnel pour les chômeurs de considérer ainsi les allocations chômage : elles ne sont que la contrepartie des primes d'assurance que les chômeurs indemnisés ont versées auparavant sous forme de cotisations salariales. De la même manière qu'un automobiliste attend de son assurance de le couvrir après un accident, un chômeur ayant suffisamment cotisé attend du système d'assurance chômage de le couvrir en cas d'absence d'emploi. La réduction des efforts de recherche contribue ainsi également à une situation de chômage volontaire (Stigler, 1962).
Pour autant, il est également possible de montrer théoriquement que les allocations chômage peuvent sortir les individus d’une situation de chômage volontaire. Deux changements d'hypothèse sont nécessaires, tout en restant dans un cadre néoclassique où l'individu est supposé rationnel : les individus regardent désormais des gains non immédiats aux situations, et des gains non matériels. Sur le premier point, on peut parler de « l'effet d'éligibilité » des allocations chômage théorisé par Mortensen (1977). Sachant que moins de la moitié des chômeurs sont indemnisés par une allocation chômage en France, il n'en demeure pas moins que tous peuvent en bénéficier s'ils ont suffisamment cotisé auprès de l'assurance chômage. Par conséquent, les chômeurs non indemnisés aujourd'hui sont incités à rechercher un emploi plus activement : accéder à l'emploi est en effet le moyen de recommencer à souscrire à une assurance chômage en cas de période de non-emploi ultérieure. Les allocations chômage permettent ainsi la hausse des gains matériels à l'emploi dans une dimension intertemporelle et réduisent le chômage volontaire. Sur le second point, il suffit de rappeler que l'activité de recherche d'emploi n'est pas une activité « gratuite » pour comprendre comment les allocations chômage peuvent réduire le chômage volontaire. Cette recherche d'emploi est dépendante de coûts directs comme imprimer un curriculum vitae, envoyer des courriers et contacter des entreprises, aller aux entretiens, avoir une hygiène de vie qui corresponde aux attentes des employeurs, etc. Elle est aussi dépendante de nombreux coûts d'opportunité : le chercheur d'emploi sans emploi actuel ne bénéficie pas des avantages matériels et non matériels associés à l'emploi (revenu, statut social, sociabilité, etc.), peut aussi voir son capital humain se dévaloriser et peut subir le stigmate du chômage. Dans ces conditions, l'allocation chômage est une véritable subvention à la recherche d'un emploi futur qui, en réduisant le coût de la recherche d’emploi, et en rendant plus facile l'accès aux gains matériels et non matériels de l'emploi, contribue à réduire également le chômage volontaire.
Il est alors intéressant de montrer que les estimations empiriques valident l'ensemble des raisonnements exposés ci-dessus, tout en restant dans un cadre néoclassique d'analyse. Premièrement, les allocations chômage réduisent bien les efforts de recherche des chômeurs, et produisent du chômage volontaire, surtout en début de droit : on constate que l'augmentation de la durée de couverture d'un système d'assurance chômage se traduit généralement toutes choses étant égales par ailleurs par une augmentation de la durée qu'un individu passe au chômage, et par une hausse de la proportion de chômeurs de longue durée dans une économie. Deuxièmement, les allocations chômage produisent un effet d'éligibilité et réduisent le chômage volontaire : à mesure que la date de fin de droits approche, on constate une hausse croissante des efforts de recherche et des chances de retour à l'emploi pour les chômeurs indemnisés [7]. Enfin, les allocations chômage sont bien une subvention à la recherche d'emploi, tout en augmentant le salaire négocié par les individus, ce qui réduit durablement le chômage volontaire : tandis que les individus non indemnisés ont des chances de retour à l'emploi faibles [8], les individus indemnisés ont toutes choses étant égales par ailleurs de meilleures chances de retour à l’emploi, des emplois plus pérennes et qui apportent plus de satisfaction au salarié (Fervers, Wulfgramm, 2015).
Les effets des politiques d'exonération de cotisations sociales
La question des cotisations sociales se pose lorsque l'on s'intéresse théoriquement à ce que l'on appelle du chômage classique et que l'on considère que le coût du travail augmente le chômage. En tant que différence entre le salaire net et le salaire brut et superbrut (payé par l'employeur), une cotisation sociale constitue une hausse du coût du travail pour l'employeur par rapport aux gains immédiats à l'emploi du salarié. Dans ces conditions, baisser les cotisations sociales peut-il permettre de réduire le chômage classique dans une économie ?
Avant d'entrer pleinement dans la réponse théorique à cette question et ce que nous apprennent les estimations empiriques à leur sujet, une remarque s'impose. Derrière l'évidence de l'expression « baisser les cotisations sociales » se cachent en réalité de nombreuses possibilités. Cette baisse concerne-t-elle tous les salariés ? Est-elle conditionnée par les caractéristiques du salarié (âge, sexe, ancienneté dans l'emploi, niveau de diplôme) ? Par les caractéristiques de l'employeur (privé ou public, taille, secteur, localisation) ? Par les caractéristiques de l'emploi (payé à tel niveau de salaire, pour tel type de tâche, pour tel niveau de qualification du poste) ? Cette baisse est-elle pérenne ou temporaire ? Le cas échéant, quelle est sa durée ? Tient-on compte dans l'analyse théorique et l'évaluation des effets d'ajustement du budget public (compensation par hausse du déficit et de la dette, par hausse d'autres recettes, par baisse d'autres dépenses) après baisse des cotisations sociales ? Dans le cas français, on peut constater environ 70 variantes du dispositif de baisse entre 1990 et 2010 (Amghar et Laloue, 2010). Comment faire pour en parler scientifiquement ? De fait, il se joue ici une question d'importance. Comme dans d'autres sciences, les chercheurs en science économique travaillent à partir de la modélisation, et résument le monde par un nombre réduit de propositions qui forment un ensemble cohérent et qui permettent de mener et tester un raisonnement toutes choses étant égales par ailleurs. Mais le réel n'étant pas toutes choses étant égales par ailleurs, la prudence scientifique oblige à avoir un regard qui sait faire temporairement abstraction de la modélisation, pour mieux décrire et expliquer le réel [9].
Partons alors d'un monde simple, modélisé d'une manière néoclassique, où l'on a des agents économiques rationnels qui cherchent à vendre leur temps de travail et d'autres qui cherchent à les employer pour produire. Tandis que les premiers, les offreurs de travail, regardent le salaire net que leur rapporte l'emploi, les seconds, les demandeurs de travail, ajoutent à ce salaire net tous les coûts associés, et les comparent à la productivité des salariés, pour savoir s'il est pertinent ou non de les embaucher. Dans ces conditions, toutes choses étant égales par ailleurs, la baisse des cotisations sociales change le seul comportement des demandeurs de travail, qui auront intérêt à embaucher plus. Dans ces conditions simples, le chômage classique se réduit (tout comme le chômage volontaire en raison de l'ajustement du salaire net) et il y a plus d'emplois occupés (graphique n° 2).
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Graphique n° 2 : Schéma représentant les effets d'une baisse des cotisations sociales sur la demande de travail et l'équilibre sur le marché du travail.
Source : schéma de l'auteur.
Tout l'intérêt du travail de modélisation, qui va dès lors plus loin que le premier modèle initial, est alors de questionner à quelles conditions cet effet économique de réduction du chômage apparaît. Dit autrement, comment s'assurer que, même si le monde réel n'est pas toutes choses étant égales par ailleurs, on peut observer et expliquer théoriquement des résultats empiriques comme s'il l'était. Premièrement, ces politiques de subvention de la demande de travail par réduction des cotisations sociales ont bien les effets escomptés sur l'emploi lorsque l'économie est surtout victime d'une situation de chômage classique sans qu'il n'y ait de problèmes de débouchés pour les entreprises sur le marché des biens et services. En effet, dans une telle situation, l'élasticité de la demande au coût du travail est importante (car les entreprises désirent produire plus pour répondre à la demande de biens et services, mais sont bloquées dans leurs embauches par le coût du travail comparativement à la productivité), tout comme l'élasticité de l'offre de travail au salaire net (car le manque actuel de production créé une situation inflationniste qui incite à travailler plus pour maintenir son pouvoir d'achat). Deuxièmement, l'effet positif est amplifié lorsqu'il existe une forte substituabilité des facteurs capital et travail. Comme le coût relatif du travail baisse, l'incitation à remplacer du capital par des achats de temps de travail est grande. Troisièmement, il est aussi amplifié si les entreprises utilisent la baisse du coût du travail pour baisser leurs prix de vente et qu'il existe une forte élasticité de la demande de biens et services (que cette demande soit intérieure au pays ou par les exportations) aux prix. Si l'on résume alors toutes ces conditions, il semble pertinent de réserver les réductions de cotisations sociales aux emplois de travailleurs peu qualifiés. Premièrement, ce sont des travailleurs dotés en moyenne d'une faible productivité, et qui sont dans le même temps concernés par des emplois payés au salaire minimum. Ce sont donc des travailleurs qui peuvent poser des problèmes de coût du travail, relativement à leur productivité, aux employeurs. Réduire leurs cotisations sociales est une manière de contourner l'existence d'un salaire minimum pour favoriser leur embauche. Deuxièmement, ce sont des travailleurs qui sont fortement substituables au capital, notamment lorsqu'ils effectuent des tâches routinières. La baisse du coût relatif de leur travail par rapport au capital peut conduire les employeurs à les préférer à l'utilisation de capital. Troisièmement, on trouve des proportions importantes de travailleurs peu qualifiés dans des secteurs comme la grande distribution, la construction, la restauration ou l'hôtellerie, qui sont des secteurs où la demande de biens et services est fortement sensible aux prix de vente. Baisser leurs cotisations sociales peut permettre des baisses de prix incitant à produire plus et à embaucher. En résumé, en ne concentrant le regard que sur le marché du travail et le marché des biens et des services [10], la théorie économique permet de justifier, à partir d'hypothèses néoclassiques, la mise en place de réduction des cotisations sociales pour les travailleurs les moins qualifiés.
De telles politiques de réduction de cotisations sociales sont apparues d'abord en Europe au courant des années 1990. Nous présenterons ici le cas français où de telles mesures existent depuis 1993 [11]. Leur principe général est d'accorder une réduction du taux de cotisations sociales dégressive selon le niveau de salaire, ce qui a pour objectif d'améliorer la compétitivité de l'économie française en réduisant notamment le coût de production et donc potentiellement le prix de vente (nationalement et à l'exportation), tout en incitant aux activités de Recherche & développement et aux créations d'emplois. Si mutation du dispositif il y a eu, c'est d'abord au niveau du taux maximum d'exonération, de son profil dégressif et du salaire maximum pouvant bénéficier de la mesure. Ainsi, si en 1993 le dispositif portait sur les emplois payés de 1 à 1,2 fois le Smic et permettait une réduction maximum de 5 % du salaire horaire brut au niveau du Smic, le système effectif en 2022 porte sur l'ensemble des emplois payés de 1 à 3,5 fois le Smic et accordait une réduction maximum de 40 % du salaire horaire brut au niveau du Smic. La mesure est progressivement devenue de moins en moins associée aux plus bas salaires. Assez logiquement, cette montée en puissance s'est traduite par une augmentation de son coût pour les pouvoirs publics. En 2022, ces mesures coûtaient au total 70 milliards d'euros contre 0,5 milliard en 1993. Dans ces 70 milliards d'euros, 35 correspondent à des exonérations ciblées encore sur les bas salaires, et 35 sont plus larges, dans la continuité du Pacte de responsabilité et du CICE.
De nombreuses estimations ont été entreprises depuis 1993 dans le cadre français, aussi bien ex ante qu'ex post. D'une manière générale, toutes concluent à l'existence d'un effet positif sur les créations d'emplois. Cependant, comme elles évaluent des dispositifs quelque peu différents dans le temps, et avec des méthodologies plus ou moins semblables, la quantité d'emplois créés estimée n'est pas la même. Il y a ainsi consensus sur l'effet mais pas sur son ampleur (voir L'Horty et al., 2019 ; Bozio et Wassmer, 2024), ce qui invite à revoir le dispositif. Dans leur comparaison désormais ancienne, Bunel et al. (2012) rappellent que, pour un budget de 5 milliards d'euros (celui des années 1990), ce sont entre 80 000 à 800 000 emplois qui pourraient être créés, soit du simple au décuple. La fourchette est trop large pour être fiable, mais elle a le mérite de rester positive et de signifier une création d'emplois. Si l'on affine alors, on constate qu'à mesure que les évaluations portent sur des exonérations de plus en plus larges (de 1,2 Smic en 1993 à 1,6 Smic en 2006 et 3,5 Smic en 2017), les effets moyens mesurés sont plus faibles. Si les exonérations des années 1990 créeraient en moyenne 400 à 500 mille emplois pour 5 milliards d'euros, celles des années 2000 en créeraient de 100 à 200 pour un même coût. La comparaison des études confirme ainsi l'existence d'un « rendement décroissant » des exonérations de cotisations sociales sur l'emploi, soit la prédiction théorique que nous évoquions précédemment. Les récentes enquêtes sur le CICE confirment cette tendance. Gilles et al. (2021) montrent ainsi qu'entre 2014 et 2016, le CICE aurait créé ou sauvegardé en moyenne entre 50 et 100 000 emplois pour un coût moyen de 15 milliards d'euros par an, soit de 16 à 33 000 emplois pour une dépense de 5 milliards d'euros.
Pour compléter notre propos, rappelons-nous qu'il peut être utile de compléter l'analyse d'une politique de l'emploi par l'introduction d'autres variables. Prenons un exemple. Etant donné leur calibrage initial sur les bas salaires, les différentes exonérations de cotisations sociales visent d'abord des emplois que l'on retrouve plus fréquemment dans certains secteurs intensifs en main-d'œuvre comme les services à la personne et les services aux entreprises, les hôtels et restaurants et le commerce de détail. Ce sont des secteurs dont on connaît pourtant la difficulté à créer des gains de productivité. Une telle mesure peut donc être néfaste à long terme pour l'emploi si elle conduit à une allocation des travailleurs en défaveur des secteurs les plus favorables à la croissance économique, et si elle contribue de plus à la survie des entreprises les moins productives. Une enquête de Garsaa et Levratto (2019) montre ainsi qu'il existe une corrélation négative entre le taux d'exonération d'une entreprise et ses chances d'exporter : en employant beaucoup de main d'œuvre peu qualifiée, l'entreprise a tendance à perdre en compétitivité hors-prix et donc en capacité à exporter. C'est une telle crainte qui a d'ailleurs justifié l'élargissement de l'exonération jusqu'à 3,5 Smic dans le Pacte de responsabilité de 2014, mais avec les faibles effets estimés sur l'emploi que l'on a vus.
Les effets des politiques de formation professionnelle
Après avoir étudié deux exemples de solutions apportées aux problèmes posés par le chômage volontaire et le chômage classique, nous allons regarder une des politiques de l'emploi qui visent la dimension structurelle du chômage. Cette dernière dépend essentiellement de la qualité de l'appariement sur le marché du travail et donc de la mise en relation d'un salarié potentiel avec un poste vacant. Réduire le chômage structurel implique de réduire le temps que met un chômeur à trouver un emploi, et cela peut passer notamment par le fait de le former pour qu'il ait des compétences qui correspondent à celles attendues immédiatement par les employeurs sur le marché du travail. Ce sont les politiques de formation professionnelle qui remplissent principalement ce rôle, et elles sont revenues sur le devant de la scène économique à partir des années 1990 et la mise en place des politiques de flexisécurité dans les pays nordiques.
La flexisécurité

Pour justifier les politiques de formation professionnelle, leurs défenseurs partent principalement du principe qu'elles permettent une accumulation de capital humain triplement favorable à la réduction du chômage structurel dans une économie. D'une part, une formation (générale ou spécifique à une entreprise particulière) permettrait la hausse de la productivité du travail, ce qui se traduit par une incitation plus grande pour les entreprises à créer des postes vacants. Le taux de chômage structurel baisse toutes choses étant égales par ailleurs. D'autre part, elle permettrait aux offreurs de travail nouvellement qualifiés de passer moins de temps en moyenne à rechercher un emploi, et de passer plus de temps dans l'emploi, ce qui contribue également à réduire le taux de chômage structurel. Enfin, elle permettrait aux employeurs de trouver plus rapidement un candidat correspondant à leurs attentes. Le chômage structurel baisse à nouveau. Cependant, avant d'entrer dans la présentation de leurs effets réels, il faut avoir à l'esprit la grande diversité des situations entendues derrière ce terme de formation professionnelle. Les dispositifs de formation peuvent prendre différentes formes (de type scolaire, en alternance, professionnelle dans le public ou dans le privé, par le biais d'un emploi plus ou moins temporaire, plus ou moins subventionné), proposer des contenus très différents (le capital humain peut être très général lorsqu'il s'agit de lutter contre l'analphabétisme de certains salariés ou très spécifique à certains métiers) et concerner des publics très divers (de l'ensemble des chômeurs à ceux ayant le plus de difficultés à retrouver un emploi). Leur évaluation est de même extrêmement difficile à mener en raison de la nature des données nécessaires (sur la formation elle-même puis sur le parcours de l'offreur de travail à plus ou moins longue échéance et ce qu'il lui serait arrivé sans formation).
Théoriquement, dans leur généralité, les politiques de formation proposées aux chômeurs peuvent conduire à trois effets au niveau microéconomique. Premièrement, il peut exister un effet de menace qui augmente les chances de retour à l'emploi ex ante. Certains chômeurs préfèrent augmenter leurs efforts de recherche d'un emploi plutôt que de « subir » une formation, et ils augmentent dans le même temps leurs chances de sortir du chômage. Deuxièmement, il existe aussi un effet d'enfermement lorsque la formation se déroule. Très simplement, une journée de formation rend difficile d'exercer dans le même temps les démarches de recherche d'un emploi. C'est une période durant laquelle les chances de retour à l'emploi diminuent. Ex post, on s'attend enfin à un effet d'amélioration des compétences et donc de la productivité qui augmente les chances d'être embauché par un employeur. Ce dernier point est, rappelons-le, l'aspect spécifique des politiques de formation. C'est pour cette raison qu'il est usuel de prédire, en même temps qu'un meilleur retour à l'emploi, une hausse des salaires ultérieurs et une augmentation du temps passé dans l'emploi obtenu toutes choses étant égales par ailleurs. Dans le cas français, différents résultats émergent des études disponibles. Citons le principal : l'effet positif de la formation des offreurs de travail sur le retour à l'emploi à long terme est avéré, mais il s'accompagne d'un effet d'enfermement qui augmente à court terme la durée de l'épisode de chômage. Crépon et al. (2012) comparent à cette fin les chômeurs ayant bénéficié d'une formation et les autres entre 2001 et 2005. Toutes choses étant égales par ailleurs, il apparaît que le temps passé au chômage des individus formés augmente en moyenne de 93 jours en raison d'un effet massif d'enfermement. Mais le temps passé dans leur emploi ultérieur augmente en moyenne de 336 jours par rapport aux chômeurs non formés. D'autres estimations (Ferracci, 2013) montrent quant à elles que les effets des formations sur les salaires sont plus faibles que sur la productivité des travailleurs. On confirme le fait que les formations bénéficient autant aux employeurs en matière de productivité qu'aux offreurs de travail par la sécurisation de leurs emplois. C'est également ce que montrent les estimations de France Travail sur les effets de la formation professionnelle en entreprise.
Enfin, il est raisonnable de faire l'hypothèse que les effets microéconomiques de la formation sont différents de ses effets macroéconomiques. D'une part, il y a tout lieu de penser que les effets de substitution des travailleurs dans la file d'attente du chômage apparaissent avec la présence de formations : si les chances de certains de retrouver un emploi augmentent, cela se fait peut-être aux dépens d'autres personnes en recherche d'emploi. D'autre part, on observe des effets de déversement de la formation sur le marché du travail. Concrètement, cela signifie que la hausse de la proportion de chômeurs ayant accès à une formation sur le marché du travail réduit les gains moyens permis par le dispositif. Ce phénomène, attesté en France (Ferracci et al., 2014), peut se comprendre comme une forme « d'inflation scolaire » : à mesure que l'accès à la formation devient moins rare dans l'économie, cette dernière perd de son pouvoir distinctif pour les offreurs de travail qui en bénéficient ; par conséquent, son effet sur les chances de retour à l'emploi s'amenuise. Ces deux phénomènes de substitution et de déversement conduisent ainsi à penser que la formation à destination des chômeurs n'est pas, seule, un outil puissant pour réduire le taux de chômage structurel d'une économie, même s'il améliore relativement la situation microéconomique de certains salariés et s'il augmente leur productivité moyenne. Pour autant, si les chômeurs formés entrent en concurrence avec les personnes en emploi pour les postes déjà occupés, et que la concurrence donne naissance à une pression à la baisse des salaires à productivité identique, on peut aussi penser qu'il existe une tendance à la réduction du chômage structurel. L'effet macroéconomique final de la formation sur le chômage est donc difficile à anticiper.
En guise de conclusion
Comme nous avons pu le voir avec nos trois exemples, les politiques de l'emploi constituent un défi pour l'analyse économique et l'évaluation des politiques publiques. Il semble en tout cas intéressant de constater que chaque mesure a différents effets, et qu'il est complexe aussi bien de les théoriser que de les estimer. C'est en tout cas une indication que la politique publique nécessite différents outils pour mener à bien les missions fixées par le vote des citoyens. Si une mesure isolée peut susciter des critiques à juste titre, c'est le tableau d'ensemble qu'il faut observer pour mieux juger des politiques publiques. Mais une telle manière de regarder est difficile à concrétiser, tant pour les profanes en économie que pour les spécialistes. C'est une leçon que devraient avoir à l'esprit les femmes et les hommes politiques, ainsi que les citoyens, au lieu de tomber dans le piège des slogans tout faits.
Références bibliographiques
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Notes
[1] En matière de vocabulaire, il existe une difficulté inhérente à la diversité des économistes et de leurs théories, et aux problèmes de traduction de l'anglais au français. Dans cet article, nous parlons de chômage de court terme et de long terme pour insister sur le niveau d'observation du chômage (variations annuelles contre moyenne sur dix ans) et éviter l'opposition entre conjoncturel et structurel que certains économistes utilisent quant à eux pour transcrire dans le discours économique les données. Cela nous permet de réserver le terme de chômage structurel pour insister sur une cause du chômage de long terme, qui tient au fonctionnement (influencé par des institutions et des asymétries d’information) du marché du travail et à l'appariement des offreurs et des demandeurs sur ce marché. Théoriquement, cette conceptualisation du chômage structurel a été faite à partir de l'apport de Diamond, Mortensen et Pissarides, lauréats du "prix Nobel" d'économie en 2010 (modèle DMP) qui ont introduit pleinement la question des flux de création et de destruction d'emplois dans l'analyse économique.
[2] C'est d'ailleurs un des enjeux de la baisse du taux de chômage amorcée depuis 2015. S'agit-t-il d'une baisse liée aux causes de long terme ou de court terme du chômage ?
[3] Il existe diverses manières de classifier les politiques de l'emploi que nous n'emploierons pas ici. Le terme d'activation renvoie à la distinction faite par l'OCDE et Eurostat entre les politiques passives, visant à compenser les déséquilibres sur le marché du travail en fournissant des revenus aux personnes sans emploi, aux politiques actives qui sont des dépenses ciblées, comme des aides à la création d'entreprises pour les chômeurs, permettant de modifier les flux sur le marché du travail.
[4] Le Crédit d'Impôt pour la Compétitivité et l'Emploi était une aide fiscale bénéficiant aux entreprises employant des salariés et imposées à l'impôt sur les sociétés ou à l'impôt sur le revenu. Il permettait une réduction de ces impôts pour compenser une partie des cotisations sociales payées antérieurement. Ce dispositif a pris fin en 2019 en se transformant en une réduction directe des taux de cotisations sociales (et non plus une déduction fiscale postérieure).
[5] Pour rappel, un actif est, au sens de l'INSEE, un individu qui participe au marché du travail, soit en ayant un emploi (actif occupé), soit en recherchant activement un emploi (actif inoccupé).
[6] On observe ce phénomène notamment lors des réformes de la mesure des « Demandeurs d'Emploi en Fin de Mois » en France. Voir Cotelette, 2018.
[7] Les travaux montrent à ce titre que le plus important est d'abord la durée de l'indemnisation, plutôt que son montant. Il n'y a pas de problème incitatif à avoir des allocations chômage « généreuses » dans un pays, ce que les pays pratiquant la flexisécurité (voir plus loin) ont bien compris.
[8] On parle habituellement d'un effet « pic » de la fin de droits des allocations chômage : à mesure que la date de fin de droits approche, les chances de retour à l'emploi augmentent, et retombent à un niveau très faible passé cette date.
[9] Sur ce point, c'est ce que déclarait déjà Alfred Marshall en 1890 en parlant des courbes d'offre et de demande. « Lorsque l'offre et la demande sont dans une position d'équilibre stable, si quelque accident vient écarter le niveau de la production de sa position d'équilibre, immédiatement entreront en jeu des forces tendant à ramener ce niveau à cette position ; c'est ainsi que lorsqu'une pierre suspendue à une corde est écartée de sa position d'équilibre, la force de la pesanteur tendra à la ramener à cette position. Les mouvements du niveau de la production autour de sa position d'équilibre sont à peu près de même nature. Mais, dans la réalité, de telles oscillations sont rarement aussi rythmiques que celles d'une pierre se balançant librement à l'extrémité d'une corde ; la comparaison serait plus exacte si l'on supposait que la corde se balance dans les eaux agitées d'un biez de moulin, dont le courant est tantôt libre et tantôt partiellement arrêté. Dans la pratique, les tableaux de demande et d'offre ne restent pas longtemps invariables, mais ils sont constamment en voie de changement ; et chaque changement modifie la quantité d'équilibre et le prix d'équilibre, et déplace ainsi les centres autour desquels la quantité et le prix tendent à osciller ». Pour une réflexion équivalente au sujet des effets du salaire minimum, voir Clemens, 2021.
[10] Il est alors tout à fait possible de complexifier encore le raisonnement. Que se passe-t-il si l'on ajoute l'idée que les salariés attachent de l'importance au montant des cotisations sociales payées, étant donné qu'elles constituent des ouvertures de droit aux allocations chômage ou aux pensions de retraite ? Que se passe-t-il si on ajoute l'idée que les réductions de cotisations sociales sont compensées budgétairement par une hausse de la TVA ou par une baisse des dépenses publiques dans l'éducation ?
[11] Pour être précis, nous faisons ici référence à des politiques de baisses du coût du travail qui ne sont pas ciblées par rapport à un public particulier comme les jeunes ou les seniors. Ces dernières étaient importantes avant 1993 en France et dans d'autres pays européens et pèsent désormais moins dans les dépenses publiques consacrées au marché du travail.
Pour aller plus loin
Ducoudré B., Heyer E. (2020), « Quels effets attendre de la transformation du CICE ? », SES-ENS.
Le Garrec G., Touzé V. (2024), « L'emploi des séniors en Europe », SES-ENS.
Simula L. (2018), « Chômage : brève histoire d'un concept », SES-ENS.