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Le temps partiel

Publié le 02/11/2015
Auteur(s) - Autrice(s) : Françoise Milewski
Cet article, écrit par l'économiste Françoise Milewski responsable du groupe de recherche «Genre, emploi et politiques publiques» (SciencePo/OFCE) et issu du Repères "L'économie française 2015", fait le point sur l'évolution des emplois à temps partiel depuis quarante ans et leurs principales caractéristiques (sectorielles, socio-démographiques, salariales, etc.). L'article alimente également le débat sur la flexibilité, non seulement de la durée du contrat (CDI ou CDD), mais aussi de la durée du travail.

La part des emplois à temps partiel dans l'emploi total a fortement progressé en France. Si cette hausse était encore limitée dans les années 1970, elle s'est accélérée dans les années 1980 et surtout 1990. Durant les années 2000 et au début des années 2010, les fluctuations ont été moins marquées au regard de la longue période, mais la hausse est régulière depuis 2008. La part du temps partiel a plus que doublé depuis quarante ans et il représente désormais près d'un cinquième de l'emploi (graphique 1).

Ces évolutions reflètent à la fois les transformations du marché du travail — croissance du secteur tertiaire au détriment de l'industrie et multiplication des statuts d'emploi — et les inégalités entre les femmes et les hommes. Elles sont aussi le produit des politiques publiques.

La part des emplois à temps partiel dans l'emploi total en France se situe un peu en dessous de la moyenne européenne.

Les principales caractéristiques des temps partiels

Les emplois à temps partiel sont pour l'essentiel occupés par des femmes (82,5%). En 2013, 30,6% des femmes en emploi sont à temps partiel (contre 7,2% des hommes). Le travail à temps partiel des hommes s'est davantage accru que celui des femmes depuis 2008, mais le déséquilibre reste important.

Ils sont majoritairement occupés par des salarié-e-s de 25 à 49 ans, qui représentent 59,1% des personnes employées à temps partiel. Cependant, le temps partiel est proportionnellement plus développé parmi les jeunes et les seniors. Chez les seniors, cette forme d'emploi peut être une transition vers la cessation d'activité, mais elle traduit de plus en plus la fragilisation de cette tranche d'âge sur le marché du travail.

Les salarié-e-s à temps partiel sont majoritairement employé-e-s à durée indéterminée (78,7%). Moins d'un cinquième sont en CDD. Ainsi, contrairement à une idée très répandue, la majorité des personnes travaillant à temps partiel n'est pas en contrat de durée déterminée (même si, proportionnellement, elles sont plus nombreuses à être dans ce cas que celles à temps plein). Il s'agit d'une forme d'emploi stable, pour l'essentiel, qui conduit au sous-emploi pour une partie des salarié-e-s.

Les temps partiels sont plus fréquents parmi les faibles qualifications. Près d'un quart des salarié-e-s sans diplôme travaillent à temps partiel, contre 15% seulement des salarié-e-s qui ont un diplôme supérieur à bac+2. Ainsi, 50,9% des temps partiels sont peu diplômés (niveau inférieur au bac). Ce sont ces salarié-e-s peu qualifié-e-s et à temps partiel qui constituent les catégories les plus pauvres.

Si les durées du travail sont le plus souvent comprises entre 15 et 29 heures, la dispersion est importante ; mais on note une tendance à l'accroissement de la part des courtes quotités.

Les salaires sont inférieurs, y compris en termes horaires : les salarié-e-s à temps partiel sont surreprésenté-e-s parmi les personnes payées au SMIC et les bas salaires.

Lorsque les horaires sont atypiques, que l'amplitude est étendue par de multiples coupures, que l'organisation du temps est fluctuante et sans prévisibilité, les conditions de travail sont dégradées.

Le temps partiel est cependant hétérogène, aussi bien dans les raisons invoquées par les salarié-e-s lorsqu'elles ou ils en font la demande, que dans les formes d'organisation des entreprises selon les secteurs d'activité. Les temps travaillés relèvent de logiques multiples. Cela conduit à parler des temps partiels pour rendre compte de cette multiplicité. Mais le partage entre temps partiel «contraint» et «choisi» mesure mal cette hétérogénéité.

Les raisons du développement du temps partiel

Le développement du secteur tertiaire a porté celui des temps partiels. Les emplois à temps partiel dans les secteurs tels le commerce-distribution, l'hôtellerie-restauration, le nettoyage, les services à la personne et certains services publics sont majoritairement occupés par des femmes. Cela résulte des types de formation qu'elles acquièrent, des stéréotypes sur les compétences naturelles qu'elles auraient pour s'occuper d'autrui, de leur surreprésentation dans les emplois peu ou non qualifiés. Les arbitrages qu'elles font entre tâches professionnelles et familiales renforcent ces évolutions, soit parce qu'un plein temps leur paraît incompatible, soit parce qu'après un congé parental elles prolongent la réduction d'activité qu'elles ont expérimentée.

La flexibilisation du travail au cours des dernières décennies a renforcé ces tendances. L'éclatement des formes d'emploi a concerné surtout les femmes, à la fois parce qu'elles travaillent majoritairement dans les secteurs qui en ont été à l'origine et parce que les femmes, étant en situation d'infériorité sur le marché du travail, acceptent plus facilement des emplois peu valorisés. Dans la période de la crise, cependant, la dégradation du marché de l'emploi a concerné aussi les hommes.

Les politiques publiques ont, à certaines périodes, favorisé le temps partiel (surtout au début des années 1990, par des exonérations). Ces politiques sont redevenues neutres au début des années 2000. Le tassement des créations d'emplois à temps partiel, consécutif à la fin des mesures d'incitation, a conduit à un recul de la part du temps partiel dans l'emploi. Mais celui-ci fut passager, montrant bien que ce sont désormais les facteurs structurels qui fondent l'augmentation du travail à temps partiel.

Au carrefour d'objectifs en termes d'emploi et/ou de mesures concernant les familles, les politiques ont souffert d'incohérences. Par exemple, la réforme du congé parental de 2004 a favorisé le congé à temps partiel et, de ce fait, la reprise d'activité à temps partiel.

Le travail à temps partiel a été en partie réformé par la loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013. L'accès aux droits sociaux a été amélioré, un seuil horaire minimum (24 heures) a été fixé et la rémunération des heures complémentaires est désormais majorée (de 10%) dès la première heure. Cependant, l'existence d'exceptions à la règle des 24 heures (par exemple pour les particuliers employeurs et, de façon générale, lorsque ce sont les salarié-e-s qui en font la demande) et la possibilité de multiplier les avenants modifiant l'horaire contractuel risquent d'en limiter l'impact. Dans la situation actuelle d'emploi dégradé, la «demande» des salarié-e-s peut vite se transformer en volontariat forcé. De plus, certaines branches négocient actuellement des dérogations aux dispositions légales et des modulations du temps de travail. Les délais de mise en oeuvre de la loi de 2013 ont été reportés.

Quelles évolutions pour l'avenir ?

Temps partiels et temps pleins ont-ils des logiques de développement autonomes ? On peut le penser au vu du fait que certaines catégories sont de plus en plus confrontées au surtravail, tandis que d'autres sont durablement à temps partiel. Ces deux réalités se développent simultanément. Organisation déficiente du travail ? Secteurs d'activité spécifiques ? Métiers différents ? On peut accumuler les causes.

Mais une autre dimension de la question tient aux réglementations de ces deux types d'emploi. On a longtemps opposé le temps plein, comme norme de l'emploi stable, au temps partiel qui, lui, serait instable. Or, actuellement, la majorité des emplois à temps partiel sont en CDI. On pourrait même penser que les normes se sont rapprochées. De plus en plus de formes de flexibilité ont été introduites pour les emplois à plein temps (aménagement et annualisation du temps de travail, etc.), tandis que certains temps partiels sont davantage encadrés par des accords de branche dont l'objectif est d'améliorer la qualité des emplois (amplitudes horaires, nombre et durée des coupures, délai de prévenance, etc.).

La perte ou la relativisation des avantages de flexibilité associés au temps partiel pourrait, si elle était avérée, conduire à un moindre recours au temps partiel et à un regain du temps plein. A l'heure actuelle, ce n'est pas une réalité : le taux d'emploi à temps partiel n'a pas baissé significativement après la disparition des incitations financières au milieu des années 2000 et s'est même accru depuis la crise. Mais cette question demeure ouverte pour l'avenir.

Le temps partiel est-il une forme de sous-emploi ou un mode d'intégration au marché du travail vers le temps plein ? Le temps partiel peut être, pour les catégories les plus éloignées de l'emploi, une phase transitoire vers le temps plein. Cela concerne les jeunes, les personnes sans qualification qui acquièrent ainsi une première expérience, ou encore les femmes qui reviennent sur le marché du travail après une longue interruption. Mais le temps partiel est souvent durable et certain-e-s salarié-e-s cumulent plusieurs emplois pour obtenir des revenus supplémentaires. La multiactivité s'est développée.

Le temps partiel est donc devenu une forme d'emploi en tant que telle. De plus, si le temps de travail est spécifié dans le contrat, il peut varier par des avenants. Dans certains cas, l'annualisation du temps de travail permet aussi la fluctuation du temps hebdomadaire. A l'extrême, certains pays (Royaume-Uni, Pays-Bas entre autres) pratiquent les contrats «zéro heure» qui ne définissent pas le nombre d'heures travaillées, déterminé à la demande par l'employeur. Ce changement des normes est-il la forme de l'emploi à venir ? On est là au coeur du débat sur la flexibilité, non seulement de la durée du contrat (CDI ou CDD), mais de la durée du travail (horaire défini ou fluctuant).

L'insécurité liée à l'absence de maîtrise du temps induit des difficultés organisationnelles. Plus généralement, la continuité de l'instabilité horaire modifie la relation au marché du travail. Le temps partiel est une composante importante de ce changement.

Quelles sont les perspectives d'évolution, entre l'hyperflexibilité et l'encadrement des temps partiels ? à coup sûr, il y a actuellement en Europe et en France des forces opposées qui s'exercent entre, d'une part, le développement d'emplois peu codifiés et peu protégés (les «petits boulots») et, d'autre part, ce qui découle de législations ou d'accords de branche tendant à encadrer le temps partiel et à améliorer la qualité des emplois. Ces deux forces se manifestent simultanément.

Autant de questions qui conditionnent l'élaboration des politiques publiques, confrontées au choix entre deux options : compenser les conséquences du temps partiel et/ou limiter le développement des emplois à temps partiel.


Repères bibliographiques

MILEWSKI F., «Le travail à temps partiel», Conseil économique, social et environnemental, Les Editions des Journaux officiels, décembre 2013.

MILEWSKI F., «Le travail à temps partiel», Note de l'OFCE, n°38, 13 décembre 2013.

PAK M., «Le travail à temps partiel», Synthèse Stat, DARES, n°4, juin 2013.

PAK M., «Le temps partiel en 2011», DARES Analyses, n°5, janvier 2013.

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