Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Navigation
Vous êtes ici : Accueil / Articles / L'élection de Donald Trump va-t-elle bouleverser le commerce international américain ?

L'élection de Donald Trump va-t-elle bouleverser le commerce international américain ?

Publié le 14/11/2016
Auteur(s) - Autrice(s) : Sébastien Jean
Le commerce international a été l'un des grands thèmes de la campagne électorale de Donald Trump. Ses positions protectionnistes et son opposition aux traités commerciaux internationaux sont en rupture avec la ligne libre-échangiste traditionnelle du Parti républicain et des précédents occupants de la Maison Blanche. Le nouveau Président des États-Unis entend ainsi lutter contre la concurrence déloyale de certains pays et défendre les emplois des travailleurs américains. Nous avons demandé à Sébastien Jean, directeur du CEPII et spécialiste du commerce international, de répondre à quelques questions sur le programme de Trump en matière de politique commerciale et sur ses possibles implications pour les échanges internationaux et l'économie américaine.

Interview de l'économiste Sébastien Jean, directeur du CEPII.

1. Quel est le programme de Donald Trump en matière de commerce international ?

Le protectionnisme commercial a été l'un des arguments emblématiques du candidat Trump. Ses déclarations ont été radicales, comme le montrent les exemples suivants : « Nous ne pouvons plus continuer de laisser la Chine violer notre pays. C'est ce qu'il est en train de faire. C'est le plus grand vol de l'histoire du monde » (Fort Wayne, Indiana, mai 2016) ; « Ces accords [de libre-échange] sont un désastre. (…) L'OMC est un désastre » (Meet the Press, NBC, juillet 2016). Autant dire que, sur ce sujet peut-être plus encore que sur la plupart des autres, Donald Trump n'a pas fait dans la dentelle au cours de sa campagne, menaçant d'imposer des droits de douanes punitifs aux importations en provenance de Chine (45%) et du Mexique (35%), de « déchirer » les accords de libre-échange existants, à commencer par l'ALENA, et de retirer son pays de l'OMC. Pour autant on ne peut pas véritablement parler de programme, d'ailleurs ses écrits sont moins radicaux que ses déclarations. En outre, le ton de son premier discours de Président-élu était plutôt apaisant. En somme, ses prises de positions sont d'une façon générale protectionnistes, tout particulièrement à l'encontre de la Chine et dans une moindre mesure du Mexique, mais elles manquent de cohérence et il est actuellement bien difficile de dire dans quelle mesure il tentera de les appliquer.

2. Pourra-t-il appliquer ce programme même si le Congrès s'y oppose ?

La conduite des politiques relatives au commerce extérieur étant une prérogative du Congrès, on pourrait être tenté de croire que le Président a relativement peu de pouvoir en la matière et ne serait pas en mesure de mettre ces menaces à exécution. Ce n'est pas le cas en pratique, essentiellement parce que le Président a la charge de la conduite de la politique étrangère, et qu'il peut s'en prévaloir pour prendre différentes mesures en arguant de la sécurité nationale, de l'urgence ou d'une menace. Ces actions seraient probablement contestées, mais le Président peut agir vite et fort, tandis que les remises en cause de ses actions seraient nécessairement incertaines et lentes. Le dommage commercial et politique sera largement consommé avant qu'une procédure légale interne n'aboutisse. En outre, sortir d'un accord commercial n'est pas du tout aussi compliqué que sortir de l'Union européenne, pour mentionner un sujet tout autant d'actualité. Pour l'essentiel, les accords commerciaux, y compris ceux du GATT puis ceux ayant donné naissance à l'OMC, sont des échanges d'engagements entre les pays partenaires : je m'abstiens d'avoir recours à des politiques protectionnistes, en échange de ton engagement à faire de même. Révoquer ces engagements n'a rien d'insurmontable, et les accords de libre-échange incluent généralement des clauses de révocation. En somme, on aurait tord de penser que le Président Trump aura les mains liées en matières commerciales pour des raisons institutionnelles ou légales. 

3. Les traités commerciaux en cours de négociation (le Partenariat Transatlantique - TTIP), de ratification (le Partenariat Transpacifique - TPP), ou en vigueur (l'ALENA) sont-ils sérieusement menacés par le protectionnisme du nouveau président des Etats-Unis ?

Aussi incohérent que soit Donald Trump, il y a fort à parier que son discours protectionniste se traduise d'une façon ou d'une autre. La première victime désignée est le Partenariat Transpacifique (TPP). La violence des attaques de Trump à son encontre pendant la campagne laisse peu de doutes sur le fait que cet accord, bien que déjà conclu politiquement, ne sera jamais ratifié et rejoindra aux oubliettes de l'histoire commerciale un certain nombre de ses prédécesseurs (l'accord anti-contrefaçon ACTA et l'Organisation Internationale du Commerce, OIC, étant parmi les plus célèbres). La négociation du Partenariat Transatlantique (TTIP) peut également être considérée comme abandonnée : s'il n'a pas été possible d'avancer substantiellement dans la période récente, que peut-on attendre d'une négociation entre une Europe en proie à la paralysie institutionnelle et des États-Unis agressivement protectionnistes ?

4. L'imposition de droits de douane très élevés aux produits importés de Chine et du Mexique ne risque-t-elle pas d'entrainer des représailles de la part des partenaires commerciaux des États-Unis ?

Même si l'ALENA et en particulier le Mexique ont été la cible de nombreuses attaques de Trump lors de sa campagne, c'est par rapport à la Chine que ses prises de positions ont été le plus agressives. Ses menaces sont sans doute proférées avec l'intention de mettre ses partenaires sous pression plutôt que d'être appliquées. Ainsi, l'application d'un droit de douane de 45% contre les produits chinois est assortie d'un « s'ils ne se comportent pas bien » (if they don't behave). Et Trump a dit qu'il entamerait dès son premier jour de fonction une procédure contre la Chine pour sanctionner la manipulation supposée de son taux de change (une accusation qui n'a d'ailleurs plus grand sens aujourd'hui), ce qui laisse supposer qu'il espère ainsi obtenir des concessions sur la gestion de leur monnaie. Mais s'engager dans une telle logique est un pari risqué. Les États-Unis ne sont plus tout-puissants dans la concurrence économique, loin s'en faut, et des menaces pourraient tout aussi bien attirer des représailles que des concessions. On l'a encore vu, lorsque les États-Unis ont appliqué des droits de douane supplémentaires de 35% contre les importations de pneus en provenance de Chine, en 2009. Les chinois ont répliqué ultérieurement par un droit de douane de plus de 50% sur les importations de poulets en provenance des États-Unis. Son coût potentiellement prohibitif est peut-être le meilleur garde-fou contre un conflit commercial de grande ampleur, mais l'enchaînement des représailles s'enclenche facilement.

5. Elle pourrait également mettre en difficulté les grandes entreprises américaines dans un contexte de mondialisation des chaines de valeur.

En effet, la fragmentation des processus de production entre des sites situés dans différents pays, modifie l'appréciation que l'on peut faire du coût du protectionnisme. Aujourd'hui, on estime que près de 40% de la valeur des exportations américaines s'inscrivent dans des chaînes de valeurs internationales, soit parce qu'elles sont composées de pièces et composants importés, soit parce qu'elles sont des pièces et composants qui sont ensuite intégrés dans les exportations d'autres pays. Autrement dit, on ne peut pas raisonner comme si la plupart des biens étaient entièrement produits aux États-Unis à partir d'intrants et de facteurs de production locaux, puis exportés pour consommation finale à l'étranger. Dans de nombreux secteurs, en particulier ceux de technologie avancée comme l'aéronautique ou l'automobile, il faut avoir accès aux meilleurs fournisseurs dans le monde pour pouvoir être compétitif. Entraver l'importation gêne donc l'exportation. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, même si un certain nombre de mesures protectionnistes ont été recensées ces dernières années, elles prennent souvent des formes plus subtiles que des droits de douane, en passant par exemple par des exigences sur le contenu local imposées sur les investissements directs, ou par la restriction des programmes d'achats publics aux producteurs locaux.

Propos recueillis par Anne Châteauneuf-Malclès pour SES-ENS.

Pour aller plus loin

En prolongement de cette interview, on pourra également consulter :

Un autre billet de Sébastien Jean dans le blog du CEPII dans lequel il souligne l'incohérence de la stratégie protectionniste de D. Trump, qui vise à la fois à s'opposer à la Chine et à réduire le déficit commercial américain : "La double incohérence du protectionnisme selon Donald Trump" (billet du 6 janvier 2017).

Le billet de Thomas Piketty "Pour une autre mondialisation" (piketty.blog.lemonde.fr, 15/11/2016), qui plaide pour une réorientation de la mondialisation au moyen de traités commerciaux d'un nouveau type, compatibles avec un développement équitable et durable.

Thierry Mayer, "Brexit, Trumpit : la fin des accords régionaux ? Conséquences pour l'industrie automobile", Lettre du CEPII, n°371, novembre 2016. Dans cette publication, T. Mayer évalue les coûts économiques, dans le cas de l'industrie automobile, pour les producteurs et les consommateurs, de deux désintégrations commerciales, le Brexit (sortie du Royame-Uni de l'UE) et "Trumpit" (application par les États-Unis de droits de douane de 35% sur les importations en provenance du Mexique) et donc d'un retour au protectionnisme dans ce secteur.

 

Mots-clés associés :