"Pays de malheur" : un commentaire de Bernard Lahire
Le livre de Younes Amrani et Stéphane Beaud est un bel exemple de ce que peut faire de mieux la sociologie lorsqu'elle est animée par le souci d'aider les personnes enquêtées à dire leurs expériences. Contrairement à ce que l'on pense ordinairement, témoigner sur sa propre vie n'est jamais une chose "naturelle" et "facile" ; et cela est d'autant plus vrai que celui qui témoigne n'est, pour des raisons sociales, que très rarement écouté et porte en lui les stigmates d'une vie cumulant une série de propriétés négatives. L'entretien sociologique (qu'il soit oral ou, comme ici, écrit) est un véritable travail : travail de l'intervieweur qui aide son interlocuteur par sa bienveillance, son écoute attentive, ses encouragements et ses relances, mais aussi par la proposition de thèmes ou de cadres de discussion afin de "trier" des expériences multiples souvent enchevêtrées et incommunicables comme telles ; travail de l'interviewé sur lui-même pour parvenir à dire des choses vécues parfois comme trop honteuses, trop douloureuses ou simplement insignifiantes pour être dites. Ce dialogue exceptionnel (dans tous les sens du terme) entre un sociologue de métier et un de ses lecteurs prouve la fonction démocratique de la sociologie d'enquête et la nécessité d'en diffuser le plus largement possible les acquis.
à Lyon, le 29 janvier 2005.
Pour consulter la présentation du livre de Younès Amarani et Stéphane Beaud sur le site SES ENS
Pays de malheur : un jeune de cité écrit à un sociologue