Quelles recettes pour relancer l'économie américaine ?
L'économie américaine va-t-elle voir le bout du tunnel ? Il est permis d'en douter lorsque s'accumulent les mauvaises nouvelles depuis plusieurs mois : crise immobilière, hausse du chômage et remontée de l'inflation (4,1 % en 2007 contre 2,5 en 2006) viennent se rajouter aux problèmes récurrents comme celui du déficit budgétaire, ainsi que du déficit commercial (les importations représentent environ 1,5 fois les exportations). De même, les rachats d'entreprises américaines par des étrangers profitant du dollar faible suscitent de nombreuses inquiétudes.
Le mot de « récession » est soigneusement évité par la Maison Blanche. Mais n'est-ce pas pour contrer la récession que la Banque centrale américaine a plusieurs fois diminué ses taux depuis l'été 2007, ou que le Congrès a concocté un plan de relance par « l'impôt négatif » sous l'impulsion du président G.W. Bush en février 2008 ?
La presse s'interroge sur les décisions à prendre pour relancer la première puissance mondiale, en cette année électorale où les citoyens placent la situation économique à un rang aussi élevé (et parfois plus élevé) parmi leurs préoccupations que la guerre en Irak, la lutte contre le terrorisme, ou encore l'immigration clandestine.
Le premier article, « Old-school economics » est paru le 27 janvier 2008 sous la plume ironique de Christopher Caldwell dans le supplément dominical du New York Times.
L'auteur note que bizarrement les candidats aux élections adorent se faire photographier aux côtés d'ouvriers d'usine, alors que les croupiers de casinos, les vigiles (ou les chorégraphes !) sont plus nombreux que certaines catégories de « cols bleus ». Les politiciens sont en retard d'une génération lorsqu'il s'agit d'économie.
C. Caldwell blâme davantage les démocrates que les républicains pour leur attitude passéiste, nostalgique d'un monde disparu. Dans les années 1980 et 1990, tandis que les démocrates ont systématiquement appuyé les syndicats et brocardé les dirigeants d'entreprises, les républicains ont au moins eu le mérite d'essayer d'aiguillonner le système productif par la dérégulation et les baisses d'impôts afin de hâter la transition vers la « nouvelle économie ». Ils ont considéré que les entrepreneurs avaient besoin d'une plus grande latitude pour s'adapter et mener à bien leurs dépenses d'investissement. C'était sans doute vrai de Microsoft en 1988 ; mais est-ce vrai de Microsoft aujourd'hui ?
Car la nouvelle économie est bel et bien en place. Le monde d'avant Internet et d'avant la chute du mur de Berlin appartient à l'Histoire. Le problème n'est pas tant, par exemple, celui des travailleurs qui ne parviennent pas à transiter de « l'ancienne » à la nouvelle économie, que celui de ceux qui souffrent dans la nouvelle.
Quelle politique économique adopter ? Il est temps, selon C. Caldwell, de passer d'une politique de transition à une politique qui prend acte de celle-ci. Et cette fois-ci, ce sont les républicains qui sont en retard d'un métro, prônant les sempiternelles solutions : dérégulation et baisses d'impôts (« tax cuts »). Or la dérégulation montre ses limites (en matière de d'environnement par exemple), et les citoyens américains eux-mêmes deviennent sceptiques quant à la possibilité (et l'intérêt) des baisses d'impôts : ne serait-il pas préférable, par exemple, de financer une couverture maladie universelle par l'augmentation des prélèvements ?
L'arsenal qui était peut-être adapté pour accompagner la transition vers la nouvelle économie ne permet plus de répondre aux défis qui se posent aujourd'hui à la société américaine, conclut l'auteur, qui cite par exemple le surendettement des ménages.
On retrouve dans cet article bon nombre de mécanismes et de notions familières comme la destruction créatrice, la dérégulation ou la politique fiscale, avec un regard intéressant consistant à acter le passage à la nouvelle économie et à dénoncer la rigidité idéologique des deux principaux partis américains.
Démocrates et républicains ont justement œuvré conjointement pour un plan de relance début 2008. De quoi s'agit-il ?
Le plan de relance (« Economic stimulus package »), initié par le président G.W. Bush, a été adopté par le Congrès en février 2008, au terme de rudes négociations qui éclairent sur les fondements idéologiques respectifs des deux partis, mais aussi certains enjeux électoraux.
Ce plan est ambitieux : 168 milliards de dollars répartis sur 2 ans, dont 152 pour l'année 2008. Il est destiné à stimuler la consommation des ménages et l'investissement des entreprises dans le contexte difficile que nous avons décrit précédemment : une relance par la demande, financée par la politique budgétaire et la politique fiscale.
Sont prévus tout particulièrement des remboursements d'impôts (« tax rebates ») allant par exemple jusqu'à 600 dollars pour un célibataire sans enfants, et certaines baisses d'impôts pour les entreprises. Environ 250 000 vétérans, et certains ménages recevant des prestations de la sécurité sociale, sont également concernés : ils recevront eux aussi un chèque, ce qui n'était pas prévu dans les premières versions du plan. Aucun remboursement d'impôts ne sera effectué pour les ménages les plus aisés. (Pour plus de détails, voir l'article du New York Times du 8 février 2008.)
La démocrate Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des Représentants (« Speaker of the House ») n'a pas compté ses efforts pour parvenir à ce résultat. Ca n'a pas été facile : il a fallu non seulement convaincre certains républicains, mais également des sénateurs démocrates qui ont tenté de faire voter un plan encore plus ambitieux, risquant du même coup de mettre à mal le consensus « bipartisan ».
Les sénateurs démocrates souhaitaient en effet élargir le plan de relance à certains ménages très pauvres (donc ne payant pas d'impôts) et/ou aux chômeurs. Le plan aurait coûté 190 milliards (au lieu des 168 pour le plan finalement voté). Or les républicains ne voulaient pas en entendre parler : non seulement un plan plus large aurait été coûteux, mais de plus il aurait aidé de façon indifférenciée deux catégories de ménages bien distinctes dans l'esprit des conservateurs américains (d'une part les travailleurs payant des impôts, d'autre part les ménages ne payant pas d'impôts et/ou les chômeurs). Après un bras de fer de plusieurs jours, les sénateurs démocrates ont cédé sur leurs principales demandes : en échange, les républicains ont notamment accepté que les ménages payant un faible impôt reçoivent un chèque d'au moins 300 dollars.
Cet épisode illustre la collusion qui peut exister entre, d'une part, les présupposés théoriques, et d'autre part les valeurs des deux camps en présence.
Les démocrates estiment qu'en aidant ceux qui en ont le plus besoin, on fait preuve de justice sociale tout en maximisant l'effet de la relance (la thèse selon laquelle les ménages les plus pauvres vont consommer l'intégralité de leur revenu supplémentaire est abondamment reprise, en particulier à gauche). On rappellera aussi (comme l'a fait Hillary Clinton, en pleine campagne des Primaires) que les Noirs et les Hispaniques, traditionnellement électeurs démocrates, sont surreprésentés parmi les ménages pauvres et/ou les chômeurs privés « d'impôt négatif ». Il est aussi permis de se demander si, en période électorale, la fronde des sénateurs démocrates n'avait pas surtout pour but de donner des gages de combativité à leur électorat...
Chez les républicains, la volonté d'aider en priorité (voire uniquement) les ménages qui paient des impôts s'articule avec l'inquiétude de voir le déficit budgétaire se creuser un peu plus. Anecdote amusante : sachant que certains sénateurs républicains vont bientôt être candidats à leur propre succession, leurs collègues démocrates avaient tenté de les séduire par un amendement prévoyant une aide financière pour la facture de chauffage...qui serait tombé à pic pour les électeurs du Nord-Est touchés par les rigueurs de l'hiver ! Mais le projet est tombé à l'eau...
Les négociations, aussi âpres qu'elle aient été, ont été rapides : G.W. Bush avait donné au Congrès jusqu'au 15 février pour parvenir à un accord, qui a été trouvé avec une semaine d'avance. Les pourparlers, et la nature du plan de relance, ont été très commentés dans la presse.
Ainsi par exemple l'article « Beyond the Stimulus Package », publié dans le New York Times du 27 janvier 2008 revient sur une des critiques majeures de ce plan : il n'aide pas en priorité ceux qui pourtant dépenseraient l'intégralité de leur chèque. Pire : si le plan est un échec et/ou que la récession est durable, le nombre de nécessiteux à la charge de la collectivité sera encore plus élevé.
L'éditorialiste, comme d'autres, voit le plan comme une mesure nécessaire, mais il met en garde contre l'accroissement du déficit qui en résultera ; or, selon lui, l'impéritie de G.W. Bush (moindres ressources en raison des baisses d'impôts + augmentation des dépenses) a déjà causé de graves dégâts. Le plan de relance ne peut être qu'une mesure à court terme ; c'est une politique radicalement inverse qui sera nécessaire ensuite. D'autres éditorialistes sont même convaincus que le plan de relance se paiera à terme par...une hausse d'impôts (un argument classique chez les économistes pour qui la relance budgétaire par la dépense est un leurre).
Second exemple : l'article intitulé « Negociators grappling with stimulus plan », publié dans le Washington Post le 24 janvier 2008, en plein milieu des tractations.
Les auteurs recensent d'autres critiques : le plan est temporaire alors que c'est une baisse d'impôts permanente qui est la solution la plus efficace (argument républicain) ; ses effets risquent d'être différés (pour des raisons d'ordre pratique, il ne sera en vigueur que plusieurs semaines après son adoption) ; il risque d'encourager l'inactivité ; enfin, il prive Washington de ressources, ressources dont une partie est destinée aux transferts vers les 50 Etats, ce qui peut conduire ces derniers à augmenter leurs propres impôts (annulant ainsi l'effet de la relance).
On l'a vu, ces débats sont à replacer dans un contexte de crispation et d'inquiétude autour de la situation économique américaine. La proximité de l'élection présidentielle (novembre 2008) est également dans tous les esprits. Récession crainte ou avérée, crise de confiance dans le pouvoir, marges de manœuvre réduites (déficit, coût de la guerre en Irak, etc.) seront les défis à relever pour le successeur de G.W. Bush, et il est permis de se demander quelles seront les orientations économiques des Etats-Unis lors des prochaines années. Un président démocrate sera-t-il par exemple conduit à rogner sur les dépenses sociales ? Un président républicain remettra-t-il en cause le « dogme » des baisses d'impôts ?