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The black-white gap in marital dissolution among adults: what can a counterfactual scenario tell us ?

Publié le 03/12/2007
Auteur(s) - Autrice(s) : Jennifer Hickes-Lundquist
Stéphanie Fraisse-D'Olimpio
Présentation de l'étude de la sociologue et démographe américaine Jennifer Hickes-Lundquist "The black-white gap in marital dissolution among adults: what can a counterfactual scenario tell us ?" publiée dans Social Problems. L'auteure apporte un éclairage nouveau sur les facteurs explicatifs des disparités entre population noire et blanche en matière de divorce, en isolant un échantillon de population composée de militaires afro-américains. L'étude met en évidence le faible taux de divorce de cette population. Ce contre-exemple semble refléter les spécificités de l'univers militaire, estompant la ségrégation raciale et favorisant l'égalité socio-économique.

Jennifer Hickes-Lundquist, "The black-white gap in marital dissolution among adults: what can a counterfactual scenario tell us ?", Social Problems, Vol. 53, N°3, pp. 421-441.

Commentaires

La sociologie de la famille américaine a largement mis en évidence l'existence de disparités entre population noire et blanche en matière de divorce. Les causes du sur-divorce des populations afro-américaines font l'objet de nombreuses hypothèses portant sur les différences socio-économiques, sur les différences culturelles, ou encore sur la combinaison des deux mais demeurent largement mal comprises. L'auteur nous propose d'apporter un éclairage nouveau sur ces facteurs explicatifs en isolant un échantillon de population composée de militaires afro-américains. Ces fonctionnaires de l'Armée américaine présentent en effet la spécificité d'avoir un taux de divorce largement inférieur à la population civile afro-américaine et même à leurs alter-ego caucasien. L'analyse par le contre-exemple est riche d'enseignements. L'auteur soutient que l'appartenance au corps militaire modère les désavantages structurels de la condition afro-américaine dans la société civile puisque dans ce contexte, plusieurs variables explicatives de la différence entre les groupes sont gommées. Elle s'appuie sur une enquête quantitative très détaillée comparant populations blanche et noire au sein de l'armée et dans la société civile,

Le taux de divorce des afro-américains est aux Etats-Unis deux fois supérieur à celui de la population dite caucasienne et la stabilisation du nombre de divorce depuis le début des années 80 est essentiellement le fait des populations blanches. Parmi les facteurs traditionnels invoqués pour expliquer les disparités entre races, on recense d'abord, nous l'avons vu, les caractéristiques socio-économiques puisque la stabilité du couple peut être affectée par l'instabilité de l'emploi. Pour autant, la différence entre population blanche et noire en matière de divortialité ne diminue que modestement lorsque les chercheurs annulent l'effet de variables socio-économiques. En effet, ce critère n'expliquerait que 20 à 30% des différences entre races. Dans ce contexte, les sociologues se sont intéressés à des facteurs explicatifs portant sur les différences de normes entre les groupes qui affecteraient la structure familiale. Des études insistent par exemple sur la forte indépendance des femmes afro-américaines qui allègerait leur besoin de s'inscrire dans les liens du mariage ou réduirait le coût de l'interruption de leur union. Deux écoles s'affrontent à cet égard sur ce point ; l'une souligne l'influence de la culture ancestrale africaine qui relativiserait l'importance de la famille nucléaire ; l'autre insiste sur la culture de la pauvreté héritée de l'esclavage qui expliquerait cette autonomie des femmes. Le point commun de ces approches est leur absence de preuves empiriques puisque la culture demeure un phénomène multidimensionnel difficilement quantifiable.

Selon l'auteur, deux facteurs doivent être considérés isolément pour améliorer la portée de l'analyse socioéconomique des différences entre groupes et de l'analyse se fondant sur les spécificités normatives de la population afro-américaine. Tout d'abord, l'observation de populations présentant des revenus et un bagage éducatif comparables n'élimine pas toutes les différences socioéconomiques puisque, notamment, le critère de résidence n'est pas abordé, ignorant ainsi que même les familles noires de niveau socio-économique intermédiaire ou supérieur peuvent faire l'objet d'une ségrégation résidentielle, se traduisant par un accès inégal aux biens de qualité, aux services, aux ressources éducatives, par un capital social limité et une forte exposition au chômage. Les mesures concernant la santé, le niveau d'endettement et la ségrégation sont ainsi incomplètes.

De même, l'analyse en termes de différences normatives entre les groupes n'aborde pas l'expérience du racisme. Pourtant, l'exposition à la discrimination raciale affecte non seulement la mobilité sociale mais aussi l'univers mental des individus de minorités visibles.

L'expérience émotionnelle du stress de la pauvreté et des discriminations affecte de façon donc disproportionnée les populations afro-américaines. Mais comment mesurer l'influence de tels facteurs ?

L'étude n'a évidemment pas pour prétention de remédier à ces problèmes de mesure. Toutefois, l'observation de l'univers de l'armée permet de neutraliser un certains nombre de ces variables : la mixité culturelle y est présente tant sur le lieu de travail que sur le lieu de résidence, les militaires disposent d'une sécurité de l'emploi et d'un ensemble d'avantages en termes d'assurance maladie, de retraite, de gratuité du logement... Ces caractéristiques offrent ainsi aux militaires afro-américains une stabilité économique que peuvent rarement espérer leurs compatriotes civils en particulier si l'on compare dans ces deux groupes les personnes n'ayant pas de diplômes universitaires. Cette situation explique la forte attractivité de l'armée américaine pour cette minorité puisque la proportion de noirs dans certaines branches de l'armée peut être jusqu'à trois fois supérieure à qu'elle est dans la population américaine. La stabilité économique peut donc affecter positivement la stabilité du couple.

A cela s'ajoute selon l'auteur, un phénomène intéressant lié au déséquilibre numérique entre hommes et femmes noires dans l'armée, qui offre une plus grande sélection possible de partenaires aux femmes afro-américaines. Ce ratio homme/femme inversé par rapport à la société civile, a tendance à favoriser l'endogamie en termes d'âge et de niveau d'éducation, ce qui est favorable à la longévité du couple.

Si les situations d'égalité socio-économiques entre population blanche et noire sont rares, elles ne sont toutefois pas absentes dans la société civile mais plusieurs études montrent qu'elles ne suffisent pas à équilibrer les taux de divorce des deux communautés. L'auteur insiste donc sur l'importance de l'égalité des ressources au-delà de l'égalité salariale. Ainsi, le fait que l'armée favorise la déségrégation territoriale et l'accès uniforme à des biens et services de qualité pourrait en définitive donner aux militaires noirs un sentiment d'appartenance plus fort à la société. Plusieurs enquêtes montrent à cet égard que les relations raciales sont bien moins tendues dans l'armée que dans la société civile et que les mariages mixtes y sont bien plus nombreux (un soldat blanc a ainsi trois fois plus de chances d'épouser une femme noire qu'un civil).

Ainsi, l'effet stabilisant de l'environnement socioéconomique de l'armée et surtout la plus faible stratification raciale se combinent pour créer une réalité bien spécifique. L'univers de l'armée offre ainsi des règles alternatives qui viennent limiter l'instabilité conjugale pour les populations noires. Les études statistiques montrent même que les chiffres concernant les militaires afro-américains suivent des tendances inversées par rapport aux militaires blancs pour qui le taux de divorce est plus élevé que dans la population civile du fait de la pression qu'induisent les déménagements sur le couple. Ceci est particulièrement valable en période de guerre.

Le plus faible taux de divorce des couples afro-américains peut s'expliquer aussi par la plus grande satisfaction que les conditions économiques de vie procurent et par la reconnaissance sociale qu'offre l'armée par rapport à ce qu'ils pourraient obtenir dans la société civile. Les couples sont bien moins exposés aux formes de stress liées à la pauvreté et aux discriminations. A l'inverse la comparaison des conditions de vie de leur alter-ego blanc peut entraîner une perception plus négative de leur situation par les militaires blancs.

En définitive, l'étude souligne l'existence d'une sous-culture militaire ou l'effet de la race sur le taux de divorce est atypique. Le faible taux de divorce des militaires afro-américains constitue un contre-exemple intéressant qui semble refléter les spécificités d'un univers estompant la ségrégation raciale et favorisant l'égalité socio-économique.

Stéphanie Fraisse-D'Olimpio pour SES-ENS.