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Stagnation séculaire et cycle financier

Publié le 25/09/2015
Auteur(s) - Autrice(s) : Michel Aglietta
Complément au Repères "L'économie mondiale 2016" du CEPII. Michel Aglietta, professeur émérite à l'Université de Paris-X Nanterre et conseiller au CEPII, reprend dans cet article, les principales idées du chapitre qu'il a rédigé avec Thomas Brand, intitulé "La stagnation séculaire dans les cycles financiers de longue période".

Couverture de l'ouvrage "L'économie mondiale 2016"Michel Aglietta, professeur émérite à l'Université de Paris-X Nanterre et conseiller au CEPII, a rédigé avec Thomas Brand le chapitre 2 de l'édition 2016 de L'économie mondiale intitulé "La stagnation séculaire dans les cycles financiers de longue période". Il en reprend ici les principales idées :

1) l'amplification et la synchronisation croissante des cycles financiers depuis les années 1980, ceux-ci étant le produit des interactions entre bulle des prix des actifs et bulle de l'endettement (avec hausse importante du risque financier) ;

2) l'effet du retournement du cycle financier sur l'économie réelle et l'apparition d'une stagnation séculaire avec panne de l'investissement (en particulier la grave récession qui a suivi la crise des subprime) ;

3) les réformes et politiques économiques qui apparaissent nécessaires pour relancer l'investissement productif tout en modérant le cycle financier.

Le texte de Michel Aglietta

La crise qui a atteint temporairement son paroxysme à l'automne 2008 a trouvé son épicentre dans les dynamiques financières du marché immobilier qui influencent l'ensemble des économies. L'immobilier étant fondé sur la rente foncière, qui est le revenu d'un actif non produit, n'a pas de prix d'équilibre. Les dynamiques financières de l'immobilier sont donc mues par la logique du momentum : spirale de hausses interactives du crédit et des prix. Parce que le paroxysme et la date de retournement sont radicalement incertains, les acteurs qui alimentent la bulle ont intérêt à tenir leurs positions jusqu'au sauve-qui-peut suivant l'implosion des valeurs fictives auto-engendrées.

La libéralisation financière des trente dernières années a généralisé cette logique de l'immobilier à tous les actifs, engendrant le cycle financier d'une amplitude et d'une périodicité bien plus grandes que celles des cycles économiques conjoncturels. Dans le livre «L'Economie mondiale 2016» nous avons estimé statistiquement ce cycle financier pour les Etats-Unis, le Japon et les principaux pays européens. Les cycles financiers sont les plus prononcés et les plus perturbateurs là où la libéralisation financière a poussé l'endettement aux extrêmes parce qu'elle a révolutionné le métier bancaire et financiarisé les entreprises. Le cycle financier est beaucoup plus amorti en Allemagne où l'immobilier est resté stable et où les entreprises industrielles ont conservé une structure de propriété gardant une autonomie de leurs bilans par rapport aux marchés financiers.
La transformation du métier bancaire, prolongée par la toile d'araignée des intermédiaires non bancaires du marché de gros de la liquidité (shadow banking), a été le vecteur de la généralisation du cycle financier en train de se développer dans les pays émergents. La banque traditionnelle qui avait des liens suivis avec ses clients, apprenait à connaître ses risques et les portait à son bilan, a fait place à une banque qui, grâce aux innovations financières, est devenue une plateforme initiant les crédits et les redistribuant au sein d'une nébuleuse financière en se déchargeant du risque par les instruments que sont les dérivés de crédit et la titrisation. Il s'ensuit un énorme aléa moral parce que l'initiateur du crédit n'a aucun intérêt à en évaluer le risque et que les preneurs de risque disséminés n'ont aucune capacité à évaluer celui de titres issus d'un mélange de crédits qu'ils ne connaissent pas.

Le retournement du cycle financier a eu des effets durables sur toute l'économie. Les autorités n'ayant pas eu le goût de profiter de la crise pour restructurer la finance selon des méthodes plus saines, les pertes en capital se sont propagées dans le secteur non financier de l'économie. Il en a résulté une montée du prix du risque et une baisse du rendement du capital qui ont enclenché un long marasme de la demande, entraînant le ralentissement de l'inflation jusqu'à la lisière de la déflation dans l'ensemble des économies avancées. Celles qui s'en tirent le mieux sont celles qui ont le plus vite socialisé les pertes par la conversion de dettes privées en dettes publiques et qui ont le plus tôt accompagné la baisse de l'inflation en mettant le taux d'intérêt monétaire à la barrière minimale, en achetant les crédits immobiliers sur une grande échelle pour soulager le surplomb de dettes douteuses, puis en augmentant la taille de leur bilan sans limites prédéfinies. Pendant ce temps la dynamique de levier d'endettement et d'expansion des actifs a gagné les pays émergents en profitant des liquidités en dollar surabondantes, généralisant au monde entier le poids de l'endettement total dans le PIB.

La stagnation séculaire est le régime de croissance basse qui s'installe dans la phase dépressive du cycle financier de longue période. Elle se manifeste par une croissance potentielle par habitant parvenant difficilement à dépasser 1% par an ; ce qui est insuffisant pour résorber le sous-emploi et redynamiser suffisamment la progression réelle des salaires, même dans les pays où le taux de chômage apparent est revenu au niveau d'avant-crise. C'est la dynamique poussive de l'investissement productif qui fait le lien entre la croissance basse et les répercussions prolongées des excès financiers antérieurs.

Les travaux récents du FMI ont montré que la baisse de l'investissement productif est pour 80% due au manque demande, le reste venant du durcissement des conditions de crédit aux PME, qui a provoqué de nombreuses faillites, accentuant les destructions de capital dues à la crise financière et créant des dislocations dans le système productif. Les anticipations des acteurs privés se sont ajustées au régime de croissance basse qui en a résulté.

Pour sortir de ce piège, une conception prospective du rôle du politique serait de promouvoir une impulsion claire des gouvernements européens dans un domaine d'innovations liées à la transition énergétique, soutenue par des financements qui bénéficieraient de l'appui de la banque centrale. En l'absence d'un horizon collectif rendant cohérentes les initiatives privées, on compte sur un effet d'aubaine pour sortir du marasme. Un tel événement s'est produit avec le double choc de la baisse profonde du prix du pétrole. Ce double choc a relevé le pouvoir d'achat des ménages suffisamment pour relancer quelque peu la consommation. Ce rebond, contrairement aux précédents qui ont avorté, peut-il engendrer de manière endogène une augmentation suffisante de l'emploi pour que les entreprises voient l'intérêt de nouveaux investissements productifs ? Les déclassements de capacités de production devenues non rentables rendent les surcapacités de production sans doute moins importantes qu'en apparence pour amorcer une vague modeste d'investissement.

Il n'en demeure pas moins que des réformes beaucoup plus ambitieuses de la finance sont indispensables, car les risques financiers mondiaux se sont sensiblement aggravés. Remettre la finance en ordre au-delà du système bancaire implique de reconfigurer les transactions financières pour endiguer la prolifération anarchique de la liquidité de marché, génératrice de rentes financières et créatrice de vulnérabilités dissimulées qui peuvent dégénérer en crise systémique en présence d'un choc majeur, tel qu'une vive hausse du dollar dégradant la dette de pays émergents en déficit de balance de paiements. C'est la condition pour que des investisseurs responsables puissent agir selon un horizon de long terme.

L'inflexion de la politique fiscale est indispensable pour réduire, sinon éliminer le biais structurel qui incite délibérément, par les déductions des paiements d'intérêts, les acteurs économiques à recourir à l'endettement plutôt qu'aux fonds propres et qui ampute les ressources taxables des budgets publics. Il faudrait engager une suppression progressive de ces subventions qui attisent le cycle financier, nourrissent la spéculation immobilière, élargissent démesurément les inégalités de patrimoine, favorisent les stratégies financières des entreprises tournées exclusivement vers la valeur actionnariale. Moins subventionner l'endettement pourrait être compensé par une baisse de l'impôt sur les sociétés et par la promotion d'instruments de financement par actions.

Enfin réhabiliter la politique industrielle par les investissements d'infrastructure et l'implantation de réseaux d'activités industrielles insérées dans les territoires permet de lier les niveaux de décision politique pour rechercher une cohérence dans la transformation du régime de croissance.

Par Michel Aglietta.

 

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