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Chômage : débattre de la mesure

Publié le 20/05/2008
Auteur(s) - Autrice(s) : Matthieu Lemoine
Quel est le niveau exact du taux de chômage ? Y a-t-il eu ou non une reprise de l'emploi et une baisse du chômage depuis 2005 ? Il existe différentes sources statistiques pour mesurer le taux de chômage en France : l'enquête emploi de l'Insee qui permet d'estimer annuellement le taux de chômage au sens du BIT, les sources administratives avec les statistiques mensuelles des demandeurs d'emploi inscrits à l'ANPE. Cet article réaffirme le rôle central de l'enquête emploi pour mesurer le taux de chômage, malgré le choix de l'Insee de ne pas utiliser les résultats de l'enquête de 2006. Cette mesure qui repose sur les critères du BIT présente l'avantage d'être homogène, indépendante et transparente.

Suite à la décision de l'INSEE de reporter la publication, attendue pour mars dernier, du taux de chômage au sens du BIT de l'année 2006 mesuré avec l'enquête emploi, la campagne électorale a vu fleurir de multiples chiffres. La statistique provisoire de l'INSEE indique une baisse du taux de chômage de 1,8 point depuis la mi-2005 pour atteindre 8,2% à la fin avril 2007. Cependant, à la réunion du CNIS du 8 mars 2007, l'INSEE a également diffusé, sans les certifier, les résultats de l'enquête emploi, selon laquelle le taux de chômage serait resté stable à 9,8% en 2006. De son côté, Eurostat a décidé de faire des recalages à l'aide de cette enquête et a publié un taux de chômage harmonisé de 8,6% pour avril 2007. Pourquoi une telle confusion entre les différentes sources statistiques ? Les résultats 2006 de l'enquête doivent-ils réellement être jetés aux orties ? Surtout, à quel niveau se trouve finalement le taux de chômage ? Y a-t-il eu ou non une reprise de l'emploi et une baisse du chômage depuis 2005 ?

La mobilisation de l'ANPE perturbe les statistiques

Selon la source provisoire et largement contestée qui se fonde sur l'évolution du nombre de personnes inscrites à l'ANPE en catégorie 1, 2 et 3, hors activité réduite, le taux de chômage aurait connu une baisse de 1,4 point entre la mi-2005 et fin 2006 (pour la définition du chômage BIT et des catégories d'inscription, voir encadré page suivante). Plusieurs éléments amènent à penser que cette baisse a été amplifiée par des problèmes affectant ces statistiques administratives.

D'abord, les changements des règles d'indemnisation ont modifié les comportements d'inscription des chômeurs. Ce phénomène avait été observé en janvier 2004, lorsque le recalcul des durées d'indemnisation avait conduit en fin de droits un nombre important de demandeurs d'emploi. La partie rétroactive de la réforme de l'assurance chômage ayant ensuite été abrogée, la durée d'indemnisation de la filière principale de l'assurance chômage a finalement été réduite de 30 à 23 mois pour les demandeurs d'emploi inscrits à partir du 1er janvier 2003. De ce fait, une partie des demandeurs d'emploi arrivant en fin de droit a pu cesser de s'inscrire en 2005.

TABLEAU 1. MOTIFS RÉELS DE SORTIE DES LISTES DE L'ANPE

En milliers de personnes, moyenne annuelle du nombre de sorties mensuelles

  2003 2004 2005 2006

Reprise d'emploi

Entrée en stage

Fin d'activité

Arrêt de recherche temporaire

Non-renouvellement de la demande

Radiations administratives

Défaut d'actualisation suivi d'une réinscription

Autre motif

220

58

14

41

37

5

63

18

217

59

16

41

41

7

66

19

232

53

15

40

43

9

69

22

233

49

15

42

48

10

67

22

Total 455 467 484 485

Sources : Enquête DARES-ANPE auprès des sortants des catégories 1, 2, 3, 6, 7 et 8 de l'ANPE.

Cet effet est en partie visible dans la forte hausse des sorties des listes de l'ANPE des demandeurs d'emploi n'ayant pas renouvelé leur demande (tableau 1). Par rapport à 2004, le nombre de sorties pour non renouvellement est supérieur de 2000 personnes par mois en 2005 et de 7000 en 2006, soit 0,3 point de taux de chômage pour l'année 2006. Mais une partie de ces personnes pourrait se réinscrire quelques mois plus tard et ne serait alors pas repérée dans la catégorie «Défaut d'actualisation suivi d'une réinscription». Pour avoir une véritable mesure de cet effet, il faudra, lorsque l'on disposera de données plus fines, déterminer comment a évolué le comportement d'inscription des demandeurs d'emploi en fin de droits.

Chômage BIT et inscriptions à l'ANPE

La surévaluation de la baisse du chômage, issue des estimations mensuelles s'expliquerait aussi par les radiations et reclassements effectués par l'ANPE dans le cadre de la politique d'accompagnement des chômeurs impulsée depuis la mi-2005 par le gouvernement :

- suite à la mise en place en janvier des entretiens mensuels, les radiations administratives se sont multipliées pour les chômeurs n'ayant pas répondu aux convocations (radiations généralement de deux mois) ;

- des demandeurs d'emploi classés en catégorie 1 (à la recherche d'un CDI à temps plein) sont plus rapidement reclassés en catégorie 5 (ayant déjà un emploi, mais à la recherche d'un autre emploi) lorsqu'ils sont recrutés par un contrat aidé ;

- un changement de la procédure de relance en juin 2005 a engendré des délais plus courts pour que les chômeurs actualisent leur situation et donc des radiations supplémentaires ;

- les effectifs placés, suite à un licenciement économique, en conventions de reclassement personnalisé (CRP) sont classés pendant huit mois comme stagiaires de la formation professionnelle (catégorie 4) et non comme chômeurs.

Selon les agents de la DARES (communiqué du 15 mars 2007), ces divers effets pourraient avoir amplifié artificiellement la baisse du chômage d'environ 0,3 point, auxquels il faudrait ajouter l'effet de la réduction des durées d'indemnisation.

Enquête en ligne avec la démographie...

Depuis cinq ans, les recensements et les enquêtes emploi ont systématiquement mesuré une population active plus dynamique que ne le prévoyait l'ancienne projection réalisée par l'INSEE en 2002. Ce dynamisme est lié à la fois à la démographie et aux effets des réformes des retraites. En juillet dernier, l'INSEE a proposé de nouvelles projections de population active pour la période 2006-2050.

Selon le Conseil d'orientation des retraites (COR), parmi les différents scénarios proposés, la variante basse qui retient des effets assez inertes de la réforme des retraites serait plus pertinente que la projection centrale (encadré 2).

Projections de population active

En 2006, l'évolution de la population active observée à partir du dernier recensement et de la dernière enquête emploi (+166000, tableau 2) semble en ligne avec les grandes tendances prises en compte dans les dernières projections de l'INSEE, notamment la version basse préférée par le COR (+ 153000).

TABLEAU 2. PROJECTIONS DE POPULATION ACTIVE

Variation en milliers, en moyenne annuelle

  2003 2004 2005 2006

Population active

Ancienne projection

Nouvelle projection centrale

Nouvelle projection, version haute

277

103

212

210

147

85

156

147

121

70

154

139

1661

15

190

153

1. Estimation à partir des chiffres fournis par l'INSEE à la réunion du CNIS du 8/3/2007.

Source : INSEE

En revanche, l'évolution de population active issue des sources administratives (-47000), notamment des inscriptions à l'ANPE, apparaît en rupture avec les tendances observées sur le passé. De ce point de vue, le problème se situerait plus du côté des sources administratives que de l'enquête emploi.

... et avec les créations d'emplois

La décision de report du recalage a en fait été prise par l'INSEE en raison d'incohérences qui porteraient sur les créations d'emplois 1. Au troisième trimestre 2006, l'évolution de la population active occupée (+130000 en glissement annuel) tirée de l'enquête emploi semblait trop faible par rapport aux créations d'emplois mesurées avec les sources administratives (+250300). Selon l'INSEE, cet écart pouvait très partiellement provenir d'un taux de non réponse en légère augmentation (21,5% au troisième trimestre, contre 21,3% un an auparavant).

Toutefois, ces problèmes ne semblent pas plus marqués en 2006 qu'auparavant. La moyenne annuelle du taux de non-réponse se trouve ainsi à un niveau déjà observé en 2003 (19,3%). De plus, la population active occupée a retrouvé sur l'année une évolution (+150000, tableau 3) assez cohérente avec les créations d'emplois des sources administratives (+189400).

TABLEAU 3. CRÉATIONS D'EMPLOIS SELON LES SOURCES

Variations, en milliers, en moyenne annuelle

  2003 2004 2005 2006

Population active occupée

Emploi total

- Emplois marchands

- Emplois aidés non marchands

-8,0

31,4

-16,8

-72

93,0

26,6

-6,0

-108

137,0

111,9

72,8

-53

150,0

189,4

158,8

16

Légende : La population active occupée est mesurée par l'enquête emploi. L'emploi total est mesuré à partir des sources administratives (Acoss, Unédic, DARES et ANPE).

Source : INSEE

L'écart nettement plus important entre les deux sources n'avait pas conduit en 2004 à rejeter les résultats de l'enquête emploi. Finalement, la situation du marché du travail s'est bien améliorée en 2006, notamment grâce à une accélération des créations d'emplois dans le secteur marchand (+158800 en 2006, après +72800 en 2005). De plus, le gouvernement Villepin a recommencé à augmenter les effectifs en contrats aidés du secteur non marchand (+16000 en 2006, après -53000 en 2005), en créant les contrats d'accompagnement à l'emploi (ouverts à tous les demandeurs d'emploi en difficulté) et les contrats d'avenir (ouverts aux allocataires de minima sociaux). Pour agir plus rapidement sur le chômage, il a ainsi rompu avec le choix des gouvernements Raffarin de réorienter la politique de l'emploi vers le secteur marchand, notamment en supprimant les emplois jeunes et en créant les contrats jeunes en entreprises.

Chômage recalculé... par Eurostat

Eurostat a pris la décision de prendre en compte les résultats provisoires de l'enquête emploi et de réviser à la hausse le taux de chômage harmonisé français. Il s'établirait à 9,4% en 2006, après 9,7% en 2005. Quant aux jeunes, leur situation se serait dégradée : leur taux de chômage harmonisé atteindrait 23,1% en 2006, après 22,7% en 2005. Avant 2005, l'inscription à l'ANPE n'étant pas considérée par Eurostat comme une démarche active de recherche d'emploi, le taux de chômage Eurostat était en moyenne inférieur de 0,4 point à celui de l'INSEE. S'il avait été révisé, le taux de chômage INSEE aurait continué à évoluer parallèlement et ne serait descendu qu'à 8,9% en avril 2007. Sa baisse depuis la mi-2005 ne serait que de 1,1 point, au lieu du 1,8 point indiqué par les statistiques provisoires.

Finalement, même s'il est toujours possible de discuter de la définition du taux de chômage BIT pour mieux prendre en compte le halo qui l'entoure (voir la note du collectif «Autres chiffres du chômage», 2007), les résultats annuels de l'enquête emploi ne nous semblent pas en fournir une mesure moins satisfaisante en 2006 qu'au cours des années précédentes. L'erreur se situerait surtout du côté des estimations provisoires publiées actuellement, et l'estimation définitive du taux de chômage de 2006 sera probablement très proche du résultat non certifié de l'enquête diffusé en mars 2007. Le taux de chômage en avril 2007 devrait alors être révisé à l'automne prochain de 8,2% à environ 8,9%. L'amélioration du marché du travail aurait bien eu lieu (-1,1 point de taux de chômage), mais aurait été de moindre ampleur que ne le laissent penser les statistiques provisoires (-1,8 point).

GRAPHIQUE 1. TAUX DE CHÔMAGE FRANÇAIS SELON L'INSEE ET SELON EUROSTAT

Par le passé, l'INSEE a bien montré ses capacités techniques à fournir une mesure du taux de chômage BIT à partir de l'enquête emploi. Le choix de ne pas utiliser les résultats de l'enquête 2006 a contrevenu aux principes du BIT qui exigent que la mesure du chômage ne dépende pas des sources administratives. Ce choix a en conséquence déclenché de nombreux soupçons sur toute mesure du taux de chômage. Pour restaurer la confiance en ce type de statistique, la solution n'est pas de changer de thermomètre ou de remettre en cause la crédibilité scientifique de l'INSEE, mais de rendre plus clair le rôle central de l'enquête emploi pour mesurer le taux de chômage. À présent que l'on dispose d'un recul suffisant sur les résultats trimestriels de cette enquête, il faudrait que l'INSEE abandonne les estimations mensuelles fondées sur les statistiques de l'ANPE et publie à une fréquence trimestrielle un taux de chômage mesuré avec l'enquête emploi.

Bibliographie

COR, "Impact de la réforme d'août 2003 sur la population active"Note du Secrétariat général, octobre 2004 (Document 3).

Collectif Autres Chiffres Du Chômage, "Pour en finir avec «le chiffre du chômage»", Note ACDC n°4, 2007.

Lagarde S., "Approches comparées de l'évolution du chômage à travers l'enquête emploi, les statistiques de l'ANPE et les enquêtes de recensement", Formation emploi revenus du CNIS, 8 mars 2007.

Lemoine M., "Chômage: débattre de la mesure"Lettre de l'OFCE, n°286, juin 2007.

Pour aller plus loin

- Les méthodes statistiques d'estimation du chômage, Inspection générale des affaires sociales : Inspection générale des finances, 2007, 181 pages.

- Compte-rendu de la deuxième réunion du groupe de travail Indicateurs d'emploi, de chômage, de sous-emploi et de précarité de l'emploi du 27 juin 2007, CNIS.

- Données sur l'emploi et le chômage : statistiques et analyses de Pôle Emploi.

- Données eurostats : Population et conditions sociales

- Le site : les Autres Chiffres Du Chômage