Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Navigation
Vous êtes ici : Accueil / Articles / Les politiques de l'emploi qui portent principalement sur le taux de chômage

Les politiques de l'emploi qui portent principalement sur le taux de chômage

Publié le 07/07/2008
Auteur(s) - Autrice(s) : Patrick Cotelette
Il y a concrètement trois politiques majeures que l'on peut classer dans ce groupe. La première politique visant directement le taux de chômage agit du côté de l'offre de travail et consiste en l'incitation à la sortie de l'activité. C'est toute la question des incitations financières au retrait de l'activité que cela soit par le biais direct des préretraites ou des dispenses de recherche d'emploi ou par le biais indirect de la configuration du système des retraites. La deuxième politique est du côté de la demande de travail et consiste en la création par les pouvoirs publics d'emplois publics sous forme temporaire ou bien permanente. Enfin la troisième politique concerne tant l'emploi privé que public et consiste en l'extension du partage du temps de travail par le biais du temps partiel et de la réduction du temps de travail. C'est cette dernière qui donne lieu au plus grand nombre de débats.
 
 

La réduction du temps de travail

Le raisonnement au fondement de cette politique de l'emploi est élémentaire : si l'économie a besoin de 1000 heures de travail dans le mois, on peut l'atteindre avec 100 salariés travaillant chacun 10 heures ou bien avec 200 salariés travaillant chacun 5 heures. Le partage du temps de travail créerait ainsi de l'emploi très facilement.

Hélas, les choses ne sont pas si simples. D'une part, il existe deux manières bien différentes, en raison des logiques économiques qui les sous-tendent, de partager le travail (Mourre 1999).

Le premier moyen consiste à favoriser le temps partiel. Il modifie les négociations entre employeur et employé dans la détermination de son contrat de travail individuel en ajoutant une grande souplesse horaire et salariale dans les arrangements envisageables. Cette souplesse se manifeste notamment dans le fait que les dépassements d'horaire dans les contrats à temps partiel donnent lieu à des heures « complémentaires » non soumises à majoration, contrairement aux heures dites « supplémentaires ».

Le second moyen est alors la réduction collective du temps de travail. Les négociations entre employeur et employé ont alors lieu au niveau de l'accord national, de branche ou d'entreprise et elles ont la réputation d'être trop rigide relativement aux besoins des employeurs. Il est toutefois certain qu'une réduction collective du temps de travail empêche, dans le cadre de la loi, le retour à une situation antérieure de durée de travail, ce qui se manifeste par les heures « supplémentaires » soumises à majoration. Partager le travail implique dès lors de choisir la voie convenant à la fois aux désirs des employeurs qu'aux préférences des salariés, ce qui n'est pas sans difficulté (Fermanian et al. 1999).

D'autre part, qu'il ait lieu sur le mode du temps partiel ou de la réduction collective du temps de travail, le « partage du travail » n'entraîne l'augmentation mécanique des emplois que si le coût horaire du travail est identique ou en baisse suite au partage pour les employeurs. Dès qu'une modification des coûts horaires du travail apparaît pour l'employeur avec la réduction collective du temps du travail ou le développement du temps partiel, alors il est impossible de savoir si leur mise en place pourra mécaniquement augmenter l'emploi. Et bien entendu, il y a une modification des coûts dès que le travail se partage. Il est finalement nécessaire de se pencher plus profondément sur les différents mécanismes en jeu.

On parlera en premier lieu du développement du temps partiel.

On s'attachera enfin à la réduction collective du temps de travail avec un entretien avec Philippe Askenazy.

Le développement du temps partiel :

Avant de comprendre les effets du temps partiel sur les niveaux d'emploi et de chômage d'un pays, on doit voir les déterminants précis du développement du temps partiel. Mourre (1999) propose un bon résumé des arbitrages au cœur des choix de temps partiel volontaire et contraint du côté de l'offre et du côté de la demande de travail. Rappelons également que nous parlons ici uniquement du temps de travail et non des caractéristiques du contrat de travail en matière de durée (CDD ou contrat d'intérim).

Commençons par l'offre. Dans le cas du temps partiel volontaire, il résulte d'un arbitrage entre loisir et travail, intercalé dans un rapport avec la gestion du temps du couple. Dans l'arbitrage pur entre travail et loisir, le salaire horaire est la variable principale qui, par un effet de substitution et un effet de revenu, permet de déterminer la quantité optimale d'heures de travail désirée. Cela dit, certains salariés peuvent considérer que leur entreprise va mal considérer leur désir de travailler à temps partiel, ce qui permet alors d'expliquer pourquoi il existe des temps complets contraints.

Dans le cas du temps partiel subi, il peut s'expliquer par les choix des salariés d'entrer en contact avec l'emploi malgré tout soit dans un but d'insertion à plus long terme sur le marché du travail, soit par simple nécessité de trouver un emploi pour des raisons de subsistance, deux effets qui sont vérifiés par Farber (1999) en examinant les perspectives d'emploi futur pour des employés venant de perdre leur emploi aux Etats-Unis d'Amérique.

Qu'en est-il alors des déterminants de la demande de travail ? Deux utilisations du temps partiel par les entreprises sont à but créatif. Le travail à temps partiel peut répondre dans un premier temps aux besoins d'adaptation des entreprises en fonction des fluctuations de la demande et vise ainsi à faire mieux correspondre les heures travaillées et les heures rémunérées. Ceci renvoie à des productions spécifiques dépendant fortement de fluctuations conjoncturelles, notamment saisonnières (vendanges, etc.), ou dans des activités où l'affluence des consommateurs connaît des variations durant la journée (ménages à domicile, restauration, supermarchés, etc.). Le travail à temps partiel peut également servir à optimiser la productivité horaire du travail : il s'agit d'utiliser le temps partiel pour empêcher l'employé de perdre sa motivation face à un travail jugé répétitif ou pénible (infirmiers, conducteurs de transports publics, etc.). Dans les deux cas, le temps partiel semble ainsi répondre à un besoin de flexibilité des entreprises, flexibilité de moyen terme en matière d'emploi et flexibilité de court terme en matière de rotation des employés sur un même poste répétitif. Friesen (1997) a montré au niveau des entreprises que le temps partiel a bien l'effet attendu de flexibilisation de l'organisation de la production qui se manifeste par une meilleure maîtrise des coûts de production.

Il y a également deux usages défensifs du temps partiel par les entreprises. Le premier usage se manifeste lorsque le temps partiel est employé comme une alternative aux licenciements : il s'agit de transformer des emplois à temps complet en emplois à temps partiel afin d'éviter la suppression d'emplois. L'autre usage défensif du temps partiel consiste en l'utilisation des emplois à temps partiel comme une alternative aux embauches à temps complet dans un but de sélection préalable des employés. Ces deux usages ont lieu plus fréquemment dans les phases basses du cycle. Buddelmeyer et al. (2004) montrent ainsi pour 15 pays de l'Union Européenne que lors d'une phase de récession, la proportion d'emploi à temps partiel au sein de l'emploi total augmente, signe de l'effet défensif sur les embauches, et que le taux de temps partiel contraint augmente également mais uniquement pour les hommes, signe de l'effet défensif sur les licenciements. Le temps partiel sert ainsi d'amortisseur conjoncturel lors d'une phase de récession économique. Il reste que ces deux usages défensifs sont amplifiés quel que soit le moment de conjoncture par le fait que l'usage du temps partiel correspond parfois aux entreprises à un moyen d'obtenir une subvention supplémentaire à l'emploi.

Cela étant dit, les entreprises n'ont pas intérêt à généraliser les emplois à temps partiel à tous les postes : elles jugent en effet que le temps partiel est incompatible avec des emplois possédant de grandes responsabilités, qu'il peut également être source de démotivation, et enfin qu'il entraîne quatre coûts, des coûts plus importants de gestion (surtout pour les plus petites entreprises), de recrutement, de formation si elle a lieu, et des coûts de réorganisation du travail qui transitent notamment par des dépenses d'investissement. Tout emploi partiel n'est donc pas bon à prendre.

Ces mécanismes étant bien compris, quels sont alors les effets du temps partiel sur les flux du chômage vers l'emploi, de l'emploi vers le chômage et enfin sur les niveaux de chômage et d'emploi.

L'effet du développement du temps partiel sur les flux a déjà été abordé précédemment. En période de récession, les entreprises peuvent s'empêcher de licencier des salariés en diminuant leur temps individuel de travail et embaucher dans le même temps des salariés à temps partiel afin de les tester dans l'attente d'une éventuelle reprise. En période d'expansion, les entreprises ne vont embaucher de salariés supplémentaires que lorsque l'ensemble de leurs employés ne peut plus fournir d'heures supplémentaires. A l'exception du ralentissement des licenciements en période de récession, le développement du temps partiel ne semble donc pas avoir d'effet massif sur les flux de l'emploi vers le chômage et du chômage vers l'emploi. Le seul effet clair dans son principe est celui d'amortisseur conjoncturel.

Quel est alors l'effet sur les niveaux d'emploi et de chômage ? Boyer (1999) remarquait qu'un pays tel que les Pays-Bas, fortement utilisateur de temps partiel, avait réduit sa durée annuelle de travail de 10% de 1982 à 1997 tandis qu'augmentait de 26,2% son emploi, tandis que la France réduisait sa durée annuelle de travail de 1,8% pour une augmentation de l'emploi de 2,4%. Le taux de chômage des deux pays en 1997 était par ailleurs de 12,3% pour la France et de 5,2% pour les Pays-Bas. Pour autant, rien ne permet de dire que le temps partiel fut l'unique responsable de ces deux phénomènes.

Fut-il ne serait-ce qu'un petit peu responsable ? Dans son modèle, Cette (1999) montre que l'impact du développement du temps partiel sur l'emploi d'une entreprise est la somme d'un effet lié à la modification du coût de production unitaire et d'un effet de « partage » du travail, amplifiée par différents facteurs annexes dont un multiplicateur dépendant des aides publiques. Les hypothèses nécessaires à l'existence d'un effet positif du temps partiel sur l'emploi sont courantes et laissent penser, comme en attestaient les travaux empiriques cités précédemment, qu'il est aisément atteignable. Au niveau d'une économie, l'effet du développement du temps partiel sur le niveau de chômage va alors être celui d'une baisse si les gains réalisés par les entreprises en matière de coûts de production ne sont pas contrecarrés par une augmentation trop importante des salaires. On retrouve ici les conclusions des parties précédentes tendant à montrer que le point le plus important pour favoriser l'emploi et un bas niveau de chômage est un contrôle du niveau des salaires. Le développement du temps partiel serait ainsi bien secondaire.

Pour autant, on peut trouver un effet positif spécifique du temps partiel pour l'augmentation du taux d'emploi et la baisse du taux de chômage. Cet effet serait lié à un effet de productivité. On peut en effet remarquer (Boyer 1999, Bloch & Galtier 1999) que les pays dans lesquels le temps partiel est le plus développé sont les pays dans lesquels le sous-emploi des salariés à temps partiel est le moins important. Autrement dit, les pays favorisant le plus le temps partiel permettent une diminution importante du temps partiel subi par les employés. Si tel est bien le cas, il est alors possible que le temps partiel se traduise au niveau des employés par une augmentation de leur productivité du travail, productivité dont le principal avantage est de conduire à une diminution du taux de chômage dans le modèle de Pissaridès (1999) qui nous sert de référence depuis le début.

Mais rien ne permet de conclure au niveau macroéconomique à cet effet puisque la productivité horaire du travail a augmenté chaque année d'environ 1,9% en France de 1987 à 1995 tandis qu'elle n'a augmenté que de 1,6% par an aux Pays-Bas. Si le temps partiel a alors bien eu un effet aux Pays-Bas, c'est d'avoir su accompagner la modification de la croissance économique néerlandaise qui est passée d'un modèle intensif à un modèle extensif au courant des années 1980 tout en rendant acceptable la modération des salaires (Jean 2000).

Le temps partiel n'est ainsi nullement en soi un moyen direct de modifier le niveau d'emploi ou de chômage. Il reste que son impact positif sur l'organisation de la production dans les entreprises et le soutien qu'il peut apporter - lorsqu'il est synonyme de temps partiel volontaire - aux tentatives de modération salariale en font un outil important de transformation de la croissance économique d'un modèle intensif à un modèle extensif. Ce n'est ainsi qu'indirectement que le temps partiel aide à la diminution du chômage et à l'augmentation du taux d'emploi d'un pays.

La réduction collective du temps de travail : un entretien avec Philippe Askenazy avec l'exemple des 35 heures

 Lire l'entretien.

 

Retour au dossier "Les politiques de l'emploi"