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Peut-on mesurer le bonheur ? Réflexions sur les indicateurs de bien-être

Publié le 25/08/2008
Auteur(s) - Autrice(s) : Pascal Le-Merrer
Stéphanie Fraisse-D'Olimpio
Il y eu bien des tentatives pour réintroduire la question du bien-être à travers la construction d'un indicateur de PIB élargi mais c'est surtout depuis quelques années que la problématique de la mesure du bonheur en économie s'est imposée comme une question légitime en économie. Aujourd'hui il y a profusion d'indicateurs économiques, sociaux et environnementaux qui tentent de mesurer le bien-être ou le bonheur (nous ne chercherons pas à distinguer ces deux notions qui sont très largement imbriquées dans les analyses que nous mobiliserons). En 2003, l'Institut international du développement durable en dénombrait plus de 300. Mais pourquoi cet intérêt renouvelé pour la mesure du bonheur en économie ? Nous procéderons en trois temps pour répondre à cette question. D'abord on analysera les limites de la mesure du bien-être par le PIB ce qui nous amènera à voir comment on a développé d'autres indicateurs pour enfin s'interroger sur la pertinence des comparaisons de bien-être à travers le temps et l'espace.

La mesure du bonheur est un problème qui a été posé dès la naissance de l'économie classique. Comme le rappelle Annie L. Cot : « avec Jeremy Bentham, l'économie politique trouve une ambition pour deux siècles à venir : la volonté, héritée des lumières, de faire advenir une société transparente et rationnelle, ordonnée sur la base du double principe de l'intérêt individuel et du plus grand bonheur pour le plus grand nombre » [1]. La doctrine utilitariste à travers le calcul des peines et des plaisirs constitue un fondement de la théorie marginaliste qui elle même a produit les outils de raisonnements de l'analyse néoclassique contemporaine. Toutefois, avec l'essor de la macroéconomie et la mise en place d'agrégats de comptabilité nationale, les économistes ont orienté leurs réflexions vers les explications de la croissance économique et des fluctuations cycliques. Il n'y avait que l'économie du bien-être pour prolonger les réflexions de Jeremy Bentham, John Stuart Mill ou Vilfredo Pareto.

Il y eu bien des tentatives pour réintroduire la question du bien-être à travers la construction d'un indicateur de PIB élargi [2] mais c'est surtout depuis quelques années que la problématique de la mesure du bonheur en économie s'est imposée comme une question légitime en économie. Aujourd'hui il y a profusion d'indicateurs économiques, sociaux et environnementaux qui tentent de mesurer le bien-être ou le bonheur (nous ne chercherons pas à distinguer ces deux notions qui sont très largement imbriquées dans les analyses que nous mobiliserons). En 2003, l'Institut international du développement durable en dénombrait plus de 300. Mais pourquoi cet intérêt renouvelé pour la mesure du bonheur en économie ?

Nous procéderons en trois temps pour répondre à cette question. D'abord on analysera les limites de la mesure du bien-être par le PIB, ce qui nous amènera à voir comment on a développé d'autres indicateurs, pour enfin s'interroger sur la pertinence des comparaisons de bien-être à travers le temps et l'espace.

1. Croissance, niveau de vie et bien-être

Sir Richard Layard rappelle que la théorie économique élémentaire enseigne : « qu'un comportement égoïste est légitime pourvu qu'il soit possible aux marchés de fonctionner sans entrave : à travers la main invisible, des marchés supposés parfaits doivent nous conduire au plus grand bonheur possible, compte tenu de nos ressources et de nos besoins. Les besoins des individus étant considérés comme donnés, le revenu national est devenu une représentation du bonheur national » (p. 19). A partir de ce raisonnement, l'objectif des gouvernements devrait être de réduire les imperfections des marchés afin de stimuler la croissance du revenu national et par conséquent du bonheur national. Mais peut-on réduire le bonheur au revenu national et suffit-il de le faire augmenter pour que le bonheur s'élève ?

1.1 Du PIB au bien-être

Premièrement, le bonheur ne peut se réduire au revenu national, même si cette notion est plus précise que celle du PIB. On a vu le président de la république confier au début de l'année 2008 à Amartya Sen et Joseph Stiglitz une mission sur « les limites du produit national brut comme critère de mesure de la performance économique et du bien-être ». On peut donc s'interroger sur les raisons qui font que le PIB ne permettrait pas de bien apprécier le niveau de bien-être dans une économie.

Comme l'indique l'OCDE : « Le « bien-être » est une notion complexe. Sa définition est différente d'un dictionnaire à l'autre, mais elle fait généralement intervenir les concepts de prospérité, de santé et de bonheur. Le bien-être n'est pas chiffrable avec précision. Il existe des indicateurs numériques du bien-être et on peut à juste titre faire valoir que le bien-être général dans l'ensemble d'une société a probablement augmenté ou diminué si un indicateur ou un ensemble d'indicateurs évoluent dans une certaine direction. Mais lorsque les différents indicateurs n'évoluent pas dans la même direction, il n'est pas possible de déterminer si le bien-être s'améliore ou se dégrade.

Il n'est pas évident que le PIB, indicateur de la production économique, soit également le meilleur indicateur possible du bien-être, et ce pour plusieurs raisons :

- Le PIB est un concept qui relève de la production, alors que le bien-être dépend davantage du revenu et de la consommation de l'individu et du ménage.

- Le PIB est un concept « brut » : il ne tient pas compte de l'usure des équipements utilisés pour la production de biens et services et de la nécessité qui en découle de réinvestir une partie de ce qui est produit pour maintenir les capacités de production.

- Le PIB ne prend pas en compte l'épuisement des ressources non renouvelables, qui se répercute sur le bien-être des générations futures.

- Le PIB n'intègre pas les loisirs, qui ont bien entendu une valeur pour la société et contribuent au bien-être.

- Le PIB ne fait pas de distinction entre différents types de répartition des revenus. Une société qui compterait un petit nombre de familles immensément riches, mais dont la majorité de la population vivrait dans une totale pauvreté, connaîtrait très vraisemblablement un niveau plus faible de « bien-être général » qu'une société qui aurait le même PIB, mais où la pauvreté ne serait pas endémique.

- La production peut s'accompagner d'externalités négatives (par exemple la pollution et la dégradation de l'environnement). Or, ces externalités négatives sont rarement prises en compte dans le PIB. » [3]

Le problème n'est pas seulement celui de la relation entre niveau du bien-être et PIB mais aussi celui de la relation entre variation du PIB et évolution du bien-être. En effet la croissance du PIB n'est pas un bon indicateur de la croissance du bien-être.

Andrew Clark et Claudia Senik rappellent que « Le débat sur l'utilité « hédonique » de la croissance remonte à un article ancien de Richard Easterlin (1974). Suivi d'une série d'études similaires, ce dernier montre que, depuis l'après-guerre, le score moyen de satisfaction déclaré par la population est resté à peu près constant, malgré l'augmentation spectaculaire de la richesse des pays développés. Ainsi, la proportion d'américains se déclarant « très heureux » n'aurait pas augmenté entre 1973 et 2003 malgré l'accroissement du PNB par tête de deux tiers (Figure 1). La même observation vaut pour les pays européens (Figure 2) et le Japon. De manière générale, la proportion de gens qui se déclarent « très heureux » se trouve systématiquement au voisinage des 30% ; en termes d'échelle, les gens se situent toujours en moyenne sur le sixième échelon quand on leur propose une échelle de 1 à 8. Revenu et bien-être ne seraient donc pas synonymes, et mesurer la croissance du PNB ne serait pas une bonne manière d'évaluer les progrès d'un pays » [4].

Florence Jany-Catrice et Stephan Kampelmann, quant à eux, démontrent dans un article publié dans la Revue française d'économie que le bien-être a, depuis 1980 en France, nettement moins augmenté que le produit intérieur brut (PIB) [5].

1.2 Approcher la mesure du bien-être avec les indicateurs des comptes nationaux ?

Pour l'OCDE : « La question de savoir quel indicateur des comptes nationaux utiliser pour mesurer le bien-être sous l'angle économique n'est pas difficile à résoudre. Les divers indicateurs proposés... sont dans la plupart des cas étroitement corrélés. Toutefois, plus ils sont ciblés sur le bien-être (par exemple, la consommation de biens et services des ménages, corrigée en fonction de la taille du ménage), plus il est difficile au général d'obtenir des séries fiables et univoques de données largement disponibles dans les différents pays et pour les différentes périodes » [6]. L'OCDE évoque, les indicateurs de consommation et d'inégalité, de loisirs, des indicateurs sociaux (autonomie des individus mesuré par le taux d'emploi, équité mesuré par une distribution des revenus des ménages que le société considère comme juste, les indicateurs d'état de santé, les indicateurs de cohésion sociale et inversement les indicateurs négatifs comme les taux de victimisation, d'incarcération ou de suicide). Le constat est qu'en dehors des indicateurs de cohésion sociale, il y a un lien étroit entre la situation sociale et le niveau de PIB par habitant.

Il est aussi courant d'introduire dans la mesure du bien-être des indicateurs de qualité de l'environnement. Le problème est alors de mettre en place des comptes standardisés qui permettraient de corriger le PIB en fonction de l'état de l'environnement.

La monétarisation en question.

Jusque là nous avons cherché à mesurer le bien-être en introduisant des indicateurs « objectifs » qui permettraient d'améliorer l'information imparfaite donnée par le PIB. On peut aussi comme nous allons le voir, introduire des indicateurs « subjectifs ».

2. Quel renouvellement dans la mesure du bonheur ?

2.1 Le bonheur : une dimension objective de l'existence

Données subjectives et non quantifiables ? L'économiste pense le contraire. "Le bonheur est une dimension objective de notre existence. Et il peut être mesuré, affirme par exemple Richard Layard.

Sur la distinction indicateurs objectifs et indicateurs subjectifs.

Pour un chercheur comme Ruut Veenhoven qui publie un classement comparatif du niveau de bonheur dans 95 pays (voir annexe), il est possible par des enquêtes de mesurer le bonheur des individus. Il écrit « L'inférence à partir du comportement observable étant impossible, nous devons nous contenter de questionner les gens en leur demandant comment ils jouissent de la vie dans son ensemble. Les questions peuvent être posées dans des contextes différents : des entrevues cliniques, des histoires de vie et des enquêtes. Les questions peuvent être posées de différentes façons : directement ou indirectement, à l'aide d'items simples ou multiples. ..

Dans la pratique courante des grandes enquêtes, on utilise des questions simples et directes. » [7]. Ruut Veenhoven accepte des réserves sur la validité et la fiabilité des réponses mais si on exige pas un niveau trop élevé de précision, on obtient des réponses assez fiables même quand on veut comparer des niveaux de bonheur entre les nations : « La première objection aux comparaisons entre nations tient à la différence de la langue qui gêne la comparaison. Les mots comme « bonheur » et « satisfaction » n'ont pas le même sens dans une langue et dans l'autre. Les questions où ces mots sont utilisés pourraient ainsi mesurer des choses légèrement différentes. J'ai vérifié cette hypothèse en comparant l'échelle de rang de trois sortes de questions : une question sur le bonheur, une autre sur la satisfaction de vivre et une question qui établit une échelle entre « la meilleure et la pire vie possible ». L'échelle de rang est sensiblement la même. J'ai aussi comparé les réponses aux questions sur le bonheur et la satisfaction dans deux pays bilingues et je n'ai trouvé aucune évidence de biais non plus.

Une seconde objection soutient que les réponses sont déformées différemment par la désirabilité. Dans les pays où le bonheur obtient un score élevé, les gens seraient enclins à surestimer leur contentement de la vie. J'ai investigué cette supposition en vérifiant si le bonheur rapporté est effectivement plus élevé dans les pays où les valeurs hédonistes sont approuvées. Cela n'a pas été le cas non plus. Dans un deuxième temps, j'ai vérifié si les rapports de bonheur diffèrent des affects éprouvés au cours des dernières semaines puisque les premiers sont plus susceptibles d'être influencés par le contexte social. Tel ne fut pas le cas » [8].

2.2 World Value Survey 1981-2007 : une enquête riche d'enseignements

Les sociologues, psychologues, ou biologistes admettent depuis longtemps que les sociétés et les individus ne peuvent éternellement accroître leur niveau de bonheur et que ce niveau demeure finalement à un niveau constant. Des recherches montrent ainsi que ni une prospérité durable, ni une dépression de long terme n'affectent durablement le bonheur des populations puisqu'après une période d'ajustement, les individus reviennent à leur niveau de bien-être de référence. Ainsi, le niveau subjectif de bien-être (subjective well-being : SWB) est resté stable entre 1973 et 1988 dans les pays d'Europe de l'Ouest. Les données américaines sur la mesure du bien-être compilées depuis 1946 confirment par exemple une absence de progression du bien-être entre 1946 et aujourd'hui. De fait, ce que l'on a pu appeler le « paradoxe d'Easterling » semble montrer que les niveaux de bonheur ne changent pas au cours du temps et que le développement économique ne permet pas d'accroître durablement le bien-être des populations puisque au niveau agrégé, les gains de satisfaction de certains individus compensent les pertes de satisfactions d'autres, ce qui n'affecte pas le niveau général de bien-être. En outre, si le passage d'une société de subsistance à une société assurant la sécurité matérielle accroît indéniablement le bien-être des individus, une fois ce niveau de développement acquis, l'accroissement des richesses ne se traduit plus par un surcroit de bien-être. Aucune étude longitudinale fiable n'a pu jusqu'ici apporter la preuve que le développement économique accroît le bonheur des populations.

L'étude présentée par Ronald Inglehart, Roberto Foa, Christopher Peterson, and Christian Welzel vient pourtant prendre le contre-pied des analyses précédentes en montrant qu'entre 1981 et 2007, le niveau de bonheur s'est accru dans 45 des 52 pays qui composent l'échantillon. L'enquête (World Value Survey), menée auprès de 350000 individus s'efforce de répondre aux critiques méthodologiques adressées jusque là aux études comparatives. Elle montre que, depuis 1981, le développement économique, la démocratisation et l'acceptation croissance de la diversité sexuelle et culturelle ont favorisé l'expression de la liberté des individus ce qui induit des niveaux supérieurs de bonheur dans de nombreux pays du monde. (Les résultats graphiques peuvent être consultés sur le lien suivant :http://www.worldvaluessurvey.org/happinesstrends/).

Consulter le World Value Survey 1981-2007 sur le site SES-ENS

Entre les deux approches que nous avons jusqu'ici évoquées, le PIB même enrichi par d'autres indicateurs nationaux et les enquêtes de satisfaction auprès d'un échantillon de la population, il existe au moins deux autres voies pour construire des indicateurs alternatifs. On trouvera une synthèse des différentes approches dans le tableau ci-dessous [9].

2.3 Les indicateurs du bonheur

L'extrait ci-dessous d'une note rédigée par Raphaël Wintrebert [10] est une bonne synthèse des questions auxquelles il faut répondre si on cherche à construire des indicateurs plus précis du bien-être.

Extrait de Wintrebert R. (2008), p 23-24

Faut-il (et peut-on) élaborer un indice synthétique unique, qui prenne en compte des dimensions non monétaires participant au bien-être des individus ? Cette interrogation apparemment simple se décompose en de nombreux points :

- Pour appréhender la richesse d'une société, et le bien-être qui en découle pour ses habitants, peut-on se contenter d'un unique indicateur, ou faut-il se résoudre à considérer une batterie d'indicateurs (sous forme de tableau de bord) ?

- Est-il utile (pour qui ? pour quoi ?) d'élaborer un indicateur unique ?

- Peut-on le faire de manière rigoureuse d'un point de vue statistique ?

- S'agirait-il d'un indicateur (1) composite (des éléments non monétaires sont chiffrés, pondérés et agrégés) ou (2) monétaire (ces éléments sont monétarisés et intégrés au PIB) ?

- Si (1), les composantes de cet indice devraient-elles correspondre

à des domaines d'activité (emploi, loisir, vie familiale, etc.) ou à des champs thématiques (économie, social, environnement) ?

- Si (1), doit-on, pour évaluer ces dimensions non monétaires, s'appuyer sur des données objectives (taux de suicide, taux d'émission de gaz à effet de serres, etc.) et/ou sur des données subjectives fondées sur des enquêtes de satisfaction ?

- Si (2), quels éléments (sociaux, environnementaux) faut-il monétariser et comment ?

- Si (2), comment les articuler avec le PIB ?

On peut identifier deux approches pour répondre en partie à ces interrogations :

La construction d'indices composites

Nous vous proposons ici une présentation de plusieurs indices composites (que vous pouvez retrouver dans le dossier INSEE [11] et la note de veille du CAS [12]) : l'IDH proposé par le PNUD en 1990 et fortement influencé par les travaux d'Amartya Sen, l'indice de santé sociale, l'indice du BIP 40, l'IPH, le Happy Planet Index, l'indicateur de progrès véritable, l'indice de bien-être économique de Osberg et Sharpe

Le problème de tous ces indices est le caractère arbitraire des pondérations ou des transformations qui sont réalisées pour produire un résultat global.

Le calcul d'un PIB corrigé

En utilisant les mêmes sources, il faut développer : la mesure du bien-être économique (MBE) de Nordhaus et Tobin, l'indice de bien-être économique durable (IBED), les « PIB verts », et aussi l'indicateur de niveau de vie de Fleurbaey et Gaulier. Ces derniers « partent du revenu national net par habitant en parité de pouvoir d'achat (PPA), qu'ils corrigent en imputant six variables - temps de travail, précarité liée au chômage, espérance de vie en bonne santé, composition des ménages, niveau des inégalités et soutenabilité de la croissance. La contribution de ces variables au revenu est évaluée sur la base d'une estimation du consentement à payer des individus, c'est-à-dire de leurs « préférences collectives ». Les résultats obtenus montrent un décalage sensible entre le classement des pays selon le PIB par tête d'une part et selon l'indicateur de niveau de vie d'autre part. La France, par exemple, passe de la 17e à la 8e place sur 24 pays de l'OCDE classés alternativement selon les deux indicateurs. Cependant, ces résultats sont très sensibles aux hypothèses sur les préférences collectives (l'estimation du consentement à payer) et bien que les auteurs insistent sur leur « signification empirique » (c'est-à-dire leur fondement « objectif » sur des données d'enquêtes d'opinion), cette sensibilité témoigne de l'impossibilité de contourner la question normative quel que soit le degré de cohérence formelle de l'indicateur » (note de veille du CAS p 3 et 4).

Cette méthode comme les autres n'échappe pas aux critiques mais les auteurs, comme on va le voir, cherchent à dégager des modèles de bien-être.

3. Comment faire des comparaisons ?

Nous allons nous intéresser à deux types de comparaisons, entre pays et entre générations.

3.1 Identifier des modèles de bien-être

Marc Feurbaey et Guillaume Gaullier identifient trois modèles de bien-être (telos-eu du 18 septembre 2006) : « Un « modèle anglo-saxon » se distingue assez clairement. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande partagent plusieurs caractéristiques : fortes inégalités ; temps de travail élevés (sauf Royaume-Uni) ; faibles taux de chômage, essentiellement de courte durée avec rotation rapide sur le marché du travail (sauf Australie) ; forts coûts environnementaux (sauf Royaume-Uni). Le groupe perd son homogénéité pour la santé où l'Australie et la Canada ont des performances supérieures à la moyenne.

La France, l'Italie et l'Espagne constituent un « modèle latin » avec un fort coût du chômage, un temps de loisir important, une espérance de vie en bonne santé élevée.

Le « modèle nordique » regroupe la Norvège, la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, l'Autriche et l'Islande. Ces pays riches sont parmi les plus égalitaires, ont des risques de chômage faibles, des économies plutôt intensives en capital physique, un temps de loisir élevé, des performances environnementales satisfaisantes. Plusieurs autres pays européens sont en marge de ce modèle, notamment la Suisse mais avec un temps de travail élevé ».

Cette analyse en termes de modèle est intéressante car elle peut servir à identifier des politiques nationales publiques qui contribuent à influencer et à favoriser les causes du bonheur dans chaque type d'économie.

3.2 Comparer les situations des générations

Dans un article de la revue de l'OFCE de janvier 2006, Gérard Cornilleau montre, au prix d'un certain nombre d'hypothèses que l'on est entré dans une période où les générations actuelles pourraient connaître un niveau de bien-être inférieur au niveau atteint par les générations précédentes :

« La croissance continue du bien-être est, comme on l'a vu, exceptionnelle au sein des pays occidentaux dans la seconde moitié du XXe siècle. Compte tenu du caractère relatif de sa définition, il devrait toutefois converger à long terme vers un niveau qui dépend, dans chaque pays, de la répartition des revenus, des structures démographiques et du taux de croissance économique tendanciel. Dans le régime de croissance régulière de longue période, avec une population stable et une répartition des revenus invariante, la croissance du bien-être devient nulle. Vers quels niveaux le bien-être devrait-il converger au sein des quatre pays étudiés et à partir de quand ? Pour répondre à cette question deux scénarios ont été étudiés dans lesquels la structure de la population et la répartition des revenus observées à la fin du XXe siècle restent constantes dans chaque pays. Ils ne se distinguent que par les taux de croissance économique de long terme retenus. Dans le premier scénario, on a prolongé les observations des années 1990 et les écarts entre pays. Dans ce cas, la croissance du revenu par unité de consommation est de 2,3 % aux États-Unis, 1,9 au Royaume-Uni, 1,5 en France et 1,2 en Italie. Dans le second scénario, la croissance tendancielle est la même dans les quatre pays et égale à 2 % par an. Le premier scénario (graphique 7) met en évidence le risque d'une décroissance importante du bien-être en France et en Italie, si le taux de croissance économique devait se maintenir durablement au niveau moyen des années 1990.

Vers 2050, la réduction du bien-être pourrait atteindre près de 40 % en Italie et 20 % en France. La hiérarchie des niveaux de bien-être serait également totalement modifiée puisque le niveau américain se stabiliserait nettement au-dessus des niveaux français (33 %) et italien (45 %). Le niveau britannique serait également stabilisé à un niveau élevé malgré une légère baisse entre 2030 et 2080 » [13].

4. Une présentation synthétique des principaux indicateurs de richesse

Conclusion

L'économie du bonheur est devenue un véritable champ de recherche pour les économistes. Si aujourd'hui il n'y a pas de consensus sur un indicateur de bien-être, il y a la volonté de développer des outils pour améliorer à la fois les décisions individuelles et les décisions publiques afin de contribuer à une élévation du bien-être qui passe par de multiples variables.

On peut vouloir créer des incitations et des réglementations pour modifier les comportements individuels quant ils souffrent de myopie, d'optimisme excessif, de manque d'information (taxes sur les cigarettes, incitation aux formations tout au long de l'existence, incitation à la prévoyance...) et modifier les politiques publiques (renforcement des procédures démocratiques, sécurisation des parcours professionnels, politique de lutte contre les discrimination, renforcement des politiques sanitaires...).

Au delà de ces aspects normatifs, il faut aussi noter une double dimension dans le renouvellement de l'analyse économique qui à la fois utilise des techniques économétriques de plus en plus sophistiquées mais en glissant vers des sujets qui touchent de plus en plus à la vie quotidienne des individus. Cette réflexion sur le bonheur qui, pour les économistes ne fait que s'engager est révélatrice de cette évolution.

Pascal Le-Merrer, Stéphanie Fraisse-D'Olimpio pour SES-ENS.

 


Bibliographie

La croissance du PIB : une mesure à déchiffrer. Document de travail du Sénat. Octobre 2008.

Le Bonheur expliqué par les économistes, Problèmes économiques, N°2938 du 2 janvier 2008, La Documentation française.

"Au-delà du bonheur, le PIB ?", Centre d'Analyse Stratégique, Note de veille N°91, février 2008.

Alesina A., R. Di Tella et R. MacCulloch (2001), Inequality and happiness: Are Europeans and Americans different?, National Bureau of Economic Research, Working Paper n°8198.

Boarini R., A. Johansson et M. Mira d'Ercole (2006), Alternative measures of wellbeing, Documents de travail du Département des affaires économiques de l'OCDE No. 476.

Les champions du revenu par tête et ceux du niveau de vie, La lettre du CEPII, n°260, Octobre 2006.

Cassier I., Delain C., « La croissance ne fait pas le bonheur : les économistes le savent-ils ? », Regards économiques, no38, Mars 2006, Louvain. (télécharger le PDF).

Clark A. Senik C. (2007), "La croissance rend-elle heureux ?", Working paper N°2007 - 06, PSE

Cornilleau G. (2006), «Croissance économique et bien-être », Revue de l'OFCE, N°96, janvier 2006.

Diener E., (2000), Subjective well-being: The science of happiness, and a proposal for a national index, American Psychologist, Vol. 55.

Fleurbaey M., Gaulier G., "International Comparisons of Living Standards by

Equivalent Incomes », CEPII, Working Paper, no03, Janvier 2007.

Voir aussi « Comparaisons internationales de niveau de vie. Un nouvel indicateur », Telos-eu.com 2006.

Frey B.S. et A. Stutzer (2002), Happiness and Economics, Princeton University Press, Princeton and Oxford.

Friedman B. (2005), The Moral Consequences of Economic Growth, Knopf, New York.

Gadrey J., Jany-Catrice F. "Les indicateurs de richesse et de développement. Un bilan international en vue d'une initiative française", rapport de recherche pour la Dares, mars 2003.

Gadrey J., Jany-Catrice F., Les nouveaux indicateurs de richesse. Repères, La Découverte, 2007.

Helliwell J.F. (2003), "How's life? Combining individual and national variables to explain subjective well-being", Economic Modelling, Vol. 20.

Layard R. (2007), Le prix du Bonheur, Armand Colin.

Layard R. (2005), Happiness - Lessons from a New Science, Penguin Press, New York.

OCDE (2006), Réformes Economiques - Objectif Croissance 2006, chapitre 6 : « Indicateurs alternatifs de bien-être », p.131 à 146

Méda D. (2008), Au-delà du PIB Pour une autre mesure de la richesse, édition révisée, Champs actuel.

Voir aussi son article « Richesse » in JL Laville, A.D Catani, « Dictionnaire de l'autre économie », Folio, 2006.

Ross C. et M Van Willigen (1997), Education and the subjective quality of life, Journal of Health and Social Behaviour, Vol. 38.

Sharpe A., Méda. D, Jany-Catrice F. et Perret B, "Débat sur l'indice de bien-être économique", Travail et Emploi n°93, Janvier 2003.

Veenhoven R. (1997), « Progrès dans la compréhension du bonheur » Revue québécoise de psychologie, vol. 18, n°2, p 40.

Wintrebert R., « Mesurer le bonheur : des indicateurs pertinents pour la France ? »,  Fondation pour l'innovation politique, Document de travail, Avril 2007.

Wintrebert R., « Indicateurs de richesse et de bien-être - Des pistes de réflexion pour la commission Stiglitz », numéro hors série de la Fondation pour l'innovation politique. Juin 2008.

Voir aussi la session du congrès de l'AFSE présidée par Claudia Sénik et Andrew Clark sur "l'économie du bonheur".


Notes :

[1] Cot A. (1992), Nouvelle histoire de la pensée économique, tome 1, p. 289, La Découverte

[2] Voir Wintrebert R. (2008), « Indicateurs de richesse et de bien-être - Des pistes de réflexion pour la commission Stiglitz », numéro hors série de la Fondation pour l'innovation politique, p 9 à 12

[3] OCDE (2006 ), Réformes économiques: Objectif croissance 2006, p. 133.

[4] Clark A., Senik C. (2007), « La croissance rend-elle heureux ? La réponse des données subjectives », Working paper 2007-06, PSE.

[5] L'article est repris dans le Problèmes économiques n°2938 du 2 janvier 2008 qui est consacré au bonheur expliqué par les économistes.

[6] OCDE (2006), Réformes économiques: Objectif croissance 2006, p. 131.

[7] Veenhoven R., « Progrès dans la compréhension du bonheur », Revue québécoise de psychologie, vol. 18, n°2, p. 36, 1997.

[8] Veenhoven R., « Progrès dans la compréhension du bonheur », Revue québécoise de psychologie, vol. 18, n°2, p. 40, 1997.

[9] "Au delà du bonheur, le PIB ?", Centre d'Analyse Stratégique, Note de vielle N°91, février 2008, p. 3.

[10] Wintrebert R., « Indicateurs de richesse et bien-être - des pistes de réflexion pour la commission Stiglitz », note de la Fondation pour l'innovation politique, juin 2008.

[11] http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ref/ECOFRA07D.PDF

[12] http://www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/NoteVeille91V2.pdf

[13] Cornilleau G. (2006), «Croissance économique et bien-être » , Revue de l'OFCE, N°96, janvier 2006, p. 30-31.