Sujet épreuve appliquée Capes externe 2023
Sociabilités et conjugalité de la jeunesse féminine populaire en milieu rural
La sociologue Yaëlle Amsellem-Mainguy, chargée de recherche à l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP), était l'invitée du séminaire « Re/lire les sciences sociales », organisé à l'ENS de Lyon en visioconférence en janvier 2022, pour une séance autour de son ouvrage « Les filles du coin. Vivre et grandir en milieu rural », publié en mars 2021 aux Presses de Sciences Po. Spécialiste de la jeunesse qu'elle étudie sous l'angle de la sexualité, de la santé, des pratiques numériques et des territoires, Yaëlle Amsellem-Mainguy est aussi chercheuse associée au Centre de recherche sur les liens sociaux (CERLIS) et à l'INED. Benoît Coquard, chercheur au Centre d'Economie et de Sociologie appliquées à l'Agriculture et aux Espaces Ruraux (CESAER) (AgroSup Dijon et INRAE), également spécialiste en sociologie des jeunesses rurales, était invité comme discutant.
Présentation de la séance
L'enquête de Yaëlle Amsellem-Mainguy sur les jeunes femmes en milieu rural se situe dans le prolongement des travaux sur la jeunesse rurale de Nicolas Renahy (Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale, 2010) ou de Benoit Coquard (Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin, 2019), qui ont renouvelé le regard sociologique sur une jeunesse moins visible et souvent moins bien considérée que la jeunesse urbaine. L'ouvrage Les filles du coin permet de comprendre la situation des jeunes, leurs socialisations et leurs sociabilités à la lumière des rapports sociaux de classe, mais aussi au prisme du genre, la question des jeunes femmes et des rapports sociaux entre les sexes étant peu documentée dans les recherches en sociologie rurale [1]. Fruit d'une enquête qualitative réalisée dans quatre régions différentes de France métropolitaine [2], le livre rend compte des conditions de vie, des sociabilités et des parcours sociaux, scolaires et professionnels des « filles du coin », ces jeunes femmes qui résident loin des grandes agglomérations et qui sont majoritairement issues des classes populaires ou de la petite classe moyenne.
La séance du séminaire « Re/lire les sciences sociales » est centrée sur la question de la construction des styles de vie et des sociabilités féminines rurales, en creusant la thématique du couple et des représentations de la conjugalité chez les jeunes femmes, de l'adolescence à l'entrée dans l'âge adulte. Après avoir présenté son dispositif d'enquête et expliqué ce que signifie « être une fille du coin » pour les enquêtées, Yaëlle Amsellem-Mainguy montre en quoi le couple (et à travers lui la conformité à la norme hétérosexuelle et aux normes de genre) est constitutif de leur place et participe à leur reconnaissance sociale à l'entrée dans l'âge adulte. Elle souligne le contrôle social qui pèse sur les filles en milieu rural en matière de fréquentations et de sexualité, dans un espace marqué par une forte interconnaissance et l'importance des effets de réputation locale. Mais aussi la diversité de leurs expériences sociales, par exemple lorsqu'un évènement tragique comme le décès de son petit ami dans un accident de voiture révèle la place de celui-ci dans l'espace local, ce qui rejaillit sur la respectabilité des jeunes femmes et leur intégration dans les sphères de sociabilité (soutien et reconnaissance sociale versus racisme et exclusion).
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Présentation éditeur : On entend rarement celles à qui ce livre donne la parole. Collégiennes, lycéennes ou jeunes actives, issues de milieux populaires, elles ont grandi et vivent dans la frange rurale de l'Hexagone. Celles qui travaillent ont le plus souvent un emploi au bas de l'échelle, quand bien même leur formation leur permettrait de prétendre à « mieux ». Lors d'une enquête menée dans les Deux-Sèvres, les Ardennes, la presqu'île de Crozon et le massif de la Chartreuse, Yaëlle Amsellem-Mainguy est allée à la rencontre de cette partie de la jeunesse a priori « sans problème » et pourtant largement concernée par les grandes évolutions économiques, sociales et politiques du pays. Les « filles du coin » lui ont raconté leur vie quotidienne, leurs relations familiales, leurs amours, les amitiés qui se font et se défont. Elles lui ont confié le poids de la réputation et de la respectabilité, la nécessité d'avoir du réseau et de savoir s'adapter face à l'éloignement des grandes villes et à la disparition des services de proximité. Elles lui ont décrit leur parcours scolaire, leurs rêves et leurs aspirations, et la question qui se pose à elles dès l'adolescence : partir ou rester ? |
Intervention de Yaëlle Amsellem-Mainguy autour de l'ouvrage « Les filles du coin »
Séance du séminaire « Re/lire les sciences sociales » enregistrée le 10 janvier 2022.
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| Introduction par les élèves de l'ENS de Lyon | 00:00:00 |
| L'enquête et son dispositif | 00:02:25 |
| Ce que signifie « être du coin » en milieu rural | 00:12:26 |
| Le couple : normes, reconnaissance sociale et séquençage des âges de la vie | 00:17:22 |
| Quand les accidents de la route viennent révéler l'intégration sociale des jeunes femmes et l'ordre du genre | 00:33:44 |
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Échange avec Benoît Coquard, discutant
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| Propos introductifs | 00:00:00 |
| Le travail de terrain sur la ruralité et la construction d'une sociologie rurale féminine : place de l'enquêtrice comme « Dame de Paris » et émergence d'une parole parmi les femmes | 00:01:52 |
| Contrôle social, normes et anomie des jeunes femmes (question et réponse) | 00:09:25 |
| Méthode de comparaison territoriale, différents lieux enquêtés et anonymisation du terrain (question et réponse) | 00:19:39 |
| Diversité des styles de féminité et espaces d'autonomie féminine dans la production normative et la construction des sociabilités (question) | 00:35:43 |
| Effet des écarts d'âge dans le couple sur les styles de conjugalité et l'inégale domination masculine (question) | 00:39:06 |
| Comment enquêter en milieu rural quand on vient de Paris (« Dame de Paris ») et apport des restitutions des résultats aux enquêtées (question) | 00:43:16 |
| Réponse à la question sur les différents styles de féminité | 00:46:56 |
| Réponse à la question sur l'effet des écarts d'âge dans le couple | 00:56:03 |
| Réponse à la question sur les restitutions et sur la « Dame de Paris » | 00:59:42 |
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Échange avec le public
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| Question 1 : la restitution et le retour des enquêtées sur l'enquête et ses résultats | 00:00:05 |
| Question 2 : la scolarisation des filles en milieu rural et leur regard sur l'école | 00:04:43 |
| Question 3 : les trajectoires et les sociabilités des filles habitant dans des espaces ruraux marqués par la présence de néoruraux | 00:08:25 |
| Question 4 : la poursuite de l'enquête sur d'autres terrains | 00:10:32 |
| Question 5 : la place des personnes maghrébines dans les espaces de sociabilité des territoires ruraux enquêtés | 00:11:20 |
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Compte rendu de la séance
Compte rendu de Margot Imbert, Simon Le Roux, Pauline Mailloux et Juliette Rousselet, élèves à l'ENS de Lyon :
Yaëlle Amsellem-Mainguy commence par souligner l'écho du titre de son ouvrage à celui de Nicolas Renahy Les gars du coin : enquête sur une jeunesse rurale (2010). Et qui aurait pu s'appeler Les filles du coin : celles qui restent pour faire aussi écho au livre de Benoît Coquard Ceux qui restent : faire sa vie dans les campagnes en déclin (2019). Cependant, elle souligne la différence de dispositif entre ces enquêtes.
L'objectif de départ de cette enquête était de creuser la question des jeunes ruraux et des jeunesses populaires, de poursuivre la connaissance sur ces jeunes en matière d'âges de la vie et de processus de socialisation. Elle voulait mieux comprendre les sociabilités existantes au prisme du genre et des classes sociales, comme le rapport que les jeunes femmes entretiennent avec leur famille, en particulier avec leur mère. Elle a donc observé la place des filles dans les villages, dans l'espace public et privé, selon les âges. Elle a, pour cela, retravaillé sur les conditions de vie de ces jeunes femmes : les enjeux de la formation et de l'insertion professionnelle ; les tensions sur le territoire ; mais aussi l'image d'elles-mêmes sur ce dernier. De plus, elle a creusé la question du couple afin de voir la manière dont les filles peuvent construire leurs relations et l'ensemble de leur vie avec et autour de la conjugalité.
Pour aller plus loin
Ouvrages et articles :
Amsellem-Mainguy Y. (2021), Les filles du coin. Vivre et grandir en milieu rural, Paris, Presses de Sciences Po. Accessible en ligne sur cairn.
Cet ouvrage a été précédé de la publication d'un rapport d'étude de l'INJEP : Amsellem-Mainguy Y., en collaboration avec Voisin S.-G. (2019), « Les filles du coin ». Enquête sur les jeunes femmes en milieu rural. Sociabilités dans l'espace local rural populaire, Injep Notes & Rapports, 2019/07, septembre.
Amsellem-Mainguy Y. (2021), Expériences des confinements par les adolescents ruraux. Des conséquences inégales sur les sociabilités, scolarités et aspirations, INJEP, Analyses & synthèses, 47, avril.
Amsellem-Mainguy Y. (2020), « Là-bas il y a les autres… mais on ne traîne pas avec ». Sociabilités locales et mise à l'écart chez les filles en milieu rural, Les cahiers de la LCD, 2020/3, 14, p. 71-86.
Amsellem-Mainguy Y. (2019), Sociabilités des jeunes femmes de classe populaire dans l'espace rural. Se faire une place par son réseau, INJEP, Analyses & synthèses, 28, octobre.
Clair I. (2010), « Des filles en liberté surveillée, dans les espaces ruraux et périurbains aujourd'hui », dans Blanchard V. et Revenin R. (dir.), Les Jeunes et la sexualité, Paris, Autrement, p. 321-329.
Clair I. (2011), La découverte de l'ennui conjugal. Les manifestations contrariées de l'idéal conjugal et de l'ethos égalitaire dans la vie quotidienne de jeunes de milieux populaires, Sociétés contemporaines, 83 (3), p. 59-81
Clair I. (2017), S'insulter entre filles. Ethnographie d'une pratique polysémique en milieu populaire et rural, Terrains & Travaux, 31, p. 179-199.
Coquard B. (2019), Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin, Paris, La Découverte.
Renahy N. (2010), Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale, Paris, La Découverte.
Vidéos et podcasts :
Colloque Genre & Jeunesses : Le genre et les rapports sociaux de sexe dans les jeunesses de milieux populaires, SES-ENS, novembre 2016. Voir les interventions d'Isabelle Clair (Enjeux et usages des insultes sexistes et homophobes chez les jeunes filles et garçons de milieu populaire) et de Nicolas Renahy (L'évolution des rapports sociaux de sexe dans la jeunesse rurale ouvrière). Introduction par Yaëlle Amsellem-Mainguy.
Podcast « Genre, etc. », Programme PRESAGE de Sciences Po : Les filles du coin.
Les filles du coin : penser la ruralité au féminin, France Culture, 15 octobre 2021.
Recensions de l'ouvrage Les filles du coin :
Compte rendu de Claire Federspiel dans la revue en ligne Lectures.
Compte rendu de Carine Guérandel dans Métropolitiques.
Compte rendu de Laure de Verdalle dans la revue Sociologie du travail.
Anne Both, « Les Filles du coin », de Yaëlle Amsellem-Mainguy : le destin tout tracé des jeunes femmes du village, Le Monde, 29 avil 2021 (accès restreint).
Notes
[1] Voir notamment les travaux d'Isabelle Clair sur les adolescentes et les rapports de genre en milieu rural (cf. références bibliographiques).
[2] L'enquête par entretiens et observations a été menée entre février 2018 et février 2019 auprès de 193 jeunes femmes âgées de 14 à 28 ans habitant toutes en milieu rural. Les quatre espaces ruraux différents enquêtés sont la presqu'île de Crozon dans le Finistère et le massif de la Chartreuse en région Auvergne-Rhône-Alpes, qui sont deux territoires touristiques, le pays de Gâtines dans les Deux-Sèvres, un territoire peu attractif, « que les gens ne font que traverser » selon les enquêtées, et la vallée de la Meuse dans les Ardennes, un territoire désindustrialisé considéré comme « oublié ». Dans l'enquête, la « ruralité » n'est pas appréhendée au sens administratif ou statistique, mais subjectivement, du point de vue des jeunes femmes vivant dans ces territoires – celles-ci ont le sentiment de ne pas faire partie de la jeunesse urbaine, dominante dans les représentations médiatiques.
Anne Châteauneuf-Malclès pour SES-ENS
